Les Flagellants et les flagellés de Paris/XV

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Charles Carrington (p. 238-253).
CHAPITRE XV
Les Proxénètes. — Différents genres de mères. — Un mari comme on en voit peu.





On s’imagine que tout a été dit sur les proxénètes et sur la manière d’exercer ce métier. C’est une erreur ; on ne le connaîtra jamais à fond.

Le proxénétisme revêt toutes les formes : la sage-femme, le garçon de café, la voisine, la sœur, le commissionnaire, l’interprète, la tireuse de cartes, la marchande à la toilette, la courtière en bijoux, lingères et parfumeuses sont autant d’agents actifs.

Souvent c’est le père ou la mère qui vend son enfant, fille ou garçon.

Les tribunaux ont fréquemment à juger les auteurs de semblables monstruosités ; mais malgré que les magistrats appliquent consciencieusement et impitoyablement la loi, ils sont impuissants à endiguer le flot sans cesse montant de cette engeance sociale.

Il y a six mois à peine, la cour d’assises de la Seine condamnait par contumace à dix ans de travaux forcés un Italien du nom de Bruni, ex-chef de la figuration d’un grand théâtre parisien.

Bruni disparut en annonçant qu’il allait se jeter dans la Seine. Étant au piano, presque chaque soir il commettait des attentats sur les jeunes filles qu’il avait sous sa direction.

Celle qui lui valut sa condamnation était une gamine de douze ans nommée Marie Molaux. Sous le prétexte de lui faire raccommoder un accroc à son maillot, il l’avait fait monter dans sa loge et au bout d’un certain temps il l’avait renvoyée en lui donnant un franc et en lui défendant de rien dire à sa mère.

Ah ! s’il avait connu sa mère, il aurait sûrement fait marché avec elle pour d’autres séances, car, quelque temps plus tard, la mère comparaissait devant la 10e chambre du tribunal correctionnel pour avoir vendu sa petite fille à une proxénète, la fille Magnin.

La proxénète, qui était en rapport constant et direct avec plusieurs vieux messieurs, la livra souvent pour une rosière. Un jour, le pot aux roses se découvrit ; la petite Marie refusa de continuer le métier qu’on lui imposait et cessa de rapporter l’argent qu’elle gagnait chez la Magnin. La mère, furieuse de voir lui échapper cette source de bénéfices, battit l’enfant abominablement et eut l’audace de la dénoncer au commissaire de police de son quartier, enpriant ce magistrat de la faire mettre en correction comme étant une gamine incorrigible.

La malheureuse enfant était atteinte d’une maladie vénérienne, elle fut envoyée à l’hospice des enfants assistés.

Quant à la mère, elle fut gratifiée de deux ans de prison et la proxénète en eut pour huit mois.

Un détail curieux révélé aux débats :

Un vieux monsieur de campagne, qui n’était pas autrement désigné dans la procédure, avait promis aux deux abominables femmes, une somme de deux mille francs pour Marie qu’on lui avait garantie comme vierge, alors qu’elle était contaminée jusqu’aux moelles ; la mère disait à ce propos :

– Cet argent-là me fera un rude bien, j’en ai joliment besoin.

Autre genre de mère :

Dans la rue des Martyrs, aux environs d’un cabaret qui fut autrefois célèbre, vers huit heures du soir, on rencontre une fillette de douze ans, formée comme une petite femme. Elle porte, cela va sans dire,des jupons courts qui laissent voir des jambes superbes ; ses cheveux, d’un beau noir, sont tressés en nattes, attachés par un ruban rouge. Elle marche lentement dans la rue, s’arrête aux devantures des boutiques et regarde ou fait semblant de regarder attentivement les objets exposés ; son allure peu commune fait retourner les passants. Quand l’un d’eux, ce qui arrive fréquemment, se met à la suivre, elle marche rapidement du côté de sa demeure. Au moment de franchir le seuil de la porte d’allée, elle se retourne, l’homme s’arrête, et presque aussitôt, une femme qu’il n’avait pas aperçue marchant derrière lui, lui frappe sur l’épaule. Étonnement de l’homme.

