Les Flûtes alternées/Promenade d’Automne

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XV

PROMENADE D’AUTOMNE


Tous les deux, quand viendra l’automne,
Toujours heureux, toujours aimant,
Le long d’un chemin monotone
Nous marcherons bien lentement.

Traînerons-nous nos pas moroses
Dans les parcs encore éblouis
Des royales apothéoses
Et des triomphes des Louis,

Dans les prodigieux Versailles,
Rêve étoile d’un dieu mortel,
Temple désert où tu tressailles
D’un vague frisson solennel ?

 
Non ! Loin des arbres à perruques
Nous fuirons. Loin des ifs princiers,
Préférant sentir sur nos nuques
Les âpres griffes des ronciers,

Loin des charmes en esclavage,
Des rocailles, des bassins ronds,
Dans le bois noir, le bois sauvage,
Ô mon amour ! nous marcherons,

Sous les feuilles jaunes qui tremblent
Et s’envolent de toutes parts
Comme des oiseaux d’or qu’assemblent
De mélancoliques départs.

Nous chercherons dans la clairière
Où croît l’ombre des troncs pressés
L’humble hutte dont la barrière
Est faite de roseaux tressés.

Oh ! comme dans l’âtre sans flamme
La cendre que le vent rabat
Est triste ! Dans l’ombre, une femme
Tousse et gémit sur un grabat.

 
La huche est vide. Ô solitude !
On souffre en ce bouge écarté.
Nous prendrons l’austère habitude
Du palais de la pauvreté.

Nous y précèderons Novembre,
Moi, ton esclave, entre mes bras
Portant jusqu’au seuil de la chambre
Les choses que tu donneras,

Le pain, les fruits pourprés, la viande,
Le sarment d’où jaillit le feu,
Le linge embaumé de lavande
Et le livre où parle ton Dieu.

Aux ors des frises dédaignées
Préférons le réseau que font
Les vieilles toiles d’araignées
Aux poutres grises du plafond.

Vers la douleur et la misère
Allons toujours. Le grand devoir
C’est d’ajouter au nécessaire
Le vin parfumé de l’espoir,

 
D’être fraternel, de se dire
Qu’on peut, domptant le sort obscur,
Consoler avec un sourire
Et sauver en montrant l’azur.