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Les Evolutions du problème oriental/03

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Les Evolutions du problème oriental
Revue des Deux Mondes3e période, tome 30 (p. 481-507).
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LES EVOLUTIONS
DU
PROLEME ORIENTAL

III.[1]
POLITIQUE ET LIBÉRALISME.

« L’empire des Turcs est à présent à peu près dans le même degré de faiblesse où était autrefois celui des Grecs ; mais il subsistera longtemps, car, si quelque prince que ce fût mettait cet empire en péril en poursuivant ses conquêtes, les trois puissances commerçantes de l’Europe connaissent trop leurs affaires pour n’en pas prendre la défense sur-le-champ. C’est leur félicité que Dieu ait permis qu’il y ait dans le monde des nations propres à posséder inutilement un grand empire… » Ainsi s’exprimait Montesquieu dans le dernier chapitre de ses Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains[2], et rarement historien philosophe a prononcé un mot plus profond, jeté un regard plus pénétrant dans les plis et les replis des temps à venir. Lorsque l’illustre président à mortier traçait ces lignes fatidiques, bien peu de gens assurément parmi ses contemporains avaient la préoccupation ou seulement le pressentiment d’une question d’Orient. Pierre le Grand n’existait plus, et sa campagne du Pruth n’avait laissé que l’impression d’une aventure inconsidérée et sans conséquence ; Catherine II n’était encore qu’une enfant de huit ans, la fille complètement ignorée d’un petit prince besoigneux, général obscur dans l’armée prussienne. C’est à ce moment pourtant que Montesquieu vint poser le problème oriental dans des termes aussi précis qu’inattendus, dans les termes mêmes que l’Europe devait un jour adopter après mainte péripétie et mainte catastrophe, et il n’est pas jusqu’à la pointe railleuse et légèrement sceptique par laquelle l’écrivain avait aiguisé sa phrase qui ne fût un trait de génie de plus dans cette prédiction étonnante. Ces félicitations ironiques que l’auteur des Considérations adressait au peuple turc « de posséder inutilement un grand empire, » elles visaient aussi, elles visaient surtout les puissances européennes que les nécessités de la politique condamneraient encore à maintenir un pareil peuple dans sa possession si stérile ; — et en cela également, les événemens n’ont, hélas ! que trop justifié les prévisions du penseur.

Ç’a été la fatale destinée de l’empire ottoman de faire toujours trembler les états civilisés dans sa bonne comme dans sa mauvaise fortune, et l’on peut dire qu’il est devenu aussi menaçant pour leur repos par sa faiblesse et par sa décadence qu’il l’a été autrefois par sa force et son ascendant. Bien avant dans le XVIIIe siècle, les villages de l’Allemagne du sud avaient conservé l’antique habitude de faire sonner une fois par jour la « cloche turque[3] » : à ce signal, le laboureur se découvrait derrière sa charrue, et récitait un Pater pour que Dieu voulût bien détourner de la chrétienté le fléau d’une invasion musulmane, — et grand dut être l’étonnement de ces paysans du Danube lorsqu’ils apprirent avec le temps que les gouvernemens chrétiens n’avaient plus d’autre souci que de maintenir le musulman dans une domination jadis tant abhorrée et maudite. C’est à partir de la paix de Kaïnardji que commença pour les cabinets à se dessiner cette nouvelle évolution de la question d’Orient qui, réduite à sa plus simple expression, n’est autre chose que l’a question de préserver l’équilibre du monde de l’immense et épouvantable bouleversement qu’apporterait avec elle l’extension de la puissance russe sur les pays du Bosphore. Le comte de Vergennes fut le premier parmi les hommes d’état d’alors à reconnaître ce danger, et à élever la conservation de l’empire ottoman à la hauteur d’un grand principe européen. Ambassadeur de France à Constantinople pendant près de quinze ans et témoin de toutes les intrigues de Catherine II lors de sa première agression contre la Porte (1768) il avait eu l’occasion de bien étudier le terrain et de pénétrer les ambitions séculaires du gouvernement moscovite. Avec une rare sagacité, il prévit dès le commencement des hostilités que « le démembrement de la Pologne pourrait faire le sceau de la réconciliation entre l’Autriche et la Russie, » alors profondément divisées au sujet de cette guerre d’Orient et prêtes à en venir aux mains[4]. Devenu plus tard ministre des affaires étrangères, sous le roi Louis XVI, et se trouvant en face de la situation qu’avaient créée aux états de l’Occident le premier partage de la Pologne et le traité de Kaïnardji, M. de Vergennes s’efforça par tous les moyens de ne pas laisser s’élargir la brèche faite au droit public, et de préserver surtout la Turquie du sort qui avait déjà frappé l’antique royaume des Jagellons. L’entreprise de Catherine II sur la Chersonèse (1783) réveilla toutes ses appréhensions pour l’équilibre du monde, et il multiplia les représentations et les instances auprès des cabinets de Vienne et de Saint-James : « Le ministère anglais, écrivait-il, le 17 juillet 1783, à l’ambassadeur de France à Londres, M. d’Adhémar[5], le ministère anglais ne compterait-il pour rien les considérations qui dérivent de la position de la Crimée, de la commodité, de la sûreté, de la grandeur de ses ports, enfin de la possibilité d’arriver en vingt-quatre heures au détroit qui conduit à Constantinople ? .. » Il prédit dans la suite de cette remarquable dépêche un prochain et nouveau partage de la Pologne et conclut par ces lignes saisissantes : « Ainsi, de proche en proche, la voie sera ouverte aux invasions et aux usurpations, et bientôt l’Europe ne sera plus qu’un champ de spoliation où le faible sera nécessairement la proie du plus fort…[6] »

Il s’en faut pourtant que les vues de M. de Vergennes fussent adoptées aussitôt par les puissances occidentales. Tout en qualifiant les projets de Catherine sur la Turquie d’insensés, de dangereux pour l’Autriche, et propres seulement à amener une perturbation universelle[7], le prince de Kaunitz laissa faire l’annexion de la Crimée, comme il suivit plus tard Joseph II dans le fatal entraînement de 1788. En Angleterre, George III partagea complètement les idées de M. de Vergennes et du roi Louis XVI : « Je pense absolument comme votre maître, dit-il à M. d’Adhémar ; l’Europe deviendra comme un bois, il n’y aura de sûreté pour personne. » Mais l’illustre Fox, à cette époque principal secrétaire d’état, demeura sourd à toutes les remontrances, et refusa le moindre concours. Huit ans après (1791), il devait encore tirer gloire devant le parlement de sa conduite comme ministre dans la question de Crimée, et faire, avec son parti, une opposition violente, presque factieuse, à la politique de Pitt, qui s’efforçait de limiter les pertes de la Turquie, à la suite de la guerre qu’avait amenée le fameux projet grec. La révolution française était déjà à ce moment en pleine effervescence, et elle ne tarda pas, par ses entreprises au dehors, à changer de fond en comble les conditions des états, et à bouleverser l’échiquier de la diplomatie ordinaire. Rompant avec la tradition de trois siècles, la France finit par s’attaquer jusqu’à l’empire ottoman ; Bonaparte envahit l’Égypte, quitte à renouer avec les Turcs, après l’abandon de la malencontreuse expédition, à rechercher même leur alliance en 1806, pour les sacrifier de nouveau à Tilsit, et reconquérir derechef leur amitié après Erfurt. Réglant ses pas sur la conduite versatile de son redoutable adversaire, l’Angleterre dut, pendant toute cette époque agitée, tantôt protéger, tantôt menacer et violenter la Porte, au risque même de favoriser les vues russes sur ce terrain dangereux, et le Divan a longtemps gardé le souvenir de la scène pénible (mars 1807), où un jeune secrétaire de l’ambassade britannique se présenta au débotté, et la cravache en main, devant le sultan pour lui imposer les volontés moscovites, au sujet des principautés danubiennes[8]. La cravache de M. Wellesley Pole a précédé d’un demi-siècle le fameux paletot du prince Menchikof. Ce n’est qu’après la chute de Napoléon et au lendemain du congrès de Vienne que l’Europe parvint à se retrouver, à se reconnaître, à voir clair dans ses affaires tant à l’Occident qu’à l’Orient. Ce qu’elle vit surtout, c’est que de l’immense cataclysme qui avait duré vingt-cinq ans et englouti l’ancien ordre des choses, la Russie était sortie démesurément agrandie, démesurément ambitieuse, et que ses visées en Orient renverseraient la balance des états, à peine si laborieusement et si incomplètement rétablie. Dès lors, le maintien du statu quo dans la péninsule thracienne, la conservation du pouvoir des sultans devint le mot d’ordre de la diplomatie au XIXe siècle. La politique de M. de Vergennes eut sa justification posthume et éclatante, et la prophétie de Montesquieu s’accomplit à la lettre. Trois puissances commerçantes, les trois grandes puissances les plus intéressées à la sécurité de la Méditerranée comme à la liberté des transactions avec les échelles du Levant prirent en main la cause du padichah, et montèrent la garde au pied du sépulcre blanchi qui porte le nom de l’empire ottoman.

