Les Forces assainissantes et curatives dans la nature
Dès l’antiquité la plus reculée, la médecine savante ou populaire s’est efforcée à découvrir dans la nature de nouvelles forces curatives ou médicatrices. Pendant longtemps, l’insuffisance des connaissances positives a rendu ces efforts stériles. L’ignorance à cet égard a duré jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle et à l’aurore même du siècle présent. La biologie générale et la science de la santé humaine en particulier, malgré le développement de la critique scientifique sur d’autres points, étaient restées le domaine de l’hypothétique, du fantastique et du merveilleux.
Le scepticisme et l’incrédulité, introduits dans la pensée moderne par Voltaire, Diderot et les philosophes du XVIIIe siècle, n’ont été vraiment qu’une faible entrave à la floraison des doctrines de Swedenborg et de Mesmer et aux succès de Gassner, Cagliostro et des thaumaturges dont les cures miraculeuses procédaient de pratiques secrètes, de rites pseudo-religieux, de passes et d’incantations magnétiques. Ce n’est qu’avec notre siècle que l’étude naturelle de l’homme et du monde est entrée dans la voie de l’analyse scientifique, sévère et exacte. Trois sortes de progrès ont, à notre époque, affirmé cette saine méthode.
Grâce aux conquêtes de la physiologie, et grâce à la manière rigoureusement objective dont elles ont été appliquées par Charcot et son école, à l’étude du système nerveux de l’homme, le voile derrière lequel se dérobaient quelques-uns de ces mystères s’est entr’ouvert et l’étude du « magnétisme animal » et de l’hypnotisme, sortant des limbes de l’hypothèse et du merveilleux, est venue prendre dans la famille des sciences de la nature la place qui lui convient.
En second lieu, les découvertes de Pasteur, de Lister, de R. Koch, de Metchnikoff et des microbiologistes ont déterminé une véritable révolution dans nos idées sur la genèse des maladies et sur leur nature, et ont ouvert ainsi de nouvelles voies à la science de la prévention et du traitement des maux de l’humanité. Le monde des in uniment petits, le monde des micro-organismes pathogènes s’est révélé à notre vue, et de larges horizons se sont ouverts pour la science de la thérapeutique et celle bien autrement importante de la prophylaxie.
Enfin, la connaissance de l’atmosphère, de la lumière, de l’eau, du sol, dans leur rapport avec la vie et le bien-être de l’homme est entrée dans une ère nouvelle.
Chaque jour les principes de l’hygiène pénètrent davantage dans la conscience des peuples civilisés. On en peut citer pour preuve les mouvemens publics en faveur des mesures sanitaires. Les progrès de la médecine contemporaine se résument, en définitive, dans l’hygiène ; et cela est vrai non seulement au point de vue des exigences prophylactiques, mais encore au chevet du malade.
Les conditions spéciales dont les malades sont entourés dans le traitement chirurgical ou dans la pratique obstétricale constituent la garantie du succès et sont une vivante démonstration du rôle de l’hygiène préventive. D’autre part, les méthodes actuelles du traitement de la tuberculose, par exemple, confirment également le rôle de l’hygiène comme facteur curatif. Notre temps ne s’est pas seulement signalé par la découverte de nombreux spécifiques d’efficacité certaine (antipyrétiques, analgésiques, sérums antimicrobiens) ; il a fait aussi une large place aux méthodes curatives hygiéniques et diététiques. Sans doute l’arsenal pharmaceutique s’est enrichi de moyens précieux ; mais, somme toute, la thérapeutique des médicamens, loin de prendre de l’extension, a perdu beaucoup de terrain. On a abandonné la plupart des médicamens anciens. En revanche, la sphère d’action des méthodes physiques de traitement s’est largement agrandie. De cette manière, la médecine grossièrement empirique ou allopathique, en réaction de laquelle le XVIIIe siècle a vu naître la naïve doctrine des homéopathes, est entrée dans son déclin ; elle cède la place à une thérapeutique nouvelle, armée de toutes les connaissances modernes et forte du soutien de sa puissante alliée, l’hygiène.
Ce monde ambiant, où toute créature lutte éternellement pour son existence, est pour l’homme une source de misères, de privations et de malheurs, mais en même temps, et dans une plus large mesure encore, de bien-être et de jouissance. Il offre à l’homme tout ce qui est nécessaire à la préservation et à la conservation de la santé et de la vie.
La lutte pour la vie, elle-même, implique certaines tendances instinctives pour ainsi dire, appropriées à la défense de l’organisme contre les influences nocives, et c’est pourquoi les mesures hygiéniques primitives sont aussi anciennes que le monde même.
Le sentiment que les forces de la nature sont gardiennes de la santé et libératrices des maux remonte très loin dans le passé. C’est d’abord le soleil. Avicenne, le célèbre médecin philosophe arabe, enseignait, il y a neuf siècles, que les hommes qui s’exposent aux rayons du soleil en se livrant à des exercices physiques de plein air se prémunissent contre les maladies. Pline le jeune, décrivant la vie d’un citoyen romain, nous apprend que celui-ci, deux fois par jour, se promenait sur le toit de sa maison, et s’y exposait nu aux ardeurs du soleil. On sait qu’à Rome les terrasses des maisons étaient disposées en solaria où les habitans venaient prendre des bains de soleil. D’après le témoignage de Platon, l’application thérapeutique des rayons solaires était également en usage en Grèce. Aristote fait remarquer que l’air et l’eau sont de tous les élémens ceux dont le corps humain a le plus besoin et le plus souvent ; et c’est à eux qu’est dévolue l’influence la plus marquée sur la santé. Enfin Galien, au second siècle de notre ère, recommande le changement de climat pour la guérison de la phtisie ; et lui-même il envoyait les malades en Egypte, dans la Lybie ou sur la côte du golfe de Naples ; le voyage par mer devait avoir de son côté la plus salutaire influence.
« Dove e il sol, no e il medico : là où il y a du soleil, pas n’est besoin de médecin », dit un proverbe populaire italien, plein de sens et de vérité. Effectivement, le soleil et la lumière constituent dans le monde organique l’excitant tout-puissant de la vie.
La lumière, la lumière solaire surtout, exerce l’action la plus marquée sur le développement du corps en totalité et sur celui des différens organes chez les animaux comme chez les végétaux. On sait, par exemple, que chez les animaux dont la vie s’écoule dans un milieu faiblement éclairé (oiseaux nocturnes, poissons des grandes profondeurs), les yeux atteignent un développement exagéré alors que ces organes deviennent rudimentaires ou disparaissent entièrement lorsque l’animal vit dans une obscurité complète. La taupe ordinaire est pourvue de fentes oculaires étroites ; une autre espèce, habitant l’Amérique du Sud, et qui creuse des galeries à une profondeur beaucoup plus grande, est d’une cécité complète ; de même, chez certains poissons, les yeux dégénèrent lorsque l’animal passe des eaux de surface aux eaux abyssales.
La coloration des animaux varie aussi corrélativement avec la lumière. Les animaux qui vivent dans l’obscurité se distinguent par leur faible coloration ou sont même complètement incolores.
