Les Funérailles de Charles Nodier

La bibliothèque libre.


LES FUNÉRAILLES


DE


Charles Nodier.


29 Janvier 1844.




D’un trait méchant se montra-t-il carpable ?
Avec orgueil vous répondrez : Jamais !


Bérenger.


Nous étions tous présents au dernier rendez-vous,
Nous conviés naguère à ses riantes fêtes ;
Et nous pressant les mains, penchant nos tristes têtes,
En le cherchant des yeux nous nous regardions tous.

Il n’est plus là ! Sa mort fut semblable à sa vie,
Douce, sereine, aimable, et brave en même temps ;

Un cœur jeune et naïf sous sa tête blanchie
L’esprit toujours en fleur est mort dans son printemps :
Et chacun bourdonnant autour de sa mémoire,
Ensemble on recueillait le tendre souvenir,
Ses droits à l’amitié, ses titres à la gloire,
Et puis on n’entendait que prier et bénir.
Autour de ce cercueil tout prêt à disparaître,
Se pressaient, frémissants, tous ceux que tu vis naître
Et dont les premiers pas, glissant dans le chemin,
Demandaient de Nodier la bienveillante main.
Venez ! leur disais-tu, venez, bonne jeunesse,
Nous voguerons ensemble aux rives du Permesse.
Tu soutenais le faible, et modérais le fort ;
Plus d’un qui se noyait, par toi gagna le bord :
C’était ce souvenir de sincère indulgence,
Si rare en tous les temps chez l’irritable engeance,
Qui, parmi tant de dons que t’avait faits le sort,
Remuait la pensée à l’heure de ta mort.
Et le chœur répétait : « Il avait de la vie
» Le seul bien véritable : un cœur exempt d’envie.
» Mineur ardent de tout poétique trésor,
» Comme il battit des mains aux beaux vers de Victor !
» Comme il a pressenti, poésie inconnue,
» À tes naissants parfums, ta céleste venue !

» Pareil ; sur cette mer, à ces navigateurs
» Qui devinent un monde, à la brise des fleurs.
» De la muse du siècle aimant la voix divine,
» Il vint à son autel, attentif et rêveur ;
» Il savait ses secrets et tous ses chants par cœur,
» Que l’on pesait encor les vers de Lamartine.
» Il n’avait pas l’esprit aux froides fictions,
» Qui prend l’entêtement pour des convictions.
» Au-dessus des dédains d’une vaine critique,
» À la voix de Chactas il devint romantique ;
» Son génie, à l’étroit en ces terrestres lieux,
» Vers un monde caché s’élançait curieux,
» Sans cesse tourmenté de l’imposant mystère
» Que le Ciel a voulu dérober à la terre. »
Oh ! dans nos jeunes ans passés, combien de fois
Je le surpris croyant entendre cette voix !
D’un inquiet pourquoi tourmentant la nature !
Essence désormais intelligente et pure,
Tu le sais aujourd’hui ce mot de l’univers,
Dont ta muse approcha de si près dans tes vers.
Anges aux pieds divins, aux éclatantes ailes,
Vous conduisez ses pas aux voûtes éternelles ;
Et tu vois en pitié, sans doute, ces combats
Et les soins qu’à nos cœurs tu laisses ici-bas.

En jetant un regard encor sur ta demeure,
Je te suivais de l’âme à cette dernière heure,
(La première peut-être !) à travers tout ce deuil,
Dont un soleil riant éclairait le cercueil.
L’hiver interrompait sa sinistre tempête ;
Le beau temps annonçait qu’au ciel il était fête ;
Ton esprit s’élevait impérissable et doux,
Tandis que, pour pleurer, nous étions à genoux,
Tristes, pâles, muets, tournant un regard sombre
Sur le linceul béni, nous croyions suivre une ombre
Ô mortels insensés ! les ombres !… c’étaient nous !

Adieu donc ! ou plutôt au revoir, noble frère,
Le siècle brillera longtemps de ta lumière :
Le siècle t’a compris ; mais te ressemble-t-il ?
Non ! jaloux, orgueilleux, amer, vieux, puéril,
Il sent qu’il perd en toi son reste d’innocence,
Et ces douces vertus filles de l’indulgence.
Tu n’as point d’héritier, dans ce monde, emporté
Par le coursier sans frein de notre liberté ;
Le temple s’est fermé, l’aimable causerie,
En perdant ton foyer, a perdu sa patrie ;
Nous avons au forum l’éternel orateur,
Mais nous avons perdu notre immortel conteur.

Adieu, poète aimé des belles et des sages,
Pour eux, Dieu l’a permis, tu vis dans tes ouvrages :
Philosophes, penseurs, cœurs aux tendres amours,
Nous ne te verrons plus, nous te lirons toujours.


Ulrich Guttinguer.