Les Géorgiques/Traduction Desportes, 1846
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Premier livre des Géorgiques
Texte établi par Édouard Sommer, Hachette, .
LES
AUTEURS LATINS
EXPLIQUÉS D’APRÈS UNE MÉTHODE NOUVELLE
PAR DEUX TRADUCTIONS FRANÇAISES
L’UNE LITTÉRALE ET JUXTALINÉAIRE PRÉSENTANT LE MOT À MOT FRANÇAIS
EN REGARD DES MOTS LATINS CORRESPONDANTS
L’AUTRE CORRECTE ET FIDÈLE PRÉCÉDÉE DU TEXTE LATIN
avec des sommaires et des notes
PAR UNE SOCIÉTÉ DE PROFESSEURS
ET DE LATINISTES
VIRGILE
PREMIER LIVRE DES GÉORGIQUES
PARIS
LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie.
RUE PIERRE-SARRAZIN, N° 12
1846
TABLE DES MATIÈRES
Traduction d’Auguste Desportes
Je vais chanter l’art qui produit les riantes moissons ; je dirai, ô Mécène, sous quel astre il convient de labourer la terre, et de marier la vigne à l’ormeau ; quels soins il faut donner aux bœufs, à la conservation des troupeaux, et quelle sage industrie fait prospérer l’abeille économe. Brillants flambeaux de l’univers, vous qui dirigez dans les cieux la marche de l’année, Bacchus, et toi, bienfaisante Cérès, je vous invoque, s’il est vrai que grâce à vous les humains aient remplacé le gland de Chaonie par l’épi nourricier, et mêlé pour la première fois le jus de la grappe avec l’eau de l’Achéloüs. Et vous, divinités tutélaires des champs, Faunes, Dryades, venez ensemble, accourez à ma voix : ce sont vos bienfaits que je chante. Et toi, qui du sein de la terre ébranlée par ton trident, fis sortir un coursier frémissant, ô Neptune, entends ma voix ; et toi aussi, divin habitant des bois, Aristée, pour qui trois cents jeunes taureaux, blancs comme la neige, broutent le vert feuillage des buissons dans les grasses campagnes de Cée. Et toi-même, dieu de Tégée, Pan, qui protèges nos brebis, abandonne pour un moment les bois paternels, les forêts du Lycée, et si le Ménale t’est cher encore, viens et sois moi favorable. Minerve, qui fis naître le pacifique olivier ; toi, jeune homme qui inventas la charrue recourbée ; Silvain, qui portes dans tes mains le tendre rameau d’un cyprès déraciné ; vous tous, dieux et déesses, qui veillez sur nos champs, qui fécondez les germes des nouvelles semences, et qui leur versez du haut des cieux des pluies salutaires, je vous invoque aussi !
Et toi enfin, César, dont nous ignorons quel sera bientôt le rang dans le conseil des dieux, soit que tu veuilles honorer nos villes et nos campagnes de tes regards et de tes soins, et recevoir, comme dispensateur des fruits de la terre et souverain régulateur des saisons, le tribut d’hommages que l’univers entier te rendra en ceignant ton front du myrte maternel ; soit que tu préfères régner sur les vastes mers, qu’à toi seul s’adressent les prières des nautonniers, qu’aux extrémités de l’Océan Thulé te soit soumise, et que Téthys ne croie pas acheter trop cher l’honneur de t’avoir pour gendre en t’offrant tout l’empire des ondes ; soit que, nouvel astre d’été, tu te places parmi ceux qui président aux longs mois, entre Érigone et le brûlant Scorpion, qui déjà retire devant toi ses serres enflammées et te cède le plus grand espace des cieux ; quelle que soit enfin la place qui t’attend dans l’Olympe (car les Enfers n’oseraient se flatter de t’avoir jamais pour roi ; et jamais le triste empire des morts ne pourra tenter ton ambition, bien que la Grèce vante les merveilles des champs Élysées, et que Proserpine résiste aux prières de sa mère qui la redemande), ô César, rends facile à mes pas la carrière où je vais entrer ; favorise d’un regard mon audacieuse entreprise, et, prenant en pitié nos laboureurs égarés, daigne les guider avec moi dans les routes nouvelles que j’ouvre à leur ignorance, et accoutume-toi dès à présent à t’entendre nommer dans nos vœux.