L’excitation lumineuse, capable de déterminer l’apparition de pigmens dans les tégumens de l’animal, provoque dans certains cas des phénomènes physiologiques plus profonds. C’est ainsi, par exemple, que les crustacés décapodes périssent dans les conditions hygiéniques d’ailleurs les plus favorables, lorsque leur corps a été recouvert d’un vernis opaque, alors qu’un vernissage transparent leur permet de rester en bonne santé durant un laps de temps assez considérable. Sous l’action de la lumière, les tissus de l’animal dégagent une plus forte quantité d’acide carbonique (Moleschott, Perrier, etc.). L’ensemble de la radiation solaire agit d’ailleurs autrement que les radiations composantes prises à part. C’est ainsi, par exemple, que si le dégagement d’acide carbonique est de 100 unités en lumière blanche, il sera de 122,6 unités sous l’action des rayons bleus, de 128,5 sous l’influence des radiations vertes et de 175 environ dans la partie jaune du spectre, d’après les observations de Pott. Pareillement, l’absorption d’oxygène est plus forte à la lumière qu’à l’obscurité. Gräffenberg a trouvé que la quantité d’hémoglobine, matière colorante contenue dans les globules rouges du sang, diminue sous l’influence du séjour à l’obscurité.
Dans la vie des plantes, l’action des rayons solaires est encore plus marquée : leur croissance s’opère dans la direction de la source de lumière ; les parties exposées aux rayons solaires directs se développent mieux et plus rapidement que les parties à l’ombre ou dans l’obscurité. La chlorophylle, le vert des plantes, disparait à l’obscurité, et l’on ne voit végéter dans les cavernes souterraines que quelques champignons souvent à l’état de cellules rudimentaires. La botanique enseigne longuement l’influence considérable de la lumière sur les échanges gazeux, sur la fonction chlorophyllienne, sur la vie et l’accroissement des végétaux.
Pour en revenir aux animaux, on sait, par exemple, que leur croissance et leur nutrition se trouvent déprimées à l’obscurité ; — Plésanton a trouvé, entre autres faits, que les porcs et les bœufs croissent plus rapidement à la lumière violette qu’à la lumière blanche. Il se produit quelque chose d’analogue chez l’homme. Un savant danois, Mailing Hansen, a constaté que la croissance des enfans est plus rapide aux époques de l’année où la lumière et la chaleur sont plus intenses, et Demme a trouvé, chez les enfans encore, que la lumière solaire accélère les échanges nutritifs : l’émission d’acide carbonique est plus forte, la température du sang s’élève et la quantité de matière colorante y augmente.
A. de Humboldt, dans le même ordre d’idées, avait remarqué que les vices de conformation sont inconnus chez les sauvages auxquels un climat tropical permet de se passer de vêtemens et qui vivent au soleil. D’autre part, personne n’ignore que les êtres humains condamnés à vivre dans les caves ou à travailler dans les mines souffrent d’anémie et de cachexie, pour ne pas parler des défauts de conformation et des maladies qui sont leur constant partage.
La nature a réuni la lumière et la chaleur, ces puissans moteurs de la vie, par des liens si étroits, que nous avons quelque peine à distinguer entre ces deux agens physiques ; l’observation de tous les jours semble nous montrer, cependant, que la lumière est douée d’une action propre par rapport aux organismes vivans.
Alphonse de Candolle a démontré par des expériences directes que de deux graines plantées le même jour et soumises à des conditions d’éclairement différentes, celle qui reçoit la lumière solaire directe exige pour son développement et la maturation de ses fruits une moindre quantité de chaleur.
L’intensité plus grande de la lumière est un des facteurs qui peuvent expliquer la rapidité de la croissance et la vive coloration des fleurs chez beaucoup de plantes alpines.
Très suggestives sont les récentes observations de John Clayton, qui s’est livré à des cultures de haricots dans des conditions d’éclairement variées, et a pu constater que le défaut d’éclairement solaire direct influe défavorablement sur la qualité des semences et conduit à l’extinction de la race.
L’homme aussi, en l’absence de lumière, ne vit pas, mais végète : par un clair jour de soleil ses mouvemens sont plus vifs, il se sent plus dispos et plus allègre, tandis qu’un ciel brumeux le déprime en ralentissant toutes ses fonctions.
Le soleil n’agit pas seulement sur l’homme même, mais encore sur le milieu où l’homme vit. Outre les influences liées à sa bienfaisante action directe, le soleil est un facteur d’assainissement des milieux qui nous entourent : l’air, l’eau et le sol.
Il a été démontré par de nombreuses observations que la lumière solaire est douée d’une action antiseptique puissante. Elle peut être comptée au nombre des moyens les plus sûrs et les plus économiques dans la lutte contre les micro-organismes. Downes et Blunt en 1877, Tyndall dans la suite, ont fait voir que la lumière du jour diffuse ralentit le développement des bactéries et leur sporulation, et que la lumière solaire directe les tue. L’action la plus énergique appartient aux rayons bleus et violets ; la plus faible, aux rayons rouges et orangés.
Arloing a trouvé, en 1885, qu’une exposition de deux heures à la lumière solaire suffit pour tuer la bactéridie charbonneuse. La même observation a été faite par Koch sur les bacilles de la tuberculose, par Fermi et Celli pour les bâtonnets du tétanos, par Geissler, Minck et Büchner, Dieudonné, Charrin, Gaillard, Janowsky, Kitasato, Nocard et Strauss, Roux, Yersin et d’autres sur les bactéries du typhus, du choléra et d’autres micro-organismes pathogènes. Enfin la commission de savans allemands envoyée à Bombay a reconnu que les bacilles de la peste succombent au bout d’une heure sous l’action de la lumière solaire.
Un fait très intéressant aussi, c’est que les milieux liquides renfermant des substances organiques azotées complexes deviennent, sous l’action de la lumière, impropres à la vie des bactéries ; en d’autres termes, ces milieux acquièrent des propriétés antiseptiques.
Les modifications de ce genre sont d’autant plus caractéristiques et plus persistantes que l’action de la lumière a été plus prolongée. Il faut ajouter qu’elles dépendent aussi de l’oxygène de l’air. Toutes ces données établissent suffisamment la puissance de l’action assainissante de la lumière solaire.
L’air est le second facteur de la santé. C’est un fait connu de tous, c’est une vérité élémentaire, que sans air il n’est ni santé ni vie. Déjà au XVIIe siècle (en 1678), F. Agravi définissait le rôle de l’air atmosphérique dans ces termes : « Un air pur est utile à la santé ; il donne au corps la souplesse et la force, à l’âme de joyeuses dispositions, aux sens une réceptivité affinée ; par lui le caractère se perfectionne, les pensées s’élèvent, l’esprit se développe, et le goût et l’amour de toute activité naturelle nous sont donnés ; le sang circule plus animé, la visage offre un aspect florissant et vivant ; la poitrine comprimée du travailleur se dilate plus librement, la voix résonne claire et harmonieuse, la dyspnée disparaît, l’œil, — cette perle du visage, — devient plus clair, l’odorat et le goût s’aiguisent ; en un mot, l’air, ce centre d’attraction de toutes les créatures vivantes, impressionnables ou non, l’air est un immense bienfait. » Ce style, un peu ampoulé, sans doute, recouvre néanmoins beaucoup de vérité. Il faut maintenant insister sur le rôle assainissant de l’air.
Et tout d’abord, la constance de composition de l’atmosphère démontre surabondamment que la nature dispose de moyens appropriés non seulement pour la formation d’oxygène mais aussi pour l’élimination de l’acide carbonique. Effectivement les réserves en oxygène de la nature seraient vite épuisées, n’était la constante régénération de cet élément.
