Les Finances et les travaux publics de l’Espagne

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Les Finances et les travaux publics de l’Espagne
Revue des Deux Mondes2e période, tome 30 (p. 902-930).
LES FINANCES
ET
LES TRAVAUX PUBLICS DE L’ESPAGNE

I. Presupuetos Generales del Estado, 1858, 1859, 1860, 1861. — II. Cuenta General del Estado, 1857. — III. Estadistica general del Commercio exterior de España, 1838. — IV. Memoria sobre el Estado de las obras publicas in España, 1859. — V. Curso de Instituciones de Hacienda publica de España, por don Eustaquio Toledano, etc., 1860.

Il y a pour les idées libérales une heureuse fortune : à ceux qui douteraient de leur salutaire influence, on ne peut mieux répondre qu’en soumettant la situation intérieure et financière de quelques états de l’Europe au contrôle décisif des chiffres et des faits. C’est ce qu’on a tenté ici dans quelques études antérieures[1]. Aujourd’hui nous voudrions renouveler pour l’Espagne une semblable épreuve, et suivre dans les améliorations intérieures du pays le progrès des idées constitutionnelles et les heureux résultats d’une politique conservatrice.

Il y a trois ans, l’Espagne, on s’en souvient peut-être, venait d’échapper aux expériences du parti progressiste, qui depuis 1854 désorganisait sa législation et ses finances. Le nouveau ministère du maréchal Narvaez avait eu pour premier soin de revenir à la constitution de 1845, de rétablir ces règles de comptabilité, cette organisation d’impôts, qui sont l’honneur de deux ministres des finances, MM. Mon et Bravo-Murillo. La malheureuse création du derrama[2] faisait place aux taxes de consommation (consumos), appliquées avec succès de 1846 à 1854, et M. Barzanallana reprenait, pour l’établissement du budget de la monarchie, les traditions de prudence et de sagacité pratiques par lesquelles s’était révélée la prépondérance du parti modéré dans cette précédente période. Il nous parut opportun alors[3] de tracer une ligne de démarcation entre deux politiques contraires. Lorsqu’une ère nouvelle semblait s’ouvrir, il fallait dresser en quelque sorte l’inventaire de l’héritage recueilli. L’analyse des élémens de la dette publique, l’évaluation des impôts et du déficit annuel accusèrent l’étendue des charges laissées dans la succession. L’appréciation des forces productives de l’Espagne, en particulier des richesses minières qu’aucun autre pays en Europe ne possède à un même degré, permettait de fonder les plus justes espérances sur l’administration de la fortune publique, remise en de nouvelles mains. Près de quatre années se sont écoulées depuis que les événemens de 1856 ont enlevé aux progressistes les rênes du pouvoir, et le moment est peut-être venu de préciser quel usage leurs successeurs en ont fait, et quels résultats ils ont obtenus.

A proprement parler, l’ancien parti conservateur ne peut revendiquer comme tout à fait sienne la direction imprimée au gouvernement depuis 1856 jusqu’à 1860, et les quatre changemens de cabinet survenus depuis lors, qui ont fait passer le pouvoir des mains du duc de Valence à celles du duc de Tétuan, ont attesté de profondes perturbations dans la composition des partis tels qu’ils existaient à la première de ces dates. Par l’effet de ces métamorphoses du parti modéré lui-même, le ministère Narvaez, accusé d’esprit réactionnaire, fut bientôt remplacé par le ministère Armero-Mon, qu’un vote du congrès ne tarda pas à renverser. Puis est venu le cabinet Isturitz, qui a cédé enfin la place au cabinet formé pour le triomphe d’un nouveau parti, l’union libérale, représenté ou plutôt concentré dans une personnalité éminente, le maréchal O’Donnell. Dans ces évolutions successives, l’ancien parti conservateur s’est séparé de quelques-uns de ses chefs les plus illustres, — le duc de Valence et M. Bravo-Murillo par exemple, — mais il s’est renforcé d’un grand nombre de ses adversaires. Cette transformation pourrait passer pour de l’ingratitude envers les hommes que l’opinion conservatrice avait tant de motifs de considérer comme des guides et des maîtres, si elle n’était due à un sentiment plus large et vraiment louable. Chez un peuple doué d’une imagination ardente et d’un esprit subtil, il est bon que les partis ne dégénèrent point en coterie et ne s’immobilisent pas dans un exclusivisme étroit. En Espagne, où les questions personnelles jouent un si grand rôle, il semblerait, à tenir trop à l’écart ses adversaires, qu’on craint plus des concurrens qu’on ne repousse des doctrines. Loin d’en adresser un blâme au ministère O’Donnell, il faut donc lui savoir gré d’avoir fait sortir la majorité conservatrice en Espagne de l’ornière où elle paraissait marcher. La cause de la liberté n’a pas eu plus à en souffrir que la cause de la monarchie, et c’est au bruit d’applaudissemens unanimes que le président du conseil, dans la séance des cortès du 21 novembre 1860, a pu dire : « Sont ennemis de la dynastie ceux qui croient que le trône peut avoir un autre appui que les institutions libérales; sont ennemis du pays ceux qui croient la liberté possible sans la dynastie de doña Isabelle II. » L’examen de la conduite tenue par le parti conservateur transforme et agrandi offrira, nous en sommes assuré, des résultats aussi avantageux pour l’Espagne et pour les modérés eux-mêmes que la période écoulée de 1846 à 1851. Dieu veuille que de nouveaux et inutiles conflits, provoqués par des fautes ou des passions également regrettables, ne compromettent plus l’avenir d’un pays auquel il ne manque, pour reprendre son rang parmi les nations les plus favorisées et les plus glorieuses, que de le vouloir et de ne pas contrarier le destin !


I.

La tâche financière du gouvernement, — c’est de celle-là surtout qu’il s’agit, — présente en Espagne plus de difficultés qu’ailleurs. Dans la période qui date de l’année 1845, la prédominance du parti modéré se manifesta principalement par l’adoption de deux grandes mesures, le règlement de la dette publique et l’inauguration d’un système d’impôts et d’administration analogue au nôtre. Toute facile que dût être une telle entreprise, si l’on compare le chiffre des obligations de l’Espagne à l’étendue de ses ressources naturelles, on a compris cependant qu’elle nécessitait, pour être menée à bonne fin, une fermeté véritable et une fidélité jusqu’alors inconnue aux engagemens pris. L’Espagne avait une mauvaise réputation financière. Semblable aux fils de famille riches d’avenir, mais dénués de ressources présentes, elle n’avait trouvé qu’au dehors des prêteurs avisés, qui savaient faire payer leur obligeance. Comme sa signature circulait en tous lieux et passait par toutes mains, on avait calculé sur une ruine imminente là où n’existait qu’une gêne momentanée, et condamné même la bonne foi du pays d’après les irrégularités de la monarchie. Le résultat de la période dont il s’agit fut le rétablissement du crédit espagnol. Si des mouvemens intérieurs, fruits de rivalités politiques et d’ambitions personnelles, rendirent encore les transactions onéreuses, du moins on sut qu’à certaines conditions il était permis de traiter avec l’Espagne, et de traiter en toute sécurité. Mais le crédit n’est qu’un instrument; quel usage devait-on en faire? quel usage en ont fait les conservateurs, investis depuis 1857 de la confiance de la reine, et en particulier le ministère que le maréchal O’Donnell préside depuis plus de deux années, et où M. Salaverria[4] occupe le département des finances? En Angleterre ou en France, dans des conditions semblables de sécurité et de durée, le pouvoir à qui il eût été donné de mettre en œuvre l’instrument du crédit restauré eût obtenu des résultats rapides et importans. En Espagne, les choses ne marchent point aussi vite. Ici toutefois une remarque préalable est de rigueur. L’opinion accréditée qu’il reste à l’Espagne de grands progrès à accomplir repose jusqu’à un certain point sur des données spécieuses; mais ceci n’est vrai que du progrès matériel. Sous le rapport religieux et moral, au point de vue même de l’instruction et pour ce qui touche à la bienfaisance, l’Espagne possède toutes les institutions qui existent chez les peuples les plus avancés. La preuve de cette assertion éclate à chacune des pages de ces budgets, dont on verra plus loin l’analyse. Ainsi même se trouve justifié notre goût pour ces modestes études de chiffres, qui éclairent en réalité d’une lumière si vive les mouvemens les plus intimes de l’existence des nations.

