Les Femmes de France poètes et prosateurs/Introduction

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INTRODUCTION


D’abord, et pendant longtemps, Mme de Sévigné et l’auteur d’une idylle maternelle en petits vers à des moutons allégoriques, étaient les seuls noms de femmes que l’on vît figurer dans ces recueils de morceaux choisis, prose et poésie tout ensemble, que nos écoles d’ordres divers tiennent justement à mettre entre les mains de leurs élèves pour les attirer aux bonnes et nourrissantes lectures, pour cultiver leur goût naissant, et leur ouvrir en même temps certaines perspectives d’histoire littéraire. Plus tard, Mme de Maintenon reçut le même honneur pour quelques-unes de ses lettres et de ses instructions aux dames de Saint-Cyr. Enfin, à une heure plus récente, on a vu paraître dans la dernière partie de ceux de ces recueils qui s’étendent jusqu’aux œuvres du temps présent, quelques spécimens nouveaux de ce que peut dans l’art de penser et d’écrire le sexe faible : d’éloquentes pages de Mme de Staël, une ou deux pièces de vers d’un poète aimable, Mme Tastu, quelques magnifiques paysages de George Sand, quelques fragments du Journal intime d’Eugénie de Guérin… Là se sont bornées, ou peu s’en faut, même dans ceux de ces choix qui s’adressaient particulièrement aux femmes, les concessions faites à la littérature féminine.

Sans doute il était difficile qu’on en fît davantage en présence des trésors accumulés chez nous par la puissance du génie masculin, depuis trois siècles et plus, dans lesquels on avait à puiser. Que de choses instructives et charmantes, cependant, non pas toutes, nous l’avouons, assez parfaites pour servir, de tout point, de modèles, mais bien dignes d’être connues, faites pour être lues, méditées, étudiées avec plaisir et profit, sont ainsi restées en dehors de ces utiles collections ! Il faut le dire, le fugitif honneur qu’on y rend à tout un ordre particulier d’auteurs par ces quelques emprunts, par ces rares et brèves citations, est hors de toute proportion avec la part considérable que les femmes ont prise au développement du génie français dans les lettres depuis la Renaissance, et plus tôt encore, non seulement par l’action féconde de leurs influences sociales, mais par l’incontestable valeur de beaucoup des œuvres sérieuses ou légères qu’elles ont produites en divers genres.

