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Les Français zouaves pontificaux/Quelques mots d’explication

La bibliothèque libre.
Gaston de Villèle, Charles de La Noue 
(p. V-XI).


QUELQUES MOTS D’EXPLICATION


Statuerunt dimicare et confligere fortiter eo quod civitas sancta et templum periclitarentur.
(II. Mach. 15,1).


À vous, mon Général, qui avez bien voulu l’encourager et l’approuver, cet essai de reconstitution de la matricule du Régiment des Zouaves Pontificaux.

À vous aussi, nos chers Camarades.

Les noms que vous allez lire, — les états de service qui vont repasser sous vos yeux, vous rappelleront avec les peines, les fatigues et surtout aussi les joies que nous avons partagées, l’élan qui nous porta à offrir au Vicaire de Dieu sur la terre, pour la défense de ses droits sacrés, la fleur de notre jeunesse « primavera della gioventù ».

Bien des années se sont écoulées depuis que nous avons quitté la veste gris-bleu aux lisérés rouges ; le Régiment se reforme vite là-haut ! Néanmoins, nous qui attendons l’heure du dernier appel, nous retrouverons dans ces listes le souvenir des vertus et des sacrifices de ceux qui nous ont précédés ; de plus, cette nomenclature, forcément aride et sèche, présentera, nous le pensons du moins, une certaine valeur, quand nul de nous ne sera plus là pour proclamer les noms de ceux qui s’enorgueillissent d’avoir été appelés les « Croisés du XIXe siècle ».

Ce travail n’est pas l’histoire du Régiment ; cette histoire a été faite admirablement[1] et il n’y a rien à y ajouter. Ce n’est pas non plus un livre anecdotique : trop de traits de courage, d’abnégation, de piété nous auraient échappé, et révéler ceux que nous eussions connus aurait blessé l’humilité des camarades qui en furent les héros. Tous, nous avons offert notre vie ; à nos yeux, les tués et les blessés ont été les glorieux et les privilégiés d’entre nous ; mais, l’acte de cette offrande volontaire, l’acte de notre engagement est celui dont nous sommes justement fiers et dont il importe, nous semble-t-il, de conserver le souvenir. Ce travail contient donc le fait, la date de notre engagement à Rome, nos services et, autant que nous avons pu le découvrir, ce que nous sommes devenus depuis le 20 septembre 1870.

Nous voulions d’abord, très égoïstement sans doute, ne reconstituer que la matricule des « Français Zouaves Pontificaux » ; il se trouverait bien quelques camarades pour imiter notre initiative et s’occuper de leurs propres nationalités. Mais auraient-ils les mêmes moyens d’information ? Et puis, que faisions-nous de notre devise : Un pour tous, tous pour un ! Nous essaierons donc la reconstitution totale de la matricule du Régiment. Ce sera l’œuvre de plusieurs volumes respectivement consacrés aux Belges, aux Hollandais, aux Canadiens, à tous les autres, et paraissant successivement.

Aujourd’hui, nous ne donnons que les noms des Zouaves Pontificaux d’origine française. Tous les Zouaves Pontificaux, a-t-on dit, étaient des gentilshommes ! Un coup d’œil sur ces pages suffira pour démontrer que toutes les classes de la société étaient largement représentées au régiment ; la noblesse d’extraction ne donne pas toujours la noblesse des sentiments, et la foi règne dans tous les rangs de la nation française. On a ajouté qu’ils étaient tous légitimistes. N’est-il pas intéressant d’établir sur ce point la vérité historique ? Qu’il nous soit permis de la faire avec la conviction de défier toute critique.

C’est évidemment l’amour passionné de l’Église de Jésus-Christ qui nous a « tous » conduits à Rome ; mais il n’en est pas moins vrai que lorsque Mgr de Mérode[2] et son illustre collaborateur, le général de La Moricière, convièrent les catholiques du monde entier à la défense du pouvoir temporel, en France, ce furent en immense majorité des royalistes qui répondirent à leur appel et qui, de 1860 à 1870, renforcèrent dans les rangs des Zouaves Pontificaux l’élément français.

