Les Femmes savantes/Acte I

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Les Femmes savantes
Œuvres complètes de Molière, Texte établi par Charles LouandreCharpentiertome III (p. 505-516).
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ACTE PREMIER.


Scène I.

Armande, Henriette.


Armande.
Quoi ! le beau nom de fille est un titre, ma sœur,
Dont vous voulez quitter la charmante douceur ?
Et de vous marier vous osez faire fête ?
Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ?

Henriette.
Oui, ma sœur.

Armande.
Oui, ma sœur. Ah ! ce oui se peut-il supporter ?
Et sans un mal de cœur sauroit-on l’écouter ?

Henriette.
Qu’a donc le mariage en soi qui vous oblige,
Ma sœur… ?

Aramande.
Ma sœur… ? Ah ! mon Dieu ! fi !

Henriette.
Ma sœur… ? Ah ! mon Dieu ! fi ! Comment ?

Armande.
Ma sœur… ? Ah mon Dieu ! fi ! Comment ? Ah ! fi ! vous dis-je.
Ne concevez-vous point ce que, dès qu’on l’entend,
Un tel mot à l’esprit offre de dégoûtant,
De quelle étrange image on est par lui blessée,
Sur quelle sale vue il traîne la pensée ?
N’en frissonnez-vous point ? et pouvez-vous, ma sœur,
Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ?

Henriette.
Les suites de ce mot, quand je les envisage,
Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;
Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,
Qui blesse la pensée, et fasse frissonner.

Armande.
De tels attachements, ô ciel ! sont pour vous plaire ?

Henriette.
Et qu’est-ce qu’à mon âge on a de mieux à faire
Que d’attacher à soi, par le titre d’époux,
Un homme qui vous aime et soit aimé de vous ;
Et, de cette union de tendresse suivie,
Se faire les douceurs d’une innocente vie ?
Ce nœud bien assorti n’a-t-il pas des appas ?

Armande.
Mon Dieu, que votre esprit est d’un étage bas !
Que vous jouez au monde un petit personnage,
De vous claquemurer aux choses du ménage,
Et de n’entrevoir point de plaisirs plus touchants
Qu’une idole d’époux et des marmots d’enfants !
Laissez aux gens grossiers, aux personnes vulgaires,

Les bas amusements de ces sortes d’affaires.
À de plus hauts objets élevez vos desirs,
Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs,
Et, traitant de mépris les sens et la matière,
À l’esprit, comme nous, donnez-vous tout entière
Vous avez notre mère en exemple à vos yeux,
Que du nom de savante on honore en tous lieux :
Tâchez, ainsi que moi, de vous montrer sa fille :
Aspirez aux clartés qui sont dans la famille,
Et vous rendez sensible aux charmantes douceurs
Que l’amour de l’étude épanche dans les cœurs.
Loin d’être aux lois d’un homme en esclave asservie,
Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie,
Qui nous monte au-dessus de tout le genre humain,
Et donne à la raison l’empire souverain,
Soumettant à ses lois la partie animale,
Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale.
Ce sont là les beaux feux, les doux attachements
Qui doivent de la vie occuper les moments ;
Et les soins où je vois tant de femmes sensibles
Me paroissent aux yeux des pauvretés horribles.

Henriette.
Le ciel, dont nous voyons que l’ordre est tout-puissant,
Pour différents emplois nous fabrique en naissant ;
Et tout esprit n’est pas composé d’une étoffe
Qui se trouve taillée à faire un philosophe.
Si le vôtre est né propre aux élévations
Où montent des savants les spéculations,
Le mien est fait, ma sœur, pour aller terre à terre[1],
Et dans les petits soins son foible se resserre.
Ne troublons point du ciel les justes règlements ;
Et de nos deux instincts suivons les mouvements.
Habitez, par l’essor d’un grand et beau génie,
Les hautes régions de la philosophie,
Tandis que mon esprit, se tenant ici-bas,
Goûtera de l’hymen les terrestres appas.
Ainsi, dans nos desseins l’une à l’autre contraire,
Nous saurons toutes deux imiter notre mère :
Vous, du côté de l’âme et des nobles desirs ;

Moi, du côté des sens et des grossiers plaisirs ;
Vous, aux productions d’esprit et de lumière ;
Moi, dans celles, ma sœur, qui sont de la matière.

Armande.
Quand sur une personne on prétend se régler,
C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler[2],
Et ce n’est point du tout la prendre pour modèle,
Ma sœur, que de tousser et de cracher comme elle[3] !