Libre au penseur solitaire et irresponsable à qui le monde n’appartient que comme sujet d’étude de déchiffrer dans tel coin obscur de l’édifice humain un impérieux ’Aνάγκη et de prononcer l’arrêt péremptoire : ceci tuera cela, libre encore à l’historien « sans haine, sans sympathie, » d’embrasser d’un regard impassible une longue suite de générations, et d’en déplorer les stériles labeurs ; mais les gouvernemens n’ont ni les loisirs, ni la vocation de ces spéculatives besognes. Les gouvernemens ne font ni de la philosophie de l’histoire, ni des traités d’éthique ; ils font la besogne du jour, ils parent aux nécessités courantes, ils combattent le combat de la vie, pour emprunter une expression à une science très en vogue de nos jours : les guerres pour une idée ne leur portent point bonheur, une expérience récente ne l’a que trop prouvé, hélas ! Lord Londonderry écrivait en 1821 au sujet de l’insurrection de la Grèce : « Les hommes d’état ne sont appelés qu’à sauvegarder les intérêts qui leur sont confiés immédiatement, et ils ne doivent pas mettre en péril l’existence de la génération actuelle en voulant assurer, par leurs calculs, le bonheur de la postérité[9]. » Le mérite de devancer son époque et d’anticiper sur l’avenir est un mérite bien contestable en somme, alors même qu’il n’est revendiqué que par le simple citoyen, dans la simple sphère de la vie individuelle, car il s’agit avant tout de suffire au présent, et de remplir pleinement les devoirs déjà si difficiles qu’imposent à chacun de nous son temps et son milieu ; mais une pareille ambition deviendrait une folie criminelle chez les gouvernemens qui ont charge des intérêts si délicats et si compliqués des nations. « Je sais très bien, disait le grand citoyen et le grand politique François Deak, je sais très bien ce que je ferai aujourd’hui, et à peu près ce que je ferai demain ; le surlendemain regarde le bon Dieu ; » parole admirable et qui sous une forme familière trace si nettement aux hommes d’état leur devoir d’enlever au hasard tout ce qu’il est possible de lui enlever dans les événemens présens et pressans, et de laisser à la Providence, dans les horizons lointains, la grande marge qu’elle sait bien prendre d’elle-même, et en dépit de nos présomptueuses combinaisons ! .. Laisser précisément à la Providence le soin de mûrir son œuvre, — la formation d’un nouvel et viable organisme politique, dans la péninsule ; thracienne, — mais conserver en attendant le cadre tutélaire de l’empire ottoman, et surtout empêcher que la Russie n’y vînt écraser l’avenir aussi bien que le passé, n’y vînt occuper une position des plus menaçantes pour la balance des états et le repos du monde : telle est la signification véritable que la diplomatie des Vergennes, des Metternich, des Talleyrand et des Palmerston a de tout temps attachée à ce mot si mai compris souvent de l’intégrité de la Turquie. Qu’il soit d’ailleurs permis de rechercher si les cabinets de l’Europe ont montré toute la diligence et toute l’énergie nécessaires dans l’accomplissement d’un pareil programme, du moins ; on ne saurait raisonnablement leur reprocher de se l’être tracé.

Il y avait un autre programme à suivre, disent les faux Montesquieu si nombreux de nos jours, les importans et les importuns qui demandent à « couler à fond » la question d’Orient, et qui se feraient forts d’arranger toutes choses à l’amiable et à la satisfaction du public, pour peu que Dieu voulût leur céder la place vingt-quatre heures durant. Il fallait, à les entendre, procéder résolument et dès longtemps à « la liquidation » de l’empire ottoman ; « créer » dans la péninsule thracienne des états indépendans pour en faire « des barrières infranchissables à l’ambition moscovite ; » enfin et au besoin, ériger Constantinople en « ville libre » pour la réconciliation de tous les intérêts… On s’arrêtera ici à cette belle thèse de Constantinople ville libre, uniquement pour faire observer que l’invention n’a pour elle ni le mérite de la nouveauté, ni surtout l’encouragement de l’expérience la plus récente. M. de Caulaincourt eut un jour, dans les commencemens de 1808, la première idée d’un pareil expédient, alors que pressé par les instances russes, poursuivi sans relâche par la langue de chat de l’empereur Alexandre, il émit timidement cette hypothèse, sans oser toutefois la formuler par écrit, et sans que Napoléon ait daigné lui faire l’honneur d’une réponse[10]. A l’époque du congrès de Vienne, où la fantaisie des amateurs en politique se donnait libre carrière, tel général russe, tel publiciste allemand purent rêver, à leur tour, pour la capitale du Bosphore, le sort heureux « de la république de Cracovie, de la cité de Francfort, et des trois villes hanséatiques[11] ; » mais, après l’expérience faite précisément avec la république de Cracovie, avec la cité de Francfort et les trois villes hanséatiques, on a quelque peine à garder son sérieux devant des pastorales de ce genre. Proclamer Constantinople ville libre dans notre âge de fer et de sang, mais ; autant vaudrait confier le Régent et le Kokinoor à la probité des pick-pockets ! .. Et comment ne pas admirer aussi la généreuse philanthropie de ces grands faiseurs de solutions, philanthropie qui a pour sous-entendu l’extermination de toute une race ! On a beau répéter le fameux mot de M. de Maistre, que le Turc n’est que campé en Europe ; il y est campé depuis plus de cinq cents ans[12], il défend sa possession avec ténacité, avec courage, avec le désespoir d’une lutte suprême : il était possible, il était légitime de le refouler en Asie, par un commun effort de la chrétienté, au temps d’Orkhan ou de Mahmoud II ; dans notre XIXe siècle, une tentative semblable serait aussi malaisée qu’inique. « Nous étions trois mille lorsque nous débarquâmes, il y a cinq cents ans, à Tzympé, et il faudra, nous réduire au même chiffre avant de nous rembarquer, » a dit un jour Midhat-Pacha, avec un accent qui n’avait rien de la jactance. Que les Grecs, que les Serbes, que les Monténégrins, que les Bulgares travaillent de leur mieux à cette réduction graduelle, « humaine et civilisatrice, » par des guerres, des incendies et des massacres : ils vengent l’injure de leurs ancêtres, ils préparent ou ils croient préparer la gloire et le bonheur de leurs arrière-petits-enfans. Que la Russie s’empresse, à son tour, de considérablement augmenter l’œuvre de carnage et de ravage, et de lui donner des proportions dignes de sa propre grandeur : elle poursuit par là un but gigantesque, et les cadavres qu’elle amoncelle doivent servir de fondemens à sa domination sur le monde. Mais que les puissances civilisées de l’Occident, qui n’ont ni injures à venger, ni conquêtes à faire dans la péninsule thracienne, y viennent de leur côté assumer la « mission » de l’ange exterminateur, y viennent ajouter les horreurs anglaises, françaises, allemandes, aux atrocités bulgares, bosniaques et moscovites, et tout cela de propos délibéré, par pur amour du progrès, et à la seule fin de « créer » des états indépendans au pied des Balkans, c’est là leur demander un désintéressement sanguinaire dont elles ne mériteront probablement jamais ni l’excès d’honneur, ni l’indignité.

Crée-t-on d’ailleurs des états indépendans, les fait-on surgir des profondeurs du néant par un coup d’adresse, par un décret des cabinets ? Ces formations ne sont-elles pas plutôt le produit lent et mystérieux d’une suite de générations, d’une natura naturam, dont ni la physiologie, ni la politique n’ont pénétré les secrets ? Combien précaires, combien chétifs et peu rassurans pour l’avenir nous semblent encore aujourd’hui les organismes politiques de la Grèce, de la Serbie et de la Roumanie ; et cependant, pour n’arriver qu’à ce degré très modeste de développement, qu’il a fallu de guerres, de labeurs, d’initiations douloureuses ! En vérité, l’existence nationale ne serait pas ce qu’elle est le suprême bien de la terre, si pour l’acquérir il suffisait d’un simple arrêt des diplomates ; et que de foi enfantine dans cette supposition que l’Europe n’aurait eu qu’à prononcer tel jour le mot du Rédempteur à Béthanie pour appeler aussitôt à la vie politique les millions de Lazares, de lazzaroni et de Lazarilles couchés depuis des siècles dans le tombeau du Bas-Empire ! .. Quant à la doctrine si profonde et si sûre d’elle-même qui voit dans ces états minuscules, établis ou à établir sur les ruines de l’empire du padichah, autant de « barrières infranchissables à l’ambition russe, » l’histoire est là pour démontrer toute la candeur de ce singulier machiavélisme. Les états devenus indépendans comme la Grèce, la Serbie, la Roumanie ont-ils en rien arrêté, en rien ralenti le Moscovite dans ses entreprises contre le repos du monde, ne se sont-ils pas faits au contraire, et en toutes occasions, ses auxiliaires les plus ardens, ses lansquenets les plus dévoués ? Lors de la guerre de Crimée, le gouvernement d’Athènes n’a-t-il pas poussé son zèle pour le tsar jusqu’à braver les puissances de l’Occident ? C’était cependant un Byron et non un Pouchkine qui était allé mourir à Missolonghi, et parmi tant de milliers de « volontaires » accourus jadis de tous les coins de l’Europe pour offrir leur sang à la cause de Canaris et de Colocotronis on chercherait en vain un nom russe[13] ! Le comte de Beust s’était appliqué de toutes ses forces à faire retirer de Belgrade les garnisons turques, à procurer aux Serbes la satisfaction de voir disparaître de leur sol jusqu’aux derniers vestiges de la suzeraineté ottomane ; le comte Andrassy n’a pas été en reste de bons procédés et de bons services ; et toute cette idylle sentimentale avec M. Ristitch a fini par l’accueil frénétique fait, dans la vallée de la Sava, au général Tchernaïef ! C’est aux alliés de la guerre de Crimée que les principautés danubiennes sont redevables de leur union, à laquelle la Russie s’était opposée jusqu’au dernier moment ; les puissances de l’Occident crurent même faire merveille d’inventer une combinaison qui devait former un obstacle sérieux aux empiétemens du tsar dans l’avenir. Cela a-t-il empêché M. Bratiano de fonder des comités bulgares à Bukharest dès 1867, d’envoyer dix ans plus tard des troupes roumaines au secours du grand-duc Nicolas devant Plevna ? Et qu’on aurait tort, encore aujourd’hui, de compter sur un changement de dispositions à Bukharest à la suite des amertumes nées du différend au sujet de la Bessarabie ! Ces amertumes s’effaceront comme par enchantement le jour où le cabinet de Saint-Pétersbourg jugera utile de consoler et d’enflammer le bon peuple roumain, par une lettre de change tirée sur la Transylvanie et la Bukovine…

