Les Femmes poètes bretonnes/Elisa Mercœur (1809-1835)

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ÉLISA MERCŒUR

1809-1835


ÉLISA MERCŒUR

Née à Nantes, le 24 juin 1809, décédée à Paris, le 7 janvier 1835.

En lisant les détails que sa mère nous donne sur son enfance, j’ai été touchée de voir cette enfant conserver précieusement les feuilles mortes en souvenir des arbres qui les avaient portées. Cela ne fait-il pas songer à cette boucle de cheveux que la pauvre jeune fille a léguée à la Bibliothèque de Nantes, boucle que nos jeunes poètes vont baiser pieusement ?

À douze ans, Elisa donnait des leçons de littérature et de français aux jeunes filles. À seize ans, elle fit une pièce de vers pour Mme Ponchard, de passage à Nantes ; ces vers produisirent une grande sensation, tous les yeux se fixèrent sur cette jeune fille, qui vivait seule avec sa mère, dans un état voisin de la gêne. On sut qu’Elisa avait un volume de poésies en portefeuille ; on le fit imprimer chez M. Mellinet-Malassis, par souscription ; l’auteur le dédia à Châteaubriand.

Tends une main propice à celui qui chancelle ;
J’ai besoin, faible oiseau, qu’on veille à mon berceau,
Et l’aigle peut du moins à l’ombre de son aile
Protéger le timide oiseau.

Châteaubriand lui répondit une lettre très flatteuse. « La gloire que vous avez si noblement chantée, lui disait-il, ne sera point ingrate envers vous, » etc.

Lamartine, après avoir lu son volume, s’écria : « Cette petite fille nous effacera tous. »

Les éloges étaient peut-être exagérés, mais qui peut savoir quelle eût été la puissance d’un chant dont nous n’avons connu que les préludes ?

Mme Mercœur connaissait un ancien professeur qui donnait gratuitement à sa fille des leçons de littérature, d’anglais et même de latin. Elisa lui avait voué une tendresse toute filiale ; mais, lorsque l’enfant, devenue jeune fille, réunit à la beauté les charmes du savoir et de l’intelligence, son professeur, en admirant cette nouvelle Galathée formée par lui, en devint amoureux. En vain, Elisa essaya de retrouver un père dans ce vieillard : il était atteint d’une de ces passions séniles dont on meurt ; la jeune fille, effrayée, décida sa mère à partir avec elle pour Paris.

Son début fut heureux ; enivrée de promesses, elle adressa des vers au ministre de l’intérieur, M. de Martignac, qui lui obtint une pension de douze cents francs. Elisa crut alors son existence assurée et se mit avec ardeur au travail. Elle avait déjà commencé une tragédie et un roman, lorsque, quinze jours après, les journées de juillet lui enlevèrent son protecteur, la pension fut supprimée. Mme Récamier, Victor Hugo, la duchesse d’Abrantès s’intéressèrent à elle ; on n’obtint rien ; cependant M. Guizot lui donna deux cents francs de ses propres deniers ; M. Thiers en fit autant ; mais bientôt la misère revint.

Elisa avait présenté à la Comédie Française une pièce en cinq actes et en vers, Boabdil. Le baron Taylor la fit refuser. La pauvre enfant, ayant mis là toutes ses espérances, fut frappée en plein cœur.

Une maladie de langueur s’empara d’elle. Le docteur Broussais la soigna avec dévouement ; retirée à la campagne, elle s’éteignit le treizième mois de sa maladie, le 7 janvier 1835, un vendredi, jour redouté par elle. « Sauvez-moi pour ma mère ! » fut son dernier cri.

Mme Mélanie Waldor fit une collecte pour lui élever un tombeau ; Mme Desbordes-Valmore ouvrit une souscription pour faire imprimer ses œuvres. Hélas ! pourquoi ne pas l’avoir fait vivre ?