Henriette.
Mais vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez,
Si ma mère n’eût eu que de ces beaux côtés ;
Et bien vous prend, ma sœur, que son noble génie
N’ait pas vaqué toujours à la philosophie.
De grace souffrez-moi par un peu de bonté
Des bassesses à qui vous devez la clarté ;
Et ne supprimez point, voulant qu’on vous seconde,
Quelque petit savant qui veut venir au monde.

Armande.
Je vois que votre esprit ne peut être guéri
Du fol entêtement de vous faire un mari :
Mais sachons, s’il vous plaît, qui vous songez à prendre ?
Votre visée au moins n’est pas mise à Clitandre.

Henriette.
Et par quelle raison n’y seroit-elle pas ?
Manque-t-il de mérite ? est-ce un choix qui soit bas ?

Armande.
Non ; mais c’est un dessein qui seroit malhonnête,
Que de vouloir d’une autre enlever la conquête ;
Et ce n’est pas un fait dans le monde ignoré,
Que Clitandre ait pour moi hautement soupiré.

Henriette.
Oui ; mais tous ces soupirs chez vous sont choses vaines,
Et vous ne tombez point aux bassesses humaines ;
Votre esprit à l’hymen renonce pour toujours,
Et la philosophie a toutes vos amours.

Ainsi, n’ayant au cœur nul dessein pour Clitandre,
Que vous importe-t-il qu’on y puisse prétendre ?

Armande.
Cet empire que tient la raison sur les sens
Ne fait pas renoncer aux douceurs des encens ;
Et l’on peut pour époux refuser un mérite
Que pour adorateur on veut bien à sa suite.

Henriette.
Je n’ai pas empêché qu’à vos perfections
Il n’ait continué ses adorations ;
Et je n’ai fait que prendre, au refus de votre ame,
Ce qu’est venu m’offrir l’hommage de sa flamme.

Armande.
Mais à l’offre des vœux d’un amant dépité
Trouvez-vous, je vous prie, entière sûreté ?
Croyez-vous pour vos yeux sa passion bien forte,
Et qu’en son cœur pour moi toute flamme soit morte ?

Henriette.
Il me l’a dit, ma sœur ; et, pour moi, je le croi.

Armande.
Ne soyez pas, ma sœur, d’une si bonne foi ;
Et croyez, quand il dit qu’il me quitte et vous aime,
Qu’il n’y songe pas bien, et se trompe lui-même.

Henriette.
Je ne sais ; mais enfin, si c’est votre plaisir,
Il nous est bien aisé de nous en éclaircir :
Je l’aperçois qui vient ; et sur cette matière,
Il pourra nous donner une pleine lumière.


Scène II.

Clitandre, Armande, Henriette.


Henriette.
Pour me tirer d’un doute où me jette ma sœur,
Entre elle et moi, Clitandre, expliquez votre cœur,
Découvrez-en le fond, et nous daignez apprendre
Qui de nous à vos vœux est en droit de prétendre.

Armande.
Non, non, je ne veux point à votre passion
Imposer la rigueur d’une explication :
Je ménage les gens, et sais comme embarrasse
Le contraignant effort de ces aveux en face.


Clitandre.
Non, Madame, mon cœur qui dissimule peu,
Ne sent nulle contrainte à faire un libre aveu.
Dans aucun embarras un tel pas ne me jette ;
Et j’avouerai tout haut d’une âme franche et nette,
Que les tendres liens où je suis arrêté,

(Montrant Henriette.)

Mon amour et mes vœux, sont tout de ce côté.
Qu’à nulle émotion cet aveu ne vous porte ;
Vous avez bien voulu les choses de la sorte.
Vos attraits m’avoient pris, et mes tendres soupirs
Vous ont assez prouvé l’ardeur de mes desirs ;
Mon cœur vous consacroit une flamme immortelle :
Mais vos yeux n’ont pas cru leur conquête assez belle
J’ai souffert sous leur joug cent mépris différents ;
Ils régnoient sur mon ame en superbes tyrans ;
Et je me suis cherché, lassé de tant de peines,
Des vainqueurs plus humains, et de moins rudes chaînes.

(Montrant Henriette.)