– Monsieur, c’est ma fille, lui dit-elle, elle est bien jeune, mais que cela ne vous effraye pas. Si vous voulez monter un instant vous reposer, venez, car la course que vous venez de fournir, vous a essoufflé.

L’homme, généralement, accepte. On arrive au troisième étage, il s’assied ; aussitôt la fillette s’en va, sous le prétexte de faire une commission chez une voisine ; un quart d’heure, une demi-heure se passent, elle ne revient pas ; la mère tempête :

« Sacrée gamine, ça ne pense qu’à jouer ; attendez Monsieur, je vais l’appeler.» Elle ouvre la fenêtre et appelle de toutes ses forces : « Victorine ! Victorine ! »

Rien ne répond. Alors la mère s’adresse à l’homme qui commence à n’être pas rassuré.

– En attendant que la petite revienne, si monsieur voulait ?

– Voulait quoi ? Je veux bien, mais pas vous.

– Vous avez tort, une gamine c’est inexpérimenté, tandis que moi, j’ai des talents de société.

– Je veux bien que vous me les fassiez voir, mais je veux que la petite vous donne un coup de main.

– Mettez-y le prix.

On devine la séance, ce n’est pas la petite la moins ardente, elle travaille consciencieusement.

La séance terminée, la petite repart à la recherche d’un autre cochon, et une séance nouvelle recommencera.

Encore une autre mère :

B… P… Hélas ! Plus de dix lustres se sont écoulés depuis le jour où naquit une des plus jolies blondes de ce temps.

Vers sa dix-septième année, elle débutait au théâtre du Vaudeville, alors place de la Bourse, dans des pannes sans importance ; le talent se faisait tirer l’oreille, il était rebelle, il ne venait pas, il semblait même ne devoir jamais venir.

Si on ne pouvait préjuger en rien de ce que l’avenir réservait à l’artiste pour le plaisir des yeux, on assistait à l’épanouissement de la femme.

Je ne saurais dire si le sentiment de la vertu était solidement enraciné au cœur de Blanche, si elle était une farouche ; mais, pour préserver de tout accident son… capital, comme l’a appelé depuis Alexandre Dumas fils, un argus aux cent yeux veillait nuit et jour dessus avec une constance héroïque.

Cet argus, sentinelle vigilante, était sa mère, qui ne voulait pas qu’un objet si précieux disparût sans qu’il assurât sérieusement l’avenir.

La brave femme savait, par expérience, qu’une fois l’oiseau envolé aucun charmeur, si puissant qu’il fût, ne pourrait le faire rentrer en cage. .

Blanche, adorable et appétissante fille, était entourée de soupirants plus audacieux les uns que les autres. Au nombre de ses adorateurs, se trouvait un médecin, jeune alors, le docteur D…, lequel devint célèbre depuis, par un procès retentissant avec la famille d’un jeune duc qui faisait cas des rousses, il y avait aussi Solar, le fameux fondateur des caisses d’escompte, autant connu par son faste que par ses malheurs judiciaires.

Le docteur était le préféré, mais il n’était pas riche.

Un jour, Solar dit à la mère :

– J’ai bien réfléchi, je suis décidé,je vous offre deux cent mille francs pour cueillir la rose, mais j’y mets une condition. Vous comprenez que le chiffre est assez élevé pour que je prenne mes précautions.

– Laquelle ?

– Je veux qu’un médecin examine le jeune sujet et qu’il certifie officiellement qu’il ne manque pas un pétale à la rose.

– Rien de plus facile, dit la mère.

Le soir elle fit part à Blanche des propositions de Solar et de ce qu’il exigeait.

– Comment, dit Blanche, il veut mon capital breveté avec la garantie de la Faculté. C’est un peu fort.

Au jour indiqué, Blanche se rendit avec sa mère chez le docteur D…

La mère attendit au salon et Blanche entra dans le cabinet du docteur. Une grande demi-heure se passa. La mère, inquiète, arpentait le salon ; elle écoutait à la porte du cabinet, essayant de surprendre un bruit quelconque et trouvait l’examen bien long.