On grava sur son tombeau plusieurs vers composés par elle ; entre autres, celui-ci :

Qui laisse un nom peut-il mourir ?

Quelques jours avant sa mort, elle écrivait :

C’est quand on a vécu qu’on sait ce qu’est la vie,
Que, l’on voit le néant des biens que l’on envie,
Que, fatigué du jour, on n’attend que le soir.
Désenchanté de tout, lorsque la nuit arrive,
À quel banquet encore et près de quel convive
Pourrait-on désirer s’asseoir ?

L’Académie de Nantes l’avait admise dans son sein.

LISTE DE SES OUVRAGES

Poésies diverses, élégies ; Boabdil, tragédie ; Les Italiennes ; Jeanne Gray, tragédie non achevée.

La nature avait tout fait pour Elisa, et la société ne fit rien.

Oui, dire que cette jeune fille admirablement belle, éloquente, passionnée, entourée de tous les charmes de la séduction, est restée pure et que jamais la calomnie même n’a osé l’atteindre !

En vain les périls de l’inexpérience l’ont environnée ; en vain les épreuves de la misère et de la faim sont venues la tenter ; semblable aux célèbres épées du moyen âge qui résistaient à toutes les attaques parce qu’elles étaient mieux trempées que les autres, l’héroïque jeune fille a su tomber à vingt-six ans, en pleine poésie, en pleine fleur, dans son cercueil virginal.

N’a-t-elle pas le droit d’être appelée la Muse bretonne ? N’est-elle pas la digne fille de cette province à la chaste devise :

Potius mori quam fœdari ?

LA FEUILLE FLÉTRIE

Pourquoi tomber déjà, feuille jaune et flétrie ?
J’aimais ton doux aspect, dans ce triste vallon.
Un printemps, un été, furent toute ta vie ;
Et tu vas sommeiller sur le pâle gazon.
Pauvre feuille ! il n’est plus le temps où ta verdure
Ombrageait le rameau dépouillé maintenant.
Si fraîche au mois de mai ! faut-il que la froidure
Te laisse à peine encore un incertain moment !
L’hiver, saison des nuits, s’avance et décolore
Ce qui servait d’asile aux habitants des cieux ;

Tu meurs, un vent du soir vient t’embrasser encore,
Mais ses baisers glacés pour toi sont des adieux.

LA GLOIRE

Du sommeil du passé le souvenir t’éveille,
Rome ! il te rajeunit de trente siècles morts.
Il dit au lendemain tes gloires de la veille,
Dont le Tibre conserve un reflet sur ses bords.

Étoile solitaire à l’immortelle flamme,
L’oubli n’ose opposer son voile à ta clarté,
Vénus des nations, toujours jeune pour l’âme,
C’est au miroir du cœur que se peint ta beauté.

Tes débris sont des pas laissés par ta puissance,
Ton deuil est ta parure aux yeux de l’univers,
Le génie inspiré comprend ton grand silence ;
Les ombres de tes fils repeuplent tes déserts.

Géant tombé, qui dors sous le poids de ta gloire,
Le temps que dévora ton avide mémoire,
A frappé sur ton front un sceau de majesté.
Qui pourrait comparer sa force à ta faiblesse ?
Quel empire aujourd’hui pourrait à ta vieillesse
    Égaler sa virilité ?

Écoute !… Rien !… J’ai cru… Sur ton muet théâtre
La mort depuis longtemps a tendu le rideau,

Et l’écho ne redit que les accents du pâtre
Qui rappelle son lent troupeau.

Le palais est sans maître et l’autel sans idole.
Il ne résonne plus sous un char triomphal,
Ce pavé qui jadis menait au Capitole,
Et qu’une herbe jalouse a su rendre inégal.

Comme tes murs sacrés s’écroula ta fortune :
Plus d’encens, de victoire et de triomphateur,
Dans ces lieux où Sylla jeta de la tribune
Sa couronne de dictateur.