Jusqu’à présent, le tempérament du peuple espagnol, rebelle aux progrès matériels, ne semble point encore fait à cette existence laborieuse qui a surtout le gain pour mobile et l’accroissement de la consommation publique pour résultat. C’est là un obstacle véritable, contre lequel la bonne volonté du gouvernement vient trop souvent échouer. En vain il a prodigué les subventions et les encouragemens de tout genre aux concessions de chemins de fer, à la création d’entreprises industrielles (dans une seule séance des cortès constituantes de 1854, trois sociétés de crédit mobilier ont été autorisées) : toutes les entreprises, grandes ou petites, doivent le jour à des étrangers et vivent de capitaux étrangers. Le public espagnol semble, — singulier reproche à lui adresser, — se désintéresser des biens de ce monde et dédaigner le profit matériel. Malheureusement, ne le voulant pas par lui-même, il s’en soucie médiocrement pour les autres, suspecte l’ingérence des étrangers dans ses propres affaires, et les considère volontiers comme des fils de Danaüs dont il faut craindre les présens. On n’est déjà plus sans doute au temps où l’hostilité populaire se traduisait, comme en 1858, à Valladolid, par les voies de fait les plus graves. Sur des accusations de maléfices dignes du moyen âge, la populace de la ville se rua contre deux ingénieurs attachés à la construction du chemin de fer. Le capitaine-général dut intervenir personnellement et prendre l’un des deux à son bras pour le dégager de la foule. Des applaudissemens unanimes éclatèrent à cette vue, mais quelle en était la cause? Le capitaine-général était, comme d’ordinaire, suivi d’une escorte d’honneur : on crut qu’il emmenait lui-même le criminel en prison. Aujourd’hui, si des cris se font entendre sur le passage des ingénieurs français par qui l’Espagne se trouvera transformée, ce sont des cris de joie, des bénédictions exprimées avec cet enthousiasme sérieux et convaincu qui donne aux manifestations populaires, dans la plus grande partie de la Péninsule, un caractère tout particulier. Toutefois, si les populations espagnoles voient d’un œil favorable l’exécution des entreprises nouvelles, elles refusent de leur confier leur propre argent. Ne pas faire soi-même ses affaires, à l’occasion entraver par des susceptibilités nationales ceux qui se chargent de cette tâche, c’est, on en conviendra, rendre le succès difficile. Il faut tenir compte de ces obstacles pour apprécier avec équité l’action du gouvernement espagnol. Aussi a-t-on voulu les rappeler avant de passer en revue les budgets établis depuis 1857, avant d’énumérer les mesures prises pour parer au déficit et accroître les ressources ordinaires, d’après le plan que M. Salaverria s’est rigoureusement imposé, et qui mérite tous nos éloges. Après cet exposé, nous aurons à revenir sur les faits principaux et les mesures les plus saillantes. Chacune de ces mesures se traduisant en chiffres dans un des chapitres du budget, il suffira de discuter les augmentations de ces chapitres, et au besoin d’en indiquer de nouvelles. Le fardeau de la dette est-il trop lourd et s’accroît-il? La plaie du déficit se fermera-t-elle? Les impôts dépassent-ils les limites ordinaires? Peut-on exiger de nouveaux sacrifices des contribuables? Enfin a-t-on assez fait pour ce qui touche au bien-être du peuple, les grands travaux publics par exemple, assez pour ce qui touche à l’honneur et à la défense nationale, c’est-à-dire pour les services de la marine et de l’armée ? Telles sont les questions que cette étude doit soulever. C’est par des chiffres qu’on s’efforcera d’y répondre, et des chiffres mêmes que sortira la conclusion.

Le budget de 1857, préparé par le ministère Narvaez, s’élevait, pour les dépenses ordinaires, à 1 milliard 682 millions de réaux[5], et pour les dépenses extraordinaires à 102 millions. Les ressources ordinaires n’étant portées qu’à 1 milliard 562 millions, il fallait recourir à des moyens extraordinaires pour combler le déficit. La loi votée en 1855 permit de négocier un emprunt en 3 pour 100 de 240 millions de réaux avec une maison de banque étrangère ; malheureusement, pour obtenir cette somme effective, le capital de la dette publique se trouva grevé de 700 millions. Le ministère avait dû en même temps détruire de fond en comble l’économie du budget progressiste et rétablir les anciennes perceptions, parmi lesquelles les consumos lui fournirent une ressource de plus de 100 millions. M. Sanchez Ocaña présenta le budget de 1858 avec un chiffre de 1 milliard 775 millions pour les dépenses ordinaires et de 209 millions pour les dépenses extraordinaires. Les revenus publics ne s’élevant qu’à la première de ces sommes, il fallait, pour solder le second budget des dépenses, ou recourir encore à l’emprunt, ou se créer des ressources nouvelles. L’expérience tentée en 1857 n’encourageait point à s’adresser au crédit ; le ministre n’hésita pas à proposer l’augmentation d’impôts que son prédécesseur, M. Mon, dans son court passage aux affaires, avait déclarée nécessaire pour rétablir un véritable équilibre entre les recettes et les dépenses. Ce n’étaient pas seulement les 240 millions fournis par l’emprunt Mirés qui avaient servi de ressources extraordinaires en 1857 au ministère Narvaez ; des supplémens de crédits, la négociation de pagares (billets à ordre) souscrits par les acquéreurs de biens nationaux, avaient porté à 455 millions le total de ces ressources. Pour obtenir un pareil chiffre, le ministère Isturitz faisait figurer dans le budget des recettes ordinaires une surtaxe de 50 millions sur la contribution foncière, portée de 350 à 400 millions, et des accroissemens de revenus sur les autres parties du budget. Néanmoins l’équilibre du budget ordinaire était plus apparent que réel. On avait dissimulé, sous forme de budget extraordinaire, certaines dépenses dont la permanence ne peut être contestée, entre autres les intérêts à payer aux corporations civiles dont les biens étaient vendus. Pour solder ce deuxième budget, montant à 209 millions de réaux, il fallait avoir recours soit au produit des ventes de biens nationaux, soit à une émission d’obligations de l’état exclusivement applicables aux travaux publics.

M. Pedro Salaverria présenta le budget de 1850. Si, pour cette année, il se vit contraint de suivre les erremens de tous ses prédécesseurs, et de ne soumettre les budgets des recettes et dépenses aux délibérations des cortès que dans les premiers mois de leur exercice, on doit avant tout reconnaître que depuis lors il s’est appliqué à obéir aux vrais principes constitutionnels. Ainsi le budget de 1859 a été seulement approuvé par la loi du 31 mai 1859; mais le budget de 1860 a reçu la sanction royale dès le 25 novembre 1859, et c’est le 15 juin 1860 que le ministre des finances a soumis aux cortès le projet de budget pour 1861.

Les dépenses ordinaires pour 1859 étaient portées à 1 milliard 789 millions de réaux, et les revenus ordinaires à 1 milliard 794. Un budget spécial de 267 millions était affecté à des dépenses militaires et à des travaux publics soldés par la vente de biens nationaux. Le maximum de la dette flottante était élevé à 640 millions de réaux, et des modifications de tarifs étaient appliquées à la vente des tabacs, du sel, etc. Toutefois, avant d’examiner les différences du budget de 1859 avec les précédens exercices, il est nécessaire de mentionner tout d’abord deux résolutions importantes du gouvernement et des chambres, résolutions qui ont servi de base a tout le système financier que M. Salaverria pratique avec succès depuis son entrée aux affaires. Le duc de Valence, après les événemens de 1856, avait suspendu le désamortissement ou vente des biens de mainmorte, quelle qu’en fût l’origine. Cette vente était la ressource à peu près unique des ministres progressistes pour fermer toutes les brèches faites au revenu de l’état. Les biens de mainmorte, appartenant au clergé, aux communes, aux corporations civiles, aux ordres de chevalerie, représentaient, d’après l’évaluation de 1855, un total de 6 milliards de réaux qu’il était d’une sage politique de ménager. Le ministère Armero-Mon fit une distinction entre les propriétés ecclésiastiques et les propriétés civiles. Ne voulant pas recourir, comme son prédécesseur, à des emprunts onéreux, il crut le désamortissement des seules propriétés civiles possible et profitable. Le ministère Isturitz en fit une des ressources de son budget. Le ministère O’Donnell fut plus heureux : grâce au concordat habilement négocié à Rome par M. Rios-Rosas et approuvé par la loi du 4 novembre 1859, le gouvernement peut vendre la plus grande partie des propriétés ecclésiastiques à la condition d’accorder en retour des titres de rente 3 pour 100 inaliénables dans une proportion librement débattue. Ce résultat de longues et difficiles négociations mit dans les mains du gouvernement un gage dont l’importance politique est évidente. Il ne faut pas toutefois se dissimuler que le désamortissement constitue un véritable emprunt. Si les propriétés se vendaient à trop bas prix, la rente représentative concédée au propriétaire exproprié serait, à vrai dire, capitalisée à un taux très désavantageux pour le trésor. On a plus d’une fois cité l’exemple des propios, biens des communes, sur lesquels l’état conserve un droit de 20 pour 100; ces biens sont grevés de beaucoup de servitudes et de charges que le gouvernement, avant de vendre les propios eux-mêmes, a rachetées à un taux tel qu’il perd souvent non-seulement ses 20 pour 100, mais qu’il paie en définitive les 80 pour 100 des communes à un tiers au-dessus de leur valeur.

L’autre résolution, qu’il est également utile de rappeler à l’honneur du ministère actuel, et qui avait précédé de quelques mois la loi de désamortissement ecclésiastique, émane, d’une pensée analogue à celles qui, dans les dernières années du gouvernement du roi Louis-Philippe, attestaient une si haute prévoyance pour le développement graduel de tous les services publics. Dans le préambule de la loi du 1er avril 1859, M. Salaverria exposait que, si les grands intérêts sociaux avaient reçu, les années précédentes, une notable impulsion, il s’en fallait de beaucoup qu’elle eût été portée à la limite nécessaire : la dotation des grands services de l’état était trop modique, l’incertitude des ressources extraordinaires mises à la disposition du gouvernement apportait trop d’entraves à l’exécution des travaux indispensables au progrès matériel. Le ministre demandait aux cortès qu’on lui fournît des ressources plus importantes et mieux assurées, et il soumettait un plan d’améliorations générales qui, sur une période de huit années, embrassait toutes les branches de l’administration. Deux milliards de crédits extraordinaires devaient suffire pour augmenter le matériel militaire, les approvisionnemens et les armemens de la marine, réparer les églises, améliorer les établissemens de bienfaisance et les prisons, réparer et achever les routes, les canaux, les ports et les phares. De plus, en présentant la loi du 22 mai 1859, M. Pedro Salaverria demandait l’autorisation d’appliquer aux subventions concédées pour l’établissement des lignes ferrées des obligations spéciales rapportant 6 pour 100 d’intérêt avec 1 pour 100 d’amortissement, et dont l’ensemble pouvait aussi s’élever à la somme de 2 milliards. Ces obligations, destinées à remplacer les actions des chemins de fer prises par l’état et les subventions en argent, devaient être remises aux compagnies au taux fixé par une adjudication publique. Inutile d’ajouter que, pour les annuités résultant de l’émission de ces obligations, comme pour le paiement des crédits extraordinaires objets de la loi du 1er avril, les biens des corporations et le capital de la caisse des remplacemens militaires devaient y pourvoir dans la période indiquée de huit années.

