Les Femmes de France poètes et prosateurs/Eugénie de Guérin (1805-1848)

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EUGÉNIE DE GUÉRIN
(1805-1848)


Le Journal de Mlle  Eugénie de Guérin, qui, en vingt années, n’a pas eu moins de quarante éditions[1], n’a cependant rien de commun avec la littérature de femmes auteurs où nous avons puisé en grande partie la matière de ce volume. Rien n’a été moins ambitionné, rien n’a été moins prévu, ni moins pressenti que la publicité posthume qui, avec un si grand succès, a été donnée à ces feuilles intimes et à toute une correspondance de famille et d’amitié partie de la même main.

L’existence qui s’est reflétée d’elle-même, et en tout désintéressement, dans ce journal, fut des plus simples comme des plus pures. Eugénie de Guérin était fille d’un gentilhomme de province, de race ancienne, mais fort déchue pour les biens de fortune ; elle était née dans cette vieille demeure (Le Cayla, près d’Albi), à demi château, à demi manoir rustique, où s’écoula toute sa vie. De bonne heure, à treize ans, elle perdit sa mère : âme sérieuse, tendre et vigilante, esprit de nature pensive et délicate, elle s’attacha, d’un amour tout maternel et du plus intelligent intérêt, à un frère plus jeune qu’elle de cinq ans, enfant rêveur, doué, sous sa frêle enveloppe, d’aptitudes précoces et rares. Dans le commerce intime de ces deux esprits, un lien de plus en plus étroit d’affection réunit, confondit les deux cœurs. Ce fut un nouveau deuil pour la sœur, quand vint le jour de la séparation, lorsque l’enfant, devenu homme, s’en alla d’abord en Bretagne, près de M. de Lamennais, s’interroger sur son avenir dans la solitude de la Chesnaie, puis à Paris, chercher sa voie dans ce qu’on appelle le monde des lettres, à travers les durs obstacles qui se dressent devant le talent inconnu. Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/680 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/681 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/682 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/683 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/684 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/685 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/686 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/687 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/688 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/689 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/690 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/691 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/692 mon cher Maurice dans ses lettres que j’ai mises par ordre, paquet funèbre où tant de choses sont renfermées. Ô la belle intelligence, et quelle profusion de trésors ! Plus je vis et plus je vois ce que nous avons perdu en Maurice. Par combien d’endroits n’était-il pas attachant ! Noble jeune homme, d’une nature si élevée, rare et exquise, d’un idéal si beau, qu’il ne hantait rien que par la poésie : n’eût-il pas charmé par tous les charmes du cœur ?

C’est bien vouloir s’enivrer de tristesse, de revenir sur ce passé, de feuilleter ces papiers, de rouvrir ces cahiers pleins de lui. Ô puissance des souvenirs ! Ces choses mortes me font, je crois, plus d’impression que de leur vivant, et le ressentir est plus fort que le sentir…



  1. Paris, chez Victor Lecoffre.