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Les Femmes poètes bretonnes/Madame Dufresnoy (1765)

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Les Femmes poètes bretonnes Voir et modifier les données sur WikidataSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de Bretagne Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 13-22).


MADAME DUFRESNOY

1765



MADAME DUFRESNOY



Adélaïde Billet, née à Nantes le 3 décembre 1765, épousa M. Dufresnoy, procureur au Châtelet (1780), et mourut à Paris en 1825.

Elle a publié :

1o La petite ménagère ou l’Éducation maternelle, 1815, 4 vol. in-12 ;

2o Élégies, 1821, 1 vol. in-12 ;

3o Le Tour du Monde, 3 vol. in-12, 1813 ;

4o Les Contes de Fées, 1816, 1 vol. in-18 ;

5o Les Étrennes à ma fille, nouvelle, 2 vol. ;

6o Biographie des jeunes demoiselles ; Vies des femmes célèbres, 1817, 2 vol. in-18 ;

7o Un roman intitulé : la Femme auteur ;

8o Les Françaises, 2 vol. ;

9o Les Beautés de la Grèce ;

10o Le Luxe des femmes ou choix extraits des meilleurs écrivains français, par Madame Dufresnoy et Amable Tastu, 1823, 2 vol. in-18 ;

11o Plusieurs pièces de théâtre, entre autres, l’Amour exilé des cieux, représentée en 1788 au Théâtre Français ;

12o Pièces de vers détachées, vers dans l’Almanach des Muses. Épître à Suzanne ;

13o La Journée d’une amante, roman ;

14o Opuscules poétiques, 1806, 1 vol. in-12 ;

15o La Naissance du Roi de Rome, 1811, in-12 ;

Anniversaire, 1812, in-18.

Quelques biographes la font naître à Paris[1], s’appuyant sur une pièce de vers où elle dit avoir joué, enfant, sous les ombrages du Luxembourg ; mais son père, étant commerçant, faisait des voyages à Paris et l’emmenait quelquefois. Ce fut là que M. Dufresnoy, procureur au Châtelet, en devint amoureux et l’épousa, à l’âge de quinze ans. Elle était très belle. Dès qu’elle fut mariée, elle se trouva entourée d’une société d’élite ; elle reçut chez elle toutes les célébrités de l’époque. Elle se lia plus tard avec Mme la princesse de Salm-Dyck et Mme Desroches.

Elle publia ses premiers poèmes dans l’Almanach des Muses, en 1806. Ruinée par la Révolution, elle fut exilée et soigna avec un grand dévouement son mari, devenu aveugle.

Bonaparte lui fit rendre ses biens ; elle lui voua une grande reconnaissance. L’Académie française la couronna en 1814, pour son poème sur Bayard.

Béranger a chanté :

Veille, ma lampe, veille encore :
Je lis les vers de Dufresnoy.

La fille de Mme Dufresnoy a été mariée à M. Jay. Son fils, Pierre-Armand Dufresnoy, né en 1792, a exécuté, avec Élie de Beaumont, la carte géologique de France.

« Les meilleurs titres de Mme Dufresnoy à la gloire, dit Quitard, sont ses élégies, qui lui valurent le nom de Sapho française ; elles ont le mérite, bien rare, d’exprimer un sentiment vrai dans un style plein de naturel et de charme. »


LES SERMENTS


Lasse à la fin d’un si long esclavage
Et d’un amour si mal récompensé,
J’avais juré d’oublier qui m’outrage,
J’avais juré que dans mon cœur blessé
J’effacerais une trop douce image.
J’avais juré que le nom du volage
Par moi jamais ne serait prononcé.
J’avais juré, forte de son absence,
Que, si le sort l’offrait devant mes yeux,
Je soutiendrais sans trouble sa présence,
J’en défirais le charme impérieux.
Dans mon dépit, ardente à la vengeance,
J’osais former le souhait dangereux
De voir l’ingrat m’offrir encor ses vœux.

J’en accueillais l’incertaine espérance.
J’avais juré qu’un souris dédaigneux
Saurait alors punir son inconstance.
Oh ! d’un regard invincible ascendant !
Qu’est devenu mon courage imprudent ?
À peine, hélas ! ma voix à son approche
Balbutia quelques mots de reproche.
Je pâlissais, rougissais tour à tour ;
Je lui disais : « Non, je n’ai plus d’amour ! »
Mais je laissais sa main presser la mienne,
Mais malgré moi ma main pressait la sienne,
Mais les soupirs, étouffés à demi,
Livraient mon âme à ce cher ennemi ;
Mais je laissais ses lèvres suppliantes
Se rapprocher de mes lèvres tremblantes ;
Ma bouche en vain opposait un refus,
Le sein rempli du feu qui me dévore,
En lui jurant que je ne l’aimais plus,
Je lui prouvais que je l’aimais encore !


LE BONHEUR


Il est auprès de moi, sa main touche ma main,
Sa bouche s’embellit du plus charmant sourire ;
Son teint s’anime, je soupire
Sa tête mollement vient tomber sur mon sein.

Là je respire son haleine,
Son haleine semblable au parfum de la fleur ;
De ses bras l’amoureuse chaîne
Rapproche mon cœur de son cœur.
Bientôt nos baisers se confondent,
Ils sont purs comme nos amours ;
Nous demeurons sans voix, mais nos cœurs se répondent.
Ils se disent : Toujours ! toujours !


LE BESOIN D’AIMER


Pourquoi depuis un temps inquiète et rêveuse,
Suis-je triste au sein des plaisirs ?
Quant tout sourit à mes désirs,
Pourquoi ne suis-je pas heureuse ?

Pourquoi ne vois-je plus venir, à mon réveil,
La foule des riants mensonges ?
Pourquoi dans les bras du sommeil
Ne trouvé-je plus de doux songes ?
Pourquoi, beaux-arts, pourquoi vos charmes souverains
N’enflamment-ils plus mon délire !
Pourquoi mon infidèle lyre
S’échappe-t-elle de mes mains ?

Quel est ce poison lent qui pénètre en mes veines
Et m’abreuve de ses langueurs ?

Quand mon âme n’a point de peines,
Pourquoi mes yeux ont-ils des pleurs ?


LE REGRET


La raison et le temps ont adouci mes maux.
D’un sentiment trompeur la tendre inquiétude
N’enlève plus mes nuits aux douceurs du repos,
Mes jours aux bienfaits de l’étude.

Mon œil, longtemps chargé de pleurs,
Plus calme, s’est levé sur un ciel sans nuage,
Des bois je ne fuis plus le silence et l’ombrage,
Et sans chagrin je vois la fleur
Se balancer sous le feuillage.

Mes amis à leurs soins touchants
Ne me trouvent plus insensible.
Semblable à ce ruisseau qui coule de nos champs,
Ainsi coule ma vie uniforme et paisible ;
Cependant quelquefois, sur le soir d’un beau jour,
Mon cœur se sent presser par la mélancolie ;
Je ne regrette plus l’amant qui m’a trahie,
Je regrette encor mon amour !


  1. Vapereau, Quitard, Quérard affirment qu’elle est née à Nantes. Dans un long article signé Parisot, le Dictionnaire de Michaud soutient la même opinion.