L’illustre chimiste Faraday a cherché à évaluer approximativement la quantité totale de l’oxygène contenue dans l’atmosphère, et il est arrivé au chiffre prodigieux de 1 178 158 milliards de tonnes. D’autre part, la dépense quotidienne en oxygène est de 3 600 000 tonnes qui se répartissent comme suit :
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Respiration humaine | 450 000 000 kilos. |
Respiration animale | 900 000 000 — |
Combustions et fermentations | 450 000 000 — |
Phénomènes de putréfaction, etc. | 1 800 000 000 — |
Soit, au total, par jour : 3 600 000 tonnes, ou encore un milliard trois cent quatorze millions de tonnes par an. Avec un tel état de dépenses, les réserves oxygénées du globe se trouveraient épuisées en l’espace de 900 000 ans. Mais si l’on prend en considération le fait qu’une diminution de 1 pour 100 dans la quantité de l’oxygène atmosphérique pourrait retentir défavorablement sur la santé des représentans du règne animal, on conçoit facilement que l’atmosphère serait devenue depuis longtemps impropre à la vie si la nature ne réparait pas le déficit d’oxygène. Par bonheur pour l’humanité, l’équilibre de composition de l’air atmosphérique se maintient, grâce à l’universelle circulation de la matière et grâce à la vie du monde végétal qui restitue journellement à l’atmosphère une énorme quantité d’oxygène. Suivant Mendéléieff, le tapis végétal qui recouvre notre planète produit annuellement 15 000 milliards de kilogrammes d’oxygène ; et les habitans du globe ne consomment en tout que mille milliards de kilogrammes.
Maintenant, une fois que nous savons quel rôle colossal est dévolu à la végétation et au soleil dans l’équilibre de composition de l’atmosphère, nous sommes en droit de nous demander avec le professeur Luys, l’auteur de l’excellent ouvrage intitulé l’Air et l’Eau, ce qu’il advient de l’air atmosphérique dans les villes privées de soleil et de verdure, ou encore en hiver, alors que la vie végétale est pour ainsi dire suspendue ?
Autre considération. Les gaz entrant dans la constitution de l’atmosphère sont doués de poids spécifiques différens : l’acide carbonique est plus lourd que l’oxygène, l’oxygène est plus pesant que l’azote ; l’ammoniaque et la vapeur d’eau sont très légères. Si ces gaz se répartissaient dans l’atmosphère conformément à leurs densités, la couche la plus rapprochée du sol serait constituée par le gaz carbonique (gaz toxique) qui est le plus lourd. Mais ici encore des lois naturelles parent à ce danger. D’après la loi de diffusion, tous les corps gazeux tendent à se mélanger uniformément ; la composition de l’atmosphère se maintient donc constante en dépit des différences de densité. D’ailleurs les courans aériens et les vents contribuent de leur côté à mélanger les gaz atmosphériques, et grâce à eux, l’acide carbonique qui s’élabore dans les cités, au cours des phénomènes de respiration et de combustion, est entraîné dans d’autres localités, où, sous l’action combinée de la végétation et du soleil, il se décompose en régénérant l’oxygène, lequel, à son tour, est ramené dans les villes.
Le vent, outre l’action directe qu’il exerce sur notre corps en modifiant la température de l’air inspiré et les échanges thermiques, intervient donc encore en purifiant l’atmosphère : il disperse, il dilue les différentes impuretés et affaiblit ainsi leur action nocive ; et c’est encore le vent qui constitue le facteur principal de la ventilation naturelle de nos habitations.
Il faudrait, pour être complet, signaler encore les influences physiologiques exercées par les courans de l’atmosphère, l’électricité atmosphérique, et, particulièrement, l’action assainissante de l’ozone.
Suivant l’heureuse expression d’un hygiéniste français, M. Arnould, le sol est le réservoir de la vie ; il constitue un réceptacle immense d’eau, de calorique et de substances nécessaires aux végétaux, facteurs sans lesquels le monde animal ne pourrait exister. Mais ce n’est pas en cela seulement que consiste l’importance biologique du sol ; la terre, au regard de l’hygiène, est le siège d’une grande puissance assainissante.
Le sol, dit le professeur Rubner, est affecté par la nature au rôle de réceptacle pour tous les déchets organiques, conformément aux plus strictes exigences de l’hygiène. Et de fait, on ne saurait mettre en doute que la destruction des matières organiques susceptibles de putréfaction s’y opère de la façon la plus parfaite, et, dans de certaines limites, de la façon la plus inoffensive.
Cependant le public instruit est loin de se rendre compte du rôle assainissant de la terre. Tout au contraire, on est accoutumé à considérer le sol comme un foyer de miasmes et de principes délétères de toute sorte. On ignore que, dans ce foyer, il s’opère un incessant travail qui paralyse les principes morbides, et qui, en même temps, élabore les alimens des végétaux. Ainsi se referme, en quelque sorte, le circulus de la vie organique. Les villes, dont le sol reçoit une incroyable quantité d’immondices de tout genre, de substances décomposables et putréfiables, de micro-organismes pathogènes, fournissent la preuve de ce grand travail d’assainissement qui se poursuit dans les ténèbres du laboratoire hygiénique souterrain. De fait, si le sol n’était pas le siège de ces processus salutaires, l’homme deviendrait la proie d’un nombre infini de maladies ; et, peut-être, la mortalité s’élevant dans des proportions correspondantes, conduirait-elle à une rapide dépopulation de nos cités et à leur fatal abandon.
L’existence et le développement épidémique de maladies tirant leur origine du sol, — telles le typhus, le choléra, la dysenterie, — loin d’être en contradiction avec cette idée, plaident au contraire en sa faveur ; elles démontrent l’insuffisance accidentelle d’un mécanisme assainissant habituellement suffisant. La pollution, la sursaturation du sol par les immondices, atteint à un tel degré que la puissance assainissante du sol ne suffit plus à y mettre ordre ; et c’est ainsi qu’apparaissent les conditions favorables au développement et à la multiplication des germes morbides.
Certains micro-organismes pathogènes, il est vrai, peuvent vivre dans le sol et même y multiplier, mais beaucoup d’autres, et d’entre les plus dangereux, trouvent dans ce milieu les conditions les plus propres à leur destruction. D’autre part, les microorganismes jouent un rôle essentiel dans l’épuration naturelle du sol en tant qu’ils participent au phénomène dit de nitrification de l’azote organique. Toutefois ils ne peuvent remplir ce rôle que dans de certaines conditions ; et il faut, par exemple, que le sol ne soit pas saturé de substances en voie de décomposition. Leur destruction par nitrification s’opère alors dans la mesure où sont réalisées les circonstances favorables à leur oxydation.
Une expérience en fournit la démonstration : si, dans un tube de verre rempli de terre mélangée de sable, l’on verse de petites quantités du liquide excrété par le rein, même après qu’il a subi la putréfaction, on voit sortir, filtrer et découler de l’appareil, au bout d’un certain temps, un liquide transparent, presque incolore, entièrement inodore, ne renfermant que des traces de substances organiques et d’ammoniaque, mais en revanche riche en combinaisons nitreuses et nitriques. C’est là une expérience d’épandage en petit. Mais si l’on fait passer à travers le tube une solution organique trop concentrée, ou si, par l’addition de chloroforme, on supprime l’activité des fermens organisés, la transformation de l’azote organique en azote nitreux ou nitrique n’a pas lieu. Le produit ultime de la décomposition qui se poursuit alors dans le sol est l’ammoniaque (Schlœsing et Müntz, Soyka).
D’autres expériences encore sont propres à rendre manifeste le rôle assainissant du sol :
Frankland faisait filtrer journellement à travers une couche de terrain mesurant 1 mètre carré de superficie et 1 mètre de profondeur une quantité de 25 à 33 litres d’eau prise dans les égouts de Londres ; il obtenait un liquide parfaitement limpide, et les substances organiques se transformaient en sels d’oxydes.