De ta palme civique et de ton diadème,
Toi qui t’embellissais dans ta grandeur suprême,
Aigle, si près des cieux dans ton vol arrêté,
Réponds, toi qui le sais, combien coûte la gloire ?
Combien s’achète un mot d’histoire ?
Combien as-tu payé ton immortalité ?…

Du sang de ses deux fils Brutus paya la sienne.
Le Volsque recueillit l’exilé Marcius.
Le Gaulois pesait l’or… La roche tarpéienne
Fut la tombe de Manlius.

Mais déjà tu souillais la toge consulaire :
Ce n’était plus le temps de ta vertu sincère,
Où des Cincinnatus, fiers de la pauvreté,
S’inclinaient, orgueilleux, sur la charrue antique,

Pour entr’ouvrir ton sol au laurier poétique,
      Au chêne de la liberté.

Ce n’était plus ce temps… Sur l’africain rivage
      Déjà l’ombre de Régulus
S’étonne au bruit des pas du proscrit Marius
Demandant un asile aux débris de Carthage.

En mendiant le trône et donnant l’univers,
Jusqu’au dernier degré César monte… il s’arrête,
Tombe, et de son manteau cache en mourant sa tête.
Aux cris des assassins répond un bruit de fers.
Le sort se fatiguait et ton bouillant génie
      Désapprenait à triompher,
Lorsque la liberté touchait à l’agonie,
      Quand s’entr’ouvraient pour l’étouffer
      Les serres de la tyrannie.

La rive d’Actium a son dernier regard.
      Un triomphe te rend esclave,
      Et sur la tombe de César
      S’élève le trône d’Octave.

Là de Catilina le sublime rival
Cicéron, du forum ce maître sans égal,
Livrait les traits brûlants de sa mâle éloquence
      À l’enthousiaste silence
      Du soldat et du sénateur.
Bientôt dans ce lieu même, où ses lèvres de flamme

Avaient prêté naguère un asile à son âme,
Jusqu’aux pieds teints de sang d’un ingrat oppresseur
Sa tête vint bondir et sa bouche muette,
       D’un cœur libre noble interprète,
Semblait encor s’ouvrir pour un accent vengeur.

Germanicus, chargé de couronnes de guerre,
Mourut pour expier sa victoire et son nom :
La gloire le suivit… Dans les mains d’un Néron
       Passa le sceptre d’un Tibère.

Méprisant des héros la simple majesté,
Lorsque son froid regard tombe sur leur souffrance
       Dans sa tranquille obscurité,
L’égoïste raison insulte à leur démence.
Aux yeux du monde aveugle inutile flambeau,
La gloire de tout temps trouva l’ignominie.
Comme un sceptre caché sous un brillant manteau,
L’or couvrit les tyrans, et quelque vieux lambeau
       Devint la pourpre du génie.

       Rome ! tes enfants outragés
Déposaient, en bravant une vulgaire injure,
       Cette chaîne des préjugés,
Dont chacun des anneaux laisse une meurtrissure,
Et, jaloux de souffrir leurs sublimes tourments,
Plus grands sous le fardeau de leur noble misère,

Contre cet avenir qu’ils léguaient à leur mère
Tes fils d’un jour d’orage échangeaient les moments.

Tes pleurs, versés pour eux, te rendirent plus belle.
Qu’à leur pur souvenir ton regret soit fidèle !
Comme ton Panthéon, temple de tous les dieux,
Le cœur a son autel pour chacune des ombres,
       Dormant au sein de tes décombres,
       Dans leur cercueil silencieux.

Et toi qui, réchauffant au foyer de la gloire
Tes membres engourdis par le froid de tes fers,
Va, dans la liberté vengeant tes maux soufferts,
De son fatal exil rappeler la victoire,
N’as-tu pas vu (jadis si longtemps infécond),
       Plein des flots d’une sève amère,
       Un rameau du cyprès d’Homère
Mêler son noir feuillage au laurier de Byron ?