Enfin Blanche reparut, les joues colorées d’une charmante rougeur que l’on pouvait mettre sur le compte de l’émotion. Le docteur, qui la reconduisait, était non moins rouge et semblait radieux. Elle tenait à la main une petite bouteille sur laquelle était collée une étiquette pourpre portant ces mots :

« Usage externe. »

– Qu’est-ce que c’est que ça ? dit la mère au docteur.

– C’est une injection d’alun avec quelques gouttes de teinture de benjoin, répondit-il. C’est pour calmer l’inflammation résultant de l’examen, qui a été des plus consciencieux.

Le lendemain soir, Blanche coucha avec Solar. Il put croire qu’il avait décroché la timbale ; l’oiseau semblait être dans sa cage, en tous cas la porte était soigneusement refermée.

La mère encaissa les deux cent mille francs et, par reconnaissance pour Solar, elle les plaça dans la banque qu’il dirigeait. Quand Solar fit la culbute, il se sauva à l’étranger et recouvra son capital.

Certaines proxénètes se font passer pour des dames de charité appartenant à des sociétés de bienfaisance. Elles parcourent les quartiers ouvriers, elles se glissent dans les familles, dans les ateliers ; elles distribuent pour la frime un secours dérisoire, puis donnent rendez-vous aux jeunes filles.

On devine le reste.

Il existe de soi-disant agences dramatiques et lyriques. Là, le moyen employé pour attirer les jeunes filles ne présente aucun danger. Il n’est pas nécessaire de les recruter à domicile, dans la rue, dans les squares, dans les bals publics : elles viennent s’offrir d’elles-mêmes. L’âge ne fait rien à la chose ; de douze à vingt ans, c’est la moyenne.

Si les parents, ce qui se voit peu, à moins que ça ne leur rapporte pas, protestent et se plaignent : « Que voulez-vous, dit la proxénète, votre fille est venue à mon agence pour un engagement ; je n’ai pas été la chercher, mes livres sont en règle (et ils le sont en effet). Je lui ai procuré les moyens de gagner sa vie, tant pis si elle a mal tourné, je ne suis pas chargée de la surveiller. »

Pas moyen de poursuivre.

Nous n’en sommes pas encore aux usages de Madrid, mais cela vient peu à peu, car le coup de l’album, très pratiqué là-bas, commence à avoir du succès à Paris.

Voici en quoi il consiste :

La proxénète collectionne les photographies de toutes les femmes qui se sont adressées à elle, par embarras momentané ou par profession. Quand un homme se présente, elle lui soumet l’album, il choisit : derrière chaque photographie, les qualités de la femme, ses passions sont soigneusement décrites. Elle fait demander la femme.

On voit que rien n’est plus simple. Il va sans dire que les prix ne figurent pas en regard de la photographie, car le client doit soigneusement ignorer la commission prélevée par la proxénète.

Ici, à Paris, tout nous effraye : une image un peu légère, la couverture d’un livre. À Madrid, ville cléricale par excellence où le clergé a la prépondérance, depuis le cardinal jusqu’au vulgaire moine, ce qui a donné lieu à ce dicton populaire : « Quand un moine laisse ses sandales à la porte, le mari n’entre pas », on n’est pas si bête, il n’existe pas ce préjugé idiot.

Dans tous les grands cafés qui avoisinent la Puerta del sol, le soir, il y a généralement foule. Des familles entières sont attablées avec leurs enfants. Souvent, le padre (le prêtre) fume béatement sa cigarette. Arrive un homme très correctement vêtu, porteur d’un ballot, enveloppé dans une toile cirée, le garçon, complaisamment, lui avance un guéridon. Il déballe sa marchandise. Tout le monde, curieux, se lève pour voir. Ah ! si M. Bérenger était là, il se voilerait la face. Eh bien, c’est avec la plus parfaite indifférence que les consommateurs, hommes, femmes, jeunes filles et jeunes garçons, se passent de main en main : l’Album du Vélocipède, la première Nuit de noce de Maria, les trente-deux positions, les Amours d’un Sacristain et d’une Religieuse, les Jouissances de la flagellation, etc., etc. Il va sans dire qu’il n’y a pas de texte, et que ce ne sont que des images ; quelques-unes même fonctionnent en tirant un petit fil.