Ce n’est pas une des choses les moins bizarres de notre temps, si riche en niaiseries de tous genres, que la confiance superbe inspirée maintenant à tant d’esprits naïfs par cette fantasmagorie d’un système de petits états indépendans en Orient, alors que dans l’Occident le même système de petits états indépendans vient de s’écrouler d’hier et sous nos yeux d’une manière si lamentable. Des états antiques et glorieux comme le Hanovre, la Saxe, les Deux-Siciles, la Toscane, n’ont pu résister un seul instant au tourbillon des grandes agglomérations qui est devenu la fatalité de notre siècle ; la Belgique, la Hollande, la Suisse, tremblent à l’heure qu’il est pour leur lendemain ; et c’est à un pareil moment que des publicistes, des hommes politiques se sont mis à tout espérer de la formation de principautés diverses et ondoyantes sur les ruines de l’empire ottoman, à prêter même à de semblables créations la vertu magique de barrer « définitivement » au colosse russe le chemin de Constantinople ! Nulle part cependant un vaste et puissant organisme politique (tout le contraire d’une constellation de petits états indépendans), nulle part l’hégémonie d’une race privilégiée et ayant le sentiment de sa supériorité militaire et gouvernementale, ne sont plus indiqués, plus impérieusement commandés que dans ces régions flottantes du Danube et du Balkan, au milieu de cette bigarrure de nationalités, de religions et de civilisations, parmi des peuplades si peu développées, si peu homogènes, si hostiles les unes aux autres, et qui laissées à elles-mêmes s’entredéchireraient immanquablement, et deviendraient immanquablement aussi la proie du voisin. L’histoire s’est essayée plus d’une fois à l’établissement de ce cadre indispensable ; on peut dire que les apparitions successives dans le courant des siècles de phénomènes tels que la Grande-Moravie, la Grande-Serbie, le royaume de Saint-Étienne n’étaient que les premières ébauches d’un système devenu aujourd’hui plus que jamais une nécessité ethnographique et politique sur ce point de notre vieux continent, et qui sait si des événemens récens et considérables, quoique bien douloureux, n’ont pas mûri, à cet égard, une combinaison aussi salutaire pour l’est que rassurante pour l’occident ? Que cette chance de salut toutefois est encore lointaine et douteuse ! que le péril au contraire est-imminent et presque inéluctable ! Et comment en vouloir à la diplomatie européenne d’avoir essayé, depuis le temps de Vergennes jusqu’à ces derniers jours, de retarder autant que possible l’effrayante échéance ; comment lui faire un crime d’avoir préféré maintenir les populations d’Orient dans les liens aujourd’hui déjà vieillis et peu pesans en somme[14] de l’empire ottoman que de les livrer inconsidérément, et de livrer avec elles tout le monde civilisé à la domination moscovite ? ..

Il n’en est pas moins vrai pourtant qu’en s’en tenant aux palliatifs et aux expédions, qu’en voulant toujours prolonger le statu quo « pour repousser aussi loin que possible dans l’avenir ces problèmes de races, de géographie politique et d’équilibre que recèle la question d’Orient[15], » les gouvernemens n’ont fait que se vouer à une tâche aussi laborieuse qu’ingrate. Ils avaient contre eux la force des choses, la faiblesse des hommes, et jusqu’à la voix de leur propre conscience. Ce n’était rien encore que cette attraction irrésistible que la Russie exerçait depuis des siècles sur les raias, et qui donnait à son ascendant continu le caractère presque d’une loi physique, fatale et inexorable ; ce n’était rien même que la prostration toujours croissante de l’Osmanli, qui, sourd à tous les conseils et à toutes les objurgations, s’engouffrait dans « cette volupté de la mort » que goûtent si bien les sociétés asiatiques en décadence ; à tout cela venait s’ajouter la pensée cuisante d’un déni de justice apparent envers les populations chrétiennes, si longtemps écrasées sous le pied de l’infidèle et qui commençaient maintenant à se redresser et à demander bruyamment leur place au soleil. Si les diplomates avaient généralement la constitution assez robuste pour ne pas succomber à la douleur de pareils scrupules, il en était tout autrement du sentiment populaire, mobile, inconsidéré et dépassant facilement la mesure, mais généreux au fond et éminemment humain. Ce sentiment eut souvent ses révoltes contre l’actionnes cabinets dans les affaires d’Orient, il eut ses pronunciamentos violens, formidables, contre la raison des hommes d’état et l’expérience des hommes en place. — « O expérience ! s’écrie le poète slave, ouate épaisse qui protèges l’oreille de nos maîtres contre les gémissemens importuns de l’humanité souffrante ! » — L’opinion publique, qui, elle aussi, était devenue une grande puissance déjà à l’époque de M. de Vergennes, livra successivement plus d’une bataille aux gouvernemens de l’Occident en faveur de ces Hellènes, de ces Serbes, de ces Roumains et de ces Bulgares « dont elle avait été informée par des livres imprimés, » pour parler le langage de Pierre le Grand, et remporta même plus d’une victoire signalée dans cette cause, — quitte à s’apercevoir après chacune de ses campagnes d’enthousiasme, et non sans étonnement, que son « libéralisme » avait surtout servi les desseins du despote du nord, et que sa sainte colère avait fait les affaires de la sainte Russie.


II

« Comment l’Angleterre, comment cette nation philosophe et libre peut-elle se faire le soutien du despotisme et de l’arbitraire russes ? » demandait en 1783, lors de l’incident de Crimée, M. d’Adhémar, au principal secrétaire d’état de sa majesté britannique[16], et certes il y a de l’imprévu dans cette question adressée à l’illustre chef des whigs, au « généreux » Fox, par l’ambassadeur d’un roi absolu de France… Mais les philosophes de la France elle-même ne s’étaient-ils pas faits, eux aussi, et de bonne heure, les soutiens du despotisme et de l’arbitraire russes, et n’avaient-ils pas chanté à l’intonation de leur grand-prêtre : Te Catharinam laudamus, te Dominam confitemur[17] ? N’avaient-ils pas montré un égal enthousiasme pour le partage de la Pologne et pour l’idée du partage de la Turquie, sans pouvoir trouver d’autre grief aux Polonais que celui d’adorer la sainte Vierge, d’autre crime aux Ottomans que celui de ne pas aimer les beaux-arts[18] ? Il est juste de reconnaître que la France d’alors, malgré les diatribes de ses encyclopédistes, ne laissa pas pourtant de demeurer quelque peu mustapha[19], et ne voulut pas prendre au sérieux les frivoles argumens de Voltaire en faveur de la croisade orthodoxe de 1768. Il en fut tout autrement de l’écrit que fit paraître vingt ans plus tard M. de Volney, et qui eut l’importance d’un véritable événement politique. Volney venait de faire un long séjour en Égypte et en Syrie, de publier un Voyage que portaient aux nues les amis et les commensaux de D’Holbach, et ses Considérations sur la guerre actuelle contre la Turquie (1788)[20]empruntaient à toutes ces circonstances une autorité que n’avaient jamais pu obtenir les plaisanteries du patriarche de Ferney contre le Mustapha. C’était d’ailleurs le moment où Catherine procédait à la réalisation de son « projet grec ; » l’Europe, devenue soucieuse depuis le traité de Kaïnardji, prenait de l’intérêt aux affaires du Levant ; les idées de M. de Vergennes avaient pénétré bien avant dans les esprits, et l’attaque dirigée soudain par un juge réputé compétent contre la politique de ce ministre (mort l’année précédente) produisit une impression très profonde. L’écrit de Mr de Volney fut pour ainsi dire le programme de l’opinion libérale dans la question d’Orient, à la veille de la révolution, et c’est à ce titre qu’il mérite de fixer un instant notre attention.

Ce qui frappe surtout dans ce livre maintenant si oublié, c’est sa ressemblance complète, en fait de raisonnement et de déraisonnement avec la plupart des pamphlets publiés dans ces dernières années par les impresarii des « atrocités bulgares. » A l’instar de MM. Gladstone, Freeman, Merriman, Froude et tant d’autres, l’auteur des Considérations commence d’abord par flétrir la partialité du ministère dans la publication des nouvelles. Il voit « improbité ou faiblesse dans les relations des faits qui nous parviennent sous l’inspection du gouvernement, » et trace de son côté un tableau du régime turc avec cette « exagération » et cette « sécheresse » que Dumont de Genève a si bien reconnues comme les deux qualités maîtresses de l’auteur des Ruines[21]. La définition du gouvernement ottoman par Volney comme « un gouvernement ennemi de l’espèce humaine » n’a pas sans doute toute l’énergie de la fameuse phrase sur « l’espèce anti-humaine de l’humanité, » qui constitue un des plus beaux fleurons de la rhétorique de M. Gladstone ; mais ce dernier aurait le droit d’envier au philosophe français l’étrange accusation portée contre les Turcs d’avoir inventé la peste. Oubliant maint passage de la Bible, tel récit célèbre de Thucydide, la prière si touchante de l’Œdipe de Sophocle, le De Natura Rerum, et jusqu’à l’introduction du Décaméron, Volney s’écrie sur un ton pathétique : « Qui jamais avant les Ottomans avait ouï parler de lazarets et de peste ? c’est avec ces barbares que sont venus ces fléaux ! » Il va sans dire qu’il n’admet pas la possibilité que les troupes musulmanes puissent résister un instant à la puissance moscovite (elles résistèrent pourtant pendant cinq ans aux forces réunies de la Russie et de l’Autriche, dans la campagne qui venait de commencer alors !) : « L’empire turc n’est plus qu’un vain fantôme, ce colosse, dissous dans tous ses liens, n’attend plus qu’un choc pour tomber en débris. »

