Les Femmes (Carmontelle)/Chapitre 16
CHAPITRE XVI.
L’Indéfinissable
« Et qui trouvez-vous qui lui soit préférable ?
— Madame de Persival.
— Diable ! c’est une grande entreprise !
— Vous la connaissez ?
— C’est-à-dire que j’en ai entendu beaucoup parler.
— Que vous en a-t-on dit ?
— Qu’elle est fort vive, premièrement.
— Cela est vrai ;
— Qu’elle a tous les goûts du moment ; il suffit qu’une chose soit nouvelle, pour qu’elle lui plaise infiniment ; et à tel point qu’elle lui fait oublier toutes les autres.
— Voilà ce que je crains un peu.
— Et vous n’avez pas tort : vous aurez pour rivaux, des rubans, des fleurs, des étoffes, des chapeaux, des plumes, enfin tout ce qui paraîtra de nouveau chaque jour ; encore serez-vous querellé si ce sont les marchands qui lui apprennent avant vous que ces choses viennent de paraître.
— J’en serai quitte pour visiter, chaque matin, toutes les boutiques du Palais-Royal.
— Elle y va bien elle-même tous les jours.
— En ce cas j’aurai beaucoup d’occupation.
— Et les livres nouveaux ?
— Est-ce qu’il faudra que je les lise tous ?
— Sûrement, pour lui en rendre compte, afin qu’elle puisse juger quels seront ceux qu’elle pourra lire.
— Avec toutes ces distractions, je la crois pourtant sensible.
— Je vous l’ai dit, pour tout ce qui lui paraît nouveau.
— Il ne doit pas lui paraître nouveau qu’on l’aime puisqu’elle est aimable.
— Sa nouveauté se trouve dans l’homme qui ne le lui a pas encore dit.
— Je pourrai donc espérer d’en être écouté ?
— Vous pouvez le tenter au moins.
— Eh bien ! je vais le risquer.
— Je souhaite fort que tout ce qu’on m’a dit ne soit pas vrai.
— Adieu, mon cher Dinval ; dans peu vous aurez de mes nouvelles. »
Huit jours étaient à peine écoulés que Saint-Alvire tint parole et revint trouver Dinval. « Eh bien ! lui dit celui-ci, m’avait-on trompé ?
— Je l’avais cru au premier moment ; mes soins ont été reçus d’une manière éclatante et flatteuse au point que madame de Persival ne pouvait plus se passer de me voir ; elle m’écoutait avec une satisfaction qui m’enchantait ! Elle paraissait chercher à lire dans le fond de mon ame, et y voulait trouver à s’assurer du charme que je paraissais éprouver à la voir, à l’entendre, à l’admirer ; enfin j’étais déjà heureux par l’espoir que je formais ; je me croyais tout près du bonheur que j’attendais, et, s’il était différé, le retard me paraissait produit par la décence et la crainte d’une légèreté trop commune dans ce temps-ci de la part des hommes, et je m’efforçais de l’assurer d’une constance éternelle. Après m’avoir écouté avec une attention qui semblait amener des réflexions qui combattaient en ma faveur, elle me fit promettre, étant obligée de sortir, de me rendre chez elle le lendemain sur les quatre heures du soir.
— C’était s’engager beaucoup.
— Je n’osai insister et l’arrêter, de crainte de lui déplaire, et je partis enchanté du sort que l’on me préparait. Les heures jusqu’à ce moment me parurent d’une longueur mortelle ! Je passai toute la nuit dans la plus vive agitation, et j’écrivis dans la matinée vingt billets que je n’osai lui envoyer, craignant que mon impatience de la revoir ne lui parût pas assez délicate en lui faisant entrevoir le bonheur que j’attendais, ou en paraissant en douter, sachant qu’il est plus adroit de saisir l’occasion que de la prévoir. À quatre heures précises j’arrivai chez elle. Vous voilà, donc me dit-elle ; je me précipitai sur sa main, et sans presque s’en apercevoir elle ordonna de ne laisser entrer personne. Jugez quelle fut ma joie ! mais à l’instant elle me dit de sonner ; on vint. Faites entrer, dit-elle, l’homme qui doit peindre les arabesques de mon boudoir ; vous avez du goût, marquis, et je veux que vous m’aidiez à en choisir les dessins ; voilà pourquoi je vous ai prié de venir dans ce moment-ci. Jugez de ce que je devins à ces mots ; heureusement le peintre entra, déroula des papiers et me donna le temps de me remettre.
