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Les Femmes poètes bretonnes/Les Femmes Poètes Bretonnes

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Les Femmes poètes bretonnes
Les Femmes poètes bretonnes Voir et modifier les données sur WikidataSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de Bretagne Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 1-7).


LES FEMMES POÈTES BRETONNES



Comment demander à la vieille Armorique le nom de toutes ses femmes poètes ?

Cette terre éminemment poétique a dû laisser passer un souffle dans l’âme vibrante et impressionnable de la femme, à toutes les époques ; mais comment retrouver leurs traces ?

En fouillant les ombres du passé, je vois, dès le VIe siècle, poindre comme un perce-neige sainte Rivanonne, chantant :

« Je suis l’Iris au bord de l’eau, c’est moi qu’on nomme la petite Reine, etc. »

Plus tard, ses larmes, devenues de véritables perles, nous sont conservées dans une touchante élégie sur la mort de son époux.

Je ne trouve plus rien avant Anne de Rohan (1584). J’ai publié sa biographie dans l’Anthologie des poètes bretons du xviie siècle, ainsi que celles de Catherine Descartes (1637), de la comtesse Murat (1670), et de Julienne Cuquemelle (1685). Je ne saurais donc en reparler ici.

Comment, dix siècles de silence et d’oubli ! aucun nom même ne surnage ? Hélas ! c’est comme si nous demandions ceux des roses et des rossignols que les buissons ont vu éclore dans ce laps de temps. Les roses ont toujours fleuri, les rossignols toujours chanté. Il a dû en être ainsi des femmes : la Bretagne a toujours dû trouver une voix continuant le chant commencé, sans interruption, à la manière de ses rondes villageoises, improvisées alternativement par chaque chanteur.

La femme bretonne est essentiellement poète ; toute sa vie est remplie par les rêves divins. Si parfois elle se livre à la danse, elle y conserve la gravité de son maintien, elle semble danser religieusement.

J’ai dit quelque part :

Dans les landes en fleur égrenant son rosaire,
La Bretonne ici-bas ne cherche pas le miel ;
Elle écoute les flots et l’oiseau solitaire,
En berçant longuement ses doux rêves du ciel.

De blancs tissus de lin ombragent son visage ;
Des antiques dolmens les signes vénérés
Se retrouvent toujours brodés sur son corsage,
Restes inconscients de préceptes sacrés.

Parfois des pèlerins pour allumer les cierges,
Sur le seuil des lieux saints elle attend tout le jour,
Et le soir, à la source on voit les lentes vierges
Portant la buire antique et puisant à leur tour…

Le dimanche, entre les vêpres et la grand’messe, la Bretonne reste assise sur le seuil de sa porte, immobile, les bras croisés, les yeux perdus dans l’espace.

Parfois, au bord d’une grève, elle regarde la grande Mer. Car il ne faut pas oublier que, les Bretons étant les premiers marins du monde, la femme bretonne est perpétuellement condamnée à pleurer le départ ou à attendre le retour. Aussi ses regards sont-ils accoutumés à se porter du ciel à la mer, ces deux immensités ; les nuages lui semblent les âmes de ceux que les flots ont emportés ; elle aime les nuages ! Elle voit encore que les oiseaux ont des ailes comme la prière ; elle aime les oiseaux qui peuvent monter vers Dieu, et, par conséquent, hâter le retour !

Goëlands ! goëlands ! ramenez-nous nos amants !
(Chant breton.)

La Bretonne, revenue à l’église, considère la flamme qui brûle sur l’autel ; la flamme se consume pour le Créateur ; elle est donc un être intelligent ! C’est à cette flamme qu’elle s’adresse, comme interprète entre elle et Dieu. Elle espère que cette langue de feu rendra mieux les vœux de son cœur que la sienne propre, parce qu’étant plus épurée, plus subtile, elle sera mieux comprise de celui qui habite au sein de la lumière inaccessible.

Aussi, quand la Bretonne désire ardemment, elle allume un cierge.

Dans l’église herminée, elle va mettre un cierge,
Doutant de sa prière, espérant que son vœu,
Épuré par la flamme, ira jusqu’à la Vierge,
Qui traduira là-haut cette langue de feu.

La femme bretonne comprend la Nature, non à la manière des savants, qui sans cesse cherchent à la dévoiler ; mais elle la comprend avec sa propre intuition ; car la nature, comme les diamants, a des facettes et des reflets multiples.

La femme, dès le premier gonflement de la sève, perçoit ces aromes si doux, devenus insaisissables pour ceux qui sont accoutumés aux parfums irritants que les chimistes nous ont offerts.

Quand elle voit poindre la feuille du figuier elle sait que l’Été est proche.

Une pensée unique l’enveloppe comme un suaire immense et lumineux, l’Éternité ! Elle n’a ni jeunesse, ni vieillesse ; elle aspire au repos éternel, non en répétant la maxime orientale : « Il vaut mieux être assis que debout, couché qu’assis, mort que vivant ; » non, elle aspire au repos divin, avec l’entière et pleine possession de Dieu. Si les affections terrestres éveillent parfois en elle quelque doute, la Vérité éternelle n’a jamais de reflux dans sa pensée ; ainsi qu’Israël sortant de la captivité d’Égypte, l’âme de la femme bretonne est conduite par la lueur victorieuse de la Vérité : elle voit, car elle croit.