À cette décadence irrémédiable de l’empire ottoman, Volney oppose l’essor magnifique et tenant presque du prodige qu’a pris l’empire des tsars depuis un siècle. « Il n’y a pas encore un siècle révolu, dit-il, que le nom de Russe était presque inconnu parmi nous : l’on savait par les récits vagues de quelques voyageurs qu’au-delà des limites de la Pologne, dans les forêts et les glaces du nord, existait un vaste empire dont le siège était à Moscou ; » aujourd’hui quel éclat, quel épanouissement, quels pas de géant faits dans la carrière de la grandeur et de la puissance ! Un patriote, un publiciste ayant quelque instinct politique, se serait peut-être demandé, à cet endroit, si un empire doué d’une pareille faculté de croissance et d’expansion n’aurait rien à la longue de menaçant pour sa propre patrie, pour la sécurité de tous, si un tel géant ne deviendrait pas un jour quelque peu gênant pour les états de taille ordinaire qui depuis des temps immémoriaux avaient élu domicile sur notre vieux continent. Volney ne s’arrête pas à des considérations si mesquines ; il entonne un chaleureux sic itur ad astra, et exhorte le Moscovite à s’emparer du globe : « Quel projet plus capable d’enflammer l’imagination que celui de reconquérir la Grèce et l’Asie, de chasser de ces belles contrées des barbares conquérans, d’indignes maîtres ! d’établir le siège d’un empire nouveau dans le plus heureux site de la terre ! de compter parmi ses domaines les pays les plus célèbres, et de régner à la fois sur Byzance et sur Babylone, sur Athènes et sur Ecbatane, sur Jérusalem et sur Tyr et Palmyre ! .. Quelle plus noble ambition que celle d’affranchir des peuples nombreux du joug du fanatisme et de la tyrannie ! de rappeler les sciences et les arts dans leur terre natale ! d’ouvrir une nouvelle carrière à la législation, au commerce, à l’industrie ! et d’effacer, s’il est possible, la gloire de l’ancien Orient par la gloire de l’Orient ressuscité ! .. » Byzance, Babylone, Athènes, Ecbatane, Jérusalem, Tyr et Palmyre ne suffisent pas à la généreuse ambition que ce Français conçoit pour le peuple de Rourik ; il lui fait entrevoir encore les richesses de Calcutta et les merveilles de Bénarès. « L’Inde commence à s’agiter, dit-il, et pourra se passer bientôt d’une tyrannie étrangère. » Enfin, et pour que rien ne manque à l’utopie, Volney conclut en affirmant que, la Russie une fois maîtresse de toutes ces contrées, le monde respirera à l’aise, et un âge d’or commencera pour notre pauvre humanité. « Alors les sujets de querelles devenus moins nombreux rendront les guerres plus rares ; les gouvernemens, moins distraits, s’occuperont davantage de l’administration intérieure, les forces moins partagées se concentreront davantage, et les états ressembleront à ces arbres qui, dépouillés par la fer des branches superflues où s’égarait la sève, n’en deviennent que plus vigoureux, et la nécessité aura tenu lieu de sagesse… »

Ne soyons pas trop sévères pourtant envers la sagesse que l’opinion libérale en France sut apporter, à la veille de la révolution, dans ses jugemens sur le problème oriental ; car, si nous nous tournons du côté de l’Angleterre vers la même époque, de ce pays renommé par son esprit pratique et son bon sens-héréditaire, nous recueillerons de la bouche des whigs, des meneurs célèbres du grand parti populaire, maintes paroles qui, pour l’excentricité et l’absence complète d’instinct politique, ne le cèdent que fort peu aux bizarres déclamations de Volney. Le 29 mars 1791, Burke déclarait dans la chambre des communes[22] ne pouvoir revenir de sa stupeur de voir tout à coup l’empire ottoman considéré comme nécessaire à l’équilibre européen. Quelques jours plus tard, Grey introduisait plusieurs « résolutions pour préserver la paix » contre la politique de Pitt, qui demandait des arméniens afin que la Turquie pût obtenir des conditions plus favorables de Catherine. « Tout agrandissement en Orient, opinait Grey, au lieu de fortifier la Russie ne deviendra pour elle qu’une augmentation de faiblesse ; mais dût même l’impératrice réaliser toutes les vues ambitieuses qu’on lui impute, dût-elle prendre possession de Constantinople et exterminer les Turcs de l’Europe, l’humanité, loin d’en être injuriée, ne pourrait que bénéficier de cet acte. » Enfin Fox, de son côté, prétendit que c’était quelque chose de tout à fait nouveau d’entendre dans cette enceinte des appréhensions au sujet de la grandeur de la Russie : « Au moment où Catherine incorporait la Crimée, M. de Vergennes proposa de faire des représentations communes. J’étais alors ministre de Sa Majesté, et la réponse que je recommandai fut que Sa Majesté ne ferait pas de représentations, et ne susciterait à l’impératrice les moindres obstacles. L’Angleterre n’a qu’à fortifier la Russie dans ses projets d’agrandissement sur les ruines de l’empire turc…. » Pour la première fois dans sa carrière de ministre, Pitt dut céder à l’opposition, et retirer sa demandé de crédits ; cela même ne calma pas l’ardeur des whigs, et un membre important du parti, M. Adair, alla en mission secrète à Saint-Pétersbourg, pour y contrecarrer les efforts du représentant officiel de l’Angleterre, M. Fawkener. Peu importe que Fox ai pris l’initiative de cette inqualifiable mission, ou qu’il l’ait seulement approuvée (point toujours en litige entre les historiens whigs et tories) : il est sûr, dans tous les cas, que Pitt a, par deux reprises, affirmé devant le parlement que la présence de M. Adair à la cour de Saint-Pétersbourg a été nuisible (injurious) aux intérêts de la Grande-Bretagne ; il est sûr aussi que Catherine fit un accueil chaleureux à M. Adair, et donna ordre de placer dans la galerie de son château impérial le buste de Fox, entre ceux de Cicéron et de Démosthène[23] !

M. Adair, — sir Robert Adair comme il fut appelé depuis, — a vécu assez longtemps pour revenir entièrement des erreurs de sa jeunesse, et pour nous laisser de sa conversion une preuve écrite, qu’on ne saurait ici passer sous silence. Mêlé, après la mort de Pitt, aux grandes affaires du monde, ambassadeur d’Angleterre successivement à Vienne et à Constantinople (1806-1811), l’ancien émissaire de Fox auprès de Catherine II avait eu l’occasion d’étudier certain problème sur place, de connaître un peu mieux les hommes et les choses ; et c’est ainsi que la volumineuse collection des papiers d’état du duc de Wellington[24] nous offre, entre tant de documens précieux et confidentiels, un curieux mémoire présenté en 1828 par sir Robert Adair pour attirer l’attention de l’illustre chef des tories sur les dangereux desseins de la Russie en Orient. « La Russie, y lit-on, ne déposera jamais les armes avant d’avoir obtenu, pour ses vaisseaux de guerre, la libre entrée dans la Mer-Noire et dans l’Archipel, et une fois en possession de Constantinople, elle n’évacuera pas la capitale sans y avoir établi un gouvernement complètement dépendant d’elle. Il ne s’agit pas ici seulement des rêveries de l’âge de Pierre et de Catherine II ; ce sont là des desseins mûris sous la direction des hommes d’état les plus capables de l’Europe, et dont nous devons empêcher l’exécution, qui sera tentée infailliblement. » Ainsi s’exprimait sir Robert près de quarante ans après sa mission aventureuse auprès de la cour de Saint-Pétersbourg, ainsi parlait un vieux whig éclairé par l’expérience, au lendemain de la journée de Navarin, tandis que son parti, tandis que l’opinion libérale de l’Europe entière acclamait avec le plus sincère des enthousiasmes le soulèvement des Hellènes, et rejetait avec dédain tout avertissement dicté par les considérations d’une politique sans entrailles ! ..