Les cortès concédèrent au gouvernement les crédits demandés : 350 millions pour le ministère de la guerre, 450 pour la marine, 70 millions pour chacun des départemens de la justice et de l’intérieur, 60 pour les finances, et pour le seul ministère de fomento 1 milliard de réaux. Les cortès autorisèrent également le ministère à émettre des obligations spéciales pour subventionner les chemins de fer, et il fut décidé que chaque année un compte spécial de cette émission serait présenté aux chambres législatives, tandis qu’on renvoyait à l’année 1861 l’obligation de présenter le tableau des tra- vaux ou des services couverts par le crédit de 2 milliards de réaux.

Le cabinet O’Donnell-Salaverria fut investi de la confiance de la reine dans la seconde moitié de l’année 1858; c’est donc à l’occasion du premier projet de budget qu’il ait préparé, c’est-à-dire au commencement de 1859, que les deux lois dont il vient d’être question furent présentées et votées. Elles attestent l’esprit de prévoyance et le sens pratique avec lesquels le nouveau ministère envisageait la situation économique du pays. Elles ont servi de base à sa politique intérieure. Pour mettre le lecteur à même d’en apprécier les résultats, nous devions les mentionner tout d’abord, ainsi que l’heureuse négociation qui a mis d’importantes ressources à la disposition du gouvernement. Il était impossible que chaque année le budget ne présentât pas un déficit; le parti conservateur avait eu la franchise de l’avouer en recueillant l’onéreuse succession échue en 1856. La division des dépenses en ordinaires et extraordinaires, adoptée pour donner une vaine apparence de destination spéciale aux ressources autres que les revenus annuels et permanens, ne pouvait tromper sur l’insuffisance de ces revenus les hommes intéressés à mesurer le crédit de l’état. Le ministre des finances eut le mérite, non-seulement d’avouer le déficit, mais d’en élargir les limiter et de semer pour recueillir. Il maintint l’augmentation de l’impôt direct proposée par M. Mon, il ajouta même au budget extraordinaire une sorte de budget extra-supplémentaire, voulant provoquer par une large extension de travaux un développement plus rapide de la richesse publique. Huit années devaient suffire à relever les forces militaires et navales du pays, à le doter de nombreux moyens de communication, à rétablir son crédit, à porter son revenu au niveau de ses dépenses. Dussent tous les biens de mainmorte être aliénés pour solder une telle œuvre, il n’y aurait pas sans doute matière à regrets. A coup sûr, les résultats acquis devaient encourager à tenter de nouveaux et de plus grands efforts; mais au moment où le ministre de fomento était autorisé, en vertu de la loi du 1er avril 1859, à préparer une augmentation de travaux dignes de la grandeur de la monarchie, une dépense imprévue vint grever le budget en cours d’exercice et en détruire l’économie: la guerre fut déclarée au Maroc le 22 octobre.

Dès le mois de mai précédent, le budget de 1860 avait été présenté aux cortès. Il comprenait 1 milliard 834 millions de dépenses ordinaires contre 1 milliard 840 millions de recettes de même nature, et les dépenses et recettes extraordinaires s’élevaient à 302 millions 1/2. Le maximum de la dette flottante était maintenu à 640 millions. Le projet de loi soumis aux chambres le 21 octobre 1859 porta, en raison des nécessités de la guerre, les dépenses ordinaires à 1 milliard 887 millions. L’armée, qui sur le pied de paix ne dépassait pas 50,000 hommes, fut tout d’un coup élevée à 100,000. Par suite de cette augmentation, le maximum de la dette flottante atteignit 740 millions, et pour faire face à l’excédant des dépenses ordinaires aussi bien qu’aux frais extraordinaires qui pourraient résulter de la guerre, le ministère proposa des modifications aux droits d’hypothèque, aux tarifs des contributions de consommation, de timbre et d’enregistrement; enfin il demanda une surtaxe de 12 pour 100 sur les contributions directes, de 10 sur l’impôt commercial et industriel, de 8 et de 10 pour 100 sur les traitemens. Tous ces changemens furent sanctionnés par la loi du 25 novembre 1859, et les recettes ordinaires évaluées à 1 milliard 892 millions. Le gouvernement fut autorisé à dépasser même le chiffre de 100,000 hommes pour l’armée active, et à disposer à cet effet des crédits prévus par la loi du 1er avril 1859 et applicables aux ministères de la guerre et de la marine sur les 2 milliards que cette loi permettait de dépenser en huit années. Le décret du 10 février 1860, qui ouvrit une émission de billets du trésor jusqu’à concurrence de 200 millions, détermina la limite dans laquelle le gouvernement entendait user du bénéfice de cette loi, dite des 2 milliards.

Nous n’avons pas à retracer les faits militaires qui ont donné un nouveau lustre aux armes espagnoles : ce qui importe surtout au sujet de cette étude, c’est la facilité avec laquelle le trésor public pourvut aux dépenses d’une guerre aussi favorable au crédit qu’utile à la gloire de la nation. En présentant le 15 juin 1860 le budget de 1861, le ministre des finances disait: « Nous avons traversé la période, unique depuis bien des années, d’une guerre extérieure, et voici quels on ont été les effets sur le trésor : — dans l’impossibilité de graduer d’avance les dépenses de toute espèce nécessitées par la guerre, le gouvernement a ouvert un crédit collectif sur lequel il a imputé tous les paiemens relatifs aux besoins d’une armée qui s’éleva par momons à 146,000 hommes, dont 57,000 tenaient campagne. Ces paiemens ont été effectués à l’aide de l’excédant des recettes de 1859 et de la réalisation anticipée des revenus de 1860. Les caisses de l’état ont été si abondamment pourvues qu’après l’échéance d’un semestre de la dette, elles n’ont jamais possédé moins de 200 millions. La dette flottante, qui pouvait s’élever à 740 millions, n’en a pas dépassé 717 à la fin de mai, et à cette même époque la caisse du trésor renfermait 316 millions de valeurs. » Enfin, malgré les paiemens considérables effectués pour des dépenses militaires urgentes, le gouvernement espagnol répondait à une revendication intempestive de l’Angleterre par le versement intégral de 496,000 livres sterling, sans profiter des délais que, par un reste de pudeur, un créancier peu scrupuleux offrait à un débiteur trop fier pour les accepter. Le traité de paix accordé au Maroc a stipulé une indemnité de 400 millions de réaux qui effacera les dernières traces que cette entreprise glorieuse a laissées dans les finances espagnoles; il ne restera plus que le souvenir d’un temps dont les difficultés n’ont pas empêché la rente publique d’atteindre à un taux inconnu jusqu’alors, tandis que les dépenses se soldaient avec la plus grande régularité, et que le gouvernement ne profitait même pas de toutes les ressources spéciales mises à sa disposition, notamment en ce qui regarde les retenues autorisées sur l’avoir des classes passives, ou dépendantes du trésor.

Un peuple qui donnait de telles preuves de sa vitalité, de son patriotisme, de sa prospérité intérieure, devait enfin entrer avec résolution dans une voie d’agrandissement et d’améliorations économiques, dût-il les acheter au prix de nouveaux efforts. Dans cette prévision, le budget de 1861 a été présenté avec un total de 1 milliard 934 millions de recettes ordinaires et de 1 milliard 926 millions de dépenses de même nature. Le budget des recettes et dépenses extraordinaires, conforme aux prescriptions de la loi du 1er avril 1859, offre le chiffre de 418 millions. Le maximum de la dette flottante reste tel qu’il avait été établi pendant la guerre, et s’élève à 740 millions; enfin les surtaxes de guerre se trouvent maintenues. L’augmentation prévue sur les recettes de 1861, par rapport à celles de 1860, est due seulement à un plus fort produit des douanes, des monopoles et des mines de l’état. Cet accroissement n’a rien que de proportionnel avec le résultat des années antérieures. Les 39 millions d’augmentation de dépenses ordinaires proviennent, pour 15 millions, de l’accroissement de la dette et des charges de justice, et, pour 24 millions, de frais relatifs aux ministères de la guerre, de la marine et des travaux publics. Quant au budget extraordinaire, le gouvernement en a étendu les limites afin de pourvoir aux travaux des routes, à l’armement des forteresses, à l’augmentation du matériel de la guerre et de celui de la marine, auquel en particulier il veut appliquer le plus tôt possible les 400 millions de réaux concédés par la loi du 1er avril 1859.

