Les Fables de La Fontaine (Achille Delboulle)

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PRÉFACE


Tous les lettrés connaissent la belle édition des Fables de La Fontaine publiée par la librairie Hachette : c’est un monument digne du poète qui a été nommé assez justement l’Homère de la France. Les notices qui précèdent chacune des fables et qui enseignent les sources où a puisé La Fontaine, le commentaire littéraire et grammatical, ont été faits avec le plus grand soin. Mais dans un travail de ce genre, il est difficile d’être complet : c’est avec ce qui a échappé aux recherches des éditeurs que j’ai fait ce petit livre où rien n’a été accueilli qui ne fût bon à enrichir le commentaire ou à éclairer le texte. Entre les nombreuses fables, composées du XIIIe au XVIe siècle, que j’ai transcrites en partie ou tout entières, beaucoup ne sont pas sans mérite : il est utile de les connaître, cela ne dût-il servir qu’à nous faire mieux goûter l’art merveilleux du « bonhomme », et « son ample comédie à cent actes divers ».

A. Delboulle.
Le Havre, 3 juin 1890.

LES FABLES DE LA FONTAINE


la cigale et la fourmi(I,1).


Horace cite la fourmi comme exemple d’économie :

Sicut Parvula, nam exemplo est, magni formica laboris Ore trahit quodcumque potest atque addit acervo Quem struit, haud ignara ac non incauta futuri.

(Sat., I,1.)

Elle amasse pour l’avenir, pour les besoins de sa vieillesse, dit Virgile :

Populatque in gentem farris acervum Curculio atque inopi metuens formica senectæ.

(Géorg., I,185.)

Au XIIe siècle ou au commencement du XIIIe le Renclus de Moiliens fait allusion à cette fable :

Or trait l’es miel en se ruskete,
Or se porvoit le formisete,
Et li crinons cante et musete :
Bien est drois k’en yver se plaigne.
Ensement fous adès s’endete,
Mais li sages hom sout se dete
Et s’aquite ains k’on le destraigne

(Miserere, CCXXIX, Hamel.)



LA FOURMI ET LE CERASERON (le grillon).


Ilz sont a court deux gens équipolé,
L’un a froumi et l’autre a ceraseron ;
Li froumi fait pourveance de blé
Pour son yver ou temps de la moisson:
Il vit espargnablement,
Et se gouverne en tous cas saigement :
Le temps futur a en sa remembrance,
Tant que nul jour ne sera indigent :
Qui saiges est face ainsi pourveance.
Le ceraseron par le temps de l’esté
Ne fera ja nulle provision :
Il vit aux champs, et quand s’est aosté,
Il se retrait en aucune maison,
Et au four communément
Et es foyers chante doubteusement,
A grand dangier quiert ilec sa substance;
Mais li fourmi se pourvoit cautement:
Qui saiges est face ainsi pourveance.

(Eust. Deschamps, œuv., 1, 312, A. T.)


Tout l’esté chanta la cigale :
Et l'hyver elle eut la faimvale :
Demande à manger au fourmi :
Que fais-tu tout l’esté ? — Je chante.
— Il est hyver : dance faineante.
Appren des bestes mon ami.

(Baïf, Mimes, I, 43, Blanchemain.)

Jean Doublet compare le poète qui « s’amuse au seul son d’une lire », à la cigale imprévoyante :

O troppe simple, helas ! je nous egale,
Pardonnés moi, je nous égale, helas,
A la chanteresse cigale,
Qui l’hyver dur ne prévoit pas.
Sous le dous ciel, qui rousoiant l’abreuve,
Elle sans soin criquete jour et nuit,
Tout autant que la saison brève
D’un clair esté sur elle luit.
Tandis nos jours le scorpion retire
Au pair des nuis, et tôt l’archer des cieus
Vens, neige, et glace nous tire
Et l’hyver grisonne en tous lieus.
La mal provide alors estre abusee
Tard s’aperçoit, tard acuse ses chans :
Plus ne lui tombe la rousee.
Plus rien ne se recouvre aux chams.
De faim donc meurt, et avec elle a l’heure
Mene mourant son importun cricri.

(Poés., 34, édit. Blanchemain.)
LA CIGALE ET LA FOURMI

Le fourmy en esté portoit dans sa cassine
Quelque grain de froment : pendant le vint trouver
La cigale, et commence a se rire et se jouer
Du fourmy qui d’ahan ployoit sa tendre eschine.

Quand l’hiver fut vêtu de neige et de bruine,
Elle vint du fourmy la prudence louer,
Et près de son grenier a traicts d’ailes rouer,
Flatant, comme celuy qui pour son pain coquine.

Hé ! qu’as-tu fait (dit lors le fourmy) en esté ?
J’ay, dit-elle, en chantant mon desir contenté :
Or, va donc maintenant (dit le fourmy) et dance.

Celuy qui paresseux ne cueille quelque bien
Endementiers qu’il a le temps et le moyen,
S’il meurt de faim après, c’est juste recompense.

(François Perrin, ap Charmasse.
François Perrin et sa vie. 60.)

Pour Saint Ambroise, la cigale est l’emblème de l’homme qui passe sa vie dans l’insouciance et les plaisirs :

« Vere sunt sicut cicadæ qui de die in diem vivunt, quæstuque rumpuntur suo. Quid enim aliud sunt homines nullius ponderis, nisi videantur sicut cicadæ ad mortem nati diurnam ? Qui sub arbore ferventium cupiditatum se mulceant cantu, statim occidant. »

(Epist. VI, ad Irenæum)

On peut lire, au contraire, dans les diverses leçons de Pierre Messie, traduites par P. Gruget, parisien, un curieux chapitre intitulé : « Des vertus et proprietez admirables de la formis, et quels exemples on peut prendre dessus. D’après l’auteur « cet insecte serait non seulement mesnager, laborieux, prudent, mais encore charitable, et servirait d’exemple à l’homme pour estudier à paix et à concorde ». (p. 549, édit. 1610.)

Comme naturaliste, La Fontaine est très-faible dans cette fable : la cigale ne se nourrit pas « de mouches et de vermisseaux », sans compter qu’elle meurt bien longtemps avant la venue de la bise. Saint François de Sales semble l’avoir mieux connue :

« Les cigales ont leur poitrine pleine de tuyaux, comme si elles estoient des orgues naturelles ; et pour mieux chanter elles ne vivent que de la rosée, laquelle elles ne tirent pas de la bouche, ains le succent par une petite languette qu’elles ont au milieu de l’estomach, par laquelle elles jettent aussi tous leurs sons avec tant de bruit qu’elles semblent n’estre que voix ».

(Œuv., II, 68, Vivès.)

Il y aurait beaucoup à dire sur l'esprit d’économie attribué à la fourmi. Saint-Marc Girardin dans son livre intitulé La Fontaine et les fabulistes, cite une jolie lettre dont l’auteur prétend que les fourmis n’amassent point pour l’hiver, mais qu’elles dévorent tout pendant l’automne : « Ce sont, dit-il, en septembre et en octobre des festins, des bombances, des réveillons sans fin ». Après quoi la fourmilière s’endort pour se réveiller au soleil de février. Alors toutes les fourmis sortent de leurs retraites « maigres à faire peur, chancelantes, et s’appuyant les unes sur les autres ». Je crois que ceci est la vérité, mais je laisse aux naturalistes à trancher la question.

 
V. 1. — La Cigale ayant chanté

   Tout l’été.

Elle chante toute la journée et dès le matin dans les jours les plus chauds, dit Hésiode :

Καἱ τε πανημέριός τε καἱ ἠ ῷος χέει άυδἡν
Ἲδει έν αἱνοτάτῳ, ὁπότε χρόα Σείριος ἆζει.

(Le Bouclier d’Hercule.)


LE CORBEAU ET LE RENARD (I, 2).

Le corf porta un furmage en sa bouche, a ky le gopyl encountra ; ci dit : « Dieux ! com vous estez beal oysel, e ben seriez a preiser, si vous chauntassez auxi cler cum fist jadys votrepiere ! » Le corf fust joyous del loenge, si overi sa bouche pour chaunter, e perdy sonfurmage.« Va tu », dit le gopil, « assez en ai de ton chant ».

(Nicole Bozon, Contes moralisés, 15, A. T.)

 
O le corbaut nous endormons,
Par vaine gloire, a escouter
La louenge de noz vains noms.
Dont il se déçut par chanter ;
Son frommage en laissa aler ;
Renart le print, le corbaut tance
Qui le sien voit perdre et glanner
Par cuidier et folle plaisance.

(Eust. Deschamps, Œuv. , VI, 52. A T.)

Dans la ballade suivante du même poète le sujet est traité avec plus d’ampleur :

Renart jadis que grand faim destraignoit
Pour proie avoir chaçoit par le boscage,
Tant qu’en tracent dessur un arbre voit.
Un grand corbaut qui tenoit un frommage.
Lors dist Renars par doulz humble langaige :

« Beaus Thiesselin, c’est chose clere et voire
Que mieulx chantes qu’oisel du bois ramage.»
On se deçoit par legierement croire.
Car li corbauls le barat n’apperçoit,
Mais voult chanter ; po fist de vassellage,
Tant qu’en chantant sa proye jus cheoit.
Renart la prist et mist a son usaige :
Lors apperçut le corbaut son dommaige.
Sanz recouvrer perdit par vaine gloire ;
A ce mirer se doivent foul et saige :
On se déçoit par legierement croire.

(Eust. Deschamps. Œuv. II. 61, A. T.)


LA GRENOUILLE QUI VEUT SE FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BŒUF (I,3).

 
Or tu as beau gronder, pour r'assaillir mon fort,
Te gourmer et t’enfler comme autrefois au bord
La grenouille s’enfla contre le bœuf, de sorte
Que pour trop bouffer sur l'heure creva morte.

(Ronsard. Poés., VII, 152, bibl. elz.)


V. 12. — Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs.

La Bruyère exprime la même pensée en d’autres termes :

« Un bon gentilhomme veut passer pour un petit seigneur, et il y parvient. »

(Caractères, XIV, De quelques usages.)


LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS, EN SOCIÉTÉ AVEC LE LYON. (I, 6).

Le leoun prist un veel ; si dit à ses compaignons : « Amoi apent le tierz partie par raison de seignurie. L’autre partie a moy apent par ceo qe jeo le pris. Ore covient entre nous combatre pur la tierce partie. — Nenyl, » font les autres, chievere e poleyne, « le vostre seit entierment, sanz nul départir».