C’est qu’il y avait dans cette cause grecque tant d’attraits irrésistibles pour tout esprit cultivé, tant d’émotions poignantes pour tout cœur simple et généreux ! Il semblait que l’œuvre même de la civilisation fût suspendue aux exploits de ces klephtes du Maïna et de ces corsaires de l’Archipel ; car n’est-ce point la fusion intime et mystérieuse de l’idée chrétienne, de l’individualité nationale et de la tradition classique qui a constitué toute notre civilisation moderne, et chacun de ces élémens ne se trouvait-il pas engagé dans cette résurrection de la Grèce ? Byron n’a donné que la magie de sa parole à un sentiment confus, mais général, en célébrant un pays « dont tout champ fut un berceau de Liberté, toute grotte un tombeau de Gloire[25], » et Canning n’était pas certes le. seul parmi les hommes d’état de ce temps qui pouvait se rappeler d’avoir écrit une Ode à la Grèce, encore sur les bancs du collège. N’oublions pas du reste que l’opinion libérale sous la restauration, après le piteux avortement des révolutions d’Italie et d’Espagne, saluait pour la première fois une cause populaire près de triompher dans le Péloponèse, et que cette cause lui faisait de nombreux complices jusque dans le camp de ses adversaires. Chateaubriand constatait, non sans surprise que, par rapport à la Grèce, tous les partis en France se trouvaient unis ; que M. de Bonald y donnait la main à Benjamin Constant, et Béranger à l’abbé de Genoude. Les philologues d’Allemagne, encore sincères à cette époque, et dépourvus d’ambition sinon de malice, faisaient du cabotage libéral sous le pavillon de Canaris et de Miaoulis ; le vieux Voss, l’incomparable traducteur d’Homère, donnait sa modique pension en offrande à la patrie de Miltiade, et le plus conservateur parmi les savans et les politiques, le grand Niebuhr, que la révolution de juillet devait bientôt désespérer et jeter dans la tombe, regretta alors qu’on n’eût pas pris au mot le tsar et ses déclarations de désintéressement pour en finir une bonne fois avec les Turcs et fonder des états chrétiens indépendant en Orient. Il n’est pas jusqu’à l’Autriche, engourdie sous le régime d’un absolutisme paternel, et jusqu’à l’entourage intime du prince de Metternich lui-même qui n’eût subi à la longue les atteintes du philhellénisme. Ce pauvre Adam Müller[26], le correspondant, le confident, l’esclave obéissant et dévoué du chevalier de Gentz, eut des velléités de révolte : il ne marchandait pas son adoration perpétuelle devant la sainte alliance, il croyait fermement que tous les constitutionnels sans exception étaient d’affreux jacobins, et Canning « un imposteur et un démagogue ; » mais il demandait qu’il fût fait exception pour ces malheureux Grecs, et il doutait très sérieusement que le principe sacro-saint de la légitimité pût être étendu en conscience jusque sur le régime d’un infidèle, d’un sultan ! Quel devait donc être sur ce point le sentiment populaire en Angleterre, dans ce pays de liberté séculaire et d’éducation classique par excellence, quel devait y être surtout le langage de ces whigs qui déjà en 1791 avaient fait des vœux pour l’extermination des Turcs ? Dès 1822, l’Europe retentit d’une lettre au sujet des Grecs adressée au comte Liverpool, premier ministre de sa majesté britannique, par lord Erskine, le plus célèbre jurisconsulte du temps[27]. L’ancien lord-chancelier du cabinet Fox, se faisant l’interprète de son parti, s’écriait avec une éloquence émouvante : « Lorsque notre pays n’était qu’une petite île placée aux confins du monde, sans pouvoir, sans ressources, sans aucune influence marquante sur les nations éloignées, et comme nous dans l’enfance, alors, entraînés par leur piété chevaleresque, les Anglais, sous la conduite de leur roi, se croisèrent pour délivrer la terre sainte et effacer jusqu’aux traces des pas des infidèles qui l’avaient souillée. Aujourd’hui que notre puissance s’étend jusqu’aux extrémités de la terre, que nous n’avons qu’à élever la voix pour commander au milieu des nations, nous reculons devant la délivrance d’un peuple subjugué ! .. » Les forces combinées de l’Europe devraient chasser les Turcs de cette partie du monde ; le sang chrétien qu’ils viennent de verser les met à jamais au ban de la civilisation : « La voix de ce sang, comme celui de la première victime de la violence, crie vengeance du fond du tombeau ; et le terrible jugement de Dieu doit être un exemple aux nations qui l’adorent. Qu’ils soient fugitifs et qu’ils errent sur la terre ! .. » Lord Erskine s’indignait d’entendre des ministres britanniques parler de la Turquie comme d’une puissance amie, du sultan comme d’un allié du roi d’Angleterre, et, pour prouver la fausseté de ces assertions scandaleuses, il recourait à un argument de légiste qui ne devait pas manquer de frapper l’esprit de ses compatriotes. Il avouait ingénument que la manière dont il venait d’écrire contre le Grand Seigneur et son Divan « sanguinaire » était un crime punissable devant les lois. Ceci bien établi, il défiait l’ambassade turque de lui intenter un procès, et les ministres de sa majesté de trouver un jury anglais pour le condamner à cause de libelle !

Devant un pareil débordement de passion et d’enthousiasme populaires, qu’ils étaient mal venus, les Villèle, les Londonderry, les Liverpool, les Metternich, à parler des intérêts permanens de l’Europe, de la balance des états, et du devoir des gouvernemens de ne pas sacrifier la sécurité du présent au bonheur problématique de la postérité ! Ils furent tous accusés de haute trahison envers l’humanité, chargés de la malédiction du siècle : bien des années plus tard et déjà au déclin de sa vie, le vieux prince Clément de Metternich se ressouvenait encore de cette insurrection grecque comme de l’époque la plus éprouvée et la plus douloureuse de sa longue carrière de chancelier. Le favori de l’opinion publique, le favori de la fortune fut par contre, dans ces années agitées, le « magnanime » George Canning qui, rompant d’une seule chiquenaude toutes les « toiles d’araignée » de la chancellerie aulique devienne, prit l’initiative du célèbre protocole de Saint-Pétersbourg (4 avril 1826), et inscrivit résolument sur son programme l’émancipation de la Grèce. Certes on ne peut évoquer qu’avec une admiration sympathique la mémoire de ce grand ministre qui sut attacher son nom à tant de causes généreuses, et dont les jours furent si subitement tranchés au moment même où il venait de prendre en ses mains courageuses le problème ardu de l’Orient : l’historien toutefois éprouve quelques doutes quant au mérite de la politique orientale de Canning, alors surtout qu’il apprend la satisfaction intime dont cette politique remplissait le cœur du prince et de la princesse de Lieven, alors aussi qu’il voit le comte Nesselrode, dans une dépêche confidentielle, féliciter l’ambassadeur russe à Londres de savoir si bien « conduire graduellement le ministère britannique au but des vœux de l’empereur[28]… » — « Le caractère de M. Canning se déjoue lui-même à la longue, » écrivait de son côté, le 8 août 1826, ce fin connaisseur de caractères qui s’appelait le général Pozzo di Borgo, et qui fut une des gloires de la diplomatie moscovite[29]. Il est permis de se demander si une mort prématurée n’est pas venue sauver à temps le successeur de lord Liverpool d’un naufrage presque immanquable, et si l’auteur du protocole de Saint-Pétersbourg eût pu échapper aux conséquences fatales de cette œuvre, la bataille de Navarin et la paix d’Andrinople… Quoi qu’il en soit, l’apparition des Russes aux portes d’Andrinople rompit tout à coup le charme sous lequel la cause grecque avait, pendant tant d’années, tenu les esprits libéraux de l’Europe. On s’aperçut un peu tard, et non sans quelque confusion et dépit, que la résurrection de l’Hellade n’avait fait que frayer au tsar la route de Constantinople, et qu’en grattant le klephle on découvrait le Moscovite. Dès lors le mouvement philhellène subit un reflux rapide, désastreux, et à l’apothéose irréfléchie des premiers temps succéda un dénigrement tout à fait immérité. La pauvre Grèce connut au XIXe siècle les mêmes vicissitudes de faveur et de défaveur de l’étranger que lui fit déjà éprouver dans l’antiquité le peuple-roi : elle vit les Mummius succéder bien vite aux Flamininus, — et, au fait, n’est-ce pas à l’occasion de l’affaire Pacifico et de l’humiliation sanglante qu’il infligea alors au malheureux gouvernement d’Athènes que lord Palmerston, l’héritier supposé des traditions de Canning, a prononcé son fameux : civis romanus sum ? Finlay ne fut pas le seul parmi ses compatriotes à brûler ce qu’il avait adoré, et à tracer, dans l’âge mûr, une histoire désenchantée et légèrement ironique de ce peuple, pour la délivrance duquel il avait, dans sa jeunesse, abandonné patrie, famille, fortune, affronté les traversées les plus périlleuses, et bravé la mort[30]. On sait les pamphlets et les contes spirituels, mordans et prodigieusement injustes qui, en France, ont remplacé les hymnes à Canaris, les tableaux pathétiques des Femmes souliotes et au Massacre de Scio. Plus grave, plus pesante, plus consciencieuse dans sa science comme dans sa méchanceté, l’Allemagne se mit à détruire la légende hellénique dans ses fondemens les plus mystérieux, les plus sacrés, et à dépouiller les habitans du Péloponèse et des îles de l’Archipel de leur dernier prestige, de la gloire qu’ils empruntaient à leur passé. Fallmerayer consacra toute une vie de labeurs et de voyages, une érudition sans pareille, un talent littéraire des plus remarquables à la démonstration de cette thèse originale que les néo-Grecs n’étaient que de faux Hellènes, qu’ils n’étaient que de misérables Slaves, et qu’ils n’avaient aucun droit à la succession splendide de Périclès et de Philopœmen[31]. Il mesurait de son compas les traits de toute femme palicare que la malchance jetait sur son chemin, faisant le monde juge si c’étaient là les proportions d’une Vénus de Milo, et il éprouvait un ineffable plaisir à bien convaincre l’Europe qu’à l’instar de la Titania de Shakspeare elle avait longtemps enlacé de ses bras amoureux une tête qui ne rappelait en rien l’Apollon du Belvédère, ni le Jupiter d’Otricoli. Comme si l’archéologie et l’esthétique étaient le criterium du droit des gens ? comme si d’ailleurs toute cette belle théorie, élaborée en haine des ambitions russes, ne pouvait être retournée aussi facilement, plus facilement encore, au profit de ces mêmes visées ! Par quel étrange oubli en effet le général Ignatief a-t-il négligé d’invoquer la théorie Fallmerayer, alors qu’à San-Stefano il se mit à englober tant de contrées et de populations grecques dans la Grande-Bulgarie de ses rêves ?