Dans le budget de 1860, trois dispositions nouvelles avaient été introduites; l’une modifiait avantageusement les tarifs de quelques articles de consommation, les deux autres changeaient les classes et le prix du papier timbré et soumettaient à l’impôt la transmission des biens mobiliers. A l’appui du budget de 1861, M. Salaverria est venu annoncer la prochaine proposition d’une réforme douanière, et il a demandé l’adoption de quelques mesures secondaires destinées à améliorer le crédit de l’état. Ainsi, le maximum de la dette flottante devant être porté à 740 millions de réaux, le gouvernement ne pourra émettre de bons du trésor au-delà de 240 millions tant que le solde de la caisse des dépôts ne sera pas inférieur à 500 millions. En outre, un projet de loi additionnel limite à quatre mois la faculté de résidence à l’étranger accordée aux individus faisant partie des classes passives. Au-delà de ce temps, leur traitement serait suspendu. Cette disposition, qui déroge à la loi de 1835, s’explique par des motifs politiques assez graves. Les classes passives et les charges de justice forment un des chapitres les plus élevés du budget espagnol; en 1860, les dépenses supportées de ce chef figuraient pour une somme de 158 millions de réaux, et s’appliquaient à 49,345 individus ayant cessé d’exercer des fonctions publiques. Si l’on considère qu’aux classes passives reviennent les pensions accordées, quelle que fût la durée de leurs services, à tous les fonctionnaires destitués par chacun des régimes politiques qui se sont succédé dans la Péninsule, et que les charges de justice représentent des droits, des offices détruits par le gouvernement, dont quelques-uns remontaient aux usages de la cour d’Espagne lors de la conquête du Mexique et du Pérou, on reconnaîtra la légitimité des motifs invoqués à l’appui de la nouvelle mesure prise par M. Salaverria. Un autre décret à la date du 15 juin 1860 témoigne d’ailleurs de l’esprit d’équité avec lequel le ministre des finances envisage la situation des créanciers de l’état et répare une omission faite dans le règlement de la dette publique en 1851. À cette époque, la dette courante du trésor fut comprise pour une partie de sa valeur en capital dans la dette amortissable de seconde classe; mais il n’en fut pas de même des intérêts échus de cette dette. Or la dette courante du trésor avait une origine à tous égards privilégiée, puisqu’elle provenait de dépôts faits au trésor aux momens les plus difficiles. Le décret dont il s’agit a pour but d’accorder aux intérêts échus la même conversion qu’au capital lui-même. Il serait fort à souhaiter pour le crédit espagnol qu’une semblable mesure fût appliquée à ce qu’on appelle les certificats du comité anglais. C’est parce que les réclamations des porteurs de ces titres ont été jusqu’ici rejetées par le gouvernement espagnol que le Stock-Exchange, on le sait, refuse d’admettre à la cote officielle toutes les valeurs espagnoles, à l’exception du 3 pour 100 extérieur, et leur ferme ainsi l’accès du principal marché des capitaux; si le ministère O’Donnell prenait la résolution de faire cesser un état de choses regrettable à plus d’un titre, il aurait donné un nouvel exemple de générosité courageuse et rendu un véritable service à la fortune de l’état. Lors du règlement de la dette en 1851, les intérêts de la dette 5 pour 100 négociée par M. Aguado de 1820 à 1831 et des emprunts en 5 pour 100 des cortès ne furent admis à la capitalisation en dette différée que pour cinq années; il y avait onze ans que ces intérêts n’étaient plus acquittés par le gouvernement espagnol. Un comité s’assembla à Londres et fit frapper des titres représentant les intérêts échus. Ces certificats se négocient à Londres, Amsterdam et Madrid, à un cours qui varie de 4 à 6 pour 100. On voit qu’une somme relativement minime suffirait au règlement de cette affaire; ce n’est pas, il est vrai, le chiffre de la dépense qui a retenu jusqu’ici le gouvernement espagnol : il élève de justes objections contre des titres créés par de simples particuliers et dépourvus de tout caractère officiel. Cette difficulté de forme ne doit pas arrêter le cabinet, et le ministre des finances, qui professe la maxime que l’état ne paie jamais trop cher la libération de son crédit, assumera facilement la responsabilité d’une capitalisation peu onéreuse. Ainsi prendraient fin toutes les réclamations qu’on est en droit d’adresser à une nation dont la fierté n’est pas la moindre vertu, et qui souffre plus par orgueil que par intérêt des atteintes portées à son crédit. N’oublions pas enfin que l’Espagne s’est reconnue débitrice d’une somme de 80 millions de francs envers la France, mais que jusqu’ici elle n’a rien payé, et qu’il n’a rien été exigé d’elle, ni capital ni intérêts.

Deux mesures prises dans les derniers mois de 1860 complètent la série des actes du ministère O’Donnell en matière de finances et de travaux publics : la première est la loi, votée par les chambres, qui autorise les compagnies industrielles à emprunter une somme d’obligations égale non plus seulement à la moitié de leur capital en actions, mais à la totalité du capital social en y comprenant les subventions de l’état; la seconde est le décret du 7 septembre, qui approuve, sur l’exposé fait par M. Le marquis de Corvera, ministre de fomento, le plan général des routes pour la Péninsule et les îles adjacentes. Cet important travail peut se résumer ainsi : routes de première classe, 13,608 kilomètres; de deuxième classe, 10,563 kilom.; de troisième classe, 10,182 kilomètres : ensemble, 34,353 kilom., sur lesquels 10,000 à peine étaient terminés en 1859, et 2,000 en construction. En France, l’étendue des routes impériales, qui seules équivalent aux carreteras de première classe, s’élève à 35,000 kilomètres.


II.

Après avoir ainsi exposé l’ensemble des mesures que le cabinet espagnol a prises pour élever les ressources et les dépenses de l’état au niveau de ses besoins, il est nécessaire d’examiner avec détail quelques-unes de ces mesures et de porter un jugement plus réfléchi sur les éventualités de l’avenir. En 1860, le capital de la dette reconnue par le gouvernement s’élevait à 10 milliards 19 millions de réaux pour la dette perpétuelle consolidée et pour la dette différée[6]. C’est assurément une charge qui doit paraître légère, comparée aux forces productives de la Péninsule; mais si l’on met en regard de ce capital l’ensemble des intérêts payés au titre des obligations générales de l’état, on s’aperçoit que, sans être écrasant, le fardeau est assurément plus lourd qu’il ne semble. Ainsi aux 259 millions de réaux payés pour les intérêts du 3 pour 100 consolidé et différé il convient d’ajouter, d’après le budget de 1860, 47 millions pour le rachat de la dette non consolidée et les intérêts de la dette flottante, 20 millions pour l’amortissement de la dette du matériel et du personnel, 15 millions pour les intérêts des carreteras et actions de chemins de fer, 5 millions pour intérêts des actions de travaux publics, 7 millions pour l’amortissement de ces différens titres, enfin 26 millions pour les intérêts du 3 pour 100 inaliénable, échangé contre les biens des corporations civiles, ce qui, avec les 145 millions de réaux des charges de justice et classes passives, constitue un total d’obligations de 565 millions de réaux. Ce total d’intérêts annuels, loin de s’affaiblir, tend à s’accroître régulièrement d’après une progression déjà établie. Ainsi, pour suivre les erremens du budget officiel, nous n’avons point inscrit au capital de la dette les actions des chemins de fer et des routes, dont l’ensemble s’élève à 1 milliard et qui seront amorties par des achats semestriels, non plus que le total des deux classes de la rente non consolidée, dont la première, par suite d’adjudications semblables, disparaîtra en 1867 et la seconde en 1870; mais nous ne pouvons omettre de faire observer qu’en 1869 la dette différée rapportera 3 pour 100 d’intérêt, tandis qu’elle produisait 1 pour 100 en 1851, et qu’aujourd’hui elle donne 1 ¾ pour 100. Ce sera donc un nouvel intérêt de 80 millions à ajouter aux 87 millions d’intérêts de la rente différée actuelle. Le 3 pour 100 inaliénable ne figure au budget de 1800 que pour 20 millions d’intérêts; mais cette dépense n’est applicable qu’à des corporations civiles. Le nouveau concordat permet au gouvernement d’aliéner le reste des biens du clergé, dont on avait calculé en 1855 que l’ensemble valait 5 milliards 320 millions. Il faudra, en échange de ces propriétés vendues, pourvoir aux besoins du clergé et lui délivrer des titres de rente 3 pour 100. Par conséquent le capital et les intérêts de la dette publique pourront bien être, accrus de 50 pour 100 environ. Il y a là une tentation presque irrésistible contre laquelle il importe cependant de se prémunir. La vente des biens nationaux semble jusqu’ici la seule ressource dont on fasse usage pour parer aux dépenses extraordinaires, aux améliorations réelles, au déficit du budget; mais cette ressource n’est pas inépuisable: à la prodiguer trop vite, on n’en tire pas tout ce qu’elle vaut, et c’est ainsi qu’en fermant en apparence la liste des emprunts onéreux, on emprunte, sous une forme indirecte, à des taux assez élevés, et qu’on peut s’exposer à se trouver un jour sans biens nationaux à vendre, avec un nouveau déficit à couvrir et des obligations perpétuelles à payer.

Si le capital de la dette espagnole est fatalement appelé à s’accroître dans un avenir prochain, on peut regretter aussi qu’après avoir rétabli l’ordre et l’unité dans la dette de l’état, non sans exiger de douloureux sacrifices de la part de ses créanciers, le gouvernement ait multiplié depuis quelque temps des créations de valeurs dont le type n’est plus ce 3 pour 100 substitué en 1851 à tous les autres titres de la dette publique. Les divers emprunts contractés depuis 1833 sous forme d’émissions d’actions de routes à 6 pour 100 d’intérêt ont été suivis d’émissions d’actions de chemins de fer, d’actions de travaux publics, de billets du trésor à 5 pour 100, dont l’intérêt en réalité varie selon le prix plus ou moins rapproché du pair auquel ils sont adjugés: il en résulte une diversité nouvelle de ces titres publics dont les états prospères cherchent à s’affranchir. Toutes ces obligations, émises pour des travaux d’utilité générale et des dépenses extraordinaires, seront amorties dans un délai déterminé par la vente des biens nationaux. Dans la séance des certes du 22 novembre 1860, à l’occasion de la conversion de la dette d’ultramar (dette des colonies) en dette amortissable de deuxième classe, M. Polo a formulé la même observation contre cette multiplicité de valeurs, et présenté le tableau de vingt et une espèces de titres publics cotés à la bourse à des taux différens. Les reproches de l’honorable député avaient plutôt pour objet la variété des titres de rente proprement dite, consolidée, différée, amortissable, etc., que l’émission des obligations de diverse nature auxquelles s’adressent nos propres remarques. Le ministre des finances a très sagement défendu la conversion de 1851. Si les titres de la rente sans intérêt peuvent dès à présent être évalués en 3 pour 100, et sont susceptibles d’escompte avant l’époque de l’amortissement, cela tient à l’excellence de la conversion elle-même, qui a donné un prix réel à des titres sans valeur. Devancer le moment d’une libération qui peut paraître trop facile serait faire payer deux fois à l’état ce qu’on a considéré comme un bienfait de payer une fois. Quant aux obligations, dont on regrette la multiplicité, le ministre peut répondre qu’il ne les a pas créées toutes, et que s’il en a émis de nouvelles, c’était pour ne plus émettre du 3 pour 100. Des emprunts en rente 3 pour 100 n’eussent pas été amortis dans un bref délai ; les obligations le seront. Sans doute, mais comment ? À l’aide de la vente des biens du clergé. Or ces biens ne s’échangent-ils pas contre du 3 pour 100, 3 pour 100 inaliénable, il est vrai ? C’est la seule différence à invoquer en faveur de ce mode d’emprunt.