Ce n’est là qu’une bien maigre esquisse de la fable de La Fontaine, mais l’affabulation en est très curieuse :

Auxint est de plusours eirs, quant sont fetz executours lour piere, e ont pur compaignons deus simplez hommez de la ville. « Espleitoms », fet-il « del testament, e donoms a chescun ceo qe a lui apent. — A moy apent » fet le eyr « la tierce partie par ley de terre ; l’autre partie a noz enfauntz ; la tierz, qe apent al alme, nous covient tenir pur plee e contek. — Veir, » font les simplez gentz, « vostre seit entierment : de plee savoms poy ou nient ».

(Nicole Bozon, Contes moralisés, 156, A. T.)


LA BESACE (I, 7).

Un bissac au cou nous portons.
Poche davant, poche derrière
Davant (c’est l’humaine manière).
Les fautes d’autruy nous mettons ;
Derriere, nous jetons les nostres.
Voyans clair aux pechez des autres.
Aux nostres avons les yeux clos.

(Baïf, Mimes, l, 71, Blanchemain.)

 
V. 30. —                                 Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière


« Ce mot, disent les éditeurs, paraît être de l’invention de La Fontaine. Au moins n’est-il point dans les lexiques du xviie siècle. » L’erreur est un peu grossière, ex :

Les besaciers de Senlis (Prov., ap. Ler. de Lincy, I, 396.)

Je viendray aux subtilitez qui sont es règles de ceux qui s’appellent religieux, tant des caymans, ou besaciers, ou bribeurs, que des autres.

(H. Estienne, Apol. pour Hérodote.)

Ces besaciers et coquins gastent tout.

(Jean Crespin, Hist. des Martyrs, 389, édit. 1885.)

Comme font ces besaciers et autres pourceaux.

(Guill. Farel, Sommaire, 588. Fick.)

Besacier, qui porte la besace, mochilero.

(Thresor des trois langues, édit. 1617.)

Pour le regret qu’ils avaient de la perte d’un si bon bezassier, esleurent en sa place et a sa requeste messire Turpin.

(Les Comptes du monde adventureux, 1, 58, Frank.)

V. 27. — Car tout ce que nous sommes,

 Lynx envers nos pareils et taupes envers nous,

 Nous nous pardonnons tout.


Dans la satire 1ère de l'Espadon satirique par le sieur d’Esternod, nous lisons :

Il faut avant l'autruy soy mesme se cognoistre,
Et comme Lamia, nous ne devons pas estre
Des taupes dans chez nous et des linx chez l’autruy.

(Var. hist. et littéraires, IV, 46, bibl. elz.)


L'HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX (I, 8).

 
V. 29. — Prophète de malheur, babillarde, dit-on,

     Le bel emploi que tu nous donnes !


Souvenir d'Homère :

Μάντι κακῶν, οὔ πώποτέ μοι τὸ κρήγυον εἶπας.

(Iliade, 1,106.)


LE LOUP ET L'AGNEAU (I, 10).

Le lou et le moton laverent lur pieez en ewe corant. Lors dit le lou [au motoun] : « Vous avez trublee le ewe que fust avant si clier. — « Nenil, » dit l’autre ; « [ceo ne put estre en nule manere] ; vous estez amont de moy, dount vostre lavure descent a moy. — Veir ! ribaud, » fet l’autre, « me avez respondu en tiel manere ? e te mesderrai : vous verretz tost ceo que jeo frai. » Et hape le moton a lui e son mantel lui tolly.

(Nicole Bozon, Contes moralisés, 67, A. T.)

V. 1. — La raison du plus fort est toujours la meilleure.

Autrement dit : « La force prime le droit. » Il y a bien dans H. Estienne, Précell., 210, un vieil adage plus moral qui contredit ce proverbe : « Force n’est pas droit » : mais qui donc s’en est jamais soucié ?

SIMONIDE PRÉSERVÉ PAR LES DIEUX (I, 14).

Selon C. J. Solin (Polyhist., I), c’est Pindare qui aurait été le héros de cette fabuleuse histoire.

« Pindarum lyricum e convivii loco, cui imminebat ruina, ne cum cœteris interiret, forinsecus Castor et Pollux vocarunt, inspectantibus universis : quo effectum, ut soins impendens periculum evaderet. »

V. 89. — Il sort de table ; et la cohorte

N’en perd pas un seul coup de dent.


Bonaventure Des Périers s’était servi de cette locution : « Ils luy demandèrent de quel païs il estoit, et a qui il appartenoit, et leur rendit response tout de mesme, sans qu'il perdit un seul coup de dent. »

(Nouv. CV, bibl. elz.)

L'HOMME ENTRE DEUX AGES ET SES DEUX MAITRESSES (I, 17).

 
Un vieillard fut qui grisonnoit
Amoureux de deux concubines,
Toutes deux mauvaises et fines,
Auxquelles il s’abandonnoit.
L’une vieille, l’autre jeunette :
L’une faulse, l’autre saffrette.
Quand la jeune le peut tenir
Oste le poil blanc qui la fasche :
La vieille tout le noir arrache,
Et le force à chauve devenir.

(Baïf, Mimes, II, 203, Blanchemain.)

Cette fable a inspiré à Bernardin de Saint-Pierre une réflexion assez piquante : « De nos jours, ne voyons-nous pas comme chaque parti détruit la réputation et les opinions du parti qui lui est opposé ? Le genre humain est, entre la religion et la philosophie, comme le vieillard de la fable entre deux maîtresses de différents âges. Toutes deux voulaient le coiffer à leur mode ; la plus jeune lui enlevait les cheveux blancs qui lui déplaisaient ; la vieille, par une raison contraire, lui ôtait les cheveux noirs : elles finirent par lui peler la tête. »

(Études de la nature, VIIe.)

LE COQ ET LA PERLE (I, 20).

L’en ne doit pas donner aux pourciaus pierres precieuses, qui ayment l’ordure ; et qui dit et enseigne aux fous sapience, il donne aux pourciaus pierres precieuses : quar li foux si semble le coc qui treuve le safir, si le sent dur et n’i peut mordre, et ne le ])eut user, si ameroit mieux avoir trouvé un pois pourri ou un grain de blé que le bon safir gros, qui vaut grant avoir. Aussi li foux ameroit mieux un fromaige ou un foul dit ou un mouquois que un sens ne que une sapience.

(Le livre des secrets aux philosophes,
Hist. litt. de la France, T. XXX, 574.)

Le coke trova un anel de or au fimer : « Que est ceo » ? fet-il, « qe facez tu ci ? ne t’ey quis ne t’ey désiré : meux vodreie trover une grein de furment que tey et tieux cent. »


L’auteur de cette fable en tire une morale qui surprend d’abord, mais qui, à la réflexion est assez ingénieuse.


« Auxint grieve plusours plus une court sermon qe vu jour en la simeigne de estre en labour e en corporel affliccion. Pur ceo, dit l’Escripture : Quant Dieu pleot de ciel celé douce pouture que manna fust apellée,les fitz de Israël touz de ceo furent saciez, et diseient qe meux vodreient estre en Egipte od poreis e oignons qe illeoqes demorir od celé douce viaunde. »

(Nicole Bozon, contes moralisés, 41, A. T.)

LE CHÊNE ET LE ROSEAU (I, 22).

Même sujet dans le 8e apologue de Laurent Valla, intitulé dans la traduction de Guillaume Tardif :

D’ung Roseau de marais et d’un Olivier

Certain procès et desbat se meut entre le Roseau et l’Olivier pour raison de certaine controversie qu’ilz avoient sur certaine disputation de leur constance, force et firmité.

L’olivier increpoit le Roseau et luy disoit pour injure et opprobre que de constance, force ne vertu, n’avoit-il point, pour ce qu’il vacilloit et plioit a tous vens. Ledict Roseau ne respondoit rien, ains enduroit ledict a opprobre paciemment jusques certain temps. Advint un jour assés tost apres les dites injures, qu’il se sourdit un grant et merveilleux vent, par l’impulsion et vehemence duquel ledit Roseau fut agité et meu d’une part et d’autre sans ce touttefois qu’il fust en rien dommaigé, ains retournoit toujours en ung estat. Mais ledit Olivier qui les paroles et opprobres avoit improperés au dict Roseau, ne peut résister a la violence et impétuosité du dict vent, qui tout le froissa et rompit.

(Apol. de Laurent Valla, 163, édit. Marchessou.)

  V. 30. — Et fait si bien qu’il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchoient à l’empire des morts.


« Autant que ce grand arbre s’était poussé en haut, autant semblait-il avoir jeté en bas de fortes et profondes racines ».

(Bossuet, Serm. sur l'ambition, 277, édit. Rebelliaud.)

Ce rapprochement vaut mieux que toutes les citations de Voltaire données par les éditeurs.

Je plie et ne romps pas.
Qui ne voudra rompre, qu’il ploye.
(Baïf, Mimes, 44, édit. Blanchemain.)

CONSEIL TENU PAR LES RATS (II, 2).

Les soricez tyndrent [jadis] lur parliaiuent [e sei pleindrint chescon a autre] de [mon] sire Badde, le blanke chat qe ont destruitlor lynage e se afiforcea de eux destruire. « Qe froms nous » fit un « de sire Badde qe vynt sur nous privement quant nous sumez a nostre solaz e nous fet les angles quere pur poour de sa venue » ? Fet un : « Nous mettrons un campernole entour son col, [q’il nus puise par ceo garnir, e nus par taunt li honeroums], e par ceo seroms de sa venue garniz. — Com ceo est bien dit » ! fet chescun a autre. Lors tenoms [nus] a tant ; mès purveyoms [dunks meintenant] qi fra ceste chose qe est purvewe » [Chescon de eux s’est escondu]. Touz diseient que le conseil est seyn, mès nul ne voleit mettre la meyn. E Badde s’en ala com avant, e destruit petit e graunt.

(Nicole Bozon, Contes moralisés, 144, A. T.)

Ce sujet a été traité par Eustache Deschamps :

Je treuve qu’entre les souris
Ot un merveilleux parlement
Contre les chas leurs ennemis,
A veoir manière comment
Elles vesquissent seurement
Sanz demourer en tel débat ;
L’une dist lors en arguant :
Qui pendra la sonnette au chat ?

 
Cilz consaulz fut conclus et prins ;
Lors se partent communement.
Une souris du plat pais
Les encontre et va demandant
Qu’om a fait : lors vont respondant
Que leur ennemi seront mat :
Sonnette aront ou coul pendant.
Qui pendra la sonnette ou chat ?

« C’est le plus fort, » dit un rat gris.
Elle demande saigement
Par qui sera cilz fais fournis.
Lors s’en va chascune excusant :
Il n’y ot point d’exécutant,
S’en va leur besongne de plat ;
Bien fut dit, mais, au demourant
Qui pendra la sonnette au chat ?

(Œuv., 1, 151, A. T.)