Pourquoi donc cette façon de butiner que pratiquent les auteurs d’anthologie ne s’appliquerait-elle pas exclusivement à nos femmes de France dans le cadre restreint, sans être trop étroit, d’un volume qui se composerait d’emprunts à ce qu’elles ont écrit de meilleur, depuis la sage dame Christine de Pisan, et même depuis l’ingénieux auteur de fables qui a nom Marie de France, jusqu’à nos contemporaines les plus applaudies pour leur prose ou pour leurs vers ? Sans doute, un pareil travail, si attentivement et délicatement exécuté qu’il pût être, ne saurait obtenir dans les études une part égale ou seulement équivalente à celle que les recueils tirés par des mains habiles de la plus pure et de la plus solide substance de nos premiers écrivains, y ont acquise. À raison de leur tempérament d’esprit plus sensible et plus vif que fort, il est difficile aux femmes, même aux plus heureusement douées, d’arriver, dans le travail de la composition et du style, à ce parfait accord de raison et d’imagination, à cette intime et constante harmonie de la pensée et de l’expression, qui seuls font les écrits excellents. Il n’a été donné qu’à un petit nombre d’entre elles, et rarement dans des œuvres de longue haleine, d’atteindre à la beauté sans tache, à l’éclat sans nuages de la perfection classique. Mais si, dans l’exercice de la pensée, leur inspiration a, presque fatalement, ses intermittences, leur talent, ses défaillances, ou du moins ses inégalités, en revanche et par compensation, elles y portent certains avantages, que les juges les plus difficiles n’oseraient leur contester, dons essentiels, inestimables privilèges de leur nature : elles ont, en écrivant, une fraîcheur d’impressions, des délicatesses de sentiment, des intuitions spontanées d’esprit, une certaine qualité de naturel, une facilité et des grâces de tour et d’allure, qui marquent leurs ouvrages d’une particulière et inimitable empreinte. Tels qu’ils sont, on y peut, sans chercher longtemps, récolter assez de pages aimables, et même de bonnes et belles pages, pour former un copieux et fructueux répertoire de leçons littéraires en exemples. Il est permis de s’étonner que ce dessus de paniers n’ait pas encore été recueilli pour l’instruction et le délassement des femmes de notre âge. Elles y auraient trouvé, pour leurs études, des modèles, d’une autre sorte, il est vrai, que ceux qui tous les jours leur sont offerts, et doivent, avant tout, et de toute nécessité, l’être ; moins savants, moins châtiés, moins achevés, mais aussi, par là-même, et grâce aux affinités naturelles du sexe, d’un accès plus facile pour elles, plus à leur portée, et d’autant plus encourageants ; sans compter qu’elles y auraient commencé d’apprendre, ne fût-ce que par l’ordre chronologique des extraits, ce qu’elles devraient être les premières à connaître, et que généralement elles connaissent fort peu. On ne saurait croire combien il se rencontre de jeunes filles, de femmes, d’ailleurs instruites, et même ayant quelque usage de l’histoire littéraire, qui, sauf deux ou trois noms (Sévigné, Maintenon, Mme de Staël), seraient, à l’occasion, embarrassées de dire l’époque exacte et d’indiquer, seulement par les titres, les œuvres principales de celles qui, dans la France d’autrefois ou d’hier, se sont fait par l’esprit et le talent un renom sérieux d’écrivain[1]. Et pourquoi ce recueil d’un nouveau genre ne rendrait-il pas aussi au monde des lecteurs quelques services ? Il aurait du moins l’avantage de rappeler ceux-ci à un ordre de livres que nous autres hommes fréquentons peu, tout en convenant de leur prix, et où pourtant il ne nous serait pas inutile d’aller, du moins de temps à autre, nous reposer l’esprit et le détendre. Sainte-Beuve estimait que la lecture des ouvrages de femmes, reprise au moins à certaines heures, était Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/22 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/23 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/24 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/25 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/26 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/27 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/28 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/29 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/30 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/31 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/32 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/33 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/34 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/35 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/36 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/37 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/38 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/39 Page:Jacquinet - Les Femmes de France poetes et prosateurs.pdf/40 plus d’un demi-siècle. C’est un sujet de livre absolument intact, et digne, ce semble, de tenter un jeune et sérieux talent, qui, à toutes les ressources du savoir, aux meilleures habitudes d’observation et de critique, unirait la finesse de coup d’œil, le sentiment délicat des nuances, la légèreté de touche et d’expression, le molle atque facetum de pinceau, nécessaires pour mener à bonne fin pareille entreprise.

P. J.




Le texte des nombreux fragments, de source très diverse, qui s’offrent réunis dans ce volume, a été revu, est-il besoin de le dire, avec le soin le plus attentif. Bien que les éditions fidèles, jusqu’au fac-similé, à l’orthographe ancienne, soient en faveur et à la mode aujourd’hui (même pour nos écrivains venus après Malherbe et Balzac), je n’ai jugé nullement utile de pousser aussi loin l’exactitude de mes transcriptions. Le respect des vieilles formes orthographiques, souvent difficile et délicat, à cause de leur peu de fixité, n’est d’un intérêt évident, et ne s’impose que pour les écrits antérieurs à la formation définitive de la langue, et, dans ces limites, je n’ai rien négligé pour qu’elles fussent soigneusement et scrupuleusement reproduites.

  1. Le fait que je me permets de signaler se produit souvent, trop souvent, dans ces examens de l’Hôtel de Ville de Paris, auxquels se pressent aujourd’hui tant de jeunes personnes, et où par beaucoup d’entre elles le double brevet d’institutrice n’est recherché que comme une attestation de culture sérieuse et d’éducation complète.