Pouvait-il d’ailleurs en être autrement ? L’auguste successeur de saint Pierre ne représentait-il pas la légitimité du droit dans sa plus haute acception. Certes aux partisans de la monarchie très chrétienne, alors personnifiée par le comte de Chambord, se joignirent, dès la première heure, des catholiques français, qui avaient un autre idéal politique et qui ne le cédaient à quiconque soit en valeur, soit en dévouement. Combien d’entre eux, lentement mais sûrement, logiquement en un mot, devinrent les partisans convaincus du droit, aussi bien en France qu’à Rome ?

Il est inutile d’insister : les faits parlent d’eux-mêmes, et ce sera l’éternel honneur du parti royaliste, en France, d’avoir fourni le principal élément de la protestation armée contre l’inique et odieuse spoliation du Saint-Siège. Mais les Volontaires Pontificaux, d’où qu’ils vinssent, les soldats du Pape, n’étaient que des catholiques : ils ne faisaient pas de politique. On l’a bien vu en 1870 et depuis. Le mobile de leur conduite et le but à atteindre furent toujours ce qui leur parut être le véritable intérêt de l’Église et de la France !

Après trente et quarante ans, comment retrouver les noms de douze ou quatorze mille hommes dispersés dans tout l’univers ? Beaucoup sont morts ; beaucoup ont quitté leurs pays d’origine sans laisser de traces. Pourquoi n’avons-nous pas eu plus tôt la pensée d’exécuter ce que nous entreprenons aujourd’hui ? Le long temps écoulé, ces morts, l’absence de relations avec un grand nombre de camarades seront les causes de trop nombreuses omissions ou inexactitudes. Et pourtant avec quel soin jaloux de n’oublier personne n’avons-nous pas poursuivi ce travail ? La source de nos informations, le guide de nos recherches a été la matricule même du Régiment — ces trente volumes in-octavo à reliure rouge, que tant d’entre nous ont vus et qui font partie de nos archives, réunies à la commanderie de la Basse-Motte. Chaque volume contient trois cents noms. Malheureusement, ceux qui renfermaient les engagements contractés depuis le 21 octobre 1869 jusqu’au 20 septembre 1870, ont disparu avec bien d’autres papiers dans un incendie, en 1891. Toutefois, le capitaine Derély a bien voulu nous communiquer l’extrait de la petite matricule s’étendant entre ces deux dates. Les événements qui se préparaient alors en France ont sans doute empêché beaucoup de Français de s’engager à Rome ; nous avons été assez heureux pour y relever les noms d’environ trois cents compatriotes dont nous ne retrouvions ailleurs aucune trace. Néanmoins, cette petite matricule ne donnait que le numéro et la date de l’engagement ; aucune indication de lieu d’origine, ni de date de naissance. Impossible dès lors de faire les recherches qui nous ont permis d’établir le « curriculum vitæ » de tant d’autres cama­rades.

Cependant, si précieux qu’ils soient, les renseignements contenus dans ces volumes sont bien sommaires. Que de fois avons-nous dû nous arrêter, chercher à comprendre, à nous rappeler ? Nous n’avons pas toujours réussi. Après avoir relevé le nom de tous les Français, nous avons écrit aux camarades dont il a été possible de nous pro­curer l’adresse, ou au curé du lieu de naissance. Qu’il nous soit permis de remercier tous ceux qui ont bien voulu nous répondre ou faciliter notre tâche en nous communiquant leurs souvenirs et leurs travaux personnels, particulièrement le capitaine Niel, le capitaine Derély, le lieutenant Halgand. Les chefs de zones de notre associa­tion nous ont aussi donné de précieux renseignements. Néanmoins, nous le reconnaissons à l’avance, bien des omissions, bien des erreurs auront été commises ; aussi publierons-nous dans un appendice toutes les rectifications que nous recevrons dans un délai de trois mois. Ce sera, croyons-nous, chers camarades, le seul moyen de vous donner les satisfactions que vous pouvez attendre de nous et de nous faire pardonner des inexactitudes trop nombreuses, mais bien involontaires.

Ce volume ne contient donc que les noms des Zouaves Pontificaux d’origine française. Cependant, nous avons été heureux de pouvoir y joindre les noms des Français qui firent partie du bataillon franco-belge, dont la matricule, ouverte le 5 mai 1860, fut close le 31 décembre de la même année ; à cette date commence celle du Bataillon des Zouaves Pontificaux, devenu Régiment le 16 décembre 1866 ; elle s’étend jusqu’au 20 septembre 1870, jour de la prise de Rome par l’armée italienne.