Dans une autre ballade qui a pour titre : « Le conseil ne suffit pas, il faut l'exécution », le même poète fait encore allusion à cette fable :

Car au conseil, mais qu’ilz soient oys,
Scevent monstrer tout ce qui serait bon,
Mais il convient, comme dist la souris,
Vir qui pandra la cloquette au mynon.
C’est trop bien dit, pour quoy ne le fait-on ?

(Œuv., V, 389, A. T.)

LES DEUX TAUREAUX ET LA GRENOUILLE (II, 4).

Dans la Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, le P. François Garasse cite cette fable :

« Il est écrit dans les fables æsopiques de Phœdrus l’affranchy d’Auguste, qu’un jour les grenouilles voyant deux taureaux qui se battoient dans la prairie voisine de leur lac, commencerent a demener grande feste, mais il y en eut une plus sage et plus expérimentée que les autres, laquelle s’appercevant de la sotte joye de ses compagnes, leur dit en cholere : vous ne sçavez ce que vous faictes; et vous estes bien loing de vos contes, car la guerre de ces messieurs ne signifie autre chose que nostre mal’heur, d’autant que celuy d’entr’eux qui perdra son procès, vous fera payer les despens. »

Après quoi le Père Garasse tire cette conclusion tout à fait inattendue :

« J’ose dire qu’il est arrivé quasi le mesme en la dispute qui est entre les catholiques d’une part, et les heretiques de l’autre, touchant le nombre des livres canoniques de l’Escriture Saincte, car ces deux partys estant en querelle par un sujet de si grande importance, il y a des grenouilles semblables a celles de l’Anthologie, grenouilles de taverne, qui se noyent dans le vin, lesquelles démènent une grande feste, et dressent un grand triomphe sur la mauvaise intelligence des Catholiques et des Heretiques, comme si de leur procez on devait tirer cette conséquence : donc que il n’y a point d’Escriture Saincte, depuis qu’on void un tel desordre parmy les Esprits, que les uns disent blanc et les autres noir, que ceux-cy reçoivent le livre pour canonique, et ceux-là le renvoyent comme estant apocryphe, et ces grenouilles tavernieres ne s’appercoivent pas qu’elles ne peuvent tirer autre avantage de nostre mauvaise intelligence que leur entière ruine ».

(Doctrine curieuse, 661, édit. 1623.)

LA CHAUVE-SOURIS ET LES DEUX BELETTES (II, 5).

Dans Baïf (Mimes, II, 222) le récit est quelque peu différent, mais la conclusion est la même.

Une chau-souri cheut en terre.
La Belette en ses dents la serre
Qui ne pardonne a nul oiseau.
Oiseau je ne suis (ce dit-elle),
Souri je suis. Se disant telle
Elle se sauve bien et beau.
Une autre fois recheut en terre.
Le chahuan qui fait la guerre
Aux souris la chau-souri prend.
Souris je ne suis (ce dit-elle)
Mais oiseau. Par telle cautelle
Le chahuan sauve la rend.
La tierce fois recheut en terre.
Le chat la prend, qui fait la guerre
Autant aux oiseaux qu’aux souris.
La chau-souri n’a plus d’excuse,
Qui perd sa finesse et sa ruse
Entre les pattes du chat gris.


LA LICE ET SA COMPAGNE (II, 7).

Baïf a traité le même sujet, non sans originalité :

Le hérisson estoit en peine
Ou se loger, la marmoteine
Il pria le vouloir loger.
Ce fut aux mois de la froidure,
L’hiver quand la saison est dure.
Elle accorda le héberger.
Ainsi le meine en sa tanière
Ou l’hoste nouveau ne fut guiere
Que son hostesse ne faschast.
Avecque son escarde droite.
Car la place fut si estroite
Qu’il faloit que l’on se touchast.
La marmote pria son hoste
Le lendemain matin qu’il s’oste
De son logis. Le Herisson
Qui trouva la maison fournye
De ce qu’il faut, très bien luy nie
Et luy chante une autre chanson.
Si quelcun en ce lieu s’offense
Qu’il s’en aille, je l’en dispense,
Quant a moy je n’en bougeray.
Si loger en ce lieu t’es peine,
Tu peux desloger, marmoteine.
De l’hyver n’en deslogeray.

(Mimes, II, 203.)

On trouve encore cette fable antérieurement dans Gringore :

Esope dit une petite fable
Que, sur ce point, peult servir de notable.
Jadis furent deux chiennes, de quoy l’une
Avoit maison, et des biens de fortune ;
L’autre n’avoit aucun logis ne biens,
Et si avoit plain son ventre de chiens.
Ceste riche la logea par pitié,
Soy délogeant, fusse par amityé ;
Lors s’en alla ou elle avoit affaire,
Et la laissa pour son bon plaisir faire
En son logis. Apres longue saison
Ceste chienne revint en sa maison.
L’autre luy dist qu’el venoit mal a point,
Et que pour lors el n’y entreroit point ;
Et, y voulant entrer, ses chiens japperent,
Maulgré elle sa maison usurperent
Et en eurent possession par force.

(Gringore, Œuv., I, 77, bibl. elz.)

LE LION ET LE MOUCHERON (II, 9).

V. 15. — Le quadrupède écume et son œil étincelle ;

   Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ…

   Le malheureux lion se déchire lui-même,

   Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,

   Bat l’air qui n’en peut mais...


Dans ce passage La Fontaine se souvient à la fois de Catulle et d’Hésiode :

Πλευράς τε καἱ ῶμους

Οῡρἦ μαστιόων ποσσἱ γλάφει.

(Bouclier d’Hercule, 430.)

Age, cæde terga cauda ; tua verbera patere,
Face cuncta mugienti fremitu loca retonent.

(De Aty.)

.
LE LION ET LE RAT (II, 11).

Un leon vout jadis reposer, e un sorice vient e le esveilla. Lors dit le leon al sorice : « A poy qe jeo ne te tue ! — Ceo serreit » fet l’antre « petit pruesce quant a vous. — Veire, » fet le leon « Va-t-en de ci : pardonee seit » ! Le sorice s’en va e le leon dormy. L’endemeyn tiel cas avynt que le leon fut pris en un fosse : vynt la sorice e le trova guaymentant et piteousement pleignant. Lors dit la sorice : « Vous me feistez curtesyc; e jeo vous saverai vostre vie ». Et assembla ses compaignons, et rongerent les cordez de la reye dont la fosse fust covert. e lui enseignerent comment deveit romper la corde et eschaper.
Auxint ert des grauntz seignurs, des prelatz et baillifs que ont mestrie en terre : si ils esparnient as autres tant com lur poer dure et lur baillye, par ceo serront aydez quant averont mestier.

(Nicole Bozon. Contes moralisés, 152, A. T.)

L'ASTROLOGUE QUI SE LAISSE TOMBER DANS UN PUITS (II, 13).

Le sujet a été esquissé rapidement en quelques vers par Baïf. (Mimes, II, 202, édit. Blauchemain.)

Un de nuitc hauts cieux regarde
Et les astres : et par megarde
Dans une fosse creuse client.
Un passant l'oit qu’il se lamente,
Entend sa cheute et sa descente :
Et s’en rit quand la cause il sceut.
Tu es la fort bien par ta faute,
Toy qui levant la veue trop haute
Au-dessus de toy regardois
Curieux de chose couverte,
D’une fosse a tes pieds ouverte
Nonchalaunt tu ne te gardois.


Je scais bon gré a la garse milesienne, qui, voyant le philosophe Thales s’amuser continuellement a la contemplation de la voulte céleste, et tenir tousiours les yeulx eslevez contremont, lui meit en son passage quelque chose a le faire bruncher, pour l’adverlir qu’il seroit temps d’amuser son pensement aux choses qui estoient dans les nues, quand il auroit prouveu à celles qui estoient a ses pieds : elle lui conseilloit certes bien de regarder plustost a soy qu’au ciel ; car, comme dict Democritus, par la bouche de Ciceron :

Quod est ante pedes, nemo spectat : cœli scrutantur plagas.
(Montaigne, Essais, Il, 12.)

On raconte la même anecdocte sur Anaximandre et son diciple Anaximène : « Ce gentil astronome Anaximène, lequel regardant une fois trop ententivement les étoilles, et levant le nez en l’air comme une truye aggravée, tomba a l’impourveu dedans une fosse, la ou il fut moqué d’une vieille qui le reprit de vouloir cognoistre ce qui estoit aux cieus, ne pouvant pas seulement voiries choses qui estoyent devant luy à ses pieds.

(Tahureau, Dial., 128, Conscience.)

Contre les astrologues qui se mêlent de prédire les choses futures.

Comme peux-tu, fol astrologue,
Trop orgueilleux, superbe et rogue,
Cognoistre la force des cieux
Leurs mouvements et influance,
Puis que ta belle suffisance,
N^’est que d’avoir du sable aux yeux ?
Tu ne cognois pas, grosse beste,
Alors que tu leves la teste
Pour voir les astres si souvent
Que tu tombes dans une fosse.
Dieu ! que ta science est bien fausse,
Puis qu’elle te va décevant,

(Gaigneu, Le Carquois satyrique. Variétés hist. et littéraires, VI, 293.)

V . 21 . — Auroit-il imprimé sur le front des étoiles,

   Ce que la nuit des temps cache dans ses voiles ?


Imprimer sur le front parait être emprunté à Ronsard :

Vous nous donnez des temps les signes très utiles ;
Et soit que vous couchez, et soit que vous levez,
Eu diverses façons les signes vous avez
Imprimez sur le front des vents et des oraiges,
Des pluyes, des frimas, des gresles et des neiges.

(Ronsard, V, 281, bibl. elz.)

LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES (II, 14).

V. 1. — Un lièvre on son gite songeait

(Car que faire en un gite, à moins que l’on ne songe ?)


C’est ce que dit un pêcheur de Théocrite qui songe, lui aussi, au bord de la mer, tendu sur un lit de feuilles :

Τί γάρ ποιἦν ἂν ἔχοι τις
Κέιμενος έν φύλλοις ποτἶ κύματι, μεδἑ καθεὑδων ;
(Idylle des pêcheurs.)

V. 15. — Ainsi raisonnoit notre lièvre,

 Et cependant faisoit le guet.
 Il étoit douteux, inquiet :
 Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnoit la fièvre.


De même dans Le Lièvre de Simon de Bullandre

Il dort les yeux ouverts...
Il doutte et craint toujours qu’on le vienne surprendre,
Tousjours il faict le guet, affin qu’il ne soit pris
Il a tant seulement les pieds pour se deffendre.
D’où provient que son cœur de tristesse est épris.

(1585. Le Lièvre, 88, Jouaust.)

