Les Flûtes alternées/Otium Poetæ

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I

OTIUM POETÆ


Je ne sais si ma tâche est faite
Ni si, de nuit enveloppé,
Il m’est permis, ô divin faîte !
De redescendre vers Tempé.

Ai-je le droit, ô sombres voiles !
De vous écarter ? Cieux puissants,
Après avoir vu les étoiles
De regarder les vers luisants ?

Le Poète qui tient la lyre,
Le cavalier du grand Cheval
Sous les saules peut-il élire
Une retraite au fond du val ;

Meurtri par l’orage et la lutte.
Désertant les saintes hauteurs,
Tenter un instant sur la flûte
Les chants agrestes des pasteurs,

Et loin des demeures divines
Et loin des palais meurtriers,
Quand l’ombre croît dans les ravines
Danser avec les chevriers ?

N’est-ce pas, ô sévères Muses !
Qu’au penseur il faut le repos,
La ruche aux abeilles camuses,
La mousse aux nids, l’ombre aux troupeaux ?

Que le quadrige aux bonds superbes,
Après la victoire, a besoin
De la molle fraîcheur des herbes,
D’orge vulgaire et d’humble foin ?

Mais, ô printemps ! tardive aurore !
Source, ruisseau, fuyant miroir,
Ô plaines que le soleil dore,
Que la lune argenté le soir.

 
Ô fontaine où le bouleau tremble,
Colombes, pins, chênes sacrés,
Que chuchoterez-vous ensemble,
Êtres, choses, quand vous verrez

L’hôte épouvanté des ténèbres,
Le porteur des mornes flambeaux,
Qui sortait des temples funèbres
Pour pénétrer dans les tombeaux,

Animer les pipeaux rustiques,
Cueillir l’œillet, couper les lys
Et sous les grands hêtres antiques
S’enfuir avec Amaryllis ?

Qu’importe ? Accueillez dans vos groupes
L’ami des loisirs amoureux,
Bergers ! Le vin rougit les coupes,
Le lait blanchit les vases creux.

Le bouc cornu poursuit les chèvres,
La Nymphe rit dans les sentiers,
Le baiser fleurit sur les lèvres
Et l’églantine aux églantiers.

 
Le Poète, qui s’aventure
Dans le bois aux charmants détours,
Écoutera dans la nature
Toutes les voix et les amours.

Il dira la terre féconde,
Les prés épais et les blés d’or,
La forêt qu’Octobre fait blonde
Et Lycoris plus blonde encor ;

L’arbre où, des siècles épargnée,
L’Hamadryade pleure en vain
Lorsque saigne sous la cognée
La blessure d’un tronc divin,

Et la terreur du crépuscule
Quand, bondissant des halliers verts,
Pan, aux désirs sans frein, circule,
Immense et nu dans l’univers.

Et quelquefois, quand les bruines
Estompent les lointains voilés,
Il s’asseoira sur vos ruines
Temples déserts, autels croulés !

 
Le voici ! Moquez-vous, ô belles !
Aboyez, chiens, sifflez, oiseaux,
Si, brisant de ses doigts rebelles
La cire fraîche des roseaux,

Dans la clairière que limite
Le cercle attentif des bergers,
Maladroitement il imite
Les Satyres aux pieds légers.

Mais vous que l’amour environne,
Nisa, Néère aux cheveux blonds,
De vos mains tressez la couronne
Si par hasard, dans les vallons,

Le Poète à la flûte agile,
Habile aux chants aimés des Dieux,
Fait la rencontre de Virgile
Sous les cyprès mélodieux.