Les Frères Zemganno/56

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G. Charpentier, éditeur (p. 273-275).

LVI

Le saut, cette envolée momentanée de terre d’un corps dense, mollement musculeux, épaissement matériel, sans qu’il ait rien en lui, pour se soutenir dans le vide, de l’allégement gazeux ou de l’appareil flottant des êtres qui volent ; le saut lorsqu’il atteint une élévation extraordinaire : cela tient du miracle ! Car le saut, pour que l’homme l’obtienne, il faut sur le pied arc-bouté au sol une flexion oblique de la jambe et de la cuisse et du torse sur la cuisse. Puis dans ce raccourcissement du corps, dans cet abaissement du centre de gravité, dans le demi-cercle de ces membres ployés et rapprochés comme les deux bouts d’un arc dont on tend la corde, il est soudainement besoin d’un départ brusque des extenseurs, pareil à la détente d’un ressort d’acier, qui d’un seul coup triomphe du clouement pesant des orteils à la terre, et qui redresse, en une raideur rigide, les jambes, les cuisses, la colonne vertébrale, et qui projette la masse corporelle vers le ciel, pendant que les bras, avec leurs poings fermés, et tendus et poussés au plus haut de leur développement, font, suivant l’expression du médecin Barthez, l’office d’ailes.

Cette effroyable détente d’extenseurs devant produire la projection d’un corps pesant cent trente livres à près de quinze pieds en l’air, et encore perpendiculairement, Gianni travaillait à l’aider de toutes les sortes. Il fit longtemps chercher à Nello dans son passage courant sur le plancher du tremplin, la façon de poser les pieds de manière à donner à la planche le plus de balan possible. Il assujétit son frère à étudier la force respective de ses deux jambes, pour que dans le bondissement, il appuyât sur la plus forte pour se donner l’impulsion. Il l’habituait aussi à sauter avec dans ses mains de petits altères pour soulever et emporter dans l’altitude son corps avec un entraînement plus énergique.