V. 19. — Le mélancolique animal

 En rêvant à cette matière,
 Entend un léger bruit…


Aussi faut-il une grande subtillité et delicatesse du sens de l'odorat au chien de desmesler les voyes de ce petit animal mélancolique, froid et sec..

(1593. Jehan Du Bec, Discours de
l'Antagonie du chien et du lièvre, 12, Jouaust.)

Or il faut sçavoir qu’ainsi que tout animal dégénéré en sa fin en l'humeur mélancolique,

que les lièvres, qui naturellement abondent en ceste humeur doyvent, lors de leur vieillesse, en abonder a bon escient, et tellement qu'ils perdent le sentiment, (id., 13.)
 
LE COQ ET LE RENARD (II, 15).

Le gopil passa desouz un roche, si garda amont e vist un columbe seer en haut, vers ki le gopil dit : « Mout plus beal vous serreit ici aval entre les bestes giwer en la lande, qe de seer amont entre les freides pierres. — « Veire, » fet l’autre « vous ne estez pas touz mes freres, ne jeo ne m’affye pas en vous. — Si poez » dit le gopil « tut surement : les lettres sont venuz de la court le roy qe touz serroms de un acord, e nul ne fra grevance a autre desornemès. » A ceo vynt un chivaler od quatre levererz suantz. « A Dieu ! » fit le gopil al columbe, « jeo prent mon congé de vous, beal cosyn, jeo ne ose plus demorir. — Si frez, » dit-il, « ils sont nos freres ; pensez de ce final acord fet entre nos bestez. — Nanil » dit le gopil, « jeo ne sui pas certeyn qe les chienz ont veu les lettres, quar ils sont envious ».

(Nicole Bozon, Contes moralisés, 84, A. T.)

Cette fable comme on le voit, ne diffère guère dans l’ensemble de celle de La Fontaine :

Le renard par bois errant

Va querant

Pour sa dent tendre pasture,
Et si loin en la fin va,

Qu’il trouva

Le coq par mesaventure.


Le coq de grand peur qu’il a

S’envola

Sur une ente haute et belle
Disant que maistre renard

N’a pas l’art

De monter dessus icelle.


Le renard qui l’entendit

Lui a dit

Pour mieux couvrir sa fallace :
« Dieu te garde, ami tres cher !

Te chercher

Suis venu en ceste place,


Pour te raconter un cas

Dont tu n’as

Encore la connoissance ;
C’est que tous les animaux,

Laids et beaux

Ont fait entre eux alliance.


Toute guerre cessera ;

Ne sera

Plus entre eux fraude maline ;
Seurement pourra aller

Et parler

Avecque moi la geline.


De bestes un million

Le lion

Mene ja par la campagne ;
La brebis avec le loup


A ce coup

Sans nul danger s’accompagne.


Tu pourras voir ici bas

Grand esbats

Desmener chascune beste ;
Descendre donc il te faut

De la haut

Pour solemniser la feste. »


Or fut le coq bien subtil :

« J’ai, dit-il,

Grande joi’ d’une paix telle,
Et je te remerci’ bien

Du grand bien

D’une si bonne nouvelle. »


Cela dit, vient commencer

A hausser

Son col et sa creste rouge,
Et son regard il espard

Mainte part,

Sans que de son lieu ne bouge.


Puis dit : « J’entends par les bois

Les abbois

De trois chiens qui cherchent proie.
Ho ! compère, je les voi

Près de toi ;

Va avec eux par la voie.


— Oh ! non ; car ceux-ci n’ont pas

Sceu le cas

Tout ainsi comme il se passe
Dit le renard ; je m’en vas

Tout la bas

De peur que n’aye la chasse.


Ainsi fut, par un plus fin,

Mise a fin

Du subtil renard la ruse.
Qui ne veut estre deceu

A son sceu,

D’un tel engin faut qu’il use.

(François Habert, 1520-1569.)

LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME (II, 18).

Cet apologue est ainsi raconté par Guillaume Tardif, qui ne fait que traduire, librement, à sa manière, Laurent Valla.

« Ung jeune jouvenceau, de esquise forme et speciosité, avait en sa maison entre autres choses une très belle et plaisante chate. Iceluy jouvenceau, considérant la beauté de la dicte chate, disoit à soy mesmes : « Je vouldroye que j’eusse une aussi belle femme que tu es belle chate, » et luy estant en ceste penser et ardeur de luxure, fist une prière a la déesse Venus, mère de Cupido. dieu d"Amors, qu’il lui pleust muer sa dicte chate en une belle jeune pucelle affin qu’il peust avoir sa compaignie et estaindre l’ardeur dessus dicte. La déesse eut pitié de lui et exaulsa sa prière en muant la dicte chate en une très belle et bien formée pucelle, et ce fait, le dict jouvenceau, rempli du feu de charnelle concupiscence pour raison de la beaulté de la pucelle nouvellement transformée, print icelle pucelle, et la mena en sa chambre pour en faire son plaisir. La dessus dicte déesse Venus, voulant esprouver se la dicte chate avoit mué ses mœurs et conditions en la dessus dicte transformation et mutation corporelle, layssa aller une souris au milieu de la chambre en laquelle le dit jouvenceau et pucelle estoient conchées, et tantost la dicte pucelle, non recordant de sa mutation, de son amy et de ceux qu'estoient presens se leva soudainement du lit et se prit a cliacer et poursuivir la dicte souris, espérant la manger si par adventure elle l’eut pu prendre. Et ce voyant la dessus dicte déesse Venus et que la dicte pucelle n’avoit point changé ne perdu sa nature ferine, bestiale et ravissable, comme toute irritée la remist et restitua en sa première nature de chate, car elle n’avoit pas gardé les propriétés de nature humaine ne d’une femme raisonnable ».

(Apol. de Laurent Valla, 152, Marchessou.)

Il va sans dire que la morale est, en d’autres termes, celle de La Fontaine. Noël du Fail a traité le même sujet en quelques lignes :

« Quelques singes, par le commandement d’un roi egyptiac, ont eté appris à voltiger, baller et à toutes façons de soubresauts instruits tellement qu’en rien ne ressemblaient l’idée de leur premier animant : toutefois leur étant jetees quelques noix par la salle tournant leur robe, coururent a ce que nature, n’avoit voulu qu’ils oubliassent. Meme apologue d’une chatte, qui fut longuement chambriere de Venus ; mais ayant aperçu une souris, qui fretilloit je ne sais quoi, changeant son service a une prompte et allegre course, la grippa. Ceci nous admoneste qu’il ne se fault oublier d’estre homme, et cuider qu’en changeant notre façon de faire le plus souvent a une plus dépravée, nous devenions plus sages ».

(Baliverneries, 98, Guichard.)

LE MEUNIER, SON FILS ET L’ANE (III, 1).

Cette fable qui semble avoir pour origine un conte oriental se rencontre en français dès le XIIIe siècle :

Un homme vynt jadis chivauhaunt son asne del marchee e son fitz lui suist a piee. Et de ceo fus juggé des uns qe passèrent par le voye. Quant il les oy, il voleit eschure lur parlaunce : si descendi : « Montez, fet-il a son fitz, et jeo m’en irray a piee ». Mès rien ne lui valust, qar tantost fust des autres juggee. La tierz manere vont assaier, e fist son fitz descendre e amena le asne en sa meyn. Mès par tant ne pout uncore eschaper, qar fust dit qe il fust si gelous del asne qe il ne osea lui monter. Il pensea qe uncore vont assaier se il pout en autre manere lur parlance eschaper : si montea mesmes son asne et son fiz ensement, mès par tant ne eschapa nient : fust dit que cruel esteit quant de deus hommez le asne chargereit. « Ore ne say, » fet lui penseant « en autre manere assayer e lange de foux eschaper, si jeo ne pusse le asne sur mon dos porter. Maudit seit » fet-il « qepur lur emparlance force ne fra ! Dye chascun ceo qe il vodera ».

(Nicole Bozon, Contes moralisés, 158, A. T.)

Huet le savant évêque d’Avranches a traduit cette fable en hexamètres latins, sans doute fort peu de temps après l’apparition du premier volume de La Fontaine.

Forte sonex nato quondam comitatus asellum
Ibat agens, aberat vacuo omnis sarcina dorso ;
Quando prœteriens quidam non notus : « Ineptos,
Exclamat, pulchrum quibus est sic parcere onagro ! »
Audiit, assensitque senex, conscendit in armos
Ipse prior, lumbis puer insidet, atque ita pergunt.
Vixque viæ paulum confectum erat, obvius alter
Occurrens : « Pecudi cur ilia rumpitis ? », inquit,
« Ægre animum trahit, et jam jam pondère fessa
Decidet » : id metuens, asinum miseratus onustum,

Ire senex natum peditem jubet, ipse superstat.
Tertius adveniens : « Ne sic tua commoda captes
Dure senex, ast ætatis miserere tenellæ. »
Protinus accipiens convicia sæva bénigne
Paruit, exiliit que bonus, sudore fluentem

Apprendit puerum, pecudisque imponit in armos ;
Ipse sequebatur, costasque dolabat aselli.
Ad primum lapidem venit alter naris aduncæ :
« Hercule, non pecudis tibi sunt cædenda flagello
Tergora, vir bone, sed pueri, qui vectus asello,
Pergit, et effætum pedibus sinit ire parentem. »
Talibus at placidi verbis patientia tandem
Læsa senis, veras jussit depromere voces :
« Pol, miser est hominum quisquis convicia curat :
Quo pede cœpisti, hoc securus pergere discas, »

(Pétri Danielis Huetii poemata latina et graeca, 39, édit. 1694.)

LES MEMBRES ET L’ESTOMAC (III,2).

Guillaume de la Perrière traduit à sa façon, avec des longueries habituelles aux écrivains du XVIe siècle, cet apologue tant de fois cité : « Messenius estant bien instruict de sa charge, se transporta au Mont Sacré, où estant devant le dict peuple, sans faire plus long exorde (voulant adapter son oraison à la qualité des auditeurs) leur narra l’ancien apologue de la sédition de tous les membres du corps humain, contre le ventre, par semblables paroles. Jadis, dit-il, les membres du corps humain avoient chacun son conseil, et son advis à part, et n’estoient pas tous d’un consentement, comme ils sont à présent. Advint qu’iceux voyant qu’ils estoient toujours en travail continuel, pour nourrir le ventre, et que le ventre ne faisoit rien que se reposer et faire grand chere, aux despens et labeur des autres membres, et que s’il se vouloit remplir il falloit nécessairement qu’il travaillast comme eux, et de faict feirent entr’eux un monopole, qu’ils ne luy donneroient plus à manger. Les pieds dirent qu’ils ne tracasseroient plus pour aller chercher victuailles : les mains et bras dirent qu’ils n’apporteroient plus le morceau à la bouche : la bouche dit qu’elle ne recevroit plus la viande : les dents dirent qu’elles ne macheroient plus pour nourrir le ventre oisif. Or estant les dicts membres ainsi émeus contre le ventre : et le voulant laisser mourir de faim, ils sentirent peu a peu qu’ils se debilitoient eux-mêmes, et devindrent si maigres qu’a peine les pieds pouvoient soustenir le corps : les bras estoient si débiles, qu’ils ne se pouvoient plus lever vers la bouche, les dents aussi crouloient dedans icelle. Par ainsi, dit-il, les membres se cuidant venger du ventre, se tuoient eux-mêmes. Par telle similitude et comparaison des membres contre le ventre, et du populaire contre le Sénat, le dict Ambassadeur mitiga la fureur du populaire, et le réduit a s’en retourner en la cité. »

(Guill. de la Perrière, Miroir politique, 42v°, édit. 1567.)

