Les Frères de Plymouth et John Darby, leur doctrine et leur histoire/Avant-Propos

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AVANT-PROPOS.

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Cette brochure a déjà paru en allemand sous la forme d’une série d’articles dans la Gazette Évangélique de Berlin ; ils ont été écrits sur la demande expresse de la Rédaction de ce journal. Des hommes au jugement desquels nous attachons beaucoup de valeur, ont estimé que la publication de ces articles en langue française pourrait être de quelque utilité pour notre église. Un membre du clergé vaudois a eu la grande bonté de se charger du travail de la traduction. L’auteur a fait des additions assez nombreuses, devenues opportunes ou même nécessaires depuis le temps de la première rédaction en langue allemande.

Le tout était prêt pour être mis sous presse, lorsqu’a éclaté la révolution des quatorze et quinze février, et avec elle la persécution des frères de Plymouth en quelques localités. Cette persécution a été très-partielle ; elle s’est bornée aux véritables foyers de la révolution. Toutefois il aurait été peu charitable de lancer à cette époque dans le public une brochure de réfutation du plymouthisme. La vérité ne doit pas mêler sa voix au retentissement des coups que porte la violence. Au lieu de faire triompher sa cause, elle ne pourrait que la compromettre. La force des meilleurs arguments serait immédiatement brisée par la force brutale. Vis-à-vis de ces persécutions tous les vrais amis de l’Évangile dans l’église nationale, oubliant des différences secondaires, devaient se sentir unis aux frères de Plymouth, unis par la défense de la même cause, unis par la même opposition à ceux qui résistent à Christ et disent : « Nous ne voulons pas que Celui-ci règne sur nous. »

Depuis lors les choses ont changé de face. Les persécutions des frères de Plymouth ont entièrement cessé. Aucune décision hostile contre eux n’a été prise. Car on a bien senti que là n’était pas le véritable point du combat. On a dirigé les coups contre le réveil religieux au sein de l’église nationale, estimant que le moment opportun était venu d’en finir une fois pour toutes avec cette activité religieuse si incommode, dont la révolution de 1830 avait, sans s’en douter, si admirablement secondé la cause. Les serviteurs de l’église nationale ont été accusés de favoriser des tendances dissidentes. L’esprit qui avait inspiré, il y a vingt et un ans, la loi du 20 mai, a cru pouvoir, après de nombreux échecs, remporter un nouveau triomphe.

Maintenant donc que la lutte est engagée sur ce point, il peut paraître d’autant plus opportun de publier la présente brochure. Plusieurs voix se sont fait entendre jusqu’à ce moment contre le mouvement plymouthiste. Les dissidents vaudois ont traité fort au long cette matière. La société laïque pour le maintien de la saine doctrine dans le canton de Vaud a dit son mot. La société évangélique de Genéve a nettement formulé et exprimé son jugement. Un homme distingué du canton de Neuchâtel a fait ressortir d’une manière frappante plusieurs graves erreurs des frères de Plymouth. Mais jusqu’à présent aucun de ceux auxquels est confié le ministère de la Parole dans l’église nationale vaudoise, n’a élevé la voix[1].

Il est temps maintenant de le faire. Un plus long retard pourrait nous attirer des reproches justement mérités. Une pareille manifestation doit en même temps servir à réfuter les accusations dont nous avons parlé plus haut. On doit voir que les serviteurs de l’église nationale vaudoise, tout en plaidant chaleureusement la cause d’une liberté religieuse conforme à nos institutions et à notre civilisation, sont pourtant bien loin de vouloir favoriser des tendances destructives de l’église qui les a honorés de sa confiance.

Il est toujours pénible d’engager une lutte sur les vérités qui apportent la paix à l’âme humaine et de donner aux adversaires, qui s’en réjouissent, le spectacle de nouvelles scissions. Il est triste de se trouver dans le cas d’attaquer les doctrines et les tendances de personnes qui, bien qu’elles soient dans l’erreur, ont cependant une piété sincère et vivante. Nous nous sommes dit et répété ces choses, et nonobstant cela nous n’avons pas pu reculer devant la tâche que nous nous étions imposée. C’est en cherchant à nous mettre toujours de nouveau en la présence de Dieu, scrutateur des cœurs et des reins, que nous nous en sommes acquitté.

Il s’agissait, en premier lieu, d’étudier d’une manière approfondie ce mouvement et de puiser, à cet effet, dans les différentes sources qui se trouvaient à notre portée. Nous avons dans ce but pris une connaissance exacte de toutes les brochures lancées dans notre public à l’occasion de ces doctrines. Nous avons entendu M. Darby a plusieurs reprises et dans diverses situations. Nous avons entendu quelques orateurs de ses amis, et à Lausanne nous avons été à même de suivre d’assez près cette apparition. Des communications de beaucoup de pasteurs de différentes parties du canton, même de pasteurs dissidents, ont servi à compléter nos recherches.