Lorsque, au retour du printemps, la neige se fond et s’écoule du haut des montagnes longtemps blanchies, lorsque la terre amollie cède à la douce haleine des Zéphyrs ; que dès ce moment le taureau commence à gémir sous le joug de la charrue, et que le soc, rouillé par un long repos, sorte luisant du sillon. Une terre répond enfin aux vœux de l’avide laboureur, quand elle a deux fois subi les rigueurs de l’hiver, deux fois éprouvé les chaleurs de l’été ; c’est alors seulement qu’il voit ses greniers crouler sous le poids de ses immenses récoltes.
Mais avant que le soc ouvre le sein d’une terre inconnue, sache quels vents y règnent, quelle est la température du climat, quels sont les procédés de culture consacrés par la tradition ou conseillés par la nature du sol ; sache enfin quelles productions le terrain adopte volontiers ou refuse de donner. Ici les moissons viennent plus heureusement ; là ce sont les vignes ; ailleurs les arbres fruitiers et les herbages croissent et verdissent sans culture. Ainsi tu vois que le Tmole nous envoie son safran, l’Inde son ivoire, la molle Arabie son encens, les Chalybes aux bras nus leur fer, le Pont l’onguent précieux de ses castors, et l’Épire ses cavales qui viennent disputer les palmes d’Olympie. Telles sont les lois éternelles, telle est l’immuable constitution que, dès le principe, la nature imposa pour toujours à chaque climat, alors que Deucalion, pour repeupler le monde désert, jeta ces pierres fécondes d’où naquirent les hommes, race infatigable. À l’œuvre donc ! et que, dès les premiers jours de l’année, tes vigoureux taureaux retournent les terres grasses, et que l’été sec et poudreux pénètre et cuise de ses feux les mottes étendues au soleil. Si, au contraire, le terrain est sec par lui-même, il suffira qu’au lever de l’Arcture le soc l’effleure d’un léger sillon : ainsi dans les terrains gras les herbes parasites n’étoufferont pas les joyeuses moissons ; ainsi le terrain maigre conservera le peu de suc dont il est humecté.
Laisse ensuite se reposer tes champs moissonnés, et que la terre pendant un an se raffermisse ; du moins n’y sème de nouveau le froment qu’au retour de la saison, et après avoir recueilli sur ce terrain une récolte de pois, de vesce légère, de lupins aux frêles chalumeaux, fragile et bruyante forêt de légumes résonnant dans leur cosse tremblante ; mais garde-toi d’y semer l’avoine, le lin et le pavot chargé des vapeurs du Léthé : ils dessèchent, ils brûlent la terre qui les reçoit. Cependant elle peut les supporter de deux années l’une, pourvu que tu ne te refuses pas à réparer par d’abondants engrais ton champ épuisé, et à lui rendre sa première vigueur en le couvrant des sels vivifiants de la cendre. Ainsi se reposent les champs par le seul changement de productions, et pendant ce temps-là la terre restée sans culture ne reste pas toutefois sans utilité.
Souvent il est bon de mettre le feu à un champ stérile et de livrer le chaume léger aux flammes pétillantes : soit que la terre reçoive de cet embrasement une énergie secrète et de nouveaux aliments ; soit que le feu la purge de ses principes pernicieux, et la débarrasse d’une surabondance d’humidité ; soit que la chaleur élargisse ou multiplie les conduits souterrains par où la sève nourricière monte dans les tiges naissantes ; soit enfin que l’action du feu raffermisse et condense le sol, resserre ses pores trop dilatés, et qu’il en ferme ainsi l’entrée aux pluies fines, au soleil dévorant, au souffle desséchant de Borée.
Il n’aura pas travaillé en vain pour ses champs, le laboureur qui, le râteau à la main, brise les mottes inertes, et qui y promène la claie d’osier. La blonde Cérès le regarde et lui sourit du haut de l’Olympe. Elle ne voit pas d’un œil moins favorable celui qui croise par de nouveaux sillons les sillons déjà tracés, abat les rayons trop exhaussés, tourmente la terre sans relâche et lui commande en maître.