.
LE RENARD ET LE BOUC (III,5).

Du Regnart et du Chevreau.

Le Regnart et le Chevreau, ung jour d’esté ouquel faisoit grand et excesssif chault, estoient alterés et mors de soif, et pour subvenir à leur alteration, firent diligence de cerchier aucune rivière ou autre eaue en laquelle il peussent boire. Finablement trouverent ung viel trou en maniere de puys assez parfond ouquel ilz descendirent et auquel ilz beurent a leur aise. Apres ce qu’ilz eurent parfaitement estaint leur soif, le chevreau se print a regarder contremont et considérer la maniere comment ilz sortiraient du dit puys, ce que le regnart apperceut assez clerement, car sa nature est d’estre toujours cault et subtil. Et tantost dist iceluy Regnart au dict Chevreau : « Mon compaignon, ayez bon courage, ne te soussie point de la manière de sortir d’icy dedans, car j’ay ja trouvé le moyen par lequel nous pourrons sortir et retourner en hault. Et pour ce faire, voycy la maniere convenable ; tu te dresseras tout droit et mettras les pieds de devant contre la paroy, puis après besseras la teste et les cornes entre tes jambes, tant que ton menton touchera a ta poitrine, et je monteray sur ton dos en me prenant a tes cornes et me lanseray et tireray hors de ce puys. Ce faict, je te tireray et mettray hors du dit puys. »

Le Chevreau fut simple et ignorant et creut et aquiessa au conseil du dit Regnart, lequel conseil luy sembloit estre bon, sans fraude ne simulation quelconque. Et incontinent le dit rognart se jetta sur le chevreau, et sortit hors facilement du ditpuys. Et, ce faict, so print le dict Regnart a danser et saulter sur le bort du dict puys, de joye qu’il avoit d’estre ainsi eschapé par son astuce et malicieuse callidité, et ne luy souvint ne n’eut aucun soing de tirer ne mettre hors le povre chevreau, lequel estoit demouré en la profundité et obscure tenebrosité du dit puys. Et a cpste cause le dict chevreau accusoit le Regnart de foy mentie et de ce qu’il avoit froissé et rompu sa promesse. Mais ledit regnart n’en tenoit conte, ains luy disoit par manière de moquerie : « Chevreau, se tu eusses eu autant de sens en ta pensee comme tu as de poil au menton, tu ne fusses pas descendu ou dit puy jusques a ce que tu eusses avisé et espié les moyens, voye et maniere par lesquels tu te peusses tirer et mettre hors du dict puys quant bon t’eust semblé. »

Sens moral. — Ce dessus dict Apologue, fable ou facecie, quant au sens moral veult donner a entendre a chascun homme prudent qu’il regarde bien soigneusement quant il se associera ou accompagnera avecques aucun pour quelque chose faire, que celuy avec lequel il se accompaignera ne le déçoive, en regardant la fin de l’entreprinse et la sortie de la chose avant que le faire ne entreprendre.

(Guill, Tardif, Apol. de Laurent Valla, 147, Marchessou.)

LA GOUTTE ET L’ARAIGNÉE (III,8).

Vous savez, dit Polygame, l’echange que Jupiter fit des domiciles et habitations entre mes demoiselles l’Hyraigne et la Goutte. A l’Hyraigne, a qui aux maisons des grands et riches on faisoit mille maux, en abattant, balayant et rompant ses toiles et filets, fut assignée la maison du laboureur. Et a la Goutte, qui n'avait que mal et tourment aux champs, les palais et maisons des villes ; ou, depuis, bien traitée, chauffée et nourrie, elle est demeurée, ne craignant ou redoutant aucun, fors son ennemi conjuré et mortel, appelé Exercice : car l’eau, qu’on pense lui estre contraire, est sa vraie nourriture, au jugement même de Galen, parlant des maladies aquatiques.

(Noël du Fail, Contes d'Eutrapel, 170, Guichard.)

Dans ses Baliverneries (p. 120), du Fail revient sur le même sujet. La goutte et l’araignée présentent leurs requêtes à Jupiter qui « après avoir tonné, rouillé les yeux, grondé trois fois », rendit cet arrêt : « Le tout vu au net, fut dit et appointé que l’Hyraigne, changeant de maison, demeurerait paisiblement, sans lui faire tort ne violence, aux maisons du pauvre populaire. Sur quoi elle voulut contester je ne sais quoi, et qu’elle ne demandoit que paix ; mais on lui fit signe qu’on l’envoyroit là dedans. Au reste, que dame Goutte suivant sa requete et legitime et civile, laissant les maisonnettes des pauvres gens, iroit habiter aux cours des gros seigneurs, gentilshommes (j’entends des otieux) a présidents, conseillers, avocats, marchands. Et des lors fut donné commissaire pour les mettre en possession respectivement, et est la raison pourquoi vous voyez cette tant belle et bien figurée tapisserie ci-dedans ».

Il fallait aussi rapprocher de cette fable cette délicieuse épigramme de Martial.

Ad Lentinum.


Quare tam multis a te, Lentine, diebus
Non abeat febris, quæris et usque gémis.
Gestatur tecum pariter, pariterque lavatur :
Cœnat boletos, ostrea, sumen, aprum.
Ebria Setino fit sæpe, et sæpe Falerno,
Nec nisi per niveam cœcuba potat aquam.
Gircumfusa rosis, et nigra recumbit amomo :
Dormit et in pluma, purpureoque toro.
Sit tam pulchre, quum tam bene vivat apud te,
Ad Damam potius vis tua febris eat ?


LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI (III, 4).

Cette fable a inspiré une amusante pièce de vers au poète italien Giusti. Elle est intitulée Il re Travicello, et a été traduite par Marc Meunier dans son ouvrage : L’Italie est-elle ta terre des morts ?

le roi Soliveau.

Au peuple-grenouille
Vient un roi nouveau,
Que l’on s’agenouille
Devant Soliveau !
J’avoue avec joie
Que Dieu nous l’envoie ;
C’est commode et beau ;
Un roi Soliveau ;

Quel fracas dans l’onde
Sa chute a produit !
Les bûches au monde
Font toujours du bruit.
Mais d’un saut rapide,
Muet et stupide,
Il revient sur l’eau
Le roi Soliveau.

Quand le peuple en masse
Voit ce machin-là,
Tout l’étang coasse :

« Comment, c’est tout ça ?
« Il veut donc se faire
« Siffler dans l’eau claire
« Ce bruyant lourdaud,
« Ce roi Soliveau ?

« C’est lui qu’on couronne ?
« Ce tronc de trois sous ?
« Jupin déraisonne
« On se rit de nous.
« Sus donc, qu’on exile
« Ce maître imbécile !
« Qu’on livre au bourreau
« Ce roi Soliveau ! »

Paix donc, pauvres bêtes !
Acceptez les lois.
Crapauds que vous êtes,
D’un prince de bois !
Loin qu’il pille et taille,
Il permet qu’on piaille ;
Il est sans bourreau.
Le roi Soliveau !

Il cède a l’orage
Aux vents comme ils vont,
Dandine, surnage,
Point ne pêche au fond,
Point ne fouille et sonde…
Comme il sait de monde !
Qu’il a de cerveau
Le roi Soliveau.


 
Son front, s’il s’agite,
Et vient a plonger
Remonte au plus vite...
Il est si léger !
Le titre d’altesse
Est plein de justesse
Et va comme il faut
Au roi Soliveau !


O peuple, sommeille !
Veux-tu qu’au marais
Le serpent t’éveille !
Paix donc, dors en paix !
En vain se rebiffe
Qui n’a ni dent ni griffe :
Pour toi rien ne vaut
Un roi Soliveau.

Quand un peuple en grâce
A des biens si grands,
De tout il se passe,
Même de bon sens...
Quel peuple docile !
Quel prince tranquille !
Vivat et bravo
Le roi Soliveau !


LE LOUP ET LA CIGOGNE (III,9).

Mès plusours font com fit le lou qe fust enossé, e promist al grue grant loer pur ceo qe lui sanast ; mès quant la grue out fet sa mestrie e demanda loer, lui fust respondu : « Seiez paié de vostre vie : quant votre col fust dedenz ma bouche, en ma cortesie fust de vous sauver ou tuer ».

(Nicole Bozon, Contes moralisés, 92, A. T.)

LE LION DEVENU VIEUX (III,14).

 
V. 5. — Le cheval s’approchant lui donne un coup de pied,

   Le loup un coup de dent le bœuf un coup de corne, etc.


Levrauts le lion mort pestellent.

(Baïf, Mimes, 100, Blanchemain.)

LA BELETTE ENTREE DANS UN GRENIER (III,17).

 
Il avint d’aventure un jour qu’une belette,
De fain, de poureté, grelle, maigre et defaite,
Passa par un pertuis dans un grenier a blé,
Ou fut un grand monceau de fourment assemblé,
Dont gloute elle mangea par si grande abondance.
Que comme un gros tambour s’enfla sa grosse pance.
Mais voulant repasser par le pertuis estroit.
Trop pleine elle fut prise en ce petit destroit.
Un compere de rat lors luy dict : O commere,
Si tu veux ressortir, un long jeusne il faut faire :
Que ton ventre appetisse, il faut avoir loisir :
Ou bien en vomissant perdre le grand plaisir
Que tu pris en mangeant, tant que ton ventre avide,
Comme vuyde il entra, qu’il s’en retourne vuyde.
Autrement par le trou tu ne repasseras.
Puis en danger des coups tu nous demeureras.

(Vauq. de La Fresnaye, Satyres françaises, 232, Travers.)

LE CHAT ET LE VIEUX RAT (III,18).

 
V. 15. — Le galand fait le mort, et du haut d’un plancher

  Se pend la tête en bas.