Falk remplissait de terre sablonneuse de grands cylindres de verre d’un faible diamètre et les arrosait de solutions contenant des fermens, des leucomaïnes ou des ptomaïnes. L’émulsine et les autres fermens, après avoir passé à travers la terre, se trouvaient complètement privés de leur pouvoir fermentatif ; les solutions de sang charbonneux ou de leucomaïnes, et l’infusion de viande de cheval putréfiée abandonnaient à la terre du cylindre leurs principes et leur odeur de pourriture ; injectées dans le sang des animaux elles ne provoquaient plus d’empoisonnement. Il fallut plusieurs mois d’un arrosage quotidien pour que la terre des cylindres-filtres perdît son pouvoir désinfectant.
L’eau est un élément naturel en connexion étroite avec le sol, et, par conséquent, avec les mondes végétal et animal. Les réserves en sont immenses sur notre planète, et son rôle biologique n’est pas moins grand ni moins varié que celui du sol. L’atmosphère en contient de grandes quantités. L’eau est indispensable à l’existence des organismes vivans ; ils ont besoin d’eau pour subvenir aux dépenses provenant de la transpiration. Sous l’action de la chaleur solaire, la surface du globe donne naissance à d’immenses quantités de vapeur d’eau. Au contact de courans atmosphériques plus froids, la vapeur se condense et donne lieu aux précipitations atmosphériques, — pluie, neige, rosée, — qui, s’abattant sur le sol, y accomplissent leur œuvre vivifiante.
La chaleur spécifique de l’eau est une propriété aussi importante qu’élémentaire, grâce à laquelle un rôle considérable est dévolu à l’eau dans la répartition des températures à la surface du globe. La pluie, la neige et la rosée, les fleuves, les lacs et les mers, ont un office à remplir à la fois dans la vie et dans l’économie générale de la nature.
L’humidité atmosphérique contribue largement à la purification et à l’assainissement de l’air que nous respirons, — car la goutte de pluie, parfaitement pure au moment de sa formation, se charge dans sa chute aérienne de quantités immenses d’impuretés gazeuses et solides, — poussière, gaz nuisibles, microbes, — surtout dans le voisinage des agglomérations humaines. Tissandier a trouvé à Paris, par un temps sec, 23 milligrammes de poussière dans 1 mètre cube d’air, tandis qu’après une chute de pluie, le même volume d’air ne contenait plus que 6 milligrammes. Voilà l’état des choses à Paris, c’est-à-dire dans l’un des centres les mieux policés au point de vue de la salubrité ! Dans d’autres lieux habités moins salubres, l’action bienfaisante de la pluie est encore plus marquée. C’est ainsi que, d’après les calculs de Jacobi, la pluie précipite à Kharkof, par un temps poudreux d’automne, autant de poussière qu’il s’en dépose à Paris sur une égale superficie en l’espace d’un an !
Et combien d’organismes inférieurs sont emportés par les précipités atmosphériques ! D’après Miquel, la quantité de microbes entraînés par l’eau de pluie est toujours très forte, quelque oscillations qu’elle subisse suivant les lieux et la saison. Dans les villes, l’eau de pluie renferme ordinairement plusieurs millions de microbes par litre.
Ces faits positifs ne nous laissent point de doute sur l’action bienfaisante de l’eau. Que dire si l’on envisage cet agent naturel non plus dans ses humbles et si utiles fonctions, mais par rapport aux harmonies de la nature et de l’art !
« L’eau, comme on l’a dit, est l’âme du paysage » ; « elle en est l’œil, » dit un proverbe oriental. L’eau donne la fraîcheur aux herbes et aux arbres, nourrit les prés et les clairières, les bosquets et les bois ; elle vivifie tous ces présens de la nature, et les conserve pour le plus grand bien de l’homme.
Si la mer, avec toute sa magnificence et son action salutaire, si la mer, dis-je, provoque parfois chez l’homme un sentiment d’abattement et d’humilité, en revanche, la libre steppe couverte d’un tapis fleuri, la prairie verdoyante qui caresse le regard, la forêt paisible aux senteurs pénétrantes, les alpes glorieuses, — tout cela est pour chacun une source de profonde volupté, volupté résultant du relèvement de l’énergie morale et physique. Où devons-nous chercher l’origine de cette jouissance ? Avant tout dans un sentiment artiste de la nature et de ses beautés ; mais aussi dans l’impression purement physique produite par l’air frais, pur et sain, qui renouvelle le corps et donne le bien-être de vivre !
C’est aux champs, vers la forêt, à la campagne, au sein de la nature, en un mot, que tendent consciemment ou inconsciemment les désirs de tout homme qui a besoin de se rafraîchir et de se fortifier. « Les heures, dit Lubbock, où notre âme déborde du sentiment des beautés de la nature, ces heures sont les seules que nous vivions de pleine vie ; chaque heure consacrée à la nature est une heure de plus, dans notre existence, extorquée à l’impitoyable cours du temps. » — « Accueillez-moi, prairies, et vous, forêts sacrées, accueillez le pèlerin qui, fuyant le bruit des villes, vient chercher à votre ombre un peu de repos et de fraîcheur... » s’écrie Shaftesbury dans son Hymne à la Nature.
Ce n’est pas seulement le bruit que fuit l’habitant des cités lorsqu’il abandonne ses murailles de pierre et ses logemens étroits ; il fuit l’air vicié des chambres, l’atmosphère empoisonnée des rues ; il fuit le sol saturé d’immondices ; il fuit les conventions déprimantes de la vie citadine, son labeur si souvent improductif, et tout ce qu’elle comporte de vanités. Et où fuit-il ? A la campagne, en des lieux peu civilisés, ignorans souvent des plus élémentaires dispositions de l’hygiène. Et combien, malgré cela, la campagne est préférable à la ville ! Dans la mesure où la puissance assainissante de la nature surpasse la puissance scientifique de l’homme ! La large voûte des cieux que rien ne borne, le libre jeu des vents, le brillant soleil, le sol naturel, — voilà les hygiénistes de la campagne, et le citadin qui vient y chercher la santé peut hardiment compter sur eux.
Il est hors de doute que la population rurale, lorsqu’elle est plus ou moins bien partagée aux points de vue économique et social, jouit, malgré l’absence de maintes conditions sanitaires, d’une meilleure santé que la population des villes, et s’en distingue par une mortalité relativement plus faible.
Dans tous les États de l’Europe occidentale, le taux de la mortalité est sensiblement plus élevé dans les villes que dans les villages ou les hameaux. Cependant la différence est soumise à d’assez fortes oscillations. En Prusse, par exemple, la mortalité dans les campagnes n’est inférieure que de 8,5 pour 100 à celle des villes ; en Angleterre, la différence est de 24,1 pour 100. Si, dans certains gouvernemens de la Russie, suivant les recherches d’Erismann, le rapport se trouve renversé en ce qui concerne la mortalité des enfans, cela tient à des conditions toutes spéciales et, il faut l’espérer, passagères.
James Starck, en Écosse, a trouvé que la mortalité générale des campagnards est inférieure d’un tiers à celle des citadins, et que la mortalité des enfans âgés de 5 ans est exactement deux fois plus forte à la ville que dans les campagnes. L’importance de la campagne pour les enfans a été nettement entrevue par Mirabeau, qui voulait que les enfans de la bourgeoisie française se fissent paysans, ne fût-ce que pour un temps.