L’état-major pontifical devait avoir sa place dans cette publication, et les noms illustres de Mgr de Mérode, du général de La Moricière, du général de Pimodan et du général Kanzler, nous rappellent les glorieux exemples de dévouement que nous avions à imiter.

Les Français « Guides de La Moricière », ces premiers-nés de la défense du Saint-Siège, sous le commandement du comte de Bourbon-Chalus, sont là aussi. De même, les « Artilleurs Pontificaux » que dirigeait avec tant d’habileté le colonel de Blumensthil, secondé par le capitaine Daudier et les lieutenants de Quatrebarbes, de Falaiseau et Siméon. De même encore, les « Dragons Pontificaux » que commandaient MM. de Saintenac et le Pays du Teilleul.

Mais, puisque le Régiment s’est en quelque sorte continué en France, comment ne pas songer à rappeler l’héroïsme des Bouillé, la figure si caractéristique du marquis de Coislin, la charge légendaire de Loigny où les Volontaires de l’Ouest, ces seconds nous-mêmes, nos frères, nos amis, laissèrent tant des leurs sur le champ de bataille. Ils étaient partis trois cents ; ils revinrent soixante-quatorze ; les autres étaient tombés glorieusement pour la patrie. Les « mercenaires », les anciens Zouaves Pontificaux, qui les encadraient, en versant généreusement alors le sang qu’ils avaient offert à Pie IX, montrèrent combien étaient inséparables dans leurs cœurs l’amour de l’Église et l’amour de la France.

Nous voulions faire pour les Volontaires de l’Ouest ce que nous avons fait pour les Zouaves Pontificaux. Hélas ! nous nous sommes heurtés à un obstacle infranchissable. Aucun guide certain, aucune source d’information. Deux matricules ont été établies pour la « Légion des Volontaires de l’Ouest ». L’une s’étendait depuis la formation, 7 octobre 1870, jusqu’au 1er avril 1871 ; l’autre, depuis cette date jusqu’au 15 août 1871, jour du licenciement à Rennes. Celle-ci est seule entre nos mains ; elle ne donne que dix-sept cent soixante noms, et les V. O. ont été plus de cinq mille. Sans doute, la première matricule contient les autres ; mais tout porte à croire qu’elle aussi a disparu dans l’incendie de la Basse-Motte, dont nous avons parlé plus haut. Le volume, que nous destinions aux V. O. est donc, d’après votre avis même, mon Général, impossible à faire, et nous nous voyons dans la cruelle obligation de ne rien donner plutôt que de faire une publication par trop incomplète et sans autorité aucune. Nous faisons connaître seulement l’état des officiers au moment du licenciement et la liste soigneusement contrôlée des tués et blessés pendant la campagne de 1870-71.

Enfin, nous ajoutons à toutes ces listes la liste des Français tués ou blessés pendant la campagne de 1860, celle de 1867, et le siège de Rome.

Un long temps s’est écoulé depuis ces jours où nous emportait l’ardeur du sacrifice ; les nobles et justes causes que nous défendions semblent aujourd’hui encore bien menacées, bien compromises. Mais nous espérons toujours, car nous savons que, pour rendre à l’Église et à la France la prospérité et la grandeur d’autrefois, il suffit d’un regard de Dieu et d’un battement du Sacré-Cœur de Jésus !


G. de VILLÈLE. Vte Ch. de la NOÜE.



  1. M. Bittard des Portes
  2. Qui de nous a oublié cette anecdote très suggestive ? Un jour, le général de Goyon, commandant en chef le corps d’occupation français à Rome, chargé d’adresser des représentations au gouvernement pontifical de la part du gouvernement impérial, reprochait à Mgr de Mérode de ne recevoir au Bataillon des Zouaves Pontificaux que des légitimistes et de leur avoir donné Charette comme drapeau. Le pro-ministre des armes répondit : « Les rangs des Zouaves sont ouverts à tous. Quant à Charette, si c’est un drapeau, nous ne pouvons oublier qu’il a été troué à Castelfidardo. »