ως θυλακός τις παςςάλων ἁπητὴθη.
Ce mot θύλακος ; employé par Babrius (fabl. 17) ne signifie pas sac, mais quelque vieille peau de bête écorchée, ce qui est d’une invention plus ingénieuse.
LE BERGER ET LA MER (IV,2).

De Pastore et mari (par Laurent Valla).

Pastor in loco maritimo gregem pascebat : qui eum videret mare trauquillum, incessit cupido navigationem faciendi : itaque venumdatis ovibus, emptisque palmarum sarcinis, navigabat. Orta autem vehementi tempestate, navi mergi periclitante, omne pondus in mare ejecit, vimque evasit exonerata navi ; paucis post diebus, veniente quodam et tranquillitatem maris admirante, erat enim sane tranquillum, respondens inquit : Palmas iterum vult quantum intelligo ! ideoque immotum sese ostendit.

Cet apologue que Laurent Valla raconte, comme l’on voit avec sa sécheresse ou sa concision habituelle, se transforme dans la traduction de Guill. Tardif en un long récit tout plein de charmants détails.


D’ung pasteur et de la mer.

Ung pasteur ung jour gardoit ses brebis en certaines pastures situees et assises auprès du rivage de la mer, et voyant par icelui pasteur que la mer estoit belle et paisible, sans quelque vent ne vague, ainsi qu’il advient souvent par intervalles de temps, voyant aussi par lui qu’il y avoit plusieurs navires de marchants qui navigoient sur Teau et alloient en divers pays pour gaigner, se ad visa, plus tost qu’il ne l’eut songé, qu’il deviendroit marchant sur mer et qu’il sçauroit que c’estoit que de chevaucher les poissons, mesmes que trop longtemps avoit-il esté pasteur et que rien ne scet que hors ne va. Et assez tost, des le jour de lendemain, mena tout ce qu’il avoit vaillant et de l’autrui au marché, et fist de la livre XV sols pour devenir marchant par mer Et en effect, après qu’il eust ainsi tout vendu, il loua certaine navire, laquelle il chargea et freta de tout son vaillant et de celuy de ses voisins, et fust maistre de navire avant que serviteur. Quant il eust nagé par la mer quelque peu de temps, survint une tempeste si terrible et si merveilleuse qu’il sembloit que le ciel et la mer feussent en feu, et les vagues de la mer se enflerent si grosses qu’il sembloit a nostre nouveau marchant que la navire descendit maintenant aux abismes et que incontinent alast touchier jusques au ciel. Mesmement pouvoit sembler que la hune de la navire puisast à chaque coup en l’eaue, et en effect, descendit si grant quantité de eaue sur lui et ses compaignons que ceulx qui estoient en la pompe ne povoient vuider la moitié de l’eaue qui entroit dedans le bort. Cordes mast et autres instrumens de navire, crioyent et croissoient si horriblement qu’il sembloient que tous deust rompre, et eust bien voulu estre nostre nouveau marchant a garder ses brebis et ses moutons, si possible eust esté, voire et lui deust il avoir cousté tout ce qui dedans la navire estoit. Il appeloit les dieux et déesses à son ayde. La cire d’un royaulme n’eut pas souffi a faire et payer les veuz lesquelz il donna aux dieux et déesses, se il leur plaisoit luy sauver la vie, et fut finablement contraint jetter en l’eaue toute sa marchandise. Et, n’eust esté la clémence et miséricorde des dieux marins Neptunus, Eolus, Triton et autres, lesquelz furent commeus a pitié par les veulx et promesses qu’il faisoit, a paine fust venue la nef toute vuyde a port de salut, ce qu’elle fist. La eussiés veu nostre nouveau maistre de navire bien estonné, car il devoit desja trois fois plus qu’il n’avoit vaillant, et en effect, il avoit perdu tout le sien et de l’autrui, et convint qu’il se mist a son premier mestier de pasteur. Ung jour advint qu’il estoit sur le rivage de la mer ou il gardoit ses bestes, et commença a contempler que la mer estoit tant belle et tant sereine, sans vent ni vague, comme elle estoit lorsque appétit lui estoit prins de estre marinier, et tantost commença a dire, en adressant la parole a la dicte mer : « Dame, vous estes bien subtile. Vous me faictes belle chiere et beau semblant, affin que je vous retourne veoir et que je me mecte sur vous en faict de marchandise, comme j’ai faict par cy devant. Certes ne vous y attendez plus, car trop m’avés plumé pour une seconde fois ».

(Apol. de Laurent Valla, 174, Marchessou.)


J’ai cru bon de donner une fois, par exception, le texte latin de Valla, afin que l’on pût juger avec quelle liberté amusante Guill. Tardif le développe et fait sien le sujet.
LE JARDINIER ET SON SEIGNEUR (IV,4).

 
V. 53. — Ce sont là jeux de prince.

Les éditeurs expliquent ce proverbe par un passage tiré de l’Apologie pour Hérodote. Il n’était pas hors de propos d’y ajouter ce souvenir : « Le jour de la visite que fit la reine Christine à l’Académie (11 mars 1658, l’assassinat de Monaldeschi était tout récent), c’est Mézeray qui, faisant l’office de secrétaire, lut, à l’article jeu du dictionnaire, cette locution proverbiale qui lit rire, dit-on, la rincesse : « Jeux de prince, qui ne plaisent qu’à ceux qui les font ». (Sainte-Beuve, Caus. du lundi, VIII, 182.)

Bonaventure des Périers avait usé de ce proverbe avant H. Estienne : « Il en vouloit fort aux moines et moinesses, et prenoit son passe-temps à leur jouer plusieurs tours qui estoyent (comme on dit en proverbe) jeux de prince, c’est a dire jeux qui plaisent a ceux qui les font ». (Nouvelle CXII, bibl. elz.)


L’ANE ET LE PETIT CHIEN (IV,5).

Le sujet est gentiment traité en prose dans le Violier des histoires romaines, p. 191, bibl. elz. :

Un roy estoit qui tant aymoit les chiens que c’estoit chose merveilleuse. Les chiens luy sailloient au col, le baisoient et dormoient en son sein souvent. Il y avoit céans un asne qui avoit despit de cecy et pensoit en soy : « Si je chantois, saultoys et mettois les deux piedz sur le col de mon maistre, certes, je mangeroy plus frians morceaulx que je ne fais, et dormiroys au giron de mon maistre. » L’asne fait ce qu’il avait pensé, saillit de l’estable, courut en la salle saillant et chantant, et enfin vint mettre les deux piedz sur les espaulles du roy. Ce voyant, les serviteurs estimèrent qu’il fust enragé : parquoy ilz le battirent noblement et le ramenerent en l’estable.

 
V 16. — Oh ! oh ! quelle caresse ! et quelle mélodie !

Dit le maître aussitot. Holà, martin-bâton !
Martin-bâton accourt : l’âne change de ton .


Cette expression, disent en note les éditeurs, est empruntée à Rabelais. Elle est beaucoup plus ancienne, et a une origine curieuse.

« Par mon martin, disait Jeanne d’Arc des bourgeois d’Orléans, je leur ferai mener des vivres ». Ce martin qui revient sans cesse dans sa bouche, dit Sainte-Beuve, c’était son martin-bâton.

Si elle te triche, voicy
Martin-baston qui en fera
La raison.

(Farce du Badin, Anc.Théât., 1,278.)

Cette locution, comme tant d’autres, nous vient du roman du Renart. Le prêtre Martin qui a pris maître Loup dans une fosse lui tient ce langage :

Sire Ysengrin, or vous vaedrai
Ce que je tant pramis vous ai :
Apanrai vos a cest baston
Coninent prestre Martin a non.

(Renart, éd. Martin, II, 245.)

Il s’est trouvé un annotateur, M. Aubertin, pour expliquer ce mot par « valet d’écurie » !


LE GEAI PARÉ DES PLUMES DU PAON (IV, 9).

On peut comparer à cette fable le Dit de la Corneille :

Voulez oïr merveille
Que fist une corneille ?
Qui de chascun oisel
Qu’ele vit gent et bel
La plume concueilli
Dont ele se vesti.
Quant el fu conreee
Vestue et atournee
Si commença ainsi
A mener grant nobli.
Li oisel, quant le sorent
Consentir ne le porent.
Lor consille assemblerent,
Et entr’eus porparlerent
Que chascuns li todroit
Les plumes qu’ele avoit.
Si com l’ont dit l’ont fait :
Chascuns sa plume en trait.
Quant toutes ot perdues
Les plumes qu’ot eues
Et nue s’esgarda.
Triste fu, si penssa
Que le pris qu’ele avoit
N’iert mie siens par droit.
Ceste fable est petite :
Por cest exemple est dite
Que pour nul vestement

Ne se devroient gent
L’uns vers l’autre orgueillir
Ne pour dras ennoblir.

(P. Meyer, Recueil, 355.)

Vous ressemblez au gay qu’Esope le bossu
Produit estant d’un pan des plumes revestu ;
Mais ce fut bien le pis., car, estant recogneu,
Il fut crié, mocqué et d’un chacun battu.

(Discours de deux fripiers, Var. hist. et litt., V, 195.)

Dans Jehan de Brie c’est le corbeau qui est le héros de l’aventure :

Telle gens ainsi fourrez et emplumez, pour monstrer leur renardie, peult-on figurer au corbeau qui emprunte estranges plumes pour aller a une assemblée, et pour ce n’en fut-il oncques meilleur ni plus saige. Et quand il eut rendu ses plumes, comme dit Ovide, il demourra noir et sale, selon sa première nature.

(Le bon berger, 14, Liseux.)

Un jour je leu dans un livre estimé
Qu’un asne fut autrefois diffamé
Et d’un baston eut l’echine battue,
Pour du lion avoir la peau vêtue :
Et qu’un oiseau, dont je ne sçay le nom,
Perdit aussi son honneur, son renom.

Pour avoir pris des autres le plumage,
Qui, se trouvant vestu de leur panage.
En un banquet de mille oiseaux divers,
Le pelaudantz a tort et a travers,
Tous d’un accort bien tost le déplumerent,
Et chacun d’eux leurs plumes remporterent :
Ce que pensant en moy, j’ay fait serment
De ne changer jamais mon vestement.

(Vauq. de La Fresnaye, Sat. Françaises, l, 216, Travers.)

« Parmy les fables des anciens poetes j’ay leu qu’une corneille se voyant esclose toute nue et sortie de la cocque sans plumes, eut tant de honte qu’elle s’en alla emprunter les plus belles plumes de chaque oyseau qu’elle peut rencontrer en particulier ; mais la malheureuse oubliant sa naturelle nudité, se mira dans toutes ces despouilles estrangeres avec tant de complaisance et de vanité, que l’orgueil luy enflant le courage, mesprisa tost après les parures naturelles des autres oyseaux du ciel. Et ceux-cy la voyant glorieusement piaffer, resolurent de punir sa temerité, et un chacun reprenant ses plumes, elle demeura toute nue, et avec la même laideur et turpitude qu’elle avoit en sa naissance ».