— Mais après que les dessins furent choisis ?
— Elle se mit à sa toilette.
— Quoi ! une grande toilette ?
— Oui, pour faire des visites où elle me mena, ainsi qu’à l’Opéra ; il est vrai qu’en chemin elle me dit : Je suis un peu excédée du monde depuis quelques jours, et si vous n’avez pas d’engagemens, j’ai envie que nous soupions seuls ; le voulez-vous, marquis ? Ah ! si je le veux, lui répondis-je… La voiture s’arrêta ; nous étions à la porte de l’Opéra, je montai avec elle dans sa loge. Nous y trouvâmes deux femmes qui étaient de cette loge. Pendant tout l’opéra il y vint continuellement des hommes à qui madame de Persival parla, et je ne pus lui rien dire. J’espérais qu’elle rentrerait chez elle tout de suite ; mais elle me mena chez trois marchandes de modes. Chez la dernière, nous trouvâmes deux femmes de sa connaissance, avec un jeune homme de la plus jolie figure du monde. Il était le fils de l’une de ces deux femmes. Madame de Persival se récria beaucoup en l’examinant de la tête aux pieds, et elle finit par engager la mère et l’autre dame à venir souper le même soir avec elle pour faire connaissance…
— Avec le fils ?
— C’est ce qu’elle lui dit. Jugez de l’humeur que me donna le dérangement de cette soirée dont je me promettais tant…
— Surtout en voyant le jeune homme à qui elle fit sûrement mille agaceries,
— Vous vous en doutez bien ; mais il y répondit peu ; il parut même fort contrarié de ce souper, qui avait dérangé peut-être quelque partie plus agréable pour lui.
— Oui, il dut trouver déplaisant de souper ainsi avec sa mère, cela lui donnait l’air bien petit garçon.
— C’est ce que je pensai, et ce qui me rassura un peu ; j’osai même espérer que la compagnie partie, je resterais seul avec madame de Persival.
— Je l’espère aussi.
— Eh bien ! tout près du moment que j’attendais avec la plus vive impatience, elle me chargea de ramener l’autre dame qui demeurait trop loin de celle qui avait son fils.
— Ah ! ah !
— Je demeurai immobile à cette proposition ; heureusement que cette dame, occupée de remercier madame de Persival, ne s’en aperçut pas, que j’eus le temps de m’incliner profondément pour cacher mon trouble et mon dépit, puis je lui donnai la main pour la conduire à ma voiture, où je m’assis à côté d’elle, sans proférer un seul mot ; mais le silence ne fut pas long ; elle prit la parole et me demanda si j’étais parent de madame de Persival : je lui répondis que non, que même je la connaissais depuis fort peu de temps. Vous en serez content, reprit-elle, à cela près de quelques petits caprices, et des goûts nouveaux auxquels elle se livre facilement.
— Comme je vous l’avais dit.
— A-t-elle quelque attachement un peu vif ? repris-je. — Si vous voulez ; mais ce qu’on appelle une passion véritable, je l’en crois fort éloignée, son caractère s’y oppose absolument ; il n’y a pourtant guère que cela de satisfaisant quand on a l’ame sensible ; et elle soupira. — Est-ce que vous croyez aux grandes passions, vous, Madame ? repris-je. — C’est-à-dire à celles des femmes ; car pour les hommes on n’y peut guère compter. — Je ne sais pas pourquoi. — Il est vrai qu’il y a un moyen de retenir les hommes. Et que moyen, Madame ? — L’inégalité. — L’inégalité ? — Sûrement. — Je ne comprends pas cela. — C’est un art difficile pour une ame franche, je n’en disconviens pas ; mais quand on sait bien aimer, nul effort ne doit coûter pour s’assurer du cœur de l’homme qu’on aime. — Mais cette inégalité, quels charmes peut-elle présenter ? — Ceux de l’inconstance ; une femme est variée à l’infini par-là. — Je conçois cela. — Moi, je n’aurais jamais un talent si difficile ; d’ailleurs on ne me persuaderait pas aisément de son amour ; je ne connais pas l’art d’enchaîner, je suis naturellement froide ; j’ai bien des fois désiré de ressembler à madame de Persival ; c’est un sort bien brillant de voir tous les hommes à ses pieds ! — Oui ; mais s’ils ne sont ni satisfaits ni récompensés de leurs hommages — Je ne sais pas ce qui leur arrive ; je ne me mêle des affaires de personne, et je n’ai jamais aimé les rôles de confidente.
