Les Femmes célèbres contemporaines françaises/Savignac
Mlle DE SAVIGNAC
(Alida-Esther-Charlotte) NÉE À PARIS LE 5 JUILLET 1796.
Fille de Pierre-François DuBILLON DE SAVIGNAC et de Sophie de LINIERS. Élevée par sa mère, qui n’eut d’autre but que d’en faire une honnête femme, propre au ménage et au monde, Mlle de Savignac vécut auprès d’elle de cette vie simple et tranquille ; mais toujours occupée, mêlant aux soins de la famille les travaux à l’aiguille et ceux de l’esprit, se complaisant dans ses diverses affections, faisant succéder une instruction solide aux délassements et aux plaisirs de la société, cultivant à la fois les arts d’agrément et les arts utiles, et voyant s’écouler rapidement
dans de douces jouissances, ces jours si précieux
de la jeunesse, qui pèsent tant aux âmes indifférentes et aux esprits désœuvrés.
Mais bientôt de cruels chagrins vinrent l’assaillir. À peine avait-elle atteint sa quatorzième année lorsqu’elle perdit son père, officier distingué dans la marine royale. Des revers de fortune, qui suivirent presque immédiatement
ce désastre, éloignèrent Mm et M. de Savignac
de la société, sans cependant leur faire perdre la place qu’elles y occupaient, ni les séparer de leurs amis ; presque tous les suivirent dans leur retraite plus que modeste ; presque tous s’empressérent a l’envi de leur offrir des consolations, de leur faire oublier par leurs prévenances et leurs égards tout ce que leur nouvelle position avait de pénible, et tout ce qu’elle leur imposait de privations.
Dans cet état de renoncement aux plaisirs du grand monde, Mlle de Savignac se créa des distractions, sinon plus agréables, au moins plus utiles, plus profitables, plus en rapport avec l’activité de son esprit et la solidité de son jugement. Les ouvrages des philosophes moralistes, des historiens et des auteurs les plus distingués parmi les anciens et les modernes, devinrent dés lors sa société Ja plus intime. Elle aimait a les relire, a les commenter ; quelquefois même elle s’exercait 4 les comparer entre eux, à les défendre ou à les combattre, selon qu’ils lui paraissaient être dans le vrai ou dans Je faux, dans le naturel ou l’exagéré. Habituée qu’elle était a reconnaitre dans sa mère la supréme régulatrice de ses actions comme de ses sentiments, de ses idées d’éloignement ou de ses répugnances comme de ses préférences ou de ses entrainements, elle lut soumettait modestement ses doutes et ses impressions diverses : bien différente en cela de la plupart des jeunes personnes de nos jours, qui pensent tout savoir sans avoir presque rien appris, qui se croiraient humiliées d’interroger l'expérience et de se diriger d’après la sage autorité de leurs parents. Mme de Savignac, en mère tendre, affectueuse, se prétait volontiers à ces petites discussions littéraires : douée elle-même d’un bon fonds d’instruction, et jouissant avec satisfaction des progrès de sa fille, elle se complaisait & entretenir son gout pour l'étude et à donner à ses moindres travaux une direction raisonnée vers un but constamment utile.
Le premier ouvrage de Mlle de Savignac fut écrit pendant l’hiver de 1823. Sa mère était alors très souffrante. Elle lui prodigua tous ses soins, et ce fut en veillant près de son lit qu’elle composa un roman dont elle lui lisait les chapitres & mesure qu’ils étaient terminés, dans intention d’occuper un peu son imagination, de la distraire quelques instants de ses maux, et d’ajouter ainsi un adoucissement moral aux calmants physiques que l’art avait prescrits. Ce roman est : La Comtesse de Melcy, ou le Mariage de convenance. Mme Armande Roland, femme de lettres distinguée autant par son caractère sûr et aimable que par son esprit, et qui avait donné des encouragements à l’auteur novice, lui facilita encore ! a publication de cet ouvrage, en plaçant son nom justement célèbre à côté du nom inconnu d’Alida de Savignac ; mais dès que le succès du roman fut assuré, elle abdiqua publiquement sa part de gloire, pour la reporter en entier sur sa jeune amie. Nous n’avons pas besoin de faire ressortir tout ce qu’il y a de bonté et de courage dans cette action de Mme Roland ; nous remarquerons seulement, à cette occasion, qu’en 1807, M. de Laverne avait donné une preuve d’amitié toute semblable, lorsque, pour procurer à la fille de Mme de Cérenville un prix plus avantageux d’une œuvre posthume de sa mére : la Vie du Comte de Potemkin, il consentit à lui prêter autorisation de son nom, et se fit plus tard un devoir d’avouer qu’il n’avait a cette publication de titre réel que celui d’éditeur.