Homère !… il apparut presque au matin du monde,
L’univers s’enferma dans son âme profonde.
En livrant son esquif aux tempêtes du sort,
Du culte poétique, hélas ! prêtre et victime,
Lui seul se comprenait dans sa douleur sublime,
       Et pour vivre attendait la mort.

Mendiant, fugitif sous les cieux d’Ionie,
Tu prodiguas l’outrage à son malheur sacré.
L’infortune ici-bas est la sœur du génie :

Sa main de plomb s’étend sur un front inspiré,
Mais elle pèse en vain sur sa tête indigente :
Il chante, souffre, meurt, et son ombre géante
Reçoit de l’avenir des siècles pour instants.
Le passé dans son gouffre abîme en vain les âges :
Sur une mer de gloire, aux ondes sans rivages,
Homère est là, debout, en monarque du temps.

De sa grande raison laissant briller la flamme,
Socrate sur tes dieux lève les yeux de l’âme ;
Et lui seul ose voir la suprême clarté.
Bientôt, calme à leur bruit quand se heurtent ses chaînes,
Quand le poison bouillonne et dévore ses veines,
Il meurt, en méditant son immortalité.

À ce qui vient des cieux l’ignorance et l’envie
Ont-elles jamais pardonné ?
Le Tasse et Camoëns n’ont-ils pas bu la vie
Comme un nectar empoisonné ?
Ce monde, qui semblait rougir de les comprendre,
A pourtant eu des pleurs pour en mouiller leur cendre
Mais c’est sur leur tombeau que l’on s’est prosterné.

Toi qui, vers de jeunes rivages
Guidant de l’Espagnol les incertains vaisseaux,
Des astres du midi sur de nouvelles plages
As vu briller les feux nouveaux,
Colomb, de pas hardis tu sus empreindre l’onde :

Cette esclave, à ta voix, sous toi s’incline encor,
Et la coupable Espagne, en recevant un monde,
Te donne un cachot pour trésor.

Galilée arrachait son vieux sceptre à la terre ;
Son front pâle et sexagénaire
S’est incliné, captif, sous un joug imposteur.
L’infortuné, qu’atteint un arrêt despotique,
S’accuse en frémissant de démence et d’erreur ;
Et, rendant le vulgaire à sa nuit fanatique,
Échappe au fer des lois, au glaive inquisiteur.

Oui ! partout où la gloire a placé son idole,
Où la voix du passé redit quelque grand nom,
Soit sous les murs sacrés du divin Capitole,
Dans l’enceinte du Parthénon,
Dans les temples chrétiens, au culte solitaire,
Partout les fers, l’exil, l’outrage et la misère…
Mais l’heure vient des maux du sort
Celui qu’on insultait vengé par sa mémoire,
En esclave affranchi se revêt de sa gloire
Dans la liberté de la mort !

Lettre de M. de Chateaubriand à Elisa Mercœur.

« Paris, le 18 juillet 1827.

« Si la célébrité, Mademoiselle, est quelque chose de désirable, on peut la promettre, sans crainte de se tromper, à l’auteur de ces vers charmants :

« Mais il est des moments où la harpe repose,
Où l’inspiration sommeille au fond du cœur.

« Puissiez-vous seulement, Mademoiselle, ne regretter jamais cet oubli, contre lequel réclament également votre talent et votre jeunesse. Je vous remercie, Mademoiselle, de votre confiance et de vos éloges ; je ne mérite pas les derniers, je tâcherai de ne pas tromper la première. Mais je suis un mauvais appui ; le chêne est bien vieux, et il s’est si mal défendu des tempêtes, qu’il ne peut offrir d’abri à personne.

« Agréez de nouveau, je vous prie, Mademoiselle, mes remerciements et les respectueux hommages que jai l’honneur de vous offrir.

« CHATEAUBRIAND. »