L’époque de la restauration fut l’âge héroïque du libéralisme dans l’Europe occidentale : il eut alors tout l’éclat de la jeunesse, du talent, de la poésie, des idées généreuses et parfois chimériques, des dévoûmens magnanimes et souvent irréfléchis. Après le triomphe de la cause de la réforme en Angleterre, et du régime de juillet en France, il ne tarda pas à entrer dans une période de maturité et de raison plus rassise. Les classes moyennes, arrivées décidément au pouvoir et devenues les classes vraiment dirigeantes, imprimèrent à l’ensemble des affaires publiques le cachet de cette modération, de cette sobriété, de cette froide réflexion, qui étaient dans leur tempérament même, et se tinrent en garde contre les élans aussi bien que contre les illusions de l’âge précédent. Il s’en faut cependant que le problème oriental ait beaucoup gagné à ce changement de température ; la prose industrielle lui fut non moins funeste que ne l’avait été auparavant la poésie philhellène, et il n’a fait que tomber de Charybde en Scylla, alors qu’à l’école romantique, amoureuse plus que de raison du klephte et du pittoresque, vint succéder en omnipotence l’école économique avec son déplorable penchant à ne tenir compte dans la vie des nations que des intérêts matériels, et à reléguer dédaigneusement parmi les profits et pertes les labeurs de tant de siècles, et le travail mystérieux de la Providence.

C’est le propre de toute démocratie bourgeoise (et dans notre XIXe siècle la démocratie sera toujours bourgeoise, à moins de devenir jacobine ou césarienne) de manquer de traditions et de prévisions, de n’avoir pas de vues larges et générales en matière politique, surtout en matière de politique étrangère. Le grand sens et le fort sentiment des choses lui font souvent défaut ; elle n’est que trop portée à remplacer le sentiment par la sensibilité, l’honneur par l’honorabilité, et à prendre l’équilibre de son budget pour l’équilibre du monde. Ces tendances, déjà naturelles aux générations qui se suivirent après 1830, furent encore développées et poussées à l’extrême par tout un mouvement d’idées nouvelles en fait d’industrie et de commerce, idées merveilleusement adaptées aux besoins et aux activités de notre société moderne, et dont l’école de Manchester était devenue la principale officine. Sans vouloir diminuer en rien assurément les immenses services que ces nouvelles doctrines ont rendus à la cause du progrès et du bien-être des masses, on ne saurait nier toutefois qu’elles n’aient beaucoup contribué aussi à ce relâchement patriotique et à ce cosmopolitisme matérialiste qui font tache, quoi qu’on en dise, dans le tableau splendide de notre civilisation. Pour nous en tenir seulement au sujet de cette étude, qui ne sait que l’école des économistes a prêché de tout temps l’indifférence en fait de politique orientale ? Ennemie déclarée de tout système prohibitif, elle proclamait la maxime du laisser faire jusque dans les relations internationales ; sans souci des visées du gouvernement russe, elle saluait dans le moujik le grand consommateur de l’avenir, et inclinait à respecter le principe de conquêtes comme le produit indigène et légitime du vaste empire des tsars. Il est on ne peut plus significatif à cet égard que le premier début de Richard Cobden dans la carrière publique ait été une éclatante manifestation en faveur des projets séculaires de la Moscovie sur le Bosphore. Le futur promoteur de l’Anti-Corn-Law League et du free-trade n’était encore en 1836 qu’un simple « manufacturier de Manchester » que déjà il lançait un pamphlet étrange sur la Russie[32]qui, après n’avoir d’abord fait qu’étonner et scandaliser les esprits, n’en a pas moins fini par exercer une influence considérable, décisive sur les foules inconscientes, en Angleterre aussi bien que sur le continent. Ainsi qu’il advient si souvent des vérités ou des erreurs mises en circulation et acceptées par les masses, bien des gens se passent aujourd’hui, en matière de politique internationale, les opinions de l’illustre pamphlétaire anglais, sans regarder au millésime, et sans se préoccuper de l’effigie effacée par l’usure. Les idées préconisées par Cobden en 1836 ont pénétré dans les couches les plus diverses de la société contemporaine ; on les retrouve dans les meetings populaires de Saint-James’Hall comme dans les discours dont retentissent les voûtes majestueuses de Westminster, dans la polémique des journaux et des brochures comme dans les graves débats des corps constitués ou savans. L’écrit du « manufacturier de Manchester » est devenu en un mot aussi caractéristique pour les vues de l’école des économistes sur le problème oriental que l’a été, à la fin du dernier siècle, le livre déjà mentionné de M. Volney pour l’école des philosophes et des libres penseurs.

Que la distance est grande pourtant entre ces deux manifestes du philosophe et de l’économiste ! Que l’idéal humain paraît rapetissé, que le cœur humain semble s’être rétréci dans ce court espace de temps qui sépare l’année 1788 de l’année 1836 ! Si bizarre, si chimérique, si absurde même que soit le raisonnement de Volney sur la question d’Orient, on est forcé de reconnaître qu’il découle de cette source commune d’idées généreuses et sympathiques qui furent l’illusion aussi bien que l’honneur de la vieille société à l’heure de son tragique écroulement. Une foi naïve, aveugle, dans la bonté de notre nature, dans la perfectibilité de notre race, dans la grandeur de nos destinées, telle était la dernière religion de l’ancien régime à la veille de 1789[33], et c’est de cette foi que s’inspirait également l’auteur des Considérations sur la guerre actuelle contre la Turquie. S’il livrait le monde à la Sémiramis du nord, s’il le livrait sans hésitation et sans vergogne, c’est qu’il croyait voir des peuples nombreux affranchis du joug du fanatisme et de la tyrannie, les sciences et les arts rappelés dans leur terre natale, toutes les cités mortes, depuis Byzance jusqu’à Tyr et Palmyre, rendues à la vie, et « la gloire de l’ancien Orient effacée par la gloire de l’Orient ressuscité. » Cobden n’a ni ces sublimes visions de l’avenir, ni ce culte puéril du passé ; l’homme qui plus tard devait solennellement déclarer que le moindre numéro du moindre weekly-paper contenait plus de choses instructives et sérieuses que toute la littérature ancienne depuis Homère jusqu’à Platon est à l’abri, on s’en doute bien, des élans rétrospectifs vers l’antiquité, et n’a cure ni de Tyr ni de Palmyre. Ce n’est pas que l’hypothèse de Constantinople devenue capitale russe ne parle un moment à son imagination et ne lui arrache quelques accens émus. « Le sérail du sultan serait de nouveau converti en un palais de monarque chrétien : l’impudicité du harem disparaîtrait en présence d’une impératrice chaste ; les murs qui aujourd’hui entendent seulement la voix de l’eunuque et de l’esclave, et ne voient que des actes de violence et de déshonneur, retentiraient alors des pas des voyageurs et des voix des savans, ou contempleraient la réunion de belles femmes, aux âmes élevées, de haut lignage et de manières accomplies, les compagnes vertueuses des ambassadeurs, des touristes et des marchands de toutes les capitales de l’Europe. » Toutefois, le manufacturier de Manchester ne s’attarde pas à ces contemplations. La renaissance de l’Orient ne le préoccupe guère, elle lui semble même au fond très douteuse, et s’il avait qualité pour cela, volontiers il démontrerait aux Russes qu’ils font une très mauvaise spéculation. Mais toutes ces affaires ne le regardent pas, comme elles ne doivent en rien regarder ses compatriotes. Que le tsar et le padichah s’arrangent comme ils veulent, comme ils peuvent, pour lui il ne voit dans le monde que la Grande-Bretagne, dans la Grande-Bretagne que l’Angleterre, et dans l’Angleterre que quatre comtés. « Les comtés de Lancashire, de Yorkshire, de Cheshire et de Staffordshire, ces quatre districts manufacturiers peuvent, grâce à leur richesse acquise, à l’habileté et à l’industrie de leur population, aux ressources naturelles de leur petit territoire, défier à tout moment et avec succès tout l’empire russe ! »

Dans cette exaltation des quatre comtés, de leur industrie et de leurs ressources, Cobden n’oublie que deux choses. C’est d’abord qu’une nation civilisée a encore d’autres instincts à satisfaire, d’autres buts à poursuivre que la seule accumulation des richesses matérielles ; c’est ensuite que toute richesse acquise a besoin de sécurité, que tout capital exige un coffre-fort, une police, une justice pour être efficacement protégé, et que dans le langage international ce coffre-fort, cette police et cette justice se traduisent par des frontières bien fermées, par une puissance militaire défiant l’agression, et par une diplomatie veillant au maintien des traités. Deux obscurs individus, dit Cobden, « un opticien et un barbier, » ont fait bien plus pour la splendeur de leur patrie, l’Angleterre, que tous les grands capitaines du siècle pris ensemble ; « c’est aux exploits pacifiques de Watt et d’Arkwright, et non point aux actions d’éclat de Nelson et de Wellington que l’Angleterre est redevable de son commerce qui s’étend maintenant à tous les coins du globe. » Mais ne sont-ce point les actions d’éclat de Nelson et de Wellington qui ont procuré à ce commerce la liberté de pouvoir s’étendre jusqu’aux coins les plus reculés de la terre ; et que seraient devenus les chaudières de l’opticien et les métiers du barbier si Trafalgar avait été perdu, et si l’expédition de Boulogne avait réussi ? Pourquoi d’ailleurs réduire tout le patrimoine de la splendeur britannique à la seule œuvre de Watt et d’Arkwight ; le royaume de la gloire nationale n’est-il pas assez vaste pour que les noms de Cromwell et de Clive, de Bacon et de Newton, de Shakspeare et de Byron puissent également y trouver leur place ? Le manufacturier de Manchester ne tient compte que du travail matériel, on dirait presque du travail manuel, et s’il célèbre dans Pierre le Grand le créateur de la marine russe, ce n’est pas ce coup d’œil du génie embrassant à la fois la Baltique et la Mer-Noire qu’il admire en lui, ce qui le touche c’est l’effort musculaire du tsar, la fantaisie du despote qui s’est plu à manier lui-même, pendant quelques jours[34], le rabot hollandais. « Arrêtons-nous ici pour rendre hommage au plus noble exemple de l’histoire, dépassant de bien loin les exploits d’Alexandre et de Napoléon, à cet acte sublime de dévotion devant le sanctuaire du commerce et de la civilisation accompli par Pierre le Grand, alors que, descendu volontairement du trône où l’entourait toute la pompe du potentat, il se fit manouvrier dans les chantiers de Saardam et de Deptford ! »