Après avoir fait ces études préliminaires, il importait de nous placer à un point de vue élevé pour saisir les caractères généraux de ce mouvement, et pour en embrasser et apprécier à leur juste valeur tous les détails. Considéré dans ses rapports avec notre état religieux en général, le plymouthisme présente deux faces différentes qui d’ailleurs se rattachent au même principe fondamental. Il est tourné soit contre les églises dissidentes, soit contre l’église nationale. Il se lie à certains éléments qui se trouvent dans les églises séparées de l’État d’une part, et dans l’église unie à l’État de l’autre part. Par son influence les églises dissidentes sont en proie à une dangereuse crise intérieure, qui ne va pas à moins qu’à compromettre leur existence. Le radicalisme religieux auquel, à leur insu, ces églises doivent leur origine, s’est développé depuis quelques années de la manière la plus absolue et a mûri jusqu’à acquérir pleine conscience de lui-même. Les nouveaux dissidents se trouvent vis-à-vis de ceux qu’ils avaient eus pour conducteurs et pour confrères, précisément dans la même position où ils s’étaient d’abord trouvés tous ensemble vis-à-vis de la mère église. Les principes de démocratie ecclésiastique qui ont donné lieu aux premières congrégations dissidentes, servent maintenant, poussés à l’extrême, à miner ces congrégations même et les menacent d’une complète dissolution. Mais le plymouthisme tend aussi à dissoudre l’église nationale ; il se recrute, en partie, parmi les membres de cette église. Confessons-le franchement, puisque le seul moyen de vaincre l’erreur est de se soumettre entièrement à la vérité, le plymouthisme a fait mûrir, il a réuni en un faisceau certaines tendances erronées du réveil religieux de l’église nationale. C’est là ce qui lui donne de l’importance, ce qui en rend l’étude nécessaire.

Si cela concerne tous ceux qui s’intéressent aux destinées du christianisme parmi nous, ce sont pourtant les Pasteurs et Ministres de l’église nationale du canton de Vaud que nous avons particulièrement en vue. Ils ont plus que tous les autres besoin de connaître d’une manière approfondie les principes de ce mouvement qui est un sujet de troubles et d’agitations dans leurs paroisses.

Permettez-donc, chers et bien-aimés frères dans le ministère de Jésus-Christ, que je vous dédie ces pages comme une faible marque de mon affection. Appelé avec vous au service de la même église, je me suis accoutumé à partager vos sollicitudes et à m’associer en quelque sorte à vos travaux ; vous-mêmes, par vos procédés fraternels, m’y avez encouragé. Outre mes anciennes et bonnes relations avec Messieurs les pasteurs de Lausanne, plusieurs d’entre vous m’ont déjà reçu sous leur toit hospitalier sur les rives du Léman, dans vos vallons et sur vos montagnes, et m’ont fait goûter les douces jouissances de la confraternité chrétienne. En vous quittant, j’ai toujours senti en moi un nouveau courage pour consacrer mes forces à l’église au service de la quelle le Seigneur nous a appelés. Le danger que court actuellement cette église, l’attitude que vous avez prise, n’ont fait que resserrer les liens qui m’unissent à vous.

C’est au nom de cette même église que je vous adresse la parole. Elle est dans une position très-difficile ; elle se trouve entravée en divers sens et en but aux attaques incessantes d’ennemis de plus d’un genre. Mais vous le savez, ce n’est pas ce qui est le plus à craindre pour l’Église de Jésus-Christ. Les Écritures et l’histoire du christianisme sont là pour en fournir des preuves frappantes et nombreuses. Le mal ne devient incurable que lorsque l’Église cesse de se confier en son divin Chef et fondateur, qu’elle se détourne des vérités qu’elle doit annoncer aux hommes, qu’elle perd la conscience de son auguste mission et qu’elle oublie les promesses de grâce et de secours que le Seigneur lui a accordées. Assiégeons le trône de la miséricorde, afin que le Seigneur conserve, fortifie et augmente dans notre église les éléments de vie qu’elle renferme, et qu’au milieu des déchirements dont nous ressentons avec toute la chrétienté les funestes conséquences, on voie se resserrer parmi nous les liens d’union et de fraternité entre ceux qui sont sur le terrain d’une même foi, qui sont appelés aux mêmes combats, aux mêmes dangers, à la même victoire !


Lausanne, 30 juin 1845.
L’auteur.
  1. N’oublions pas de dire que cette question est très-bien touchée dans une note de la brochure qui vient de paraître : Coup d’œil sur la position de l’église nationale du canton de Vaud en 1845.