Je les ai rencontrés, Madame, dans ces yeux,
Et leurs traits à jamais me seront précieux ;
D’un regard pitoyable ils ont séché mes larmes,
Et n’ont pas dédaigné le rebut de vos charmes ;
De si rares bontés m’ont si bien su toucher,
Qu’il n’est rien qui me puisse à mes fers arracher,
Et j’ose maintenant vous conjurer, Madame,
De ne vouloir tenter nul effort sur ma flamme,
De ne point essayer à rappeler un cœur
Résolu de mourir dans cette douce ardeur.

Armande.
Hé ! qui vous dit, monsieur, que l’on ait cette envie,
Et que de vous enfin si fort on se soucie ?
Je vous trouve plaisant, de vous le figurer,
Et bien impertinent de me le déclarer[4].

Henriette.
Hé ! doucement, ma sœur. Où donc est la morale

Qui sait si bien régir la partie animale,
Et retenir la bride aux efforts du courroux ?

Armande.
Mais vous qui m’en parlez, où la pratiquez-vous,
De répondre à l’amour que l’on vous fait paraître,
Sans le congé de ceux qui vous ont donné l’être ?
Sachez que le devoir vous soumet à leurs lois,
Qu’il ne vous est permis d’aimer que par leur choix,
Qu’ils ont sur votre cœur l’autorité suprême,
Et qu’il est criminel d’en disposer vous-même.

Henriette.
Je rends grâce aux bontés que vous me faites voir,
De m’enseigner si bien les choses du devoir ;
Mon cœur sur vos leçons veut régler sa conduite,
Et pour vous faire voir, ma sœur, que j’en profite,
Clitandre, prenez soin d’appuyer votre amour
De l’agrément de ceux dont j’ai reçu le jour,
Faites-vous sur mes vœux un pouvoir légitime,
Et me donnez moyen de vous aimer sans crime.

Clitandre.
J’y vais de tous mes soins travailler hautement,
Et j’attendais de vous ce doux consentement.

Armande.
Vous triomphez, ma sœur, et faites une mine
À vous imaginer que cela me chagrine.

Henriette.
Moi, ma sœur, point du tout ; je sais que sur vos sens
Les droits de la raison sont toujours tout-puissants,
Et que par les leçons qu’on prend dans la sagesse,
Vous êtes au-dessus d’une telle faiblesse.
Loin de vous soupçonner d’aucun chagrin, je croi
Qu’ici vous daignerez vous employer pour moi,
Appuyer sa demande, et de votre suffrage
Presser l’heureux moment de notre mariage.
Je vous en sollicite, et pour y travailler…

Armande.
Votre petit esprit se mêle de railler,
Et d’un cœur qu’on vous jette on vous voit toute fière.

Henriette.
Tout jeté qu’est ce cœur, il ne vous déplaît guère ;
Et si vos yeux sur moi le pouvaient ramasser,

Ils prendroient aisément le soin de se baisser.

Armande.
À répondre à cela je ne daigne descendre ;
Et ce sont sots discours qu’il ne faut pas entendre.

Henriette.
C’est fort bien fait à vous, et vous nous faites voir
Des modérations qu’on ne peut concevoir.


Scène III.

Clitandre, Henriette.

Henriette.
Votre sincère aveu ne l’a pas peu surprise.

Clitandre.
Elle mérite assez une telle franchise ;
Et toutes les hauteurs de sa folle fierté
Sont dignes, tout au moins de ma sincérité.
Mais, puisqu’il m’est permis, je vais à votre père,
Madame…

Henriette.
Madame… Le plus sûr est de gagner ma mère.
Mon père est d’une humeur à consentir à tout ;
Mais il met peu de poids aux choses qu’il résout ;
Il a reçu du ciel certaine bonté d’ame,
Qui le soumet d’abord à ce que veut sa femme.
C’est elle qui gouverne, et, d’un ton absolu,
Elle dicte pour loi ce qu’elle a résolu.
Je voudrois bien vous voir pour elle et pour ma tante,
Une ame, je l’avoue, un peu plus complaisante,
Un esprit qui, flattant les visions du leur,
Vous pût de leur estime attirer la chaleur.