« Les quatre comtés » ne sont point une simple figure de rhétorique dans l’argumentation du manufacturier de Manchester, ils sont à ses yeux la véritable configuration idéale et morale de l’Angleterre de l’avenir. Il appelle l’empire britannique dans son développement actuel « un empire monstrueux dont le Canada, l’Australie et l’Inde forment les trois « têtes de Cerbère, » et il fait les vœux les plus ardens pour la réduction, — la concentration, dirait-on aujourd’hui d’après une formule maintenant consacrée, — de l’Angleterre à un seul point (speck) de l’Océan, « sans ces colonies qui ne sont que le coûteux appendice du gouvernement aristocratique, sans ces guerres aussi qui ne sont qu’une autre manière aristocratique de piller et d’opprimer le commerce. » L’aristocratie est « essentiellement belliqueuse ; » elle tient aux colonies, au Canada, à l’Australie et à l’Inde ; c’est elle enfin qui, pour les besoins de sa cause, a inventé la fable de l’ambition conquérante des Russes, et la fable encore plus ridicule de l’équilibre du monde. « C’est la Turquie qui, par la nature même de ses institutions, est une puissance militante et agressive ; la Russie, dans la plupart des cas, n’a fait que des guerres purement défensives. » Rien n’excite autant la verve, l’ironie, la colère de Cobden que cette doctrine de l’équilibre dont ni Fox ni Volney n’avaient osé combattre la raison d’être, dont ils s’étaient bornés seulement à contester l’application en certains cas où elle ne leur semblait pas justifiée ; le manufacturier de Manchester s’attaque au principe même et le réduit à l’absurde. Ce n’est pas la balance artificielle des états, prétend-il, qui peut protéger le faible contre le fort, et garantir l’existence des petits pays contre les entreprises des puissances grandes et ambitieuses. Ces garanties, les petits pays les trouvent « dans les barrières physiques de leurs frontières naturelles, dans les barrières morales de leur langue, de leurs lois, coutumes et traditions. » Comme si les Pyrénées avaient arrêté Louis XIV et Napoléon Ier ; comme si le Caucase, le Dnieper, le Dniester et le Danube avaient fait reculer les Romanof ! comme si la langue, les lois, les coutumes et les traditions avaient préservé la Pologne ! Il est vrai que Cobden se prévaut précisément de ces exemples et de bien d’autres encore pour démontrer le néant d’un système d’équilibre qui n’a su détourner aucune de ces violences, et il rejette avec le dédain qu’elle mérite une loi si souvent éludée ou bravée. Mais la loi du Christ n’est-elle pas, elle aussi, constamment éludée ou violée par nos passions, nos faiblesses et nos misères, et est-ce là une raison pour répudier l’Évangile ? Et cet autre évangile, ce free-trade tant vénéré et exalté, est-il jamais parvenu à être pratiqué dans toute sa rigueur et dans toute sa vérité, et Cobden lui-même ne s’est-il pas contenté d’un à peu près dans les traités de commerce qu’il s’honorait de conclure ? Les coups de canif donnés si fréquemment aux contrats de mariage empêchent-ils le mariage d’être une institution salutaire, et que la société doit entourer de protection et de respect ?

Il est juste d’ailleurs de reconnaître qu’en émettant des idées si étranges et si choquantes pour l’époque en matière de politique extérieure, le manufacturier de Manchester a fait preuve d’une rare sagacité et d’une perception merveilleuse des instincts et des intérêts qui allaient devenir dominans à la suite de la réforme électorale en Angleterre. Ç’a été jusqu’alors la fortune immense de ce pays et peut-être bien le secret de sa grandeur, que l’aristocratie anglaise a, de tout temps, tenu un compte très sérieux des intérêts commerciaux et industriels des classes moyennes, et que ces classes, de leur côté, se sont fiées à leur aristocratie pour les relations internationales dont la haute et difficile direction gagne tant à l’expérience et à l’esprit traditionnel d’un corps héréditaire. La réforme électorale de 1830, en rompant cet équilibre intérieur et en assurant la prépondérance gouvernementale de la bourgeoisie, devait aussi de toute nécessité apporter un profond ébranlement à ces idées d’équilibre européen que l’aristocratie britannique avait traditionnellement représentées dans la conduite des affaires étrangères, et Cobden le disait, d’une manière très explicite dès le début de son écrit : « Il a été démontré naguère en Angleterre, — ainsi s’exprimait-il, — qu’à certaine époque de l’histoire d’une nation, il devient nécessaire de soumettre à une révision les principes de sa politique intérieure, afin d’adapter le gouvernement aux conditions changées et améliorées du peuple ; dès lors n’est-il pas également recommandé par la sagesse d’altérer en même temps les maximes par lesquelles la politique extérieure de la communauté a été dirigée dans le passé, et de les rendre conformes aux changemens qui sont intervenus dans le monde entier ? » La conséquence en effet était tellement logique et fatale que l’auteur n’hésitait pas à prédire un triomphe prochain et éclatant à ses opinions sur l’innocuité de la Russie et sur l’inutilité de tout système d’équilibre. « Celui qui écrit ces lignes engage sa réputation (stakes his reputation) sur cette prophétie que d’ici à vingt ans toute l’Angleterre partagera son sentiment à cet égard, et que sa conviction s’imposera au gouvernement de ce pays. » Cobden avait seulement le tort, en 1836, de vouloir assigner une date trop précise à l’accomplissement de sa prophétie (ce dont l’oracle de Delphes s’était toujours bien gardé) : avec tout l’à-propos de M. Poirier il donnait rendez-vous à ses contemporains dans vingt ans… juste l’année de Sébastopol !

L’ironie du sort fut piquante, à coup sûr, bien plus piquante toutefois que véritablement cruelle : cette mortification passagère ne nuisit que fort peu à la « réputation » du manufacturier de Manchester, et ne jeta aucun discrédit sur des idées qui tenaient à tout l’ensemble du développement moral et social de la bourgeoisie moderne. Lors de la guerre de Crimée, du reste, l’école de Cobden était déjà assez nombreuse et influente pour faire longtemps illusion à l’empereur Nicolas suc les dispositions réelles de l’Angleterre, qu’ils s’obstinait à croire décidément « mercantiles » et inébranlablement pacifiques ; et en effet, c’est à peine si le coup de foudre de Sinope parvint à imposer silence aux fidèles de Manchester, aux amis de la paix, qui jusqu’au dernier moment s’étaient portés garans des intentions bénignes du tsar. Qui sait, en outre, si, sans l’énergie exceptionnelle que montra en cette occasion l’empereur Napoléon III, les flottes alliées seraient jamais allées mouiller à Bésika ? .. Il serait malaisé de le nier : dans cette circonstance mémorable, les deux gouvernemens alliés ont été bien en avant du sentiment de leurs pays, et lui ont fait en quelque sorte violence. La guerre d’Orient, — au jugement de M. Thiers, la seule guerre vraiment politique du second empire, — a été dès son origine et est demeurée jusqu’à aujourd’hui l’action d’éclat la moins populaire de Napoléon III. En France, comme en Angleterre, l’opinion publique n’est jamais parvenue à s’échauffer pour la cause débattue dans la presqu’île de la Chersonèse, à comprendre la grandeur des intérêts qui y étaient alors engagés, encore moins à tirer les conséquences nécessaires, impérieuses d’une entreprise qui était condamnée d’avance à la stérilité la plus complète, dès qu’on n’était pas résolu à la mener jusqu’au bout. L’opinion libérale salua avec des transports de joie un traité de paix dérisoire, sans rapport avec le but poursuivi, sans proportion avec les sacrifices imposés, et à la conclusion hâtive duquel elle n’avait pas peu contribué par ses impatiences et son inintelligence politique ; Elle sut gré à Napoléon III de s’être contenté de la moitié de Sébastopol ; elle ne devait pas lui pardonner, par contre, quelques années plus tard, d’avoir fait halte devant le quadrilatère autrichien ! ..