Nous arrivâmes chez elle, et elle me dit : S’il n’était pas si tard, je vous recevrais avec plaisir, mais vous devez avoir des affaires qui méritent la préférence de toutes les façons. Je m’inclinai en lui demandant la permission de lui faire ma cour une autre fois, ce qu’elle m’accorda, je la laissai et me retirai chez moi.
Je ne savais plus que penser de madame de Persival : plus j’examinais sa conduite avec moi, et moins je savais à quoi m’en tenir ; ce que vous m’en aviez dit, ce que venait de m’en apprendre cette femme que je venais de reconduire, ne me désespérait pas tout-à-fait ; je me résignai à patienter et j’essayai de lui marquer moins d’empressement. Le lendemain matin je reçus un billet de madame de Persival, qui m’invitait à me rendre à midi chez elle. Je pensai que s’étant aperçue de tout ce que j’avais souffert, elle voulait réparer le mal qu’elle m’avait fait la veille, qu’elle n’avait peut-être que voulu m’éprouver : un mouvement de joie s’empara de mon ame, mais la réflexion vint la troubler ; dans son billet elle disait seulement qu’elle avait le plus grand besoin de moi. Je fis un effort sur moi-même, et du ton le plus détaché je lui mandai que j’étais obligé d’aller à Versailles, et que je ne pouvais pas remettre ce voyage. Ce billet ne fut pas parti que je fus au désespoir de l’avoir envoyé, et je me déterminai à me rendre chez elle à l’heure indiquée, mais ce ne fut pas sans me reprocher ma conduite, sans craindre qu’elle ne voulût pas me recevoir ; enfin je voyais tous mes soins et toutes mes espérances perdues, je pensai en devenir fou ; ce qui me tranquillisa ce fut un autre billet d’elle rempli de reproches les plus tendres, des regrets d’avoir trop compté sur moi, et de s’être flattée d’un attachement qui lui avait paru trop vrai. Alors je me trouvai l’homme du monde le plus heureux. Je lui mandai que tout mon désir était de tomber à ses pieds ; qu’il n’y avait rien au monde que je ne lui sacrifiasse pour lui prouver mon amour, et que je me rendrais à ses ordres. En effet, mon impatience fut si grande que j’arrivai chez, elle une demi-heure plus tôt qu’elle ne m’avait mandé. Je monte précipitamment l’escalier ; je veux entrer ; on me dit que cela est impossible ; je veux qu’on lui dise que je me rends à ses ordres, on me fait entendre qu’elle est renfermée. Seule ? dis-je. — Non, Monsieur, elle est avec M. le comte de Serdal. — Est-il son frère ? Non, Monsieur, répond en souriant niaisement le laquais ; et je reste plus d’un quart-d’heure à ne savoir à quoi me déterminer.