L’auteur de cette fable ainsi arrangée à sa mode tire cette moralité ; « Une femme mondaine est proprement une corneille, qui s’en va piaffant, entretenant ses vanités avec des plumes empruntées et prises dans le large sein de la nature ».(Jacques Olivier, Alphabet de l’imperfection et malice des femmes, 246, édit. 1876. — La 1re édition de ce singulier ouvrage est de 1617.)

Baïf a traité longuement le même sujet. Au lieu du Geai c’est le choucas qui se pare des plumes d’autrui.

Au temps jadis les oyseaux demanderent,
D’avoir un roy, puis entr’eux accordèrent
Pour commander d’eslire cet oyseau
Que Jupiter jugeroit le plus beau.
Ains que venir au lieu de l’assemblee
Tous les oyseaux vont a l’eau non troublée
Des ruisselets se mirer et baigner,
Et leur pennage agenser et pignier.
Le noir chucas, qui n’a point d’esperance.
Va cauteleux loing aval des ruisseaux,
Sur qui flotoyent les pennes des oyseaux,
Qui au dessus s’eplumoyent. Par malice
Va s’embellir d’un nouvel artifice.
En lieu secret, en un vallon ombreux,
Dans le courant, qui n’était guère creux,
Sur un caillou s’assiet et au passage
Gruette et retient le plus beau du pennage
De tous oyseaux qui plus haut se lavoyent.
Près des surgeons d’où les eaux derivoyent :
Prend le plus beau, plume a plume le trie
Avec le bec ouvrier s’en approprie.
Le joint, l’ordonne, et l’accoustre si bien
Que d’arrivée il semble du tout sien.


Le choucas « ainsi vestu de plumes empruntées » paraît devant Jupiter et toute la race des oiseaux. Le Dieu allait le déclarer roi de la gent ailée « sans la chevêche » :

Elle qui ne se fie

En ses bons yeux et ne se glorifie
En sa beauté, s’approche du chucas.
L’éplucha bien : O le merveilleux cas !
Elle aperçoit la plume qui est sienne,
Crie et la prend :« chacun de vous s’en vienne
A ce larron, chacun recognoistra
Ce qui est sien, le beau roy devestra
De sa beauté». La cheveche escoutee
A grand risée a ce peuple aprestee.
Chacun y vient, sa plume reconoest,
Du bec la tire, et le chucas devest.
Le fin larron, despouillé du panage
Qu’il ha d’autruy par la cheveche sage,
De tout honneur demeura dénué,
Et son orgueil en mépris fut mué.

(Baïf, Poés. choisies, 286, Becq de Feuquières.)

LE CHEVAL S’ÉTANT VOULU VENGER DU CERF (IV,13).

Cette fable est dans Baïf, Mimes, 201, édit. Blanchemain, et dans Vauquelin de La Fresnaie.

Maintenant je diray la fable
Du sot cheval et misérable
Qui sa force ne cognoissoit :
Que le cerf avec l’avantage
De sa ramure, d’un gangnage
Leur commun herbis dechassoit.
S’en venger le cheval désire :
Qui droit a l’homme se retire,
Et devers luy ayant recours
Luy conte le tort qu’il endure,
Et luy requiert de telle injure
La raison avec son secours.
L’homme trompeur luy va promettre,
Si le cheval se laisse mettre
Un frein en la bouche, et s’il veut
Qu’armé dessus le dos luy monte.
Et qu’il le meine et qu’il le donte,
Que du cerf venger il se peut.
Le badin cheval s’y accorde :
Luy tarde que son mors ne morde.
Mais sitost que le mors eut mors.
Tant s’en faut que du cerf se vange,
Que l’homme l’asservist et le range
Esclave a jamais par le mors.

—————

Car il me souvient trop du cheval généreux
Qui libre, qui gaillard, errant aventureux,

Mendia le secours de l’homme pour apprendre
Comme il pourrait vainqueur a la course se rendre
Du cerf aux vite-pieds : l’homme alors l’approchant.
Le bride et l’enharnache, et dessus affourchant,
A force d’esperons et ruses adjoustees,
Luy fist vaincre le cerf aux forets escartees.
Mais l’homme du cheval s’aquist la liberté
Pour son loyer d’avoir le cerf par luy domté.
Ainsi je crains les grands.

(Vauq. de La Fresnaie, Satires françoises, I,227, Travers.)

LE RENARD ET LE BUSTE (IV, 14).

Guill. Tardif intitule cette fable : « d’un Regnart et d’une teste. » J’en supprime les deux tiers qui n’ont rien à faire avec la fin.

Regnart... advisa l’ostel d’ung paintre,ouquel avoit plusieurs sortez et differentes manières de ymages, et la entra pour regarder quelle image luy seroit propice en sa chapelle . Si tost qu’il fust entré, trouva une teste de loup, laquelle estoit de marbre, faicte et taillée par curieulx et industrieux artifice, car elle estoit tiree sur le vif si proprement que on eust peu dire au premier sault que la dicte teste estoit toute vive. Maistre regnart, qui la dicte teste speculoit et regardoit tres diligemment, apres ce qu’il eust ainsi tout bien regardé et spéculé, commença à dire en la présence de ceulx qui là estoient : « O teste, tant tu as esté faicte par grand sens et exquise subtilité de engin humain, tant tu es décorée et embelie par subtil artifice, et touttefois il n’y a point de sens en toy de utilité ni de prouffit ».

Sens moral. — ... Beauté exteriore, artificielle ou naturelle ne vault se on n’a quelque science ou vertu en sa pensee interiore .

(Guill. Tardif, Apol. de Laurent Valla, 183, Marchessou.)

Sonnet de Gourval dans les Exercices de ce temps (T. II, sat. 10) a mis en vers cette fable ésopique :

« Dieu quelle différence on voit de l’homme à l'homme
Plus que d’un homme à beste ! Esope, on te renomme
Car tu nous as laissé dans tes moralitez
Cent préceptes moraux contre nos vanitez,
Quant tu nous dis qu’un loup chez un tailleur d’image
Estonné, regardant tant de divers ouvrages,
Vit la teste d’un homme ouvree artistement,
La prend et la contemple et la tient longuement,
Luy dit : « que la beauté empreinte en ta sculpture
Fait qu’un chacun te tient chef d’œuvre de nature !
Mais le principal point deffaut entièrement.
Car on ne trouve en toy ny sens ny jugement ».


LE LOUP LA MÈRE ET l’ENFANT (IV, 16).

On trouve cette fable assez gentiment traitée dans Baïf, Mimes, II, 198, édit. Blanchemain :

Un loup ayant faict une queste
De toutes parts, en fin s’arreste
A l’huis d’une cabane aux champs,
Au cry d’un enfant que sa mère
Menaçoit pour le faire taire,
De jeter aux loups ravissans.
Le loup qui l’ouit en eut joye,
Espérant d’y trouver sa proye :
Et tout le jour il attendit
Que la mère son enfant jette.
Mais le soir venu comme il guette
Un autre langage entendit.
Car la mère qui d’amour tendre
Entre ses bras alla le prendre
Le baisant amoureusement
Avecques luy la paix va faire :
Et le dorlotant pour l’attaire
Luy parle ainsi flatteusement :
Nenny, nenny, non ne pleure :
Si le loup vient, il faut qu’il meure :
Nous turons le loup s’il vient.
Quand ce propos il ouït dire,
Le loup grommelant se retire.
Céans l’on dit l’un, l’autre on tient.


V. 30. — On assomma la pauvre bête.

 Un manant lui coupa le pied droit et la tète.
 Le seigneur du village à sa porte les mit.


Cette coutume de clouer à une porte les pieds ou la tête d’une bête malfaisante est ancienne

et existe encore dans nos campagnes.

Les hommes estonnez regardoyent de bon cœur
Geste beste assommée et en avoyent horreur.
Sur le front du chasteau pour signe de conqueste
On attacha la pate et l’exécrable teste
Du loup et de la louve et de cinq louveteaux
Jà nez pour guerroyer les débiles troupeaux.

(Amadis Jamyn, Poés., II, 175, Brunet.)

LE VIEILLARD ET SES ENFANTS(IV, 18).

Guillaume Tardif, traducteur des apologues de Laurent Valla, intitule ainsi cette fable :

D'UNG LABOUREUR ET DE SES ENFANTS

« Ung laboureur avoit plusieurs enfans, lesquelz avoient continuellement guerre entre eulx, et ne les povoit le dict pere apointer ne acorder ensemble. Pour laquelle chose faire il commanda que on lui apportast une grande quantité de boys, ouquel eust plusieurs verges et basions, ce qui luy fut aporté en la présence de ses dis enfans. Et tantost le dict pere mist tout le bois en ung faisseau et commanda a chascun de ses dis enfans qu’ilz levassent et ostassent, chascun a part soy, ledit faisseau du lieu ouquel il estoit, ce qu’ilz ne peurent faire pour la pesanteur de celuy. Et pourtant le laboureur dessus dict deslya le dict fardeau et en bailla une verge à chascun de ses dis enfans, en leur recommandant qu’ilz rompissent les dites verges, et que finablement ils dissolussent et estassent le dict faisseau par parties, ce qu’ilz tirent legierement. A ceste cause le dessus dict pere dist a ses dis enfans : « Mes fils, tant comme vous vivres ensemble en paix, et que serés d’une niesme voulenté, nul ne vous pourra nuyre ne grever, ains serés invincibles et ne vous pourront vos ennemis esbranler ne mouvoir de vostre estat, nen plus que vous n’avés peu, chascun pour soy, lever le fardeau, lequel avés facilement defaict par parties. Et au contraire, se vous vivez en hayne, sedition et discorde, vous serés facilement deffaiz par vos adversaires, qui vous froisseront et prendront comme leur proye, chascun par soy, ce qu’ilz ne pourront faire tant que serés unis en bonne amour et vraye union ensemble ».

(Apol. de Laurent Valla, 155, édit. Marchessou.)

Suit l'affabulation qui n’est autre chose que le développement de la fameuse maxime : Concordia parvœ res crescunt, discordia inaœamœ dilabuntur, que Salluste met dans la bouche de Micipsa mourant.

LE POT DE TERRE ET LE POT DE FER (V, 2).

Un recueil de fables anonymes, imprimé à Amsterdam (3e partie, ann. 1695) chez Daniel de la Feuille, donne Les pots flottants, dont la morale seule est semblable à celle du Pot de terre et du Pot de fer.

