Les Flûtes alternées/Vespertinus amor

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VIII

VESPERTINUS AMOR


Le soir d’hiver déjà sur la ramée
Tombe du ciel norci.
Sur la jeunesse, hélas ! ma bien-aimée,
Le soir descend aussi.

L’âge rapide effeuille une par une
Les roses dans nos mains.
Adieu, soleils ! Ô pâles clairs de lune
Sur nos pâles chemins !

Mais le destin, amie, en vain nous presse ;
Il nous laisse nos cœurs,
Nos souvenirs et l’éternelle ivresse
De nos matins vainqueurs.

 
Mais toute chose aura comme à l’automne
Cette vague douceur
Enveloppant sur l’onde qui frissonne
La barque du passeur.

Nous reverrons les lieux où nous vécûmes,
Mais comme à l’horizon
Le voyageur dans l’averse ou les brumes
Reconnaît sa maison.

Nous chercherons moins d’épis et moins d’herbes
Au champ jadis foulé,
Ainsi qu’après l’enlèvement des gerbes
Les glaneuses de blé.

Vous revivrez, serments, ô chants de fête,
Lointains comme ces voix
Que ressuscite et faiblement répète
Un écho dans les bois.

Chênes sacrés que l’ouragan dépouille,
Forêts dont les hivers
Tachent de sang, d’or, de pourpre et de rouille
Les halliers découverts,

 
Vous sèmerez de feuilles envolées
Les sentiers plus petits,
Afin que nul n’entende en vos allées
Nos pas appesantis,

Quand nous viendrons, mélancoliques ombres,
Revoir s’il filtre encor,
Jeunesse morte ! entre les branches sombres
Un dernier rayon d’or.

Devant nos yeux, où maintenant alterne
La nuit avec le jour,
Les ans ainsi tiennent un miroir terne
Où se mire l’amour.

Ô bien-aimée ! enivrons nos prunelles
Du printemps qui nous fuit.
Astres de l’ombre, étoiles éternelles,
Vous brillez dans la nuit !