Et combien cette profonde pensée du fameux tribun trouve peu d’écho, aujourd’hui encore, dans la conscience des peuples mêmes des plus civilisés ! Un savant allemand, Carl Lange, qui s’est occupé à rassembler des données concernant le développement intellectuel des écoliers dans les villes de son pays, a pu se convaincre que sur 500 enfans à l’âge de 6 ans, 82 pour 100 n’avaient aucune notion du lever du soleil, 77 pour 100 ne savaient ce qu’est le coucher de cet astre, 32 pour 100 n’avaient jamais vu un champ de blé, 37 pour 100 ne connaissaient la forêt que par ouï-dire, et 57 pour 100 n’avaient jamais été dans un village ! Une enquête faite dans les classes inférieures des écoles de Saint-Pétersbourg a fourni des données statistiques analogues.
La nature est mère de l’hygiène ; elle préserve la santé. Elle guérit aussi les maladies. La médication par les agens naturels est un champ vaste et fertile, cultivé avec un égal succès, peut-être, par les médecins savans et par de bénévoles guérisseurs.
Ces richesses curatives de la nature ont été exploitées par la fameuse « médecine naturelle » et ses modernes représentans, les « médecins naturels » (Naturärzte). Les succès de ces guérisseurs, ignorans pour la plupart, et qui ont rapidement fait école en Europe, en Allemagne et en Autriche surtout, démontrent une fois de plus la puissance des forces médicatrices de la nature.
Ce système de cure particulier qui a fait une rapide fortune consiste dans l’application des agens naturels, et de l’eau en tout premier lieu. Il bannit rigoureusement les drogues pharmaceutiques et les secours du médecin. Instauré par des profanes, ce système reconnaît pour fondateurs un paysan de Silésie, Priesnitz (mort en 1851), apôtre fanatique de l’hydrothérapie, et Schrott (mort en 1856), dont la méthode reposait sur l’emploi de la chaleur humide et sur un régime alimentaire particulier.
De ces guérisseurs-amateurs, le premier sans nul doute a donné une impulsion utile. Il a contribué à rétablir l’hydrothérapie dans la médecine scientifique. Notre temps a vu se multiplier le nombre de leurs adeptes.
Ces apôtres font une guerre impitoyable à la science, jettent l’anathème sur les médecins, nient la chirurgie et contestent l’efficacité de certaines méthodes de traitement des plus utiles, telles que la gymnastique, le massage, l’emploi des eaux minérales. Quant aux médicamens, il va sans dire qu’ils s’en passent ; l’eau, l’air, la diète, quelques herbes parfois, voilà leurs moyens et, horribile dictu, non seulement ils acquièrent de nombreux cliens, mais ils peuvent se vanter de résultats heureux.
Le curé Kneipp, comme on sait, voyait accourir chez lui, en son village de Bavière, des multitudes de malades, et c’est par milliers qu’il pouvait compter ceux qu’il renvoyait sinon toujours guéris, du moins très fréquemment améliorés.
Quel était donc le secret de ce guérisseur dont la Renommée aux cent bouches a répandu le nom dans l’Europe entière ? A quoi sont dus les succès de ses émules ? Le traitement de Kneipp consiste en une sévère réglementation du mode de vie des patiens, en leur accoutumance à l’air, à l’eau froide et à la continence ; d’après cela, on n’a pas de peine à s’expliquer ses succès. Toutes les soi-disant nouvelles méthodes d’application de l’eau froide (Kneipp appelait la méthode hydrothérapique qu’il employait « sa méthode »), la fameuse déambulation a pieds nus sur l’herbe humide, les siestes, à l’air libre, à l’état de nudité, et les autres procédés de ce genre, constituant l’alpha et l’oméga du traitement des Naturärzte, tout cela n’est autre chose que l’aguerrissement du corps, recommandé de longue date par la médecine scientifique, et qui rentre plutôt dans le domaine de l’hygiène que dans celui de la thérapeutique proprement dite.
Il est superflu d’entrer dans l’appréciation détaillée de la manière de faire des Kneipp, des Lamann et autres guérisseurs de cette école. C’est un fait de bon augure, que l’esprit du temps exerce son heureuse influence même sur les ignorans exploiteurs de la médecine et du public souffrant, car les prétendus adversaires de la science en sont venus, eux aussi, à reconnaître dans l’hygiène et dans la diététique, dans l’action de l’air et de l’eau, une base solide de médication !
Après l’empirisme, il faut voir maintenant comment la médecine scientifique utilise les nombreux moyens que la nature met à sa disposition.
Ces moyens sont légion, — l’air et l’eau, la lumière et la chaleur, les sources thermales et les boues, la tourbe et le sable, la forêt et la montagne, les rivières et les mers ! Chacun d’entre eux, — et les combinaisons qu’on en peut faire, — donnent lieu à de nombreuses applications ; telles, par exemple, les influences des climats continental et maritime, des climats chauds et des climats froids, etc. Chacun de ces moyens a été l’objet d’études spéciales ; mais nous ne voulons envisager que ceux d’entre ces agens naturels qui ont été récemment l’objet d’une plus grande attention. Et d’abord la cure d’air.
L’importance de l’air pur comme moyen curatif ressort avec une netteté toute particulière des heureux résultats obtenus dans les sanatoriums pour les phtisiques et dans les stations et colonies établies pour les enfans scrofuleux et tuberculeux.
Les temps ne sont pas loin où la phtisie pulmonaire, — ce sombre fléau qui, d’après les calculs de Cornet, emporte annuellement en Europe près de trois millions de vies humaines, — était tenue pour incurable. Les malades qui en étaient atteints se voyaient condamnés au régime de la chambre close et soigneusement préservés de l’air froid ou du moindre souffle de vent ; les plus favorisés, afin de prolonger leurs jours, étaient envoyés dans le Midi. Aujourd’hui l’application de l’air pur donne, sous toutes les latitudes, non seulement la possibilité d’améliorer l’état du malade, mais encore de le guérir.
L’Angleterre est un pays privilégié entre tous au point de vue de la police sanitaire ; cependant, au dire de Burton Fanning, quarante-quatre mille personnes y meurent annuellement de la phtisie, et 14 à 15 pour 100 de la population totale y sont atteints de cette maladie. C’est dans ce pays que l’on a vu paraître, vers le milieu du siècle, les premiers pionniers de la nouvelle méthode de traitement : les docteurs Bodington, James Clarck, Mac Cormac et d’autres.
Leur doctrine prêchait une large application de l’air (séjour prolongé à l’air libre, par tous les temps ; sommeil à fenêtres ouvertes). Les premières applications en ont eu lieu en Allemagne.
C’est là, en effet, à Gorbersdorf et à Falkenstein, qu’ont été fondés les premiers sanatoriums pour phtisiques. Des établissemens de ce genre existent actuellement dans tous les États de l’Europe. Si leur nombre est encore loin de correspondre aux réels besoins de la population, et s’ils n’ont pas encore réussi à extirper l’ancienne méthode, — combien inhumaine ! — du traitement des phtisiques dans les hôpitaux, du moins voyons-nous leur importance et le sentiment de leur nécessité s’affirmer de plus en plus dans la conscience de la société.
En Allemagne, en Autriche, en Angleterre, en Russie et dans tous les autres États de l’Europe, le traitement de la phtisie par l’air pur et frais commence à être considéré comme plus efficace que toute autre méthode. Et si, à la vérité, dans l’appréciation des résultats obtenus on ne saurait négliger de tenir compte des effets d’une alimentation rationnelle et de l’accoutumance, de l’aguerrissement, on n’en est pas moins forcé de reconnaître que le rôle capital dans le régime des sanatoriums est joué par l’air.