Le comte sort enfin, et il me dit : Que diable faites-vous ici si matin, vous, marquis ? Madame de Persival qui l’entend, paraît, et lui dit : Il s’est brouillé hier au soir avec madame de Quirol en soupant ici (c’est la dame que j’avais reconduite), et il veut que je le raccommode avec elle. — Il a bien de la bonté. — Enfin, il l’aime ; que voulez-vous ? — Cela ne sera pas difficile ; avec son air sec, elle s’humanise quelquefois. — Vous le croyez ? — Ah ! parbleu, je fais plus, j’en suis sûr ; j’ai été brouillé aussi avec elle ; mais je me suis bien gardé de penser seulement à vouloir me raccommoder. Adieu, marquis ; brouillez-vous tant que vous voudrez ; mais ne vous raccommodez jamais. — Voilà de jolis principes que vous lui donnez-là. — Je ne veux pas qu’il soit trompé ni qu’il trompe personne ; on ne se brouille pas sans sujet, et dans les raccommodemens l’amour-propre de part et d’autre empêche toujours qu’ils ne soient sincères. Adieu, Madame. — Écoutez donc que je vous dise ; et puis elle a fini par lui parler à l’oreille long-temps et à plusieurs reprises ; à quoi il répondait toujours froidement, oui, oui. Pendant tout cela je ne savais que penser ; j’étais presque fâché d’être venu, et j’y rêvais, lorsqu’elle vint à moi, et me dit : Vous allez donc tomber à mes pieds. — Moi, Madame ! — Ne me l’avez-vous pas écrit ? — Ah ! sûrement ! mais… — Quoi ? entrons donc dans mon boudoir. Elle me prit par la main en la serrant un peu, et dès cet instant toutes mes craintes s’évanouirent, et l’espoir du bonheur les effaça promptement. Qu’est-ce que c’est, me dit-elle, que ce voyage de Versailles si pressé ? Quoi ! vous avez des affaires si intéressantes, et je les ignore ! Comment voulez-vous que je croie à toutes vos protestations ; a-t-on des secrets pour ce qu’on aime ? Je crois que s’il est aisé de le dire, il n’est pas si facile de le prouver. — Mais, Madame… — Non, Monsieur, je n’écoute rien ; je comptais sur vous jusque dans les plus petites choses ; je ne craignais pas de vous détourner ; je croyais que tous les momens que vous passeriez avec moi auraient pour vous un charme tel que vous me l’aviez dit cent fois… — Ah ! vous me feriez l’injure d’en douter ! — Non, Monsieur, je ne veux pas vous faire perdre un temps si précieux. — Madame, disposez de ma vie ; elle est entièrement à vous. Elle sonne. Mes chevaux, dit-elle à un laquais. Ils sont prêts, Madame. Voulez-vous venir avec moi, Monsieur, oui ou non ? — Où, Madame ? — Vous le verrez. Je n’hésitai plus ; je lui donnai la main, nous arrivâmes à la porte d’une allée, et nous montâmes quatre étages. Je ne pouvais deviner où elle me menait, ni quel était son dessein. On nous ouvrit, nous entrâmes, une demoiselle assez jolie nous conduisait, une autre nous reçut. Eh bien ! mademoiselle, mon portrait en bague est-il fini ? — Madame il n’y a presque plus rien à faire, et si vous voulez bien… — J’entends ; tenez, serai-je bien ici ? Elle s’assied, ce fut l’affaire de deux minutes ; puis nous nous en allâmes. Après avoir visité tous les marchands du Palais-Royal, elle me congédia, me disant que sa mère venait dîner avec elle, et que la manière dont nous étions ensemble pourrait lui faire penser des choses que nous devions lui cacher. — Nous ! je ne suis pas assez heureux pour cela ! — Allons, taisez-vous et allez-vous-en.
— Je la trouvai plus indéfinissable que jamais, j’examinai, je me rappelai tout ce qu’elle m’avait dit, j’aurais voulu espérer, mais en vain ; je ne me sentis que tourmenté de divers mouvemens qui se contrariaient sans cesse.