Il suffira de rappeler seulement ici, — car il serait trop douloureux de descendre aux détails, — combien depuis lors les traditions d’équilibre européen, de solidarité entre les états, de respect dû aux traités, sont allées en s’affaiblissant. A la place de ces maximes décidément surannées et taxées de préjugés, sont venues s’établir les belles doctrines de guerres « localisées, » de « sphères d’intérêts particuliers, » de neutralité « attentive, » d’inaction « magistrale, » et de la force primant le droit, — doctrines toutes imprégnées de l’esprit qui souffle de Manchester. On a vu l’action dissolvante de ces principes en Occident aussi bien qu’en Orient, on l’a vue lors du démembrement de la monarchie danoise, de l’expulsion de l’Autriche du sein de la confédération germanique, de la mutilation de la France, et en dernier lieu lors du dépècement de l’empire ottoman. « Il n’y a plus d’Europe ! » s’écriait vers la fin de 1870 un homme d’état de l’ancienne école, et, dans les premiers jours de 1878, on était aussi bien près de croire qu’il n’y avait même plus de Grande-Bretagne. L’idéal rêvé par Cobden, le millenium de « quatre comtés, » semblait enfin se réaliser, et il n’a fallu rien moins que la monstrueuse paix de San-Stefano et l’entrée des Russes dans les faubourgs de Constantinople pour réveiller la vieille Angleterre, et ce qui restait encore de l’Europe, profondément bouleversée et déroutée. Le réveil fut bruyant, sans doute, on l’a même qualifié de « glorieux, » et on en a fait honneur à cette opinion publique qui finit toujours par retrouver sa voie, et qui, semblable à la lance d’Achille, sait porter remède aux blessures qu’elle fait. Il sera toutefois permis à l’observateur réfléchi de faire ses réserves quant aux aptitudes politiques des générations qui ont besoin d’avertissemens tels qu’Andrinople, Sinope ou San-Stefano pour s’apercevoir périodiquement d’un danger que les contemporains de Vergennes ont reconnu à des symptômes bien plus légers, et qu’un Montesquieu a su signaler avant tout symptôme par la seule intuition du génie, et peut-être bien la moralité de toute cette longue et lamentable histoire des variations du libéralisme en face du problème oriental se trouve-t-elle dans les paroles que le comte Derby a prononcées naguère au parlement. « Il y a deux ans, disait le noble lord, il aurait presque été dangereux pour un homme d’entrer dans un meeting public et d’exprimer ouvertement un doute sur la philanthropie désintéressée de la Russie. Maintenant on crie tout à fait le contraire, et je dois dire que la folie et la violence de ces deux agitations ne laissent pas beaucoup de choix entre elles. Si je pouvais, de cette place, m’adresser au peuple anglais, je me permettrais de lui demander comment il peut espérer d’avoir une politique étrangère, je ne dis pas prévoyante, mais seulement conséquente et intelligente, si en dix-huit mois on voit la grande majorité du pays demander deux choses directement contradictoires[35]


JULIAN KLACZKO.

  1. Voyez la Revue du 15 octobre et du 1er novembre 1878.
  2. Chap. XXIII. Montesquieu ajoute dans une note, par rapport aux projets de partage de la Turquie qui ont surgi à différentes époques : « Ces projets n’étaient pas sérieux, ou ont été faits par des gens qui ne voyaient pas l’intérêt de l’Europe… »
  3. Türkenglocke. Wurm, Diplomatische Geschichte der oriental. Frage (Leipzig, 1858), page 1.
  4. Albert Sorel, la Question d’Orient au dix-huitième siècle (Paris, 1878), p. 37. — On a dû se borner, dans cette étude, à la question orientale elle-même, et faire abstraction de l’influence, parfois décisive, qu’elle a exercée sur d’autres événemens d’une importance considérable, notamment sur les deux premiers partages de la Pologne. M. Sorel, dans l’ouvrage que nous venons de citer, s’est surtout appliqué à élucider ce côté de l’histoire que nous avons négligé à dessein, et il l’a fait avec la précision et les connaissances variées qu’il sait apporter dans tous ses travaux.
  5. Pour cette dépêche ainsi que pour les suivantes, voyez les extraits de la correspondance de M. de Vergennes publiés par ordre du gouvernement français dans le Moniteur officiel du 30 juin et du 1er juillet 1855 a l’occasion de la guerre de Crimée.
  6. Après l’incorporation de la Crimée à l’empire russe, M. de Vergennes proposa aux cabinets d’interdire à la Russie le droit d’entretenir une marine de guerre dans la Mer-Noire. C’est cette conception de M. de Vergennes que le congrès de Paris a résiliée en 1856 et que le prince Gortchakof est venu répudier en 1870, en profitant des désastres de la France.
  7. Voyez la 2e partie de cette étude, dans la Revue du 1er novembre 1878.
  8. Bignon, Histoire de France depuis le 18 brumaire (Paris, 1830), VI, p. 182 seq.
  9. Dépêche de lord Londonderry au chevalier Bagot, 28 octobre 1821.
  10. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, VIII, p. 447.
  11. Frédéric de Gagern, Tagebuch, 1839, et Charles de Villers, Constitutions des trois villes hanséatiques, Leipzig, 1814, p. 132.
  12. La premier établissement des Turcs en Europe date de 1356. Ils occupèrent alors le château fort de Tzympé, au-delà de Gallipoli, sous la conduite de Suleyman, fils d’Orkhan, à la tête de trois mille hommes. (Voyez Seadeddin, trad. Bratutti,) Chronica dell’ origine e progressi della casa ottomana (Vienne, 1649), I, p. 58-63.
  13. L’empereur Nicolas n’admettait pas que ses sujets pussent aller s’enrôler dans une armée insurrectionnelle, toute sympathique que lui fût cette insurrection : aussi n’y eut-il pas un seul combattant russe dans les rangs des Hellènes pendant une lutte qui a duré près de dix ans. Les temps et les mœurs ont bien changé depuis en Russie.
  14. Le tribut annuel payé à la porte par la Roumanie et la Serbie jusqu’à la dernière guerre, — seul vestige de leur allégeance envers le sultan, — n’était certes pas onéreux. Quant à la condition réputée si misérable des Bulgares, on sait l’étonnement et l’envie que le spectacle de leur prospérité réelle a causés à l’armée russe elle-même dans la récente campagne.
  15. Eugène Forcade, Histoire des causes de la guerre d’Orient (Paris, 1854), p. 199.
  16. Dépêche de M. d’Adhémar à M. de Vergennes, 18 juillet 1783 (Moniteur du 30 Juin 1855).
  17. Voltaire à Catherine, 30 octobre 1769.
  18. Voltaire à Frédéric (novembre 1772). « J’aimerais mieux que vous l’aidassiez (Catherine) à chasser du Bosphore ces vilains Turcs, ces ennemis des beaux-arts, ces éteignoirs de la belle Grèce… C’est parce que les Turcs ont de très bons blés, et point de beaux-arts, que je voulais vous voir partager la Turquie avec vos deux associés… » Œuvres de Frédéric le Grand, vol. XXIII, p 224 seq.
  19. Expression de Voltaire dans sa lettre à Catherine, 18 mai 1770. — « Le sultan Mustapha, qui régnait depuis 1757, n’était point le personnage grotesque, le Grand Turc d’opéra buffa que Voltaire a voulu faire de lui. Il était économe, réfléchi, avide de gloire ; il possédait même quelques connaissances et tentait de réformer son empire. » Sorel, ubi suprà, p. 22.
  20. Catherine II envoya une médaille d’or à Volney pour son ouvrage, auquel M. de Peyssonnel répondit par l’Examen du livre de M. de Volney, déjà cité par nous.
  21. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, VII, p. 407.
  22. Voyez pour tout ce qui suit Annual Register, 1791 et Wurm, ubi suprà, p. 118.
  23. Lord Stanbope, Life af William Pitt (Londres, 1861), II, p. 119-120.
  24. Wellington Despatches. New Séries, t. IV, p. 295.
  25. Whose land from plain to mountain-cave
    Was Freedom’s home or Glory’a grave !
  26. Voyez Briefwechsel zwischen Gentz und A. Mïller, p. 360 et passim.
  27. Letter on the subject of the Greeks to the Earl of Liverpool. London, 1822. — Cet écrit fut instantanément traduit dans toutes les langues de l’Europe ; la traduction française parut chez Didot.
  28. Voyez la dépêche confidentielle du comte Nesselrode au prince de Lieven, 15 septembre 1826, dans le Recueil des documens secrets et inédits relatifs à la Russie (Paris, 1854), p. 265-6. Dans une dépêche du 27 novembre de la même année (Portfolio, t. V, p. 139) le prince de Lieven se porte garant de la sincérité de Canning, en se fondant surtout sur la « vanité » de ce ministre a infiniment flatté de la déférence avec laquelle ses vues ont été adoptées par notre cour ; il est également sensible à la confiance que je prends à tâche de lui témoigner sur cette question… »
  29. Dépêche du général Pozzo di Borgo au comte Nesselrode, Paris, 8 août 1826, (Recueil de documens secrets et inédits, p. 269.)
  30. George Finlay, A History of Greece from the conquest by the Romans to the close of the war of Independence. Oxford, 1877, 7 vols. Nouv. édition. Voyez dans l’Edinburgh Review du mois de Juillet 1878 (p. 233) l’émouvant récit de l’embarquement de Finlay à Céphalonie (novembre 1823), et le beau trait du caractère de sir Charles Napier, le futur conquérant de Scinde.
  31. Voyez l’excellente étude sur Fallmerayer que M. Saint-René Taillandier a publiée dans la Revue du 1er novembre 1862.
  32. Russia, by a Manchester Manufacturer. Edinburgh, 1836.
  33. Voyez le beau chapitre intitulé la Propagation de la doctrine dans l’ouvrage de M. Taine sur l’Ancien régime, notamment p. 388 seq.
  34. Le stage de Pierre le Grand dans les chantiers de Saardam n’a duré en tout que du 18 août au 9 septembre (1697) ; encore cet apprentissage était-il interrompu par de fréquentes excursions, réceptions officielles et représentations de gala. Au fond, ce fut le même mouvement de curiosité d’un esprit inculte, mais avide d’apprendre toutes choses, qui porta le tsar tantôt à manier le rabot à Saardam, tantôt à rechercher la spectacle des exécutions sur la roue à Berlin, tantôt à s’essayer dans le menuet, à la cour de l’électrice douairière de Hanovre. « En dansant, écrit la princesse Sophie-Charlotte à la date du 16 septembre 1697, les Moscovites ont pris nos corsets de baleine pour nos os, et le tsar a témoigné son étonnement en disant que les dames allemandes ont les os diablement durs. » Voyez Erman, Mémoires pour servir à l’histoire de Sophie-Charlotte (Berlin, 1801), p. 116-121.
  35. Discours du comte Derby à la chambre dès lords, 8 avril 1878.