Il ne convient pas en définitive de se montrer sévère sur des opérations que la nécessité impose aux hommes chargés de la lourde tâche de ramener dans les finances l’ordre et la régularité nécessaires ; ce qui importe surtout, c’est d’examiner comment on a fait usage des ressources ainsi obtenues. Sous ce rapport, rien n’est à reprendre. Dès à présent on peut féliciter le ministère O’Donnell d’avoir envisagé en face l’une des plus grandes difficultés que lui aient léguées ses devanciers, et de n’avoir pas craint, pour la résoudre, de braver une impopularité qui est l’épouvantail des hommes médiocres et des politiques à courte vue. Le mal du budget espagnol, comme de beaucoup d’autres, hélas ! le mal chronique et invétéré, c’est le déficit. On a beau le déguiser sous l’artifice des combinaisons, établir à côté du budget ordinaire un budget extraordinaire qui comprend les dépenses nouvelles de travaux publics, les approvisionnemens de la guerre et de la marine : la vérité vraie n’en est pas moins que les ressources annuelles ne suffisent point à payer toutes les dépenses nécessaires. Pour extirper ce mal, pour augmenter les ressources, M. Sanchez Ocaña, ministre des finances en 1858, demandait aux cortès une augmentation de 50 millions sur la contribution foncière. M. Salaverria non-seulement a maintenu cette augmentation, mais en 1859 il a modifié les droits sur les tabacs, le sel, l’exportation du sel, du plomb, etc. En 1860, il a étendu le droit d’hypothèque à la transmission des biens mobiliers, augmenté les droits de timbre; enfin, à l’occasion de la guerre avec le Maroc, il a frappé les contributions directes d’une surtaxe de 12 pour 100, et de 10 pour 100 les autres impositions. Pour 1861, quoique la guerre ait cessé, quoique, par suite du traité avec le Maroc, l’Espagne doive être presque indemnisée de ses dépenses militaires, les surtaxes ont été maintenues, et le budget des ressources ordinaires sera porté à la somme de 1 milliard 934 millions de réaux; c’est le chiffre le plus élevé qui ait encore été imposé aux habitans de la Péninsule.

Il importe de remarquer à cette occasion, pour justifier une telle augmentation d’impôts, que le budget espagnol ne s’est pas, comme dans d’autres états européens, modifié d’une manière insolite depuis une assez longue période d’années. Sous Charles III, en 1788, le budget de la monarchie espagnole s’élevait à 1 milliard 823 millions de réaux, et sous Charles IV à 1 milliard 600 millions. Le budget de M. Ballesteros, sous le régime absolu de Ferdinand VII, ne montait qu’à 450 millions; mais il ne comprenait rien pour la dette, rien pour la marine, rien pour le clergé, rien pour les classes passives, c’est-à-dire que, d’après les chiffres actuels des dépenses, il faudrait y ajouter près de 1 milliard. Sans remonter plus haut que la réforme financière dont M. Mon est l’auteur et que l’établissement du nouveau système d’impôts, le chiffre des dépenses ordinaires n’était en 1845 que de 1 milliard 183 millions de réaux, et jusqu’en 1853 il ne dépassa pas 1 milliard 407 millions; mais les dépenses provinciales et municipales n’y figuraient pas. En 1856, le total de toutes ces dépenses montait à 1 milliard 700 millions de réaux à peu près; or il n’est pas aujourd’hui de 2 milliards. Nous n’avons garde de considérer comme un bien ni l’immutabilité du chiffre de ces dépenses, dites ordinaires, qui caractérisent l’activité de la vie sociale, ni le statu quo dans le rendement de ces impôts, critérium de la prospérité intérieure. Si les dépenses ordinaires de l’Espagne ne se sont pas accrues dans une plus forti^ proportion, il faut le regretter doublement, puisque les recettes ordinaires ne suffisaient pas même à solder les dépenses de même nature, et que le déficit dans le budget, comme l’immobilité dans l’existence sociale, était permanent.

Bien loin même d’accuser le ministère O’Donnell d’avoir trop demandé à l’impôt, nous ne pouvons que louer son extrême réserve sous ce rapport. Déjà, il y a trois ans, nous constations la modicité relative des impôts espagnols, et en particulier de l’impôt foncier. En 1845, M. Mon établit une contribution directe de 300 millions de réaux, plus faible que l’ancienne dîme; mais de celle-ci combien de gens étaient affranchis pour cause de hidalguia, tandis que chacun à présent supporte sa part des charges publiques ! Porter aujourd’hui la contribution foncière à 400 millions de réaux, soit 100 millions de francs, n’est-ce pas rester au-dessous du possible et du juste pour un territoire à peine inférieur d’un neuvième en étendue à celui de la France, et riche des productions de l’Asie et de l’Europe aussi bien que des plantes océaniques et des végétaux africains? L’impôt foncier, d’après la loi espagnole, ne doit pas atteindre 14 pour 100 du revenu réel; mais ce revenu lui-même, grâce aux voies de communication nouvelles, est destiné à s’accroître, et le territoire espagnol, qui pourrait facilement nourrir une population à peu près égale à la nôtre, supporterait aisément un impôt foncier plus en rapport avec la contribution foncière en France, qui est près de trois fois plus élevée. La surtaxe de guerre de 12 pour 100 sur l’impôt foncier en Espagne peut et doit donc être maintenue dès à présent.

C’est aussi en 1845 qu’un ministère conservateur a établi les impôts indirects dans la forme qui leur a été restituée en 1856, après une courte suspension de deux ans. Les anciennes taxes, auxquelles il a substitué les consumos et puertas (impôts de consommation et octrois) rendaient 191 millions de réaux; mais le personnel nécessaire à la perception dévorait le revenu. M. Mon estima le produit des nouvelles taxes à 180 millions. Elles sont comprises, en 1860, pour 390 millions dans le total de 432 millions applicable aux impôts indirects et ressources éventuelles. Ce même chapitre des recettes est porté à 458 millions dans le projet de budget de 1861. La surtaxe de guerre de 10 pour 100 peut bien être pour quelque chose dans le progrès d’un impôt qui en 1846 ne rendait que 187 millions au trésor, et 270 en 1858; mais le développement de la richesse publique a fait bien davantage. C’est principalement sur le revenu des impôts de consommation et de douanes que les améliorations intérieures doivent exercer le plus d’influence. Le ministère O’Donnell, en développant les voies de communication, favorise, outre le progrès de la consommation, celui de l’industrie. Le subside industriel, qui a doublé en dix ans (40 millions contre 88), n’atteste pas encore que l’Espagne ait tiré parti de toutes les richesses que renferme son sol. Depuis 1857, de nouveaux efforts ont été tentés, notamment pour la houille et le fer. Quoi qu’il en soit, si M. Salaverria donne suite aux projets de réforme douanière annoncés dans son exposé de budget pour 1861, on peut souhaiter qu’il maintienne un juste équilibre entre ce qu’il doit à la protection d’une industrie encore dans l’enfance et aux prescriptions de la science économique qu’il tient à honneur d’appliquer.

Les revenus des services en régie se sont considérablement accrus malgré les surtaxes imposées en 1859. Dans le budget de 1861, la recette prévue des rentas estancadas[7] est de 714 millions de réaux; en 1857, elle n’était que de 413. Que cette progression continue, et ce sera une meilleure ressource pour le budget espagnol que le désamortissement des biens du clergé. Pour les services en régie aussi bien que pour les impôts de puertas et consumos, il serait utile de diminuer les frais de perception et de production. Depuis que l’honorable M. Bravo-Murillo, à qui l’Espagne doit, entre autres bienfaits, celui d’une comptabilité régulière, dénonçait aux cortès comme mortelle pour le pays la lèpre des employés, l’économie dans les frais d’administration n’a point été ramenée à un taux suffisant : la perception des impôts directs est la moins chère; il en est autrement pour les monopoles de l’état et pour les impôts indirects. Dans un document officiel sur l’année 1857, on trouve que les revenus et les frais des rentes estancadas se sont élevés, ceux-là à 413 millions, ceux-ci à 157. Le ministre qui diminuerait le nombre des employés, en réduisant pour l’avenir le personnel de ces classes passives dont il a été déjà question, aurait certainement bien mérité du pays.

Il est surtout deux sources de revenus dont il faut se hâter de développer l’importance, le produit des domaines de l’état et l’excédant des possessions d’outre-mer. Les mines d’Almaden, de Linarès, de Rio-Tinto, dans la Péninsule, sont d’une richesse proverbiale : le produit brut, pour les premières, est de 16 millions de réaux; pour les secondes, de 2; pour les troisièmes, de 6. A Almaden, le produit net ne s’élève pas à 10 millions; à Linarès et à Rio-Tinto, il n’atteint pas plus de 1 million[8]. Quant aux possessions d’outre-mer, leurs bonis sont évalués, dans le budget de 1860, à 139 millions de réaux, et au même chiffre pour 1861. On ne peut considérer comme suffisant un revenu net de 35 millions de francs pour des colonies parmi lesquelles on compte Cuba, peuplée d’un million d’habitans sur une superficie de 4,850 lieues carrées, Puerto-Rico, qui a 426 lieues carrées et 150,000 habitans, l’archipel des Philippines, où les possessions espagnoles peuvent s’étendre sur 13,000 lieues carrées avec à millions et demi d’habitans, enfin les îles Mariannes dans la Polynésie. A Cuba, de 1834 à d854, on a construit 643 kilomètres de chemins de fer, et 870 de 1854 à 1858, Dans cette dernière année, le commerce de l’île de Cuba avec la métropole seule s’élevait à 395 millions de réaux, dont 167 à l’importation et 228 à l’exportation; celui des îles Philippines atteint déjà 50 millions de francs. On conçoit que de pareils joyaux rehaussent une couronne et excitent des convoitises étrangères. Les colonies espagnoles, dont l’armée de terre s’élève à 40,000 hommes pour l’île de Cuba et à 20,000 pour les Philippines et pour les Mariannes, ne promettent pas seulement des revenus au trésor, elles offrent de précieux avantages pour le développement ou plutôt pour la restauration des forces navales qui ont donné autrefois à l’Espagne le premier rang en Europe, et lui permettront de reprendre celui de troisième puissance maritime qui lui appartenait au commencement de ce siècle. C’est sur ce point, comme en ce qui concerne les travaux publics, que le ministère O’Donnell a concentré les chiffres les plus importans des dépenses dans l’extension qu’il a donnée aux budgets de 1860 et de 1861. Nous avons déjà mentionné à plusieurs reprises la loi du 1er mai 1859, qui ouvre sur huit exercices successifs un crédit de 2 milliards de réaux pour l’amélioration des services ministériels; 1 milliard est destiné au seul ministère de fomento. Sur les sommes que doit rapporter en 1860 la vente des biens nationaux et destinées aux dépenses extraordinaires, la part supplémentaire du fomento s’élève à 152 millions de réaux, celle du ministère de la guerre à 40, celle du ministère de la marine à 50. Dans le projet de budget de 1861, la guerre réclame, en dépenses extraordinaires, 64 millions, le fomento 168, et la marine 100 millions. Ces chiffres indiquent dans quel esprit le ministère espagnol a voulu pourvoir aux besoins de la monarchie. Une brève analyse de la situation présente de chacun de ces importans services justifiera les efforts du gouvernement et montrera aussi la lourde tâche qu’il lui reste à remplir.