Le soir, j’allai à l’Opéra ; j’y trouvai le comte de Serdal ; il avait au doigt la bague où était le portrait que j’avais vu achever le matin. Il s’aperçut que je la regardais attentivement ; il me dit : Connaissez-vous cela ? — Mais je crois que oui ; c’est madame de Sérival. — Il est vrai, elle me l’a donné aujourd’hui en dînant tête-à-tête avec elle, prétendant me faire le plus grand plaisir, et je vous avoue que je ne m’en souciais pas du tout. — En dînant ? — Oui, c’était pour cela qu’elle m’avait tant tourmenté ce matin, en me parlant à l’oreille devant vous. — Ah ! c’était pour cela ? — Oui vraiment. — Elle est bien montée cette bague. — Oui, pas mal, la voulez-vous ? je n’y suis pas attaché du tout, je vous la donnerai, et je dirai que je l’ai perdue. — Vous me ferez plaisir. — Vous direz que vous l’avez trouvée à l’Opéra. — Si je la porte ; mais, me le conseillez-vous ? — Pourquoi pas ? je ferai le jaloux et cela nous divertira ; car elle sera dans le plus grand embarras vis-à-vis de vous et de moi. — Elle me la reprendra. — Il ne serait pas galant à vous de la rendre ; vous tiendrez bon, et elle sera fâchée de ne vous l’avoir pas donnée d’abord. — Et réellement cela ne vous ferait rien ? — Non, vous dis-je, elle m’a trompé. — Comment ? — Quand je me suis attaché à elle, je la croyais changeante, et point du tout, elle a la rage d’être constante, cela ne va pas avec les arrangemens que j’ai d’ailleurs ; enfin je vous la cède avec la bague. — Non, je ne veux jamais avoir de torts avec les femmes ; je ne puis entrer dans cette tracasserie ; j’aime mieux vous rendre la bague. — Comme il vous plaira ; je trouverai toujours bien à m’en défaire. Bonsoir, marquis.
— Eh bien ! où en êtes-vous à présent avec elle ?
— J’ai été deux jours sans la voir et sans en entendre parler ; j’en ai été surpris ; ma passion était un peu troublée ; il me semblait que ce n’était plus la femme avec laquelle j’avais voulu m’engager ; les mépris d’un rival qui a été heureux affligent l’amour-propre et refroidissent les désirs ; cependant je croyais malhonnête de cesser absolument de la voir à cause de ce qu’on en pourrait dire dans le monde.
— Et vous aviez raison.
— J’y allai donc ; elle me reçut comme à l’ordinaire. J’allais vous écrire, me dit-elle, pour m’expliquer une chose qui m’a paru fort extraordinaire. Le comte de Serdal a une bague que vous avez trouvée qui me ressemblait. — Je l’ai trouvé parce que c’est le même portrait que vous avez fait finir devant moi. — Point du tout ; car le voilà, et je vous le destinais. — À moi, Madame ? — Oui, Monsieur ; mais je ne vous ai pas vu depuis qu’il est fini. — Cela est singulier ! — Singulier, tant qu’il vous plaira. La bague que vous avez vue au comte est un hasard qu’il a trouvé chez un marchand ; il s’est persuadé que le portrait me ressemblait ; il l’a acheté, et je n’avais pas le droit de l’empêcher de la porter. — Ah ! ce n’est pas celle-là ? — Je vous dis que non. — Je croyais que vous la lui aviez donnée. — Et vous vous êtes cru en droit d’être jaloux ; voilà pourquoi depuis cela vous ne m’avez pas revue. — Moi, jaloux ! — Pourquoi pas, Monsieur ? Je vous le pardonne, parce que je sais que vous m’aimez. — Vous ne m’avez rien promis, Madame ; ainsi je n’ai rien à vous reprocher ; et mon respect pour vous sera toujours le même. Je l’espère, me dit-elle en se levant, et je sortis. — Vous vous en allez ? — Oui, Madame. Elle parut surprise et piquée, et je partis fort content de moi.
Le même soir je trouvai le comte dans une maison. Vous n’avez pas votre bague ? lui dis-je. — Non, je l’ai rendue à madame de Sérival, et nous nous sommes séparés tout-à-fait. L’histoire qu’elle m’avait faite sur cette bague étant un mensonge concerté et maladroit, mon amour-propre en fut indigné au point que je me sentis débarrassé de ma passion pour elle. Je ne dis pas guéri, mais soulagé comme si elle ne pouvait plus être qu’un poids pour moi, connaissant aussi bien celle qui me l’avait inspirée.
— Il est vrai que cette passion-là ne vous a pas procuré de grands plaisirs ; mais elle vous a occupé d’une manière nouvelle, et il faut tout connaître. Il vous reste encore bien des expériences à faire avec les femmes.
— Je le crois facilement. »