Les Flûtes alternées/Collège

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Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 43-49).
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X

COLLÈGE


Ami, nous fûmes, quoique jeunes,
Très soucieux, en ce temps-là.
Nos cœurs connurent de longs jeûnes
Dans la cage de Loyola.

En ce temps-là dont tu rallumes
Le souvenir, noyé de pleurs,
Que notre aile a laissé de plumes
Entre les mains des oiseleurs !

Ô solitude de l’enfance,
Dans le collège au porche obscur
Où notre effroi lisait : Défense
De lever les yeux vers l’azur !

 
Te souviens-tu des jours moroses,
Si lents, si lourds, dans les préaux,
Où l’on coiffait nos têtes roses
Des perruques de Despréaux ;

Où, dispensateur taciturne
D’hier, de demain, d’aujourd’hui,
Le Temps nous versait de son urne
Toutes les gouttes de l’ennui ?

Te souviens-tu des promenades
Dans le faubourg vil et caduc
Et tout le long des colonnades,
Point-du-Jour ! de ton viaduc ?

C’étaient des boulevards sans bornes,
Portant des noms de maréchaux,
Des talus gris et des prés mornes
Sous les frimas des fours à chaux,

Des berges à l’odeur malsaine,
Des bosquets où les canotiers
Offraient aux nymphes de la Seine
L’ivresse des demi-setiers.

 
Mais notre rêve était si tendre
Que nous ralentissions nos pas
Ô tonnelles ! pour mieux entendre
Des baisers qu’on ne voyait pas,

Et que, l’âme de songes pleine,
Nous revenions troublés, le soir,
Par ta forme divine, Hélène !
Lycoris ! par ton regard noir.

Partout d’obscures silhouettes
Nous guettaient du fond de leurs trous ;
Et nous étions des alouettes
Dans la caverne des hiboux.

Tous deux, ami, loin de nos mères,
Nous rongions, toi ver et moi rat,
Après le papier des grammaires
Le parchemin de Quicherat.

Mais dans quel azur chimérique
S’évadait notre âme d’enfant
Hors de l’étroite rhétorique
Et du syllogisme étouffant,

 
De la classe où des pédants tristes
Nous affirmaient que le bon Dieu
Défend aux pâles humanistes
De savoir que ton œil est bleu,

Néère ! et que le vieil Horace
Est scandaleux quand à Tibur
Il offre à Lydé qu’il embrasse
Un lit de mousse et du vin pur !

Comme déjà, sans la contrainte
Des Pères Cahour et Bouhours,
La Beauté vénérable et sainte
Eût sacré nos rêves trop courts !

Comme du sein de la mêlée
Nous eussions vu, sans Loriquet,
Surgir de l’histoire étoilée
Toutes les gloires qu’il masquait !

Et cependant, quand le silence
De l’étude aux bancs rapprochés
Nous berçait dans sa somnolence,
T’en souviens-tu ? peureux, cachés,

 
À l’abri du tremblant pupitre
Et des lexiques étagés
Nous ajoutions plus d’un chapitre
À nos Juvénals expurgés.

La Muse incertaine et fragile
Et rebelle à s’apprivoiser,
Dans les églogues de Virgile
Nous donnait son premier baiser,

Le continuait en cachette
Dans Ovide où nous apprenions
Que l’or, divine pluie, achète
De symboliques unions.

Et soudain c’était dans nos ombres
Un éblouissement pareil
À celui des prisonniers sombres
Qui remontent vers le soleil,

Quand, frémissants, malgré le maître,
Ses pensums et ses quos ego,
Nous voyions, ô rêve ! apparaître
Le quadrige éclatant d’Hugo,

 
Le char d’or auguste et sublime,
Rayonnant, fauve, aux chevaux clairs,
Qui roulait du faîte à l’abîme
Dans la lumière et les éclairs,

Et tout vibrant de l’harmonie
Des strophes et des vers sacrés,
Dans le vertige du génie,
Vers les inconnus effarés,

Vers l’azur immense et sans voiles,
Vers la splendeur des nouveaux cieux
Nous emportait jusqu’aux étoiles
Comme la boue à ses essieux !

Frère ! t’en souviens-tu ? L’aurore
Et la vie et l’art et l’amour
Subitement venaient d’éclore
Comme sur les coteaux le jour.

Le lierre qui pendait et l’arbre
S’emplissaient de nids familiers
Et les vieux murs semblaient de marbre
Et tous nos rêves d’écoliers

 
Hors de la cage grande ouverte,
Libres, palpitants à la fois,
S’envolaient à la découverte
Des prés, des sources et des bois.

Muse ! Poésie éternelle !
Ô Mère aux essors triomphants
Qui vins effleurer de ton aile
Le front assombri des enfants,

Sois bénie, ô Consolatrice !
Puisque naguère en t’inclinant
Comme une indulgente nourrice
Sur le noir berceau frissonnant,

Tu fis descendre sur nos têtes,
Esclaves du joug odieux,
Le rayon qui vient des poètes
Et la beauté qui vient des Dieux !