Ce qui manque le plus à la Péninsule, ce sont les voies de communication. Depuis 1833, le gouvernement s’était occupé de subvenir à l’établissement des grandes routes ou carreteras. Le décret du 7 septembre 1860 fixe à plus de 34,000 kilomètres l’étendue des routes de première, de deuxième et de troisième classe; mais la moitié à peu près des routes de première catégorie est seule achevée, les deux autres réseaux sont à peine entamés. A la fin de 1856, 1,273 kilomètres de routes de deuxième classe et 429 de troisième étaient terminés. De 1856 à 1859, on n’a construit que 208 kilomètres de routes de deuxième classe et 79 de troisième. Or, dans le classement officiel du 7 septembre 1860, chacune de ces catégories de carreteras embrasse plus de 10,000 kilomètres. Jusqu’en 1859, l’étendue des chemins de fer concédés était de 3,340 kilomètres, sur lesquels 1,071 se trouvaient en exploitation et 1,144 en construction. La dépense de ces 3,340 kilomètres a été évaluée à 2 milliards 552 millions de réaux, les subventions de l’état, sous diverses formes, s’élevant à un total de 1 milliard 206 millions. On ne peut, à coup sûr, que reconnaître la générosité avec laquelle le gouvernement a pris sa part d’une dépense qui intéresse à un si haut degré la prospérité publique; mais on doit constater aussi avec quelle lenteur l’Espagne a procédé à l’établissement des nouvelles voies de communication. Le premier chemin exploité date de 1848 : en onze années, 1,000 kilomètres à peine avaient été construits. Ce qui intéresse le plus l’Espagne, c’est de se rattacher par la France au grand mouvement européen et de créer, entre l’Océan et la Méditerranée, des écoulemens faciles à son commerce spécial ou au commerce de transit. Or depuis 1859 nos relations avec la Péninsule ont été assurées d’un côté par la concession du chemin de Bayonne à Irun, où doit arriver la grande ligne du nord de l’Espagne, c’est-à-dire de Madrid aux Pyrénées, et d’un autre côté par le chemin de Perpignan à Port-Vendres, où toutes les lignes de la Catalogne doivent nécessairement aboutir. En même temps, la concession du chemin de Saragosse à Pampelune, d’où partira une voie de raccordement à Alsasua, sur la ligne du nord, et l’avancement du chemin de Saragosse à Barcelone, la capitale industrielle de l’Espagne, compléteront les rapports de l’Espagne avec la France et assureront à l’intérieur les relations entre le golfe de Gascogne et la Méditerranée. Déjà la grande ligne de Madrid à Alicante, dont le trafic donne des résultats si satisfaisans, forme la moitié de la grande artère qui coupera l’Espagne du nord-ouest au sud dans le centre de la Péninsule, comme la ligne de Bilbao, Pampelune, Saragosse et Barcelone la coupe à son extrémité nord-est. Lorsque le chemin du nord, qui exploite déjà plus de 300 kilomètres et se rattache à la petite ligne de Santander, desservira Burgos, Valladolid et Madrid, cette grande artère centrale amènera dans la capitale les produits de l’Angleterre et de l’Europe septentrionale, de même qu’on y introduit par Alicante ceux du midi, de l’Afrique et de l’Orient. enfin la grande voie ouverte au commerce transatlantique, la ligne politique de l’Espagne par excellence, le chemin de Bayonne à Cadix, est près de voir terminée la moitié inférieure de son parcours, de Madrid à Cadix, et la moitié supérieure est assurée par l’avancement du chemin de Madrid à Bayonne. Plusieurs compagnies construisent ou exploitent la partie méridionale, qui vient d’être complétée par la concession de la lacune de Manzanarès à Cordoue. Il ne manquera plus à cet excellent système de voies ferrées que l’établissement des lignes occidentales, celles qui rattacheront l’Espagne aux chemins portugais, celles surtout qui ouvriront des relations entre la capitale et les ports militaires de l’Océan. Depuis quelque temps, une tendance nouvelle se manifeste, et il faudrait se réjouir de l’empressement avec lequel on aborde en Espagne les entreprises de chemin de fer, si cet empressement même ne révélait un caractère contre lequel une sage politique commande de se prémunir. Ainsi, à l’occasion de l’adjudication d’une section du chemin de Madrid à Cadix, onze soumissionnaires se sont présentés; par suite des rabais, le chiffre de la subvention de l’état a été abaissé des trois quarts. Plus récemment encore, l’adjudication annoncée pour le 24 novembre 1860, de la section de Palencia à Léon, sur la ligne de Madrid à La Corogne, a été, quatre jours avant l’époque indiquée, assez irrégulièrement remise au mois de février 1861, parce qu’un capitaliste, se montrant plus royaliste que la reine, a proposé de se charger de deux sections de la grande ligne au lieu de celle-là seule qui avait été étudiée et mise aux enchères. On va même jusqu’à provoquer des réclamations provinciales et des coalitions parlementaires pour obtenir la concession d’un nouveau chemin de Pampelune à Bayonne par les Aldudes, c’est-à-dire en franchissant les Pyrénées au faîte, où se trouve la frontière, sous un souterrain de 5,350 mètres de long, avec des pentes de 27 millimètres par mètre. Pampelune cependant est en mesure de se raccorder, à Alsasua, au chemin du nord, qui traverse la frontière française à la Bidassoa; il ne faut pour cela qu’un simple embranchement de 40 kilomètres d’une exécution facile et peu dispendieuse. Le chemin par les Aldudes parcourrait 105 kilomètres, il ne coûterait pas moins de 50 millions de francs, et néanmoins on se fait fort de l’exécuter sans subvention ! Pourquoi cette troisième entrée en France si onéreuse et si difficile? Pourquoi ce feu des enchères allumé sur tous les points? Les bénéfices sont-ils si abondans et si certains? le produit des actions de chemins de fer est-il si rémunérateur? Assurément non; c’est uniquement parce que des intérêts particuliers se font concurrence, et à tout prix. Or, comme il s’agit surtout d’intérêts étrangers, le public espagnol bat des mains et presse le gouvernement de laisser faire la concurrence. L’exemple de l’Angleterre, où l’on sait ce que la concurrence a produit, l’exemple tout contraire de la France, où l’on a opposé de si fermes obstacles aux excès de la concurrence, fournissent au gouvernement espagnol un double et salutaire enseignement. Si les bonnes affaires appellent les affaires, l’insuccès ne nuit pas seulement à ceux qu’il frappe directement : il paralyse pour longtemps tous les efforts, et comme en matière de chemin de fer l’état, en définitive, paie tôt ou tard les fautes commises, le ministère espagnol agira avec prudence en ne permettant pas à des concurrences mal justifiées de se produire.

Un autre ordre de travaux publics réclame de grandes améliorations. Les canaux et les rivières ont partout ailleurs précédé les chemins de fer comme moyen de transport. Les aménagemens des cours d’eau rendent d’éminens services à l’agriculture. En Espagne, depuis la domination des Maures, on n’a créé sous ce rapport que le canal d’Urgel : il suit 152 kilomètres et peut arroser 14,200 hectares. Depuis 1852, on a dépensé pour l’établir 25 millions de réaux; il en coûtera 31. Les canaux de Guadalimar, dans la province de Jaen, de la droite du Lobregat dans la province de Barcelone, ceux des Asturies et de Henares, porteront la fertilité sur des territoires étendus; mais ils ne sont guère qu’à l’état de projet, et sauf dans la huerta de Valence les travaux d’arrosement, si utiles en Espagne, sont partout encore à créer. C’est à cet ordre de travaux qu’il faut rattacher le canal d’Isabelle II, qui apporte à Madrid l’eau qui lui manquait. Ce grand ouvrage a déjà coûté 146 millions de réaux; il en nécessitera peut-être encore 50, On ne compte que deux canaux de navigation, le canal d’Aragon, en même temps canal d’arrosement, et le canal de Castille, qui se soude au chemin de fer d’Isabelle II, d’Alar à Santander. Depuis 1856, rien n’a été fait sur le canal de Castille, dont le service laisse beaucoup à désirer. Sur le canal d’Aragon, la longueur de la partie navigable est de 87 kilomètres, colle de la partie d’arrosement de 16. Les produits couvrent à peine les frais d’exploitation, Quant aux travaux pour la canalisation des rivières, ceux de l’Ebre, exécutés en vertu de la loi du 20 novembre 1851, n’embrassent que le cours inférieur de ce fleuve, de Saragosse à la Méditerranée, sur une longueur de 371 kilomètres. L’exploitation se fait déjà sur 150 kilomètres, de Mequinenza à la mer, La compagnie concessionnaire de cette entreprise a dû demander au gouvernement une prolongation du délai de construction et le paiement anticipé d’une partie de la subvention, sous forme de garantie d’intérêt pour les parties exploitées. En dehors de la canalisation de l’Ebre, il ne reste à mentionner que les travaux entrepris, dans un parcours de 62 kilomètres, sur la partie du Tage qui touche à la frontière du Portugal. Le total des dépenses jusqu’en 1859 n’est que de 2 millions 1/2 de réaux. Quelques travaux de peu d’importance ont été entrepris depuis 1856 sur le Douro.

