Les Facéties érotiques de Bebelius/36
36. — PRIX DE FAVEUR[1]
Un bourgeois de Tübingen faisait une visite nocturne à la femme d’un de ses concitoyens. Tout à coup, on heurte à la porte : c’est un curé, à qui la gaupe a donné rendez-vous, par erreur, pour cette même nuit.
La trogne du frocard effraye le bourgeois, qui se sauve tout en haut de la maison, et se cache dans le pigeonnier.
Deux heures après, voilà que le mari arrive à son tour. Le curé se blottit dans le poële.
Le mari n’est pas un jaloux bien farouche. Il feint de n’avoir rien vu, et dit à sa femme avec des sanglots dans la voix :
— « Hélas ! Ma mie ! j’ai perdu au jeu trois florins ! »
— « Pendard ! Et qui te les rendra maintenant ? »
— « Celui qui est au-dessus de nous ! »
Le cocu volontaire est au courant des relations de sa femme avec le bourgeois, et il sait que le galant doit être caché quelque part, dans le grenier. Mais il joint pieusement les mains en levant les yeux, comme s’il entendait parler du Père Éternel.
Le Tubinguois comprend. Il dégringole de son pigeonnier, quatre à quatre, exhibe sa bourse, et dit :
— « Je paye la moitié de la somme, à la condition que le curé, qui est là, dans le poële, paye le reste ! »
Alors, tandis que la femme rit à gorge déployée, les deux hommes tirent du poële, par les chevilles, le curé quasi-mort de peur, et le raniment à grand renfort de coups de pieds au cul.
Le bourgeois se venge de la crainte que lui inspira tout à l’heure ce frocard enluminé, à taille de reitre. Quant à celui-ci, conquérant naguère, il tremble maintenant de tout son corps, et baisse la tête, car son évêque ne plaisante pas en matière de mœurs, et il redoute une dénonciation motivée.
Le mari complaisant dit au bourgeois :
— « Tôpe ! Donne-moi un florin et demi ! »
Le bourgeois s’exécute.
Le mari se tourne vers le curé, qui marmotte des patenôtres, à genoux dans un coin :
— « Pour les ecclésiastiques, c’est plus cher ! »
Là-dessus, le bourgeois tire ses grègues, mais le mari et la femme ne laissent point partir le curé sans l’avoir plumé complètement.
- ↑ Livre III, 2. De quodam in adulterio depræhenso vera Historia.