Clitandre.
Mon cœur n’a jamais pu, tant il est né sincère,
Même dans votre sœur flatter leur caractère ;
Et les femmes docteurs ne sont point de mon goût.
Je consens qu’une femme ait des clartés de tout :
Mais je ne lui veux point la passion choquante
De se rendre savante afin d’être savante ;
Et j’aime que souvent, aux questions qu’on fait,
Elle sache ignorer les choses qu’elle sait :
De son étude enfin je veux qu’elle se cache ;
Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache,

Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots
Et clouer de l’esprit à ses moindres propos.
Je respecte beaucoup madame votre mère ;
Mais je ne puis du tout approuver sa chimère,
Et me rendre l’écho des choses qu’elle dit,
Aux encens qu’elle donne à son héros d’esprit.
Son monsieur Trissotin me chagrine, m’assomme ;
Et j’enrage de voir qu’elle estime un tel homme[5].
Qu’elle nous mette au rang des grands et beaux esprits
Un benêt dont partout on siffle les écrits,
Un pédant dont on voit la plume libérale
D’officieux papiers fournir toute la halle.

Henriette.
Ses écrits, ses discours, tout m’en semble ennuyeux,
Et je me trouve assez votre goût et vos yeux ;
Mais, comme sur ma mère il a grande puissance,
Vous devez vous forcer à quelque complaisance.
Un amant fait sa cour où s’attache son cœur ;
Il veut de tout le monde y gagner la faveur ;
Et, pour n’avoir personne à sa flamme contraire,
Jusqu’au chien du logis il s’efforce de plaire.

Clitandre.
Oui, vous avez raison ; mais Monsieur Trissotin
M’inspire au fond de l’âme un dominant chagrin.
Je ne puis consentir, pour gagner ses suffrages,
À me déshonorer, en prisant ses ouvrages :
C’est par eux qu’à mes yeux il a d’abord paru,
Et je le connoissois avant que l’avoir vu.
Je vis, dans le fatras des écrits qu’il nous donne,
Ce qu’étale en tous lieux sa pédante personne,
La constante hauteur de sa présomption,
Cette intrépidité de bonne opinion,
Cet indolent état de confiance extrême,
Qui le rend en tout temps si content de soi-même,
Qui fait qu’à son mérite incessamment il rit,
Qu’il se sait si bon gré de tout ce qu’il écrit,

Et qu’il ne voudroit pas changer sa renommée
Contre tous les honneurs d’un général d’armée.

Henriette.
C’est avoir de bons yeux que de voir tout cela.

Clitandre.
Jusques à sa figure encor la chose alla,
Et je vis, par les vers qu’à la tête il nous jette,
De quel air il falloit que fût fait le poète ;
Et j’en avois si bien deviné tous les traits,
Que, rencontrant un homme un jour dans le Palais[6],
Je gageai que c’étoit Trissotin en personne,
Et je vis qu’en effet la gageure étoit bonne.

Henriette.
Quel conte !

Clitandre.
Quel conte ! Non ; je dis la chose comme elle est.
Mais je vois votre tante. Agréez, s’il vous plait,
Que mon cœur lui déclare ici notre mystère,
Et gagne sa faveur auprès de votre mère.


Scène IV.

Clitandre, Bélise.

Clitandre.
Souffrez, pour vous parler, madame, qu’un amant
Prenne l’occasion de cet heureux moment,
Et se découvre à vous de la sincère flamme…

Bélise.
Ah ! tout beau : gardez-vous de m’ouvrir trop votre ame.
Si je vous ai su mettre au rang de mes amants,
Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchements,
Et ne m’expliquez point, par un autre langage,
Des desirs qui chez moi passent pour un outrage.
Aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas ;
Mais qu’il me soit permis de ne le savoir pas.
Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes,
Tant que vous vous tiendrez aux muets interprètes ;
Mais, si la bouche vient à s’en vouloir mêler,

Pour jamais de ma vue il vous faut exiler.

Clitandre.
Des projets de mon cœur ne prenez point d’alarme.
Henriette, madame, est l’objet qui me charme ;
Et je viens ardemment conjurer vos bontés
De seconder l’amour que j’ai pour ses beautés.

Bélise.
Ah ! certes, le détour est d’esprit, je l’avoue :
Ce subtil faux-fuyant mérite qu’on le loue ;
Et, dans tous les romans où j’ai jeté les yeux,
Je n’ai rien rencontré de plus ingénieux.

Clitandre.
Ceci n’est point du tout un trait d’esprit, madame ;
Et c’est un pur aveu de ce que j’ai dans l’ame.
Les cieux, par les liens d’une immuable ardeur,
Aux beautés d’Henriette ont attaché mon cœur ;
Henriette me tient sous son aimable empire,
Et l’hymen d’Henriette est le bien où j’aspire.
Vous y pouvez beaucoup, et tout ce que je veux,
C’est que vous y daigniez favoriser mes vœux.