Laboureurs, demandez au ciel des solstices d’été pluvieux et des hivers sereins. C’est surtout un hiver sec et poudreux qui fait la joie des champs et donne de riants guérets. La Mysie est moins fière de ses récoltes, et le Gargare même s’admire moins dans ses brillantes moissons. Que dirai-je de celui qui, après avoir semé, parcourt ses sillons et rabat sur la semence la glèbe écrasée ; qui y amène ensuite l’eau de quelque source voisine qu’il partage en petits ruisseaux ? Et quand le soleil embrase les campagnes, que l’herbe sèche et meurt, voilà que des hauteurs sourcilleuses du mont il fait descendre une onde salutaire qui, tombant de roc en roc avec un doux murmure, porte la fraîcheur et la vie dans ses champs desséchés. Parlerai-je aussi de celui qui, pour empêcher que la tige ne s’affaisse sous le poids de l’épi, livre à la dent de ses troupeaux ce vain luxe d’herbe, lorsqu’à peine la pousse naissante commence à sortir du sillon ? de celui qui fait écouler l’eau dormante dont sa terre est noyée, surtout dans les mois pluvieux, quand les fleuves débordés couvrent au loin les campagnes d’un noir limon et y forment des bas-fonds où l’eau s’échauffe en croupissant, et d’où s’exhalent de fétides vapeurs ?
Et cependant, malgré ces soins assidus du laboureur, malgré le labeur patient des bœufs qui l’aident à remuer la terre, on n’est point à l’abri de l’oie vorace, de la grue du Strymon, des herbes aux racines amères et envahissantes, de l’ombre funeste des bois. Jupiter lui même n’a pas voulu que la culture des champs fût exempte de peines : le premier il en fit un art difficile, y excitant les mortels par l’aiguillon du besoin, et ne souffrant pas que son empire s’endormît dans une lâche indolence.
Avant Jupiter le labourage même était inconnu ; il n’était pas permis de faire le partage des champs, d’en marquer les limites. C’était l’héritage commun, et la terre, sans être sollicitée, donnait libéralement tous ses biens. Jupiter empoisonna d’un venin mortel la dent des noires vipères ; il donna aux loups l’instinct de la rapine ; il voulut que la mer soulevât ses ondes irritées, que l’arbre cessât de distiller le miel ; il nous ravit l’usage du feu, et il arrêta dans leur cours les ruisseaux de vin qui coulaient dans les plaines, afin que sous l’aiguillon des besoins, l’homme, marchant d’essais en essais et découvrant peu à peu les arts utiles, fît sortir du sillon la tige de blé et jaillir du caillou le feu recelé dans ses veines. Alors, pour la première fois, les fleuves sentirent sur leurs ondes le tronc de l’aune creusé en canot ; alors le nautonnier compta les étoiles, leur donna des noms, et distingua dans le ciel les Pléiades, les Hyades et l’Ourse brillante, fille de Lycaon ; alors le chasseur tendit des pièges aux bêtes sauvages ; la glu trompa l’oiseau ; on cerna de meutes aboyantes les grandes forêts. L’un frappe de sa ligne les eaux profondes ; l’autre promène sur les mers ses filets ruisselants. Le fer se durcit sous le marteau, et bientôt crie la scie aigre et mordante ; car les premiers hommes ne connaissaient que les coins pour fendre le bois. Alors naquirent les arts divers. Un travail opiniâtre et l’industrie aiguillonnée par la dure nécessité triomphent de tous les obstacles.
Cérès la première apprit aux hommes à ouvrir la terre avec le fer, lorsque les fruits des arbres et le gland des forêts sacrées commencèrent à manquer, et que Dodone même refusa aux mortels leur facile nourriture. Bientôt le blé coûta de nouvelles peines : la nielle attaque et ronge l’épi ; l’inutile chardon hérisse les guérêts ; les moissons périssent, étouffées sous une forêt de plantes épineuses, et la funeste ivraie et l’avoine stérile dominent au loin les riantes cultures. Si, le râteau à la main, tu ne tourmentes pas incessamment la terre ; si tu ne chasses pas à force de bruit les oiseaux avides ; si tu n’arrêtes avec la faux l’essor des arbres qui jettent leur ombre sur tes champs ; enfin, si tes vœux assidus n’obtiennent pas des pluies favorables, c’est vainement, hélas ! que tu contempleras chez ton voisin les trésors entassés de Cérès, et tu te verras réduit, pour apaiser ta faim, à secouer les chênes de la forêt.
Je dois parler maintenant des instruments nécessaires au robuste laboureur, et sans lesquels il ne peut ni ensemencer les terres ni faire lever le grain. C’est d’abord la charrue, faite du chêne le plus dur et armée d’un soc tranchant ; puis les chariots lents et tardifs de la déesse d’Éleusis, les madriers roulants, les herses, les pesants râteaux ; ensuite le modeste attirail des ouvrages d’osier ou d’écorce d’arbre inventés par Célée, et les claies tissues de branches d’arbousier, et le van mystérieux consacré à Bacchus, toutes choses dont il faut être pourvu longtemps à l’avance, si tu aspires à quelque gloire dans l’art divin de l’agriculture.