Ce fut sur le frontispice de la Comtesse de Melcy que Mlle de Savignac usurpa, pour la première fois, le titre de dame, qu’elle a conservé depuis : suivant en cela l’avis de sa mère, qui, d’après l’état de nos mœurs, croyait que ce titre valait beaucoup mieux que celui de demoiselle, à la publicité de ses productions littéraires.
Cette première composition fut suivie de beaucoup d’autres, destinées la plupart à l’enfance, et que M. Gide publia de 1825 4 1829, dans ces jolie petits volumes a tranches et filets d’or qu’enferment d’élégants cartonnages, et qu’il livre au public pour être donnés en étrennes, à l’époque du nouvel an. Ainsi parurent successivement les Petits proverbes dramatiques, l’Histoire d’une pièce de cing francs, le Manuscrit trouvé dans un vieux chêne, les Vacances, le Théâtre de mes enfants, quatre vol. de Contes et historiettes, quatre vol. des Soirées de famille, un Abrégé de l’histoire de France, adopté par l’institution Cassart, et une foule d’autres cartonnages qu’il serait trop long d’énumérer ici. Vers la même époque parurent, chez Louis Colas, les Encouragements à la jeunesse, 2 vol. in-12 du même auteur, qui furent adoptés par la commission de l’instruction publique instituée au ministère de l’intérieur, et qui, depuis 1828, figurent avec distinction parmi les bons livres distribués en prix dans la plupart des maisons d’éducation de l’un et de l’autre sexe.
Le mérite de ces petits ouvrages avait, dés leur apparition, classé leur auteur au rang des instructeurs les plus renommés du jeune Age, qui, comme les Berquin, les Jauffret, mesdames Leprince-de-Beaumont, Marie Edgeworth, la comtesse de Genlis et plusieurs autres, ont composé de petits romans, de petites historiettes ou de petits dialogues à la portée des enfants, de manière à leur tracer leurs devoirs, à leur inspirer le gout de la vertu et l’horreur du vice, dont ils faisaient alternativement passer sous leurs yeux des tableaux en action. Mais on reconnut bientôt dans les livres de Mme Alida de Savignac une supériorité marquée sur tous ceux de ses prédécesseurs. En effet, elle ne se borne point à faire comme eux de jolis contes d’où sort une Page:Nodier - Les Femmes celebres contemporaines.pdf/218 Page:Nodier - Les Femmes celebres contemporaines.pdf/219 Page:Nodier - Les Femmes celebres contemporaines.pdf/220 Page:Nodier - Les Femmes celebres contemporaines.pdf/221 Page:Nodier - Les Femmes celebres contemporaines.pdf/222
L’obéissance, voilà donc le principe de Mme Alida de Savignac. Et, comme elle n’admet pas de loi plus pure, plus belle, plus facile que celle de l’Évangile, qui dit : Aime Dieu de toute ton âme, de toute ta pensée, et aton prochain comme toi-même, elle en a fait le fondement de tous ses livres, depuis le conte de nourrice, destiné aux tout petits enfants, jusqu’aux nouvelles insérées dans le Journal des Demoiselles ; elle a constamment prêché l’amour de Dieu et l’obéissance à la loi qui commande l’oubli de soi-même ; et cet oubli, elle l’a présenté comme seul gage du bonheur sur la terre. Ainsi dans ses Soirées de famille, le mauvais riche périt misérablement pour avoir arraché à un pauvre laboureur le champ qu’il avait ensemencé, afin de se passer, à lui riche, une fantaisie. Ainsi dans les deux Jumelles, conte de fées, Châtaigne, quoique laide, désire en secret d’être aimée ; elle peut demander à sa marraine de la rendre belle, elle n’a que ce don à réclamer ; mais elle préfère implorer la fée pour de pauvres villageois que la famine désole, et par ce sacrifice elle gagne le cœur que sa laideur repoussait.
Nous pourrions multiplier à l’infini les citations et les exemples ; mais obligé de nous renfermer dans le cercle étroit d’une simple notice, nous dirons, en terminant celle-ci, que Me Alida de Savignac pratique elle-même toutes les vertus qu’elle enseigne ; que les ressources qu’elle s’est créées par ses utiles et honorables travaux, tournent en bonne partie au profit des malheureux qu’elle soulage journellement sans ostentation ; et que, fidèle à la loi de l’oubli de soi-même, elle jouit en paix de ce bonheur si pur et si doux à la participation duquel sont appelées les jeunes personnes dont elle s’est bénévolement constituée le Mentor.