Les Folies-Marigny, Prologue

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 1-19).

LES FOLIES-MARIGNY PROLOGUE Représenté pour la réouverture de ce théâtre le 08 Mars 1872. par Albert Glatigny


Musique de Mme UGALDE. DISTRIBUTION : Le Mois de Mars - Mmes L. Magnier La Fantaisie - Dortal. L'Opérette - A. Collas. Guignol - M. Verlé.

La scène est à Paris, aux Champs-Élysées. SCÈNE PREMIÈRE. MARS, seul. Bon voyage, bonhomme Hiver ! ne reviens pas ! Le manteau de brouillard dont tu m'enveloppas Se déchire aux rayons du soleil ; la verdure Va poindre, le bourgeon sort de l'écorce dure. C'est un printemps encor qui se met en chemin, Et le plus beau de tous, le printemps de demain, Celui qui verse aux coeurs l'espoir à pleine tasse ! Mais, d'abord, il siérait que je me présentasse. Mesdames et Messieurs, Théophile Gautier, Ce parfileur de mots si docte en son métier, Raconte, en une fraîche et riante odelette, Comment le mois de Mars prépare la toilette Nouvelle du printemps, et dans chaque buisson Serine au choeur ailé des oiseaux leur chanson ! Or c'est moi qui suis Mars ! et, précurseur des roses, J'efface nuitamment les empreintes moroses Dont le pied de l'hiver souilla le vert sentier. Je ravive les tons pâlis de l'églantier Et je repeins à neuf la coupole céleste ! Lutin joyeux, je vais à droite, à gauche, leste, Dérobant un rayon, ranimant une fleur, Faisant courir sur tout un souffle de chaleur. O larmes des jets d'eau, sources cristallisées, O gais bosquets, orgueil de mes Champs-Élysées, Réveillez-vous ! je veux entendre le clic-clac Des cochers mordorés qui reviennent du lac ! Que la foule circule et que les harmonies Des concerts, de la brise et des massifs fleuris, Célèbrent à la fois le Printemps de Paris !

CHANSON.

I

Sur les toits bleus où s'accroche Un gai rayon de sole il, Le moineau franc, ce gavroche, Se pavane, aux dieux pareil ! Dans la lumière tremblante Court sa chanson insolente. Mansarde et trou de souris S'ouvrent à l'aube galante : C'est le Printemps de Paris !

II

Sur le pont des bateaux-mouches On verra Mimi-Pinson Et les belles peu farouches Qui ne font point de façon, En plein midi, sans mystère, Se diriger vers Cythère. Tous nos chagrins sont guéris ; J'aime, je ne puis le taire : C'est le Printemps de Paris !

III

Ah ! que Lycoris s'en aille Avec Gallus dans les bois Chercher la fleur qui tressaille Au contact des petits doigts ; Le seul printemps qui m'enflamme Le coeur et me grise l'âme, L'Avril à qui je souris, Celui-là seul que j'acclame, C'est le Printemps de Paris !


SCÈNE II. MARS, GUIGNOL, puis LA FANTAISIE

GUIGNOL. Bien dit, ô cher lutin, car la séve écumante Bout dans cette cité formidable et charmante, Et comme la forêt, Paris a son réveil Lentement préparé par cinq mois de sommeil. Un nid, c'est bien : pourtant j'aime aussi la fenêtre Aspirant les rayons qui viennent de renaître, Et regardant au loin dans le vague horizon ! Car c'est un nid humain que le premier frisson Du printemps vient de rendre à la vie, et de blondes Têtes d'enfants rosés, franches et toutes rondes, En sortent, qui me font oublier les oiseaux. Je suis homme après tout, et jusqu'au fond des os Je sens pour mon semblable une forte tendresse ! Tu vois, toujours fidèle à mon poste, je dresse Ma petite baraque où reviendront encor Rire mes spectateurs naïfs aux cheveux d'or.

MARS. Bien, Guignol ! redis-nous cette histoire éternelle De la mère Gigogne et de Polichi nelle Qui fait si bien pâmer ton public de sept ans. Mais, chut ! dans ce bosquet, on dirait que j'entends Des soupirs étouffés.


Ils aperçoivent la Fantaisie étendue par terre derrière un buisson.

GUIGNOL. Ciel ! une jeune dame !

MARS. Elle est évanouie !

GUIGNOL. Oui, son état réclame De grands ménagements.

Brusquement.

Eh ! que faites-vous là, Vagabonde ? Qui donc ici vous appela ?

LA FANTAISIE, effrayée. Monsieur...