On choisit d’abord dans la forêt un jeune orme qu’on ploie à force de bras pour lui donner la forme et la courbure d’une charrue. On y adapte ensuite un timon, qui s’étend de huit pieds en avant ; enfin on l’arme d’un soc accompagné de deux orillons. On a d’avance coupé et le tilleul et le hêtre, bois légers et propres à faire, l’un, le joug, et l’autre le manche qui dirigera à ton gré l’arrière-train de l’attelage. Que ces bois soient suspendus à ton foyer et qu’ils s’y durcissent à la fumée avant d’être mis en œuvre.
Je puis te rappeler encore plusieurs pratiques recommandées par les anciens, si tu ne t’ennuies pas à ces leçons et si tu ne dédaignes pas d’entrer avec moi dans ce menu détail de soins champêtres.
Un des premiers est d’aplanir sous un pesant cylindre l’aire où tu dois battre ton blé ; d’en pétrir la terre avec les mains, et d’en faire un massif solide avec un ciment tenace, de peur que l’herbe n’y perce ou qu’il ne s’y forme des crevasses par la force de la sécheresse. Alors que d’ennemis malfaisants se joueraient de toi ! Souvent une méchante petite souris pratique son trou sous ton aire et y établit ses magasins, ou bien c’est la taupe aveugle qui y creuse sa demeure souterraine Le crapaud et tous ces monstres obscurs que la terre enfante s’y ménagent des retraites, et d’énormes monceaux de blé sont dévorés par le charançon, ou dévastés par la fourmi, qui craint pour ses vieux jours la famine et l’indigence.
Observe l’amandier dans les forêts, quand il commence à se couvrir de fleurs et que ses rameaux odorants penchent vers la terre. S’il abonde en fruits, l’été venu, de grandes chaleurs mûriront d’abondantes moissons ; mais si l’arbre n’étale que le luxe stérile d’un feuillage épais, le fléau ne battra sur ton aire qu’une vaine moisson de paille.
J’ai vu beaucoup de laboureurs ne semer leurs légumes qu’après en avoir préparé la semence en l’arrosant d’eau nitrée et de marc d’huile d’olive, afin que, dans leur cosse souvent trompeuse, les grains devinssent plus gros ; mais quelque soin qu’on prît d’accélérer, par une chaleur sage et modérée, la germination de ces semences, j’ai observé que même les mieux choisies et les mieux préparées dégénéraient à la longue, si chaque année un nouveau choix ne mettait à part ce qu’il y avait de plus beau grain. Telle est la loi du destin : tout décroît et s’altère, tout se précipite vers son déclin. Ainsi le nautonnier, luttant de toute la force de ses rames, remonte le courant d’un fleuve ; mais que ses bras lassés s’arrêtent un moment, l’onde aussitôt le maîtrise et l’entraîne avec rapidité.
Il faut aussi que le laboureur observe les étoiles de l’Arcture, et le lever des Chevreaux et le Dragon étincelant, avec le même soin que font les matelots lorsque, retournant dans leur patrie à travers les mers orageuses, ils entrent dans les eaux de l’Hellespont ou du détroit d’Abydos, abondant en coquillages.
Dès que la Balance égale les heures du jour aux heures de la nuit et dispense au monde une égale part d’ombre et de lumière, exercez vos taureaux, ô laboureurs, et semez l’orge dans vos champs, jusqu’au temps des pluies qui précèdent le redoutablehiver. C’est aussi le moment de semer le lin et le pavot de Cérès. Hâtez-vous donc, et, courbés sur la charrue, ouvrez la terre sèche encore, tandis que les nuages menaçants sont suspendus sur vos têtes.
La fève se sème au printemps ; alors aussi les sillons reçoivent le trèfle de la Médie, et le millet, qui tous les ans redemande nos soins, quand le Taureau ouvre de ses cornes dorées la marche de l’année, et que Sirius se retire et s’efface devant la lumière de l’astre qui le suit.