Ce marchand n’est autre chose qu’un proxénète ; il exerce publiquement et personne ne songe à le poursuivre. Est-ce par décadence morale ou par perversité des mœurs ? Nullement. On considère que celle ou celui qui veut se perdre n’a pas besoin d’être excité par la vue d’images.

La proxénète de haute volée se déplace après le Grand Prix. Sa clientèle n’étant plus à Paris, elle va la chercher aux villes d’eaux ; mais il faut qu’elle s’entoure d’une infinité de précautions. Elle fait distribuer une circulaire confidentielle dans laquelle elle dit que le service sera continué comme par le passé, qu’elle a un assortiment merveilleux de roses thé, fleurs toujours fraîches, sans cesse renouvelées, et pour éviter des recherches ou des méprises ennuyeuses à ses clients, ses pensionnaires portent constamment à la ceinture un piquet de roses thé. Le règlement de compte se fait après la journée ou après la nuit.

Elles n’ont pas encore osé prendre la fleur d’oranger pour emblème. Cela viendra un jour ou l’autre, il ne faut pas en douter.

Il existe une proxénète bien connue. À mon regret, je ne puis la nommer, car elle n’a jamais été poursuivie, grâce aux influences de sa haute clientèle. Je me contenterai de dire qu’elle a soixante-seize ans et qu’il y a cinquante ans qu’elle exerce ; c’est dire qu’elle connaît par cœur son Tout-Paris vicieux. Ah ! si elle écrivait ses mémoires, on y verrait de belles choses. Étant jeune, et elle continue, elle passait sa vie entre les femmes et les cartes. Elle ne figurait pas dans les salons, elle préférait les alcôves où la toilette n’est point de rigueur.

C’est à elle que l’on doit cette charmante définition pour jauger une femme : « Elle ne vaut pas la peine qu’on se mette en chemise pour elle ! »

Quand, comme moi, on a consacré une partie de son existence à observer, on est épouvanté des horreurs que l’on rencontre sur son chemin, des contradictions curieuses au double point de vue humain et physiologique.

Une nuit, dans une de mes excursions, je dus passer quelques heures dans un b… du boulevard de la Villette, pour étudier un cas particulier qui m’avait été signalé.

Cette maison de tolérance ne présentait rien d’original, car, à l’exception de quelques-unes placées dans le centre de Paris, toutes ces maisons se ressemblent aussi bien à Belleville qu’à Montparnasse ; elles ne diffèrent que par le nombre de femmes, qui varie suivant l’achalandage.

Dans la salle,j’étais seul ; les femmes jouaient à la manille ou au chien vert, une se tenait isolée dans un coin, raccommodant un pantalon d’enfant. Je demandai au garçon pourquoi cette femme ne jouait pas avec les autres ? Il me répondit : «C’est la femme mariée ! »

– Comment, la femme mariée ?

– Il ne faut pas que cela vous surprenne, il y a à Paris un grand nombre de femmes mariées inscrites sur les livrets de police, nous en avons souvent. Asseyez-vous, et dans une heure vous allez voir arriver le mari.

En effet, une heure plus tard, je vis entrer un grand garçon proprement mis ; il alla s’asseoir aux côtés de sa femme qu’il embrassa avec effusion, puis ils se mirent à causer de leurs petites affaires.

Ils montèrent ensuite comme s’il eût été un client ordinaire. Quand il fut parti, les consommateurs arrivèrent, la femme quitta son ouvrage et exerça son commerce ! Cela m’intéressait. J’attendis qu’elle fût seule pour causer avec elle ; elle ne demandait pas mieux.

– Le garçon vous a dit que j’étais mariée, et que mon mari venait me voir ici, cette anomalie vous a semblé étrange ?