MARS, à Guignol. Çà, qui te prend et quelle frénésie ? Votre nom, mon enfant ?

LA FANTAISIE. Je suis l a Fantaisie.

GUIGNOL. La Fantaisie ! Ah ! ah bien ! j'en suis enchanté Et vous baise les mains avec civilité. Mais que faisiez-vous là, sur le sol étendue ?

LA FANTAISIE. Je mourais de frayeur, car je m'étais perdue En cherchant un logis où l'on voulût de moi.

GUIGNOL. Ah ! dame ! Écoutez donc ! On ne peut pas chez soi Accueillir le premier venu. Brutalement. Vos papiers ?

MARS. Cesse Cet interrogatoire. Hé quoi ! pauvre princesse, Vous êtes sans asile ?

LA FANTAISIE. Hélas ! après avoir Eu mon temps de splendeur et d'éclat, j'ai pu voir Mes courtisans s'enfuir l'un après l'autre, en sorte Que je me suis trouvée, un soir, à demi morte, Cherchant en vain l'étoile hospitalière au ciel.

GUIGNOL. Acceptez un bouillon. C'est très-subs tantiel.

LA FANTAISIE. Bah ! je me sens déjà presque aux trois quarts remise. Ces brouillards que la Seine emprunte à la Tamise M'ont bien mouillée un peu, mais il n'y paraît plus ! Regardant autour d'elle. Ah ! je me reconnais. C'est là que je me plus Autrefois à chanter mes chansons étourdies. Ah ! quels joyeux romans, et quelles comédies Où l'Amour convié venait au dénoûment ! Ça durait un quart d'heure au plus, c'était charmant.

CHANSON.

I

O caprices éphémères, Enfants sans pères ni mères, O rêves pleins de chimères D'un éclat de rire éclos ! Loin de la route pâlie Que suit la mélancolie, Votre riante folie Agitait ses clairs grelots.

II

Comme on aimait ! Isabelles, Colombines, les plus belles Prosternaient les plus rebelles Aux genoux de leurs vingt a ns ! On voyait dans la nuit brune Étinceler, ô fortune ! Les caresses de la lune Sur de beaux seins palpitants.

III

Mais une voix inconnue, De quel noir enfer venue ? Un jour, déchirant la nue, A dit à l'Amour : Va-t'en ! O joyeuses sérénades, O galantes promenades Dans le bois plein de Ménades... Où sont les neiges d'antan ?

MARS. Pourquoi désespérer, ô douce Fantaisie ? Les beaux jours renaîtront. Vous restez là, saisie Par le froid. Remuez-vous un peu. Nous allons Donner, s'il vous convient, l'accord aux violons Et chanter à plein coeur la Romance à Madame, Allons ! de la gaîté !

LA FANTAISIE. Non, j'ai la mort dans l'âme, On ne veut plus de moi nulle part. Autrefois Mes petits actes courts soumettaient à leurs lois Vingt théâtres. Hélas ! aujourd'hui le Gymnase Rit de mon ingénue à la robe de g aze ; Il lui faut le grand drame et l'étude de moeurs. Le Vaudeville aussi me repousse. Je meurs, C'est ce que j'ai de mieux à faire.

GUIGNOL. Elle me plonge Dans la douleur !

MARS. Allons ! dérision ! mensonge Que tous ces désespoirs ! Il faut lutter. Je veux Ébouriffer encor ton buisson de cheveux ! Vite, du rouge, et plus de ces pâleurs de spectre ! La Fantaisie errant ainsi qu'une autre Électre, Ce serait du nouveau vraiment. Assez de pleurs ! Nous allons entonner les refrains querelleurs Que tu savais jadis. On te repousse ! Ingrate ! Baisse les yeux et prends un air contrit, et gratte A la porte en disant ton nom, on ouvrira, Et le passé joyeux pour toi refleurira. C'est ici le théâtre où tu pourras à l'aise T'épanouir sans rien qui te gêne ou te lèse. Le cadre est à souhait pour ces légers tableaux Où le Caprice lance en l'air ses javelots. Les échos te diront des vers de la Nuit rose, Ce poëme rêvé loin du pays de prose. Sur ces tréteaux alors d'éclat environnés, Deburau, Paul Legrand, masques enfar inés. Ont amené l'alerte et folle pantomime Avec son coup de pied qui seul vaut une rime ! Déjazet, qui, pour nous, fait les sylphes réels, A chanté la chanson des vingt ans éternels, Et la Farce éclatante aux débordantes joies Vous fait trembler encor, murs de Fouilly-les-Oies ! Rouvrons ce gai théâtre enfoui sous les fleurs, Voisin des nids perdus et des merles siffleurs, Jeté comme une graine au vent, et qui persiste A prouver par son rire et ses chants qu'il existe ; Son babil manquerait, et vraiment le rond-point, Si mes refrains ailés ne lui parvenaient point, Serait triste. Collons sur les murs nos affiches, Prodiguons les trésors dont nous nous sentons riches, Et laissons faire aux dieux qui sauront maintenir Le ciel toujours serein sur nos têtes frivoles.