Bélise.
Je vois où doucement veut aller la demande,
Et je sais sous ce nom ce qu’il faut que j’entende.
La figure est adroite ; et, pour n’en point sortir,
Aux choses que mon cœur m’offre à vous repartir,
Je dirai qu’Henriette à l’hymen est rebelle,
Et que, sans rien prétendre, il faut brûler pour elle.

Clitandre.
Eh ! madame, à quoi bon un pareil embarras ?
Et pourquoi voulez-vous penser ce qui n’est pas ?

Bélise.
Mon Dieu ! point de façons. Cessez de vous défendre
De ce que vos regards m’ont souvent fait entendre.
Il suffit que l’on est contente du détour
Dont s’est adroitement avisé votre amour,
Et que, sous la figure où le respect l’engage,
On veut bien se résoudre à souffrir son hommage,
Pourvu que ses transports par l’honneur éclairés
N’offrent à mes autels que des vœux épurés.

Clitandre.
Mais…

Bélise.
Mais… Adieu, pour ce coup ceci doit vous suffire,
Et je vous ai plus dit que je ne voulois dire.

Clitandre.
Mais votre erreur…

Bélise.
Mais votre erreur… Laissez. Je rougis maintenant,
Et ma pudeur s’est fait un effort surprenant.

Clitandre.
Je veux être pendu, si je vous aime ; et sage…

Bélise.
Non, non, je ne veux rien entendre davantage[7].


Scène V.



Clitandre, seul.
Diantre soit de la folle avec ses visions !
A-t-on rien vu d’égal à ces préventions ?
Allons commettre un autre au soin que l’on me donne,
Et prenons le secours d’une sage personne.


fin du premier acte.

  1. Var. Le mien, ma sœur, est né pour aller terre à terre.
  2. Ces deux vers, reproduits dans toutes les éditions, ont été rarrangés par Boileau. Voici la première réaction telle qu’elle avait été faite par Molière :
    Quand sur une personne on prétend s’ajuster,
    C’est par les beaux côtés qu’il la faut imiter.
  3. Molière ne fait ici que mettre en vers une locution proverbiale fort en usage de son temps.
  4. Arsinoé dit également à Alceste qui la refuse :
    Eh ! croyez-vous, monsieur qu'on ait cette pensée
    Et que de vous avoir on soit tant empressée ?
    Je vous trouve un esprit bien plein de vanité,
    Si de cette créance il peut s'être flatté.
  5. Ce personnage n’est autre que l’abbé Cotin, poëte médiocre et vaniteux, ridiculisé par Boileau. — Trissotin était appelé, aux premières représentations, Tricotin. L’acteur qui le représentait avait affecté, autant qu’il avait pu, de ressembler à l’original par la voix et par les gestes. Enfin, pour comble de ridicule, les vers de Trissotin, sacrifiés sur le théâtre à la risée publique, étaient de l’abbé Cotin lui-même. (Voltaire.)
  6. À cette époque, les galeries du Palais de Justice offraient le spectacle animé que présente aujourd’hui le Palais-Royal. C’était le rendez-vous à la mode. Corneille a fait une comédie en cinq actes sous le titre de Galerie du Palais. (Aimé Martin.)
  7. Ce passage est imité des Visionnaires de Desmarest, Hespérie a vu Phalante s’entretenir avec Mélisse, sa sœur, Hespérie lui demande le sujet de leur entretien.
    <poem>
    Ma sœur, dites le vrai ; que vous disait Phalante ?
    Mélisse.

    Il me parloit d’amour.

    Hespérie.

    Il me parloit d’amour. La ruse est excellente !
    Donc il s’adresse à vous, n’osant pas m’aborder,
    Pour vous donner le soin de me persuader.

    Mélisse.

    Ne flattez point, ma sœur, votre esprit de la sorte :
    Phalante me parloit de l’amour qu’il me porte.

    Hespérie.

    Vous pensez m’abuser d’un entretien moqueur,
    Pour prendre mieux le temps de le mettre en mon cœur :
    Mais, ma sœur, croyez-moi, n’en prenez point la peine ;
    En vain vous me direz que je suis inhumaine ;
    Que je dois, par pitié, soulager ses amours :
    Cent fois le jour j’entends de semblables discours, etc.
    (Acte II, scène II.) (Aimé Martin.)