– Parfaitement.

– Et vous vous demandez pourquoi je suis ici, et vous prenez sans doute mon mari pour un maquereau ?

– Cela en a du moins les apparences.

– Eh bien, vous vous trompez, mon histoire est des plus simples. J’ai quitté mon mari pour un amant, j’ai quitté mon amant pour un autre, et un jour, j’ai fait le truc, je me suis collée avec le trottoir ; mon mari m’a retrouvée, et s’est jeté à mes genoux, il a pleuré. Un tas de blagues. Je suis rentrée avec lui, huit jours, puis je me suis débinée à nouveau, et enfin je suis entrée ici. Je ne sais comment il a découvert mon adresse, et, un beau soir, il s’est amené. Vous jugez de mon épatement ; j’allumais déjà une carafe pour lui casser la gueule s’il s’approchait de moi pour me frapper ; il resta calme, me tendit la main et me regarda d’un air de pitié ; je fus prise d’un serrement de cœur. Cette résignation muette me faisait mal. Je m’approchai de lui et je lui dis à voix basse :

– Frappe-moi, traite-moi comme une putain.

Cela m’aurait soulagée, il ne bougea pas.

– Allons-nous en, me dit-il.

– Je ne puis pas, lui répondis-je, je dois douze cents francs à Madame (la maquerelle), à moins que tu ne veuilles les payer.

– Tu sais bien que je ne gagne que cent sous par jour.

– Eh bien, je reste.

– Permets-moi de venir te voir.

– Oui, le samedi.

– Depuis ce moment,il ne manque jamais comme vous l’avez vu. – Mais, pourquoi préfère-t-il un pareil état de choses ?Vous pourriez vous en aller sans payer, la maca ne courrait pas après vous.

– C’est un homme d’honneur, je dois, il veut que je paye.

Aujourd’hui avec les nouveaux règlements de police appliqués rigoureusement, les dettes contractées par une femme dans une maison de tolérance ne sont pas reconnues ; pour quitter la maison, il suffit qu’elle déclare sa volonté au commissaire de police ; ce fonctionnaire, alors, la fait conduire à la gare du chemin de fer par un agent, qui lui prend un billet pour l’endroit où elle désire aller, aux frais de la tenancière quelle que soit la distance.

Ces règlements fort sages sont une amélioration pour le sort de ces malheureuses qui étaient prisonnières à perpétuité, à moins qu’un homme amoureux d’elle ne consentit à payer ses dettes pour la libérer.

Il existe un exemple de ce genre. Un directeur général d’une de nos grandes compagnies de chemins de fer fit la rencontre dans une maison de tolérance, de la rue Ventormegy, à Marseille, d’une splendide créature. Elle devait douze mille francs ; il paya et l’épousa ; elle fut reçue à la présidence.

Je repris :

– Mais enfin, le métier que vous faites…

Elle me répondit :

– Il m’aime, et puis, après tout, le métier que je fais, qu’a-t-il donc d’extraordinaire ? Quelle différence y a-t-il entre une femme qui trompe son mari à l’œil, qui change d’amant chaque quartier de lune et une putain qui travaille pour de l’argent, comme je le fais ? Il n’y en a pas. Et puis, vous autres, qui parlez de nous avec mépris, fille publique ou fille soumise, voilà comment vous nous appelez, mais, vous ne savez donc pas qu’il y a des femmes que vous considérez dans votre monde comme des vertus, et qui sont les meilleures clientes de la maison ? Allez, être putain n’est qu’un mot.

J’étais abasourdi de la logique navrante de cette femme, et ému du cas particulier de cet homme, qui souffrait tout parce qu’il l’aimait.

Cette femme tient aujourd’hui, pour son compte, une maison bien connue dans Paris ; c’est avec un réel bonheur qu’elle raconte ses commencements, et qu’elle ajoute en riant :

– Maintenant que je suis patronne, quand il y a trop de monde, mon mari est le premier à me dire : « Donne donc un coup de… main ! »