Les ports de la Péninsule sont aussi dans une situation précaire. Le service des ports ne constitue que depuis peu d’années un service spécial. Une loi de 1852 les a classés en deux catégories, ceux d’intérêt général et ceux d’intérêt local de premier et de deuxième ordre. Les ports d’intérêt général sont à la charge de l’état, et leurs revenus mêmes doivent être consacrés aux améliorations qu’ils réclament. En mai 1852, ce produit ne s’était élevé qu’à 5 millions de réaux; en 1858, il a atteint le chiffre de 6 millions 1/2. On conçoit toute l’insuffisance d’une pareille allocation; aussi les ports figurent-ils pour un chiffre important dans les nouveaux crédits attribués au ministère de fomento. Il est juste de ne pas oublier que le gouvernement espagnol s’est occupé activement de l’établissement des phares et a complété en peu de temps un service étendu de lignes télégraphiques.

Ce qui appelle encore toute la sollicitude du ministère O’Donnell, ce qui ne permet ni délai ni parcimonie, c’est la création d’un système de petite vicinalité. Les chemins vicinaux proprement dits, ces modestes sentiers qui unissent entre eux les petits centres de population et même les habitations isolées, qui servent à l’écoulement journalier des produits locaux, à l’alimentation ordinaire des peuples, manquent sur tous les points de la Péninsule. Tous les transports, même ceux du charbon, du blé, du bois, des pierres, s’y font à des de mules ou sur des charrettes à travers champs, quand la température et l’état des récoltes le permettent. Quelles seraient les conséquences d’une nouvelle organisation de ces chemins pour la propriété foncière, pour la consommation; quels accroissemens en résulteraient dans le produit des impôts indirects, dans le revenu des chemins de fer, dans les octrois des villes, on s’en fera une idée d’autant plus aisément, qu’on sait tout ce qui a été dit de la fertilité du territoire espagnol et de l’esprit de ses populations. Sans doute le gouvernement ne peut subvenir directement à une dépense qui excéderait de beaucoup ses forces, et qui incombe seule aux localités. Qu’on nous permette cependant de rappeler aux ministres de la reine tout ce que la prospérité de la France doit à la loi du 21 mai 1836 sur les chemins vicinaux. Cette loi n’était pas la première qui prît à tâche de régler un point aussi important de l’administration communale. On comptait avant elle les lois de 91, de l’an XIII et de 1824; mais l’autorité ne possédait aucun moyen coercitif de vaincre la mauvaise volonté ou l’insouciance des communes : la loi de 1836 a ordonné la formation d’un état des chemins vicinaux, a posé les conditions d’établissement, enfin a rendu obligatoires les dépenses nécessaires pour les entretenir et les créer. Grâce à l’impulsion vigoureuse de cette loi, en 1841 la France possédait 52,000 kilomètres de chemins de grande communication sur 586,000 kilomètres de chemins vicinaux ordinaires. On ne peut sans doute indiquer au gouvernement espagnol l’exemple de nos centimes spéciaux et de nos prestations en argent ou en nature comme devant être littéralement appliqué aux communes du royaume; l’esprit municipal de la Péninsule demanderait peut-être plus de ménagement que n’en comporta chez nous l’exécution rigoureuse de la loi de 1836, qui donnait à l’autorité préfectorale une grande initiative. Cependant, depuis que le mouvement de 1856 a rendu en Espagne plus de vigueur à l’action du pouvoir central, il serait facile assurément d’exciter dans les localités une juste émulation pour la création de chemins de vicinalité. L’utilité de ces moyens vitaux de circulation frappe tous les yeux; maison désire obtenir tout de suite les voies les plus perfectionnées, on dédaigne les chemins ordinaires, de beaucoup les plus utiles, puisqu’ils coûtent moins, se font plus vite, et suppléent à l’absence des autres. Des localités qui ont obtenu d’être voisines d’une ligne de fer ne se contentent plus d’une route, voire d’un chemin de fer à voitures attelées; il ne leur faut rien moins que des rail-ways à locomotives, et en attendant la réalisation d’une espérance vaine, elles préfèrent ne s’imposer aucun sacrifice, et rester privées de toutes relations extérieures[9]. Il faut donc que le gouvernement presse les autorités provinciales de se mettre à l’œuvre, qu’il prodigue les encouragemens, les récompenses, les subventions même. Nulle dépense ne sera plus profitable à la communauté.

L’instruction publique en Espagne n’est pas dans l’état languissant où l’on se plaît quelquefois à la représenter; les établissemens d’éducation y sont aussi nombreux, par exemple, que les établissemens de bienfaisance. Pour une population de 16 millions d’habitans, on trouve 7 établissemens généraux de bienfaisance, 215 établissemens provinciaux, 1,101 municipaux, 262 particuliers, 182 destinés à porter des secours à domicile; Madrid seul possède 21 hôpitaux. Signalons en passant ces positos ou greniers de réserve, qui existent dans vingt-six provinces et prêtent du blé aux agriculteurs pauvres et aux veuves. Notons aussi, à côté des hermandades (confréries), les monte-pios, sociétés d’assistance mutuelle formées dans toutes les classes actives de la société, et multipliées à ce point qu’on trouve même un monte-pio destiné à subvenir aux besoins des enfans et des veuves des juges de première instance. Quant à l’instruction publique, dont un programme perfectionné a été mis à exécution en 1857, elle est, pour l’enseignement primaire, gratuite et à la charge des municipalités. Au commencement de 1859, on comptait 15,491 écoles primaires pour les garçons et 6,111 pour les filles; 394 écoles étaient destinées aux adultes, et 192 seulement aux petits enfans. Le nombre des élèves qui fréquentaient ces établissemens s’élevait à 1 million sur 2 millions 1/2 d’enfans âgés de six à treize ans qui auraient pu y être admis. Enfin on remarque que, depuis 1855 jusqu’à 1859, il a été ouvert plus de 3,500 écoles, et que le nombre des élèves s’est accru de 123,000. Ces chiffres démontrent qu’en Espagne le progrès moral a devancé le progrès matériel. Il est nécessaire cependant que celui-ci ne tarde pas à s’accomplir, et nous avons rapproché ce qui concerne l’instruction primaire de nos remarques sur les voies de communication dans la Péninsule, parce que ces deux services font partie du même département, de ce ministère de fomento qui est véritablement le ministère du progrès, et que l’on verra sans doute réaliser toutes les améliorations morales et matérielles réclamées par ce noble pays.

À ce tableau des principales forces productives du territoire espagnol, on nous pardonnera peut-être d’ajouter un souvenir personnel en témoignage de ce qui constitue la première richesse de l’Espagne, c’est-à-dire le bon esprit de ses populations. La fermeté navarraise, l’orgueil castillan, l’industrie catalane, la vivacité andalouse, la bravoure commune à toutes les races qui occupent les provinces de la Péninsule, sont choses notoires et passées à l’état de lieux-communs. C’est une impression reçue dans une des plus petites provinces du nord, dans le Guipuzcoa, que nous voudrions noter ici. Quelques administrateurs français et espagnols du chemin de fer du nord de l’Espagne s’étaient rendus à Tolosa pour inaugurer les travaux de la ligne de fer qui doit unir Madrid à la frontière française. Dans les fêtes qui accompagnèrent cette cérémonie, l’attitude de toutes les classes de la population présentait un spectacle remarquable. Les chefs de la députation provinciale, administrateurs souverains et magistrats élus de cette population, dont les antiques fueros ont été respectés, présidaient à la cérémonie sans autre signe distinctif que la canne officielle, emblème du commandement en Espagne. Nul autre costume ne se faisait distinguer que celui du capitaine-général et du gouverneur civil; nulle autre force militaire ne contenait la foule que les miquelets, corps tout provincial, dont l’agilité et la vigueur donnaient une apparence vraiment martiale à leur modeste accoutrement militaire. Puis le soir, après un banquet où des représentans des opinions les plus opposées avaient échangé les paroles les plus courtoises et les plus cordiales, quand les convives parurent au balcon de l’ayuntamiento, sur la place rectangulaire de Saint-Sébastien, un chant composé tout exprès pour la cérémonie, appris en quelques heures par les élèves des écoles, accueillit la présence des magistrats populaires et fut immédiatement répété avec un ensemble satisfaisant par toute la population. Les danses succédèrent aux illuminations, et se prolongèrent pendant la plus grande partie d’une de ces nuits sereines et étoilées qui sont le charme des contrées méridionales. Mais ce qu’il ne nous a jamais été donné de voir ailleurs, c’est qu’au milieu de la joie générale le mouvement ne dégénéra jamais en tumulte, le plaisir en ivresse. Nous avions bien là sous les yeux cette Espagne dont le calme n’est point de l’indolence, dont le respect pour la religion et la monarchie nationales ne ressemble point au servilisme. et dont la sobriété, la fermeté sont toujours les mâles vertus. Nous nous disions enfin qu’il y avait dans cette population saine et vigoureuse des trésors à exploiter, non moins riches et non moins féconds que les mines enfouies dans les entrailles du sol qui la porte.