L’air pollué par les substances expirées, l’air renfermé, — en un mot, l’air vicié par des impuretés gazeuses, — représente un milieu des plus favorables pour les micro-organismes pathogènes ; il est de plus en plus avéré, par conséquent, qu’il est un foyer de maladies de toutes sortes. On sait, par exemple, que dans les locaux mal aérés, — pour ne pas parler des lieux privés de lumière, — les bacilles de la tuberculose conservent leur virulence plus longtemps que dans les conditions du libre accès de l’air.
L’air vicié est donc une source d’infection et compromet la nutrition générale du corps, tandis que l’air pur est non seulement un fortifiant, mais se trouve être un moyen désinfectant.
On comprendra, dès lors, pourquoi le phtisique, disposant dans les sanatoriums de grandes réserves d’air pur, y trouve, en dépit de conditions de climat défavorables, un allégement à son mal et même la guérison.
Le premier sanatorium fondé en Europe pour les phtisiques, celui de Gorbersdorf, a été organisé en 1859. C’était une institution privée destinée aux malades aisés. Cet établissement se trouve relégué au second plan par un autre sanatorium, populaire celui-ci, institué en Allemagne encore, dans les montagnes du Taunus, non loin de Francfort-sur-le-Mein, grâce à l’initiative du docteur Dettweiler, en 1892. On compte présentement en Allemagne près de dix sanatoriums populaires et dix-sept sanatoriums pour les classes fortunées. L’exemple de l’Allemagne a été, sans trop de hâte, il faut bien le dire, suivi par d’autres États, et des sanatoriums pour phtisiques ont été fondés un peu partout.
La Russie possède trois établissemens de ce genre : le sanatorium impérial de Halila, en Finlande, pour les classes privilégiées ; le sanatorium populaire de Taïtsy, organisé par la Société des médecins russes à Saint-Pétersbourg, à l’aide de fonds accordés par Sa Majesté l’Empereur de Russie ; enfin le sanatorium évangélique payant, fondé tout récemment à Pitkijärwi, en Finlande, grâce à des libéralités privées.
Pour apprécier convenablement l’utilité des sanatoriums, on ne peut mieux faire que de recourir aux données statistiques. On peut affirmer, dès à présent, que la mortalité des phtisiques dans ces établissemens est cinq fois plus faible que dans les hôpitaux, et que jamais auparavant le traitement des phtisiques n’avait donné d’aussi bons résultats. Les chiffres bruts nous montrent que dans 70 cas sur 100, l’on observe une amélioration plus ou moins sensible de l’état du malade ; la proportion des guérisons complètes est de 13 à 22 pour 100 et celle des guérisons relatives s’élève au chiffre de 28 à 37 pour 100.
Au sanatorium impérial de Halila, durant les six années de son existence, sur un nombre total de 607 personnes en traitement (250 hommes et 357 femmes), la statistique accuse 48,3 pour 100 d’améliorations et 23,5 pour 100 de guérisons.
Dans les hôpitaux, la mortalité des phtisiques varie de 23 à 62 pour 100 (45 pour 100 en moyenne), tandis que dans les sanatoriums elle oscille entre 23 et 12,7 pour 100, non comptés les cas de tuberculose avancée (destruction des poumons, formation de cavernes). La différence, on le voit, est énorme.
Le plus ancien des sanatoriums populaires allemands est l’établissement connu sous le nom de Ruppertshain. La proportion des guérisons y est de 13 pour 100, chiffre inférieur à ceux qui ont été publiés par les autres sanatoriums d’Europe Si modeste que soit ce résultat, il représente encore le salut d’un grand nombre d’êtres humains. D’après l’estimation du professeur Ziemssen, de Munich, le nombre total des phtisiques en Allemagne étant de 1 200 000, — 13 pour 100 de guérisons complètes, — c’est 150 000 vies humaines arrachées à la mort. C’est là un chiffre assez respectable.
La pureté exclusive de l’air du littoral, et les conditions favorables du climat marin en général, ont déterminé la fondation de sanatoriums sur les côtes. Les premiers ont été des asiles spéciaux destinés aux enfans scrofuleux et tuberculeux ; l’idée de leur organisation remonte à l’année 1750. À cette époque, un médecin anglais, M. R. Russel, avait publié ses observations, desquelles il résultait que les habitans des côtes, pêcheurs ou marins, souffrent moins de la scrofule que les habitans du continent. Grâce à Russel, un asile maritime pour enfans scrofuleux s’ouvrait à Margate dès l’année 1796. C’était le premier établissement de ce genre en Europe.
A l’heure qu’il est, on compte en Angleterre plus de trente stations maritimes destinées aux enfans scrofuleux et tuberculeux. L’exemple de la Grande-Bretagne a été suivi par les autres pays d’Europe, et tout d’abord par l’Italie, où Russel avait trouvé un émule énergique et entreprenant dans la personne de Giuseppe Barellvi. Grâce à ce dernier, il y a maintenant en Italie plus de 28 stations maritimes ; 60 000 enfans y ont trouvé asile, et la plupart ont été guéris. Le plus considérable de ces établissemens se trouve à Venise, sur le Lido ; l’organisation en a coûté 400 000 fr. En France, la première station maritime pour enfans scrofuleux et tuberculeux a été fondée en 1847, à Cette, au bord de la Méditerranée. Le nombre des établissemens similaires est de 11 ; le plus important d’entre eux et le plus connu se trouve à Berck-sur-Mer. Cette dernière institution, admirablement organisée, s’est fait dans toute l’Europe une réputation justement méritée. La Belgique, la Hollande, le Danemark, l’Allemagne et l’Autriche possèdent également des stations de ce genre. On en trouve aussi en Amérique. Quant à la Russie, deux stations seulement fonctionnent sur son territoire : celle de Yalta, pour les enfans atteints de maladies chroniques en général (33 places), et celle d’Oranienbaum, pour les scrofuleux et pour les convalescens.
Il y a lieu d’espérer que de. nouveaux établissemens seront organisés sous peu. Sous le patronage de l’Impératrice régnante et de l’Impératrice douairière, une société s’est constituée en vue de la création de sanatoriums maritimes en Russie ; une première souscription a déjà fourni les fonds nécessaires à l’installation. Le montant de cette souscription, dont le noyau a été constitué par les offrandes impériales, s’élève, d’après les renseignemens du docteur N. Wéliaminoff, qui en est l’initiateur, à 36 000 roubles. La première station que l’on se propose de fonder sera destinée aux enfans atteints de ce que l’on appelle la tuberculose chirurgicale, c’est-à-dire d’affections tuberculeuses des os, des articulations et des glandes ; il est question d’organiser ce sanatorium à Vindava, sur le littoral de la mer Baltique. On songe en outre à la création d’un établissement similaire, à Sestroretsk, sur le golfe de Finlande. L’initiative de cette dernière entreprise appartient au docteur K. Rauchfuss, auquel on doit la fondation en Russie des premières colonies de vacances scolaires (à Bobilsk, Oranienbaum et Levachôvo). Le terrain qui doit servir d’emplacement au nouveau sanatorium a été gracieusement accordé par Sa Majesté et relève du ministère de l’Agriculture et des Domaines. Un autre projet est à l’étude, émanant du ministre M. A. Yermoloff.