Les pots cassez font bruit : oyez comment.
Entiers et sains sur l’humide element
Deux pots flotoient differens de structure,
Sans soin, sans peur, vogoient arrogamment.

L’autre de terre aloit plus humblement,
De son voisin craignant rattouchement,
Et d’augmenter par une atteinte dure

Les pots cassez.


Du pot craintif voici l’enseignement :
Quand un petit s’allie imprudemment
Avec un grand pour trop haute avanture,
Le grand en sort en fort bonne posture,
Et le petit paye ordinairement

Les pots cassez.

(Fables choisies, 45, édit. 1695.)

LE PETIT POISSON ET LE PÊCHEUR (V, 3).

D’un pescheur et d'une Suite, poisson marin.

« Ung jour entre les autres advint que ung pescheur alla en la mer en son basteau pour pescher, et apres qu’il eust getté ses instrumens et les raiz et engins en la mer, il pescha une petite suite ou alose marine, laquelle dist au dict pescheur : « Mon amy, je te prie et requiers, laisse moy aller ; considere que je suis petite et jeune encores et que tu ne peus pas avoir grant argent de moy, quant tu me auras vendue. Laisse-moy encore vivre jusques a ce que je soye plus grande et devenue beau saulmon, duquel tu pourras avoir grant argent et grand prouffit ». Et le pescheur luy respondit : « Ma mye, ton parler ne te peult saulver en quelque façon que ce soit, car penses-tu que je soye si fol ne si sot que je laisse aller le gain et prouffit, tant soit-il petit, lequel je tiens entre mes mains et en ma possession, soubs couleur et espérance du gaing ou prouffit advenir, tant soit-il grant et duquel ne suis pas seur ! Certes je te responds que nenny et de ce n’en fay aucune doubte et ne t’y attends point ».

(Guill. Tardif, Apol. de Laurent Valla, 195, Marchessou.)

V. 24. — « Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l’auras. »


Les éditeurs ont cité plusieurs exemples de l’emploi de ce proverbe ; celui-ci leur a échappé :

J’aymeroie, pour le cueur mien,
Mieulx que deux tu l’auras, ung tien.

(Ch. d’Orléans, Poés., II,246, Ch. d’Héricault.)

LE RENARD AYANT LA QUEUE COUPÉE (V. 5).

Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?
Que nous sert cette queue ? Il faut qu’on se la coupe.


Pour consoler Tybert, le chat, auquel il vient de jouer un mauvais tour, en lui tronçonnant, la queue, Renard lui dit par manière de consolation :

Foi que je doi Hersent m’amie,
Et Hermeline et ses enfanz,
La moie qui est einsi granz,
Vodroie fust par mi coupée.

(Renart, I, 2854, Méon.)

Ce poise moi, par Seint Amant
Que la moe coq est si grant
Ge voudroie qu’el fust coupée.

(Renart, édit. Martin, II, 112.)

LE SATYRE ET LE PASSANT (V, 7).

D’ung homme et de Satyrus, dieu champestre.

Ung homme par sa diligence fist tant qu’il acquist l’amour d’un dieu champestre nommé Satyrus, et ung jour estoientles dis amis, Satyrus et l’Omme ensemble a table, ou ilz faisoient bonne chiere et ou ilz furent longuement tant que le dessus dict homme, amy du dict Satyrus, pour raison de la froidure qu'il faisoit, eust froit aux mains et a ceste cause approucha ses dites mains a sa bouche pour icelles eschauffer de son alayne. Ce voyant par le dict Satyrus luy demanda pourquoi il souffloit ainsi en ses mains. Et l’autre luy respondit : « Je eschauffe et refocille mes mains engelees de la chaleur de ma bouche ». Peu de temps après, on leur apporta un mès de viande laquelle estoit tres chaude. Ce voyant par le dict Satyrus, Dieu champestre, que son amy, avant qu’il meist le morseau en sa bouche, le souffloit affin que par inspiration de son alaine il refrigerast la chaleur de la viande, demanda a son amy pourquoy il souffloit et inspiroit ainsi sur la dicte viande. Et il luy respondit que ce faisoit il affin qu’il refroidist sa viande avec la bouche. Et lors le dict Satyrus lui dist : « Veue ta confession, je proteste que jamès je n’auray amitié avecques toy, attendu que d’une mesme bouche tu produitz, engendres et rejettes froit et chault, qui sont choses contraires ».

SENS MORAL

Le dessus dict Apologue et fable veult innuer et donner a entendre que on doit éviter l’amitié de ceulx qui sont doubles et ambigus en parole, et desquelz la parole n’est pas pure et simple, ains dient maintenant de ung et tantost du contraire, car vraie amitié doit estre pure et simple, sans quelque contrarieté ne ambiguité.

(Guill. Tardif, Apol. de Laurent Valla, 200, Marchessou.)

Amian (lire Avian) fabulateur, recite l’apologue d’un satyre : lequel contrainct par l'extreme rigueur d’un fort et aspre hyver, se retira en la maison d’un bon homme de village pour se chauffer : et contemplant son hoste qui souffloit dedans ses mains, luy demanda pourquoy il faisoit cela : t lors il luy respondit quec’estoit pour rechauffer ses mains. Puis quand le disner fut prest, il vid son hoste qui souftloit dedans son potage : et lors il luy demanda de rechef, pourquoy il faisoit cela. A quoy luy fut incontinent respondu par son dict hoste, que la cause estoit pour refroidir son potage, qui estoit trop chaut. De quoy le satyre indigné luy respondit : Comment ? d’une mesme bouche tu souffles donc et le chault et le froid ! Va, et saches que ma deliberation ne fut oncques de hanter telle manière de gens qui ont maintenant l’un en la bouche et maintenant l’autre, et en ceste manière il prend congé de son hoste, n’approuvant point ceux qui ont double langue, qui maintenant louent une chose, maintenant la blasment.

(Marcouville, De la bonne et mauvaise langue, 17ro, édit. 1573.)

Le satyre une fois et l’homme
Furent amis. Luy voyant comme
L’homme souffloit dedans ses doigts,
Luy demanda qu’il vouloit faire.
Eschaufer mes doigts. Au contraire
Sa soupe il souffle une autre fois.
Encore s’esmoya le satyre
Pourquoy c’estoit. L’homme va dire :
C’est pour ma soupe refroidir.
O faux homme qui d’un trou mesme
Souffles chaud et froid, je ne t’aime.
Onques puis ne vit le satyr.

(Baïf, Mimes, II, 216, édit. Blanchemain.)

Par allusion à cette fable Charron (de la Sagesse,1, 5) a dit : « L’homme est l’animal de tous le plus difficile a sonder et connoistre : car c’est le plus double et contrefait, le plus couvert et artificiel, et y a chez lui tant de cabinets et d’arrière-boutiques, dont il sort tantost homme, tantost satyre, tant de soupiraux, dont il souffle tantost le chaud, tantost le froid, et d’où il sort tant de fumée ».

LE CHEVAL ET LE LOUP (V, 8).

Même sujet largement raconté par Guil. Tardif ; au lieu du cheval, c’est l'âne qui est mis en scène.

« Ung asne passoit un jour au champ, et par sa jeunesse et joyeuseté voulut saulter par sur une haye d’espines pour entrer dedans ung jardin et avoir plus grosse pasture. Mais, en saultant, il se mist un estoc pointu dedans le pié, qui le poignit si asprement qu’il ne povoit plus aller et fust contraint de clochier. Et, ainsi qu’il desconfortoit a par luy il avisa ung loup qui venoit vers luy, auquel il dit : « A, loup, mon amy, je meurs de douleur et angoisse que je souffre. Je scay bien que suis viande presque appareillee pour toy, pour les vaultours ou pour les corbins. Touttefois, avant que je meure, je te prie, ne me escondis pas une requeste, laquelle je te vueil présentement faire. Tire moy la pointe d’un estoc pointu qui m’est entré dedans le pié, afin que je puisse mourir plus aise sans endurer la paine et le tourment de la pointure de l’estoc. » Le loup, qui contre sa nature voulut exercer euvre de pitié et de charité et soy mesler de médecine, dit a l’asne qu’il levast le pié de derrière en hault, ce que fist le dist asne. Lors le loup se agenouilla et le plus doulcement qu’il peut, empoigna avec les dents le dict estoc et le tyra hors du pié au dit asne. L’asne, qui la douleur de la pointure plus ne sentoit, se avisa qu’il recompenseroit son médecin et le paieroit de son salaire, car il lova les deux pieds de derrière, et donna si grant coup de ses pieds contre le front du loup, qu’il luy froissa le nais et les dents. Et, ce faict, s’enfouit legierement et le cyrurgien qui des ouayes ferrer se vouloit entremettre et devenir hermite sans dévotion, se accusoit très piteusement, en disant que a bonne et juste cause ainsi lui estoit prins, attendu qu’il proclamoit et faisoit assavoir a tout le monde, ouparavant de la dicte adventure et mauvaise fortune ainsi a luy advenue, qu’il estoit escorcheur, bourreau et meurtrier de jumens et austres bestes, et que si, à coup, sans avoir advis ne considération de l’oftice dessus dict, lequel il avoit ja fait assavoir a tous, il se vouloit mesler de cyrurgie, en laquelle il ne entendoit aucune chose, ains estoit la science contraire a sa nature ».

(Guill. Tardif, Apol. de Laurent Valla, 171, Marchessou.)

Cette fable est si mal conçue que contre l’intention de l’auteur, elle nous fait prendre en pitié le loup dont la seule faute est d’avoir voulu rendre service une fois en sa vie.

V. 8 — Bonne chasse, dit-il, qui l’auroit a son croc.

Les éditeurs disent en note : « Encore une de ces ellipses si familières à notre poète : bonne chasse pour qui l’aurait ». Il n’y a point là d’ellipse pas plus que dans cet autre passage des contes, p. 427, V. 10 :

Ce n’est rien qui ne l’a vue
Toute nue.

Qui = si on, si l’on, très fréquent dans le vieux et le moyen français.

« Si s’effroient et estormisent et lieve la huee si grans que l’en les oist tout clerement qui les escoultest de IIII. liues grans et plennieres ». (S. Graal, III, 575, Hucher.)

Qui me payast, je m’en alasse. (Patelin.)

Tout vient a point qui peut attendre. (Cyre Foucault, Trad. d’Aristenet, 74, Liseux.)

Le bonheur tôt se passe qui n’en a soin. (Cotgrave.)

C’est ainsi qu’on pouvait dire en latin :

Qui secus faxit, deus ipse vindexerit. (Cicéron, de Leg., I, 8.)

Stultum imperare reliqais, qui nescit sibi. (P. Syrus.)