Mais si tu ne prépares la terre que pour le froment et les grains qui portent des épis, ne répands sur les sillons la semence qu’ils attendent que quand tu verras les Pléiades, filles d’Atlas, se cacher le matin sous l’horizon, et la brillante couronne d’Ariadne se dégager des feux du soleil. Jusque-là ne force pas la terre à recevoir la plus douce espérance de l’année. Plusieurs, il est vrai, ont commencé avant le coucher de Maïa, mais la moisson n’a donné à leur attente que des épis vides. Si tu sèmes et la vesce et les viles faséoles, si tu ne juges pas la lentille de Péluse indigne de tes soins, le coucher de Bootès t’indique le moment précis des semailles. Commence donc alors, et continue de semer jusqu’au milieu de l’hiver.
C’est pour régler nos travaux dans les champs, que l’astre aux rayons d’or partage, entre les douze constellations, le cercle qu’il parcourt dans le ciel. Cinq zones embrassent le vaste contour de l’Olympe : l’une, route flamboyante du soleil, est toujours brûlée de ses feux ; deux autres, à une égale distance de la première et tournant à sa droite et à sa gauche, s’étendent jusqu’aux pôles du monde. C’est le triste séjour des glaces éternelles et des noirs frimats. Entre ces deux dernières et celle du milieu, sont les deux espaces accordés par la bonté des dieux aux malheureux mortels, et de l’une à l’autre de ces zones favorisées, court la route oblique que suit le soleil à travers les signes du zodiaque. Le globe, qui s’élève du côté de la Scythie et des monts Riphées, s’abaisse et redescend du côté de la brûlante Libye. Pour nous, l’un des pôles est le point culminant de notre horizon ; l’autre est sous nos pieds et ne voit que le Styx profond et les pâles ombres des enfers. C’est à notre pôle que brille</poem> l’énorme Dragon, serpentant à longs plis dans le ciel, ainsi qu’un fleuve immense, et embrassant en ses vastes détours les deux Ourses, qui craignent de toucher les flots de l’Océan. Vers le pôle opposé règnent, dit-on, un éternel silence et d’éternelles ténèbres que redouble encore l’ombre de la nuit. Peut-être aussi l’Aurore, en nous quittant, va-t-elle y porter le jour, et quand l’haleine enflammée des coursiers du soleil a commencé à souffler sur nous, là-bas peut-être Vesper au front vermeil rallume-t-il son flambeau.
Cette connaissance des astres nous apprend à lire dans un ciel douteux ; par elle nous savons dans quel temps on doit semer et récolter ; quand on peut fendre avec la rame le sein des mers trompeuses, armer et lancer les flottes ; quand est arrivé le moment d’abattre le sapin dans les forêts. Ce n’est donc pas en vain que nous observons le lever et le coucher des astres, et le cours de l’année, que se partagent les quatre saisons, égales en durée et diverses de température.
S’il survient des pluies froides qui retiennent le laboureur dans sa maison, il peut s’occuper à loisir de divers ouvrages qu’il serait bientôt obligé de faire à la hâte dans une saison plus douce : qu’il affile sous le marteau le soc émoussé de sa charrue, qu’il creuse en nacelle des troncs d’arbres, marque ses troupeaux et mesure ses grains. D’autres aiguiseront des pieux et des fourches à double dent, ou prépareront le saule d’Amérie pour lier la vigne naissante. Tressez en corbeille les baguettes flexibles de l’osier ; faites griller le blé et broyez-le entre les meules. Il est même, pour les jours de fête certaines occupations que n’interdisent ni la religion ni les lois : on peut, sans offenser les dieux, conduire l’eau dans les prés, entourer ses moissons d’un rempart d’épines, tendre des pièges aux oiseaux, livrer aux flammes les ronces d’un champ, et laver les brebis dans une eau salutaire. Bien souvent, ces jours-là, hâtant le pas tardif de son âne, qu’il a chargé d’huile et de menus fruits des champs, le villageois le conduit à la ville et en rapporte une meule ou sa provision de poix-résine.
La Lune amène aussi, dans son cours inégal, des jours favorables ou contraires à certains travaux. Redoute le cinquième : il a vu naître le pâle Orcus et les Euménides ; il a vu la Terre, par un enfantement abominable, faire sortir de ses flancs Cée et Japet, et le farouche Typhée, tous ces frères géants conjurés contre le ciel. Trois fois leur audace s’efforça de mettre l’Ossa sur le Pélion, et de rouler l’Olympe avec ses forêts sur l’Ossa : trois fois la foudre du père des dieux renversa ces monts entassés. Le septième jour est, après le dixième, le plus heureux pour planter la vigne, pour soumettre au joug les jeunes taureaux, pour commencer à ourdir la toile. Le neuvième est propice à qui veut voyager, et funeste aux voleurs. Il est aussi des ouvrages que favorise la fraîcheur des nuits ou la rosée que l’étoile du matin répand sur la terre aux premiers rayons du soleil. C’est la nuit que les chaumes légers tombent plus facilement sous la faucille ; c’est la nuit qu’il est à propos de faucher les prés, trop souvent privés d’eau : l’humidité de la nuit les pénètre et les ramollit.