Il est encore question d’organiser une colonie sanitaire et scolaire sur la côte méridionale de Crimée, sur les terres du jardin botanique de Nikitsky. Là, les jeunes gens d’une faible constitution ou d’une santé chancelante pourraient se livrer à l’étude pratique de certaines branches de l’agriculture tout en raffermissant leur santé, grâce aux conditions salutaires du climat et à celles qui découleraient d’une distribution rationnelle du travail physique et intellectuel.
Les stations maritimes européennes ne fonctionnent pas toutes d’après le même principe : les unes, — elles sont majorité, — ne sont ouvertes que pendant l’été et n’accueillent les malades que pour un temps limité ; les autres fonctionnent tout le long de l’année et reçoivent les malades pour un temps prolongé et illimité, jusqu’à la guérison. De ce nombre sont la station de Refnaes en Danemark, celles de Vendnyne et de Middelkerke en Belgique, et celle de Berck-sur-Mer en France.
Les observations de Bergeron, de Cazin, d’Uffelman, de Rauchfuss, de Van-Merris et de Casse confirment pleinement l’influence favorable des stations maritimes sur les enfans chétifs en général et sur les enfans atteints de scrofule ou de tuberculose en particulier. Van-Merris, se fondant sur des données statistiques recueillies dans les meilleures stations de France, d’Italie, d’Angleterre et de Hollande, a cherché la moyenne générale des cas de scrofule et de tuberculose traités avec succès, et il est arrivé au chiffre de 89 pour 100. Ce sont là des résultats sérieux et encourageans.
Mais l’influence curative de l’air marin s’exerce aussi sur les adultes, et dans les cas de maladie les plus variés. Parmi les affections justiciables d’une cure d’air marin, il faut placer au premier rang la neurasthénie, surtout lorsqu’elle provient de surmenage intellectuel.
Le climat maritime exerce également une action salutaire dans les cas de tuberculose pulmonaire. Les personnes atteintes de cette maladie, — dans sa phase initiale du moins, — se trouvent très bien d’un séjour sur la côte, surtout dans les îles, baignées de tous côtés par une atmosphère pure ; ou encore d’un séjour en pleine mer (voyage au long cours). On peut se demander d’où vient cette puissance curative du climat maritime. On ne saurait la chercher dans la seule pureté de l’air ; il faut faire entrer en ligne de compte son humidité, l’insignifiance des variations de température, la périodicité enfin et l’intensité des courans atmosphériques.
L’uniformité plus grande de la température de l’air marin est déterminée par l’action régulatrice de la mer ; les oscillations diurnes du thermomètre sont presque insensibles, et en tout cas moins brusques que dans l’intérieur des terres. Les températures de la mer et de l’atmosphère s’égalisent, grâce à l’échange de calorique qui se poursuit constamment, nuit et jour, en hiver comme en été. Pendant le jour et durant la saison chaude, la mer soutire à l’atmosphère son excédent de chaleur ; elle lui en cède pendant la nuit ou durant la saison froide.
L’eau s’échauffant lentement, et lentement cédant du calorique, il s’ensuit que la côte maritime jouit d’un printemps plus frais et d’un automne et d’un hiver plus doux. L’humidité de l’atmosphère marine, humidité absolue ou relative, est considérable ; 75 à 85 pour 100 comme moyenne annuelle. Elle est déterminée non seulement par l’incessante évaporation de l’eau (laquelle, cela va sans dire, se trouve sous la dépendance de la radiation solaire, des vents et de la plus ou moins grande saturation de l’air), mais encore par quelques autres conditions : position géographique de la localité, température de l’air, et aussi par la force du brisement des vagues qui projettent de grandes quantités d’eau pulvérisée dans l’atmosphère.
L’humidité de l’air, soumise à des variations relativement faibles, entraîne à son tour, sur les côtes maritimes, une plus forte nébulosité et une plus grande abondance des précipités atmosphériques.
La pression atmosphérique est toujours élevée sur mer, et quoique les oscillations en soient considérables et fréquentes, elles sont cependant plus régulières que dans l’intérieur des continens. A chaque mètre d’ascension au-dessus du niveau de la mer correspond une diminution de 1 kilogramme et demi dans la pression de l’atmosphère sur le corps humain, de telle sorte qu’un homme se trouvant à Davos, par exemple, subit de la part de l’atmosphère une pression inférieure de 2 250 kilogrammes à celle qu’il aurait à supporter au niveau de la mer.
Les courans atmosphériques, à cause de leur périodicité même, se distinguent sur les côtes maritimes par une certaine constance et une certaine énergie ; ils exercent une influence directe sur la température et les mouvemens de l’eau et de l’air ; ils travaillent à purifier, à assainir l’atmosphère. On ne saurait nier que le renouvellement de l’air sur les côtes maritimes ne soit très rapide, si l’on prend en considération la vitesse du vent, qui est généralement de plusieurs mètres par seconde.
La pureté constitue un des traits caractéristiques de l’air marin ; non seulement cet air ne renferme pas de poussières, mais il est presque vierge de microbes. Il a été démontré que plus on s’éloigne de la côte vers la pleine mer, plus la teneur de l’atmosphère en microbes diminue ; elle devient finalement nulle. C’est ainsi, par exemple, qu’à la distance de 22 à 24 milles marins des côtes de la Hollande ou des côtes correspondantes de l’Angleterre, on ne trouve qu’un microbe dans 20 litres d’air (Fischer), alors qu’à Paris, rue de Rivoli, le même volume d’air a donné 1 100 germes (P. Miguel). Ordinairement 10 mètres cubes d’air marin pur ne renferment en moyenne que 5 à 6 bactéries (Van-Merris). A noter, en outre, qu’au bord de la mer la quantité de microbes inoffensifs prédomine sensiblement sur celle des microbes dangereux ; ils sont dans la proportion de 7 à 2. La plus ou moins grande pureté de l’air marin tient principalement à la direction et l’intensité des vents : les vents continentaux souillent l’atmosphère, tandis que le vent de la mer la purifie. La lumière solaire, très intense sur les côtes maritimes, constitue également un facteur assainissant.
Il fut un temps où l’on comptait au nombre des qualités particulièrement importantes de l’air marin sa plus faible teneur en acide carbonique et sa plus grande richesse en oxygène et en ozone. Pour ce qui est de l’oxygène et de l’acide carbonique, la différence de l’air marin par rapport à l’air continental est assez insignifiante. Quant à l’ozone, la proportion en est, d’après Verhaege, sensiblement plus forte dans l’air marin que dans l’air continental (dans le rapport de 6,2 à 4,5). Ce gaz semble se trouver sous la dépendance de la radiation solaire, de l’évaporation de l’eau, et des vents. L’ozone étant doué de propriétés oxydantes et antiseptiques, on l’a considéré, sans preuves suffisantes d’ailleurs, comme la cause de la grande pureté de l’air marin.
L’air des côtes maritimes contient du chlorure de sodium ; il provient de la pulvérisation de l’eau de mer due au brisement des vagues (E. Friedrich).
L’air marin renferme-t-il de l’iode et du brome ? C’est là une question litigieuse ; en tout cas la proportion de ces élémens y est insignifiante. L’odeur sui generis de la mer semble due non pas à l’iode, mais plutôt au chlorure de magnésium, corps facilement décomposable.
L’influence tempérante de la mer, la douceur relative du climat maritime, se manifestent dans la végétation des côtes : celle-ci est comparativement plus riche et plus variée que sur le continent aux latitudes correspondantes. On voit sur le littoral végéter en pleine terre des plantes que la position géographique semblerait devoir exclure. C’est ainsi que des plantes des tropiques prospèrent sur la côte méridionale de l’île de Wight, grâce à l’influence du Gulfstream ; pour la même raison, dans certaines localités riveraines de la mer du Nord même, telles que Norderney et Föhr, le châtaignier et la vigne croissent en plein air, et les raisins y arrivent à maturité.