Avec la marine et la guerre se trouvera terminé ce rapide examen du budget espagnol. Sans insister sur les chiffres qu’atteignent ces deux départemens, il convient d’énumérer les forces dont il s’agit de solder les dépenses. Le service de la marine comprend trois divisions, Cadix, Le Ferrol et Carthagène, dirigées par un capitaine-général. Il y a en outre trois commandemens pour les colonies : La Havane, Puerto-Rico e*t les Philippines. Des juntes spéciales sont annexées à ces départemens pour s’occuper de toutes les affaires intéressant le service de la marine; au-dessus d’elles et près du ministre siègent la junte directrice et la junte consultative de la Armada. L’Espagne possède enfin six arsenaux, dont le premier seulement, celui de La Caracca, à Cadix, est placé sous les ordres d’un commandant-général. Les cadres du service de mer sont amplement garnis, ils ne comptent pas moins de 34 officiers-généraux, 60 capitaines. de vaisseaux ou de frégates; le cadre de réserve n’a pas de limites. Un corps d’administration de la marine réside à l’arsenal du Ferrol; ingénieurs de la marine, collège naval d’aspirans, artillerie de marine, école spéciale du génie maritime, corps des constructeurs et du service hydraulique, rien ne manque, comme personnel, de ce qui peut constituer une grande puissance navale. Malheureusement les arméniens de l’état se bornent à 76 bâtimens, sur lesquels on ne compte que 2 vaisseaux, 4 frégates à voiles et 4 frégates à vapeur. La marine militaire tout entière ne porte que 904 canons. Énoncer de pareils chiffres, c’est démontrer l’urgence d’armemens nouveaux. La marine marchande se compose de 5,175 navires, dont 57 seulement sont à vapeur, et qui portent 349,753 tonneaux. Le district de Carthagène seul fournit 2, 720 bâtimens. Les équipages de tous ces navires marchands forment un chiffre de 81,177 marins de tout grade. Le cabotage espagnol présente en totalité 608,381 tonneaux. Il y a là les élémens d’une marine militaire importante, et l’on peut applaudir sans hésitation aux dépenses que le gouvernement applique soit à l’approvisionnement des arsenaux, soit à l’augmentation des bâtimens, puisque, toutes militaires qu’elles soient, ces dépenses ne méritent pas d’être appelées improductives. La marine militaire, qui protège la marine marchande, sert de stimulant actif à l’extension des relations commerciales que l’Espagne doit entretenir avec le monde entier, grâce à son littoral de quatre cent quatre-vingt-sept lieues d’étendue. Le relevé de la statistique commerciale publié en décembre 1859 constate les progrès du commerce espagnol depuis quelques années. En 1853, le produit du commerce d’exportation et d’importation n’était que de 1 milliard 570 millions de réaux; il s’élève graduellement jusqu’à 2 milliards 723 millions en 1857; l’année 1858 le voit retomber, il est vrai, à 2 milliards 475 millions, mais ce chiffre est encore supérieur de 325 millions de réaux à la moyenne des cinq années précédentes. Il n’est pas besoin d’insister sur l’action que l’accroissement de la marine militaire exercerait au profit exclusif du commerce fait sous pavillon national, lequel, dans le total de 1857, compte pour plus de 1 milliard 500 millions.

Si l’on peut souhaiter, au point de vue du progrès matériel, de voir les dépenses du ministère de la marine s’accroître encore, on n’en saurait dire autant des dépenses du ministère de la guerre, surtout de celles qui sont relatives au chiffre même de l’armée. Il y a quatre ans à peine, l’armée active espagnole ne dépassait pas cinquante mille hommes; on l’a vue portée au double lors des événemens survenus en Italie, et au moment de la guerre du Maroc elle atteignait presque le triple. Les cortès viennent d’adopter un projet de loi qui, pour l’année 1861, fixe le total de l’armée active à cent mille hommes. Sans doute, avec sa population, l’Espagne tiendrait facilement sur pied une armée plus considérable : le chiffre permanent de 170,000 hommes n’aurait rien que de conforme aux proportions ordinaires de l’armée avec la population d’un état; mais pourquoi l’Espagne ne profiterait-elle pas de la position privilégiée que lui a faite la nature? Péninsule, elle se trouve favorisée presqu’à l’égal de l’Angleterre. Le seul voisin dont les Pyrénées la séparent est tellement lié avec elle par l’affinité de race, de religion, d’intérêts commerciaux, que la politique traditionnelle des souverains de ces deux nations avait cherché à cimenter par l’union des familles royales l’alliance des deux peuples. Les hostilités qui les ont séparés n’ont laissé à tous deux que des souvenirs cruels, et ces souvenirs suffisent pour protéger la Péninsule contre d’impossibles agressions. En sûreté donc sur toutes ses frontières, elle n’a vraiment besoin de forces militaires que pour défendre ses vastes colonies et pour garantir la tranquillité intérieure. Il faut donner à cette occasion un mot d’éloge à la garde civique, dont les qualités solides égalent celles de notre gendarmerie, et dont le chiffre de dix mille hommes devrait être augmenté.

Pour assurer le calme à l’intérieur comme pour soutenir son rang au dehors, pour mériter de compter parmi les grandes puissances, l’Espagne n’aurait pas même besoin d’entretenir sur pied une armée active de cent mille hommes. Il suffit qu’elle s’applique de plus en plus à développer les forces productives de son territoire, à maintenir le libre exercice de ses institutions. C’est à la monarchie constitutionnelle, à la politique libérale et conservatrice du gouvernement, qu’il faut reporter l’honneur d’avoir remis l’ordre dans les finances, la régularité dans l’administration et le calme dans les provinces. La paix et la prospérité au dedans, le crédit au dehors, tout récemment un nouveau lustre ajouté à ses armes, voilà ce que le peuple espagnol a obtenu d’un régime de libre discussion, et ce qui signalera dans l’histoire le règne d’Isabelle II. En ce moment même où, par un merveilleux concours de circonstances, l’Espagne ne se trouve mêlée directement à aucune des querelles qui peuvent agiter d’autres états européens, le gouvernement de la reine Isabelle peut porter à un haut degré la prospérité d’une nation digne de tous les biens. L’Europe libérale saluera de ses applaudissemens un tel résultat; la France en particulier se sentira redevable envers les hommes qui auront accru la puissance d’un des trois peuples de la race latine, et préparé cette alliance de l’Espagne, de l’Italie et de la France, indispensable à la sécurité de leurs communs intérêts.


BAILLEUX DE MARIZY.

  1. Voyez pour l’Autriche la Revue du 1er mars 1860, et pour le Piémont la livraison du 1er août 1860.
  2. Contribution territoriale et industrielle établie en 1856, et dont on avait cru tirer 80 millions de réaux.
  3. Voyez la Revue du 15 avril 1857.
  4. M. Salaverria, dont le nom n’a peut-être pas en France le retentissement qui lui est dû, justifie par ses opinions progressistes modérées ce que nous avons dit de la politique expansive du maréchal O’Donnell. Le rang auquel il est parvenu dans les conseils de la reine en passant par tous les degrés de la hiérarchie administrative fournit un nouvel exemple du libéralisme d’un régime qui ouvre au mérite personnel l’accès des postes les plus élevés. Né en Castille en 1810, M. Salaverria occupa jusqu’en 1844 un modeste emploi. À cette date, il fut nommé official segondo à la comptabilité de Séville, puis appelé à la direction du trésor à Madrid, et devint ensuite sous-secrétaire d’état des finances sous M. Collado. Une première fois en 1856, il fut nommé ministre des finances, après avoir passé par la direction de la dette, le secrétariat de la banque San-Fernando et la direction d’outre-mer. Lors du retour aux affaires du maréchal O’Donnell en 1858, M. Salaverria reprit le portefeuille des finances.
  5. Le réal vaut un peu plus de 26 centimes. — Nous sommes obligé, pour conserver à cette étude sur les finances espagnoles son caractère propre, de citer toutes les quantités en réaux. On pourra sans beaucoup de peine se représenter les mêmes quantités en francs, si l’on prend le quart des sommes exprimées en réaux, et cette précaution est nécessaire pour apprécier sainement les ressources et les dépenses d’un pays dont le budget, porté par exemple à 2 milliards de réaux, dépasse à peine le chiffre de 500 millions de francs.
  6. Dans la Revue du 15 avril 1857, nous avons expliqué l’origine de tous les titres de la dette espagnole et analysé la conversion de 1851. On divise la dette en intérieure et extérieure, en dette consolidée, différée et amortissable. La dette consolidée porte seule un intérêt de 3 pour 101), la dette différée ne portait que 1 pour 100 d’intérêt en 1851; par suite d’accroissemens successifs, elle rapportera 3 pour 100 en 1869. Les dettes amortissables (passive, du matériel, du personnel) doivent disparaître dans un avenir prochain au moyen d’adjudications semestrielles; elles ne rapportent aucun intérêt.
  7. On appelle ainsi les services en régie ou monopoles de l’état (tabac, sel, poudre, etc.).
  8. Conte, Examen de la Hacienda publica.
  9. La petite ligne de Cordoue à Séville, d’une étendue de 131 kilomètres, laisse sur la rive droite du Guadalquivir trois villes d’importance diverse : Ecija, qui compte 23,000 habitans, Carmona, qui ou a 15,000, enfin Palma. Cette dernière ville, distante de la ligne ferrée de 5 kilomètres seulement, s’y rattachera par une route et un pont. Ecija n’est qu’à une vingtaine de kilomètres de Palma; de Carmona à la ligne de Séville, il n’y en a pas 15. Pour des localités qui ne jouissent pas de moyens de communications perfectionnés, le voisinage relatif du chemin de fer est une bonne fortune dont on devrait avoir hâte de profiter; mais les habitans des deux premières villes ont dédaigné de s’occuper d’un raccordement direct avec le chemin de fer par des routes ordinaires. Un projet de chemin de fer à chevaux a été même écarté. enfin il s’est trouvé, dit-on, des hommes assez entreprenans pour proposer de construire un deuxième chemin de fer de Cordoue à Séville, en passant par Ecija même et Carmona; on voudrait ainsi renouveler aux bords du Guadalquivir l’heureuse expérience des deux chemins de Paris à Versailles sur la rive droite et sur la rive gauche de la Seine!