GUIGNOL. Rouvrons bien vite alors et dépêchons. Tu voles, O Temps, et nous perdons en futiles discours L'heure de la jeunesse et ses instants trop courts !

LA FANTAISIE. Soit ! nous allons encor tenter cette ent reprise.


SCÈNE III. LES MÊMES, L'OPÉRETTE.

L'OPÉRETTE. Pas sans moi !

TOUS. L'Opérette !

GUIGNOL. Oh ! la fâcheuse brise. Qui nous l'amène !

L'OPÉRETTE. C'est ici mon frais berceau, C'est là que je naquis, humble et frêle arbrisseau. Dont la racine plonge aujourd'hui sous la terre. J'étais l'enfant terrible, enragé, volontaire, Que l'on aimait d'abord sans trop savoir pourquoi. C'était charmant et je me laissais vivre, moi, Indolente et sans rien demander. Ma paresse Acceptait cette vie ainsi qu'une caresse. Les yeux clos, je laissais la bride sur le cou A mes destins, courant gaîment je ne sais où. Il paraît que j'étais fort cri minelle.

GUIGNOL. Certes Vous l'étiez, et très-fort.

L'OPÉRETTE. Oui, des plumes disertes Ont fait de moi le bouc émissaire. Je suis L'auteur de tous les maux et de tous les ennuis, Parce que l'on riait à mes folles cascades Et que mes grecs bouffons, mes doges, mes alcades Amusaient le public.

GUIGNOL. Le public avait tort.

L'OPÉRETTE. C'est possible, pourtant je ne sens nul remord !

CHANSON.

I

O censeurs moroses Dont l'éclat des roses Offense les yeux, Sous votre anathème, Je dis mon poëme De muse bohême Cher aux libres cieu x !

II

Faiseurs de morale A voix gutturale, Sous les verts arceaux Que le soleil dore, Ma chanson sonore Bat de l'aile encore Avec les oiseaux.

III

Par-dessus les buttes, Ivres de culbutes, Au mois où renaît L'espoir, où la sève Trouble le coeur d'Ève, J'ai, comme en un rêve, Jeté mon bonnet !

IV

Mais la Muse antique Aux bourgs de l'Attique, Pieds nus et bravant L'ardente poussière En pleine lumière, Courait libre et fière, Les cheveux au vent !

Et, si vous le voulez, me voici toute prête A reparaître encore ici.

MARS. Chère Opérette Volontiers, mais venez simple comme autrefois, Sans cuivres et sans choeurs étouffant votre voix. Rendez-nous les beaux jours de votre adolescence, Alors qu'on vous aimait en parfaite innocence ; Rendez-nous ces bijoux délicats : les Pantins De Violette ; ayez l'éclat de vos matins, Et nous applaudirons sans arrière-pensée.

GUIGNOL. Eh bien, c'est entendu. Mais l'heure est avancée. A l'action ! laissons là tout vain compliment, Et que chacun de nous agisse bravement.


CHANSON

I

L'OPÉRETTE.

Voici le mois où l'hirondelle Joyeuse revient d'Orient, Comme elle, au rendez-vous fidèle, Notre Muse vient en riant. Voici le temps des primevères, Voici le temps où tous les coeurs Sont embrasés, où tous les verres

Sont pleins de brûlantes liqueu


II

MARS.


Nous arrivons, hardis fantoches,
Scapins, Agnès, groupe vermeil.
Le vide sonne en nos sacoches,
Mais nos jeux sont fous de soleil.
Malgré la saison inconstante,
Malgré les orages anciens,
Nous allons planter notre tente ;
Dieu garde les Bohémiens !



III

LA FANTAISIE.


Sois-nous indulgent, encourage,
O Public, nos pauvres efforts ;
Ne fais pas enfuir le mirage
Où nous entrevoyons des ports ;
Laisse-nous cacher sous la feuille
Nos ailes vierges de barreaux,
Et reçois-nous comme on accueille
Une bande de passereaux !