L’utilité de la thérapeutique aérienne se manifeste encore dans l’heureuse influence exercée sur la santé par une navigation maritime prolongée ou par un stationnement en pleine mer.
Il a été démontré par de nombreuses observations (J.-B. et F. Williams, C. Faber, Lindsay, Belfast, Doyle, etc.) qu’un voyage prolongé sur mer agit favorablement dans les cas de dépression générale de la nutrition ; de même pour certaines formes de la neurasthénie issue de surmenage intellectuel ; et enfin dans certains cas plus graves, tels que la phtisie pulmonaire au premier degré. Les stationnemens maritimes sanitaires, lorsqu’ils sont organisés sur des bâtimens parfaitement appropriés, présentent sur les croisières l’avantage d’exclure presque entièrement le mal de mer. D’après la statistique de MM. Williams, les cas de phtisie pulmonaire à son début (sans fièvre ni dérangemens gastriques) donnent, sous l’influence d’une navigation maritime prolongée, une proportion d’améliorations assez forte : plus de 80 pour 100.
Chose regrettable, il n’existe pas encore en Europe de croisières ou de stationnemens maritimes organisés dans une vue sanitaire. Il faut espérer que l’Europe occidentale ne tardera pas à prendre exemple sur l’Amérique. Il existe, aux États-Unis, — à l’usage surtout des enfans, — ce qu’on appelle des hôpitaux flottans (floating hospitals), installés sans luxe, il est vrai, mais avec le réel souci du confort hygiénique et des exigences sanitaires. Au surplus, si les malades vont à la mer, ce n’est pas à seule fin de bénéficier du climat ; ils y profitent encore de la force assainissante des bains de mer.
Ce n’est pas ici le lieu de définir l’importance et le mode d’action des bains de mer ; il serait trop long de parler du traitement par l’eau froide en général, des bains de rivière, des voyages fluviaux, des bains de boue ou de sable, enfin des eaux médicinales (minérales, thermales, etc.). Il importe cependant de dire quelques mots d’une récente et très curieuse acquisition de la physiothérapie, je veux parler de l’application médicale de la lumière solaire.
Ainsi qu’il ressort des nombreux travaux que nous avons cités, la lumière solaire est douée de vertus antiseptiques très marquées. On a tenté d’utiliser cet agent curatif. Etant donné que la lumière diffuse ne tue les bactéries qu’avec une certaine lenteur, on s’est avisé d’augmenter son pouvoir bactéricide en la concentrant au moyen de lentilles convergentes, tout en éliminant les rayons inactifs du spectre (ultra-rouges, rouges, orangés et jaunes), dont l’accumulation d’ailleurs pourrait déterminer des brûlures.
Les expériences ont montré que la plus forte activité bactéricide appartient aux radiations violettes et bleues et que, quelque avantage que l’on ait à se servir du soleil comme source de lumière dans la photothérapie, la lumière électrique peut remplir le même office. Un médecin danois, Niels Finsen, a fondé à Copenhague le premier « Institut photothérapique. » M. Finsen s’est livré à des expériences sur les rayons de l’arc voltaïque. Il en opérait la concentration au moyen d’un appareil de son invention, constitué par un système de lentilles. D’après ses observations, l’action bactéricide de la lumière croît proportionnellement à la concentration de celle-ci ; la lumière solaire concentrée au moyen de l’appareil tue les bactéries quinze fois plus rapidement que ne le fait la lumière directe, et les rayons de l’arc voltaïque sont plus actifs encore que les rayons solaires. Par une expérience des plus ingénieuses, M. Finsen s’est assuré que le sang est le principal obstacle à la pénétration de la lumière dans les tissus. C’est pourquoi, lorsqu’on en vint à l’application médicale, il fallut recourir à des artifices afin de chasser le sang des parties du corps soumises à l’action lumineuse ; on employait à cet effet des appareils spéciaux destinés à comprimer les vaisseaux sanguins.
M. Finsen a fait l’application de la lumière concentrée au traitement de quelques maladies d’origine infectieuse, et surtout du lupus. La surface malade était soumise à l’action des rayons concentrés, segment après segment, jusqu’à complète disparition des signes morbides. S’il se produisait de nouveaux nodules, le traitement était renouvelé. A la suite d’un traitement suffisamment prolongé, on voyait les bords de l’ulcère lupique s’aplanir, la rougeur disparaître, la peau reprendre sa coloration normale et les ulcérations se cicatriser. Dès le commencement du traitement par les rayons concentrés, le placard lupique cessait de s’élargir et de s’étendre.
Après ce mode de traitement M. Finsen n’a jamais vu se produire de véritables récidives ; il est arrivé, à la vérité, que des malades que l’on avait cru guéris se sont représentés avec de nouvelles macules lupiques, mais il s’agissait toujours de foyers d’abord inaperçus à cause de leur faible développement. Un nouveau traitement les faisait disparaître.
M. Finsen emploie depuis quelque temps une lampe à arc de 80 ampères et en concentre la lumière au moyen de lentilles de cristal de roche, substance qui laisse passer les rayons ultraviolets absorbés par le verre ordinaire. Les effets de la lumière ainsi concentrée se sont montrés encore plus efficaces. On vit, dans ces conditions, des nodules lupiques de la grosseur d’un pois disparaître au bout de 15 à 20 minutes d’éclairement. Le nombre des cas traités s’élevait à 59 en décembre 1897 ; ils étaient très divers, tant au point de vue de la forme de l’affection qu’à celui de son étendue et de sa durée ; vingt-trois malades ont été complètement guéris, trente sont restés en traitement et six ont dû cesser le traitement pour des raisons étrangères.
Ces exemples suffisent à montrer quels nombreux et puissans agens la nature met à la disposition de l’homme ! Elle est un trésor inépuisable de moyens curatifs, dont la médecine scientifique profite largement pour le plus grand bien de l’humanité et qui luttent victorieusement contre les conditions hygiéniques déplorables où s’écoule l’existence de la plupart des hommes.
Ces remèdes salutaires, la nature ne les délivre pas sur ordonnance ; d’une main généreuse elle les met à la disposition non pas de quelques-uns seulement, mais de tous, de la masse. Elle les offre, mais les hommes ne les accueillent pas suffisamment. La réalité est bien loin de l’idéal, mais déjà nous voyons qu’elle y tend et qu’elle pourra l’atteindre.
Les forces sociales et scientifiques en Russie ont pris une grande part au mouvement qui se produit dans le domaine de la médecine. Toute une série de moyens naturels d’assainissement et de médication ont été mis en évidence par les médecins russes, c’est-à-dire par leurs recherches scientifiques et leurs travaux. Ils ont, par exemple, institué le bain russe, — l’une des formes les plus puissantes de l’hydrothérapie, — les cures de boue, les cures de koumiss, de kéfir, etc. Ce mouvement que l’on a vu se dessiner dans l’Europe occidentale en faveur des méthodes de traitement physiques et diététiques, ce n’est pas assez de dire qu’il a trouvé un écho en Russie : il y a rencontré d’actifs et nombreux auxiliaires. On ne saurait douter du rôle important qu’est appelée à jouer dans ce mouvement la Société russe d’hygiène publique, grâce à l’initiative de laquelle a été organisé le premier congrès de climatologie, de balnéologie et d’hydrologie qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg le 12 décembre 1898.
LEON BERTHIENSON.