Plusieurs, dans les soirées d’hiver, veillant à la lueur d’une lampe, s’arment d’un fer tranchant et taillent le bois résineux en forme de torches. Cependant leur compagne charme par son chant les longues heures du travail, et fait courir entre les fils de la toile la navette retentissante, ou bouillir dans une chaudière d’airain le vin doux, dont elle enlève l’écume avec un vert rameau.
C’est au fort de la chaleur qu’il faut couper les moissons dorées ; c’est sous les ardeurs du milieu du jour que le fléau dépouille bien les épis brûlants. Laboure et sème tandis qu’un vêtement léger suffit à tes épaules : l’hiver engourdit les bras des laboureurs et les force au repos. C’est dans la saison froide qu’ils jouissent de ce qu’ils ont amassé pendant l’été, et qu’ils se convient les uns les autres à de gais repas. L’hiver leur inspire la joie, les invite au plaisir et chasse de leurs cœurs les soucis inquiets. Ainsi, quand les navires chargés de richesses arrivent enfin au port désiré, les joyeux matelots couronnent de fleurs leurs poupes triomphantes. Cependant l’hiver a ses travaux aussi : quand une neige épaisse couvre la terre et que les fleuves charrient des glaçons, c’est le temps de cueillir le gland dans les bois, les graines du laurier, et l’olive et le fruit ensanglanté du myrte : alors il faut tendre des pièges aux grues, des filets aux cerfs, suivre à la trace le lièvre aux longues oreilles, et frapper le daim léger en faisant tourner la fronde meurtrière des îles Baléares.
Dirai-je les tempêtes qu’amènent les constellations orageuses de l’automne ? et quels soins doivent occuper le laboureur quand les jours deviennent plus courts et les chaleurs moins vives, ou quand le printemps pluvieux s’avance, que les jaunes épis hérissent les guérêts, et qu’un suc laiteux gonfle déjà le grain dans sa verte enveloppe ? Souvent, au moment où le laboureur livrait à la faucille des moissonneurs les jaunes épis de ses champs, quand déjà tombait sous le fer leur frêle chalumeau, j’ai vu les vents déchaînés s’entrechoquer en d’horribles combats, déraciner au loin les riches moissons, enlever dans les airs l’épi chargé de grains, et emporter dans de noirs tourbillons le chaume léger et la paille voltigeante. Souvent aussi j’ai vu s’amonceler dans le ciel d’affreux nuages couvant dans leurs flancs ténébreux la tempête et les pluies accumulées. Tout à coup l’éther se fond en eaux, noie de ses torrents les moissons riantes, doux fruits des longs travaux de l’homme et de ses bœufs. Les fossés sont remplis, les fleuves au lit profond débordentavec fracas, et la mer en fureur bouillonne dans ses abîmes. Du sein de la nue ténébreuse le bras étincelant du maître des dieux fait retentir la foudre : la terre tremble au loin ébranlée ; les animaux ont pris la fuite, et les cœurs des mortels s’humilient dans une sainte épouvante. Cependant le dieu frappe d’un trait enflammé ou l’Athos ou le Rhodope, ou les monts Cérauniens. La fureur des vents redouble ; la pluie tombe à torrents ; les forêts mugissent, et la rive au loin gémit.
Appréhende le retour de tels désastres ; observe le cours des mois et les signes du ciel qui les amènent. Sache de quel côté se retire la froide étoile de Saturne, et dans quels cercles tournent les feux errants de Mercure.
Surtout honore les dieux, et, chaque année, quand l’hiver touche à son déclin, et que déjà le printemps a de beaux jours, offre à Cérès, sur le riant gazon, des sacrifices solennels. Alors les agneaux sont gras, les vins sont moins rudes ; alors les coteaux, parés d’un ombrage plus épais, invitent à un doux sommeil. Que toute la jeunesse champêtre se joigne à toi pour adorer Cérès : fais-lui toi —même, avec du miel, du lait, du vin pur délayés ensemble, les libations qu’elle aime ; que la victime, sur qui