Les Femmes poètes de l’Allemagne/Introduction

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Perrin et Cie, libraires-éditeurs (p. 1-8).

INTRODUCTION


La femme allemande est, plus que toute autre peut-être, prédisposée à la poésie, non seulement par son propre tempérament, mais encore par le milieu dans lequel elle vit.

Elle a l’imagination vive, le goût romanesque jusqu’à l’excès ; elle aime la nature qui, dans tous les arts, est l’une des principales sources d’inspiration du talent féminin. Non point mystique comme on se plaît trop volontiers à le croire, elle est douée parfois d’une ardeur de sensations qui la porte à vouloir traduire et exalter ce qu’elle éprouve. Ainsi que l’a très justement noté Mme de Staël, « elle cherche à plaire par la sensibilité, à intéresser par l’imagination ».

Elle possède le sens du rythme, qui est aussi la cause de son aptitude pour la musique et la danse.

Enfin, l’atmosphère germanique des légendes attirantes par leurs nébuleuses visions, l’influence de la poésie populaire accessible à la majorité des esprits et beaucoup plus répandue en Allemagne que chez nous, répondent au caractère de la généralité des femmes allemandes, exclusivement vouées au foyer et moins rebelles que d’autres races, à l’emprise des traditions sociales et intellectuelles.

Il est bon de remarquer aussi que la prosodie allemande est favorisée, quant à la forme, par la langue elle-même, naturellement scandée comme le latin, grâce à l’alternance des syllabes faibles et fortes, et que, de plus, les lois concernant les rimes, les licences grammaticales ou orthographiques y sont moins rigoureuses que les nôtres. L’assonance, par exemple, est acceptée.

Ces raisons font que la poésie féminine allemande n’est pas l’apanage exclusif d’une classe dans toutes les conditions sociales, la femme aura des tendances à suivre un rêve et à l’exprimer. Le cas d’Antoinette Carré, cette jeune ouvrière de Lyon, qu’un éloge de Lamartine a immortalisée, deviendrait un fait courant en Allemagne.

La contagion poétique dont nous nous plaignons déjà en France, sévit, avec plus d’intensité encore, chez nos voisins, où les vers sont très aimés, très lus, sus par cœur, grâce souvent à l’accompagnement musical qui les incruste dans la mémoire. Et cela, à tous les degrés de l’échelle intellectuelle. Il n’est pas rare de rencontrer des servantes, des campagnardes, s’enthousiasmant sur une fleur, sur un clair de lune et traduisant leur admiration par des vers appropriés de Goethe ou de Heine, dont elles n’ignorent ni le nom, ni la célébrité.

La poésie allemande féminine pourra donc être moins savante que celle d’autres pays mais non moins captivante, au contraire, puisqu’elle devient ainsi l’âme même d’un peuple, d’un temps.

Les femmes poètes allemandes, bien que peu connues à l’étranger, sont nombreuses. L’étude de leur vie, comme celle de leurs œuvres, est intéressante. Il est curieux de rechercher les influences qu’elles ont subies ou exercées durant l’époque à laquelle elles appartinrent.

Sauf dans les temps modernes, où tout se classe et se spécialise, elles ne se sont guère rangées systématiquement sous le drapeau d’une école. Celles, surtout, qui vivaient loin des centres intellectuels, à peine soupçonnées de leurs contemporains, rimant pour leur joie intime et l’amour de l’art, sans nul souci ambitieux ou mercantile, n’affichent ni théories, ni couleur.

Il convient donc plutôt de les grouper par siècles, puisqu’on a coutume de reconnaître à chacune de ces périodes de temps, un caractère, sinon tout à fait distinctif, du moins dominant.

Nous nous sommes efforcée, pour les documents bio-bibliographiques contenus dans cet ouvrage, de puiser aux sources les plus sûres et d’avoir recours aux jugements les plus autorisés. Ce fut un patient labeur car il n’existe pas, en Allemagne, de travail d’ensemble sur la littérature féminine.

Pour apprécier des œuvres de ce genre, il est bon de s’identifier d’abord, autant que possible, avec les auteurs qui les ont créées, c’est-à-dire de connaître le pays où ils sont nés, d’y vivre de leur vie. Plusieurs séjours en Allemagne, la fréquentation de ses habitants, nous ont permis d’effectuer cette étude préliminaire. Nous avons parcouru la plupart des sites chantés dans les stances lyriques des Muses germaniques : les rives rhénanes peuplées de visions légendaires, et celles du vieux Danube impérial, la mystérieuse Forêt-Noire, l’artistique Bavière, le Tyrol même, ce seuil si germain de l’Autriche, sans oublier d’aller rêver au bord du lac de Constance, le Bodensee qui fut la chère retraite de tant de lettrés allemands. Ainsi avons-nous pu, jusqu’à un certain point, établir une mesure de comparaison entre les sujets inspirateurs et la valeur de l’inspiration.

En ce qui concerne les poèmes, nous nous sommes bornée à extraire, des œuvres en cause, une ou deux pièces choisies parmi les plus caractéristiques, négligeant même de citer celles des auteurs d’ordre tout à fait secondaire et n’offrant, par conséquent, aucun intérêt.

Sachant que traduire est presque toujours synonyme de trahir, nous avons jugé inutile de déformer davantage les œuvres originales en les coulant de nouveau dans un moule prosodique. Bien souvent, d’ailleurs, nous l’avons dit plus haut, la valeur de la poésie allemande consiste plutôt dans le choix des termes, la force des images ou les effets de rythme, que dans la qualité des rimes. Il vaut donc mieux s’attacher à rendre d’abord le sens exact des idées émises, et, lorsque ces idées sont exprimées dans le style nébuleux ou elliptique coutumier à certains auteurs d’outre-Rhin, les translater de façon que la pensée reste toujours compréhensible pour le lecteur.

Il est bon aussi de remarquer que parfois — pour les poétesses anciennes surtout — plusieurs éditions des mêmes œuvres ont été publiées et que ces éditions présentent entre elles des différences. Nous aurons l’occasion d’en reparler, en donnant l’exemple à l’appui, dans le cours de cet ouvrage. Mais ce sont là des questions de détails, n’influant point sur le jugement qu’on peut dégager d’une telle étude.

En cette tâche quelque peu ingrate qui consistait à présenter en une seule gerbe toute une flore exotique, dont l’existence et les noms mêmes étaient ignorés de la majorité du public qui lira ce livre, nous avons surtout cherché à tenir en éveil l’intérêt, la curiosité ; nous avons essayé de faire vivre ou revivre, grâce aux anecdotes, portraits et choix d’œuvres les concernant, toutes ces femmes ayant exprimé, avec des mots différents, des sentiments universels que nous éprouvons nous-mêmes chaque jour. Nous avons rêvé d’en faire mieux qu’une galerie de tableaux, un jardin d’âmes, dont les parfums multiples se partageront nos préférences.

De plus, la forme simplement anthologique étant un peu froide et sèche, nous avons cru utile de lier par l’histoire générale des lettres allemandes les chaînons d’une de ses parures, sinon les plus éclatantes, du moins les plus gracieuses.

À l’heure où, de tous côtés, même à l’étranger, paraissent des ouvrages sur les poétesses françaises, il nous a semblé équitable de nous occuper de leurs « consœurs » étrangères.

Le hasard des circonstances et une connaissance plus approfondie de la langue nous ont seuls guidée d’abord vers l’Allemagne ; mais nous espérons bien, si la vie nous le permet, continuer ce tour d’Europe, heureuse si, une fois de plus, la lyre d’Orphée pouvait contribuer à la pacification des esprits et des cœurs et si la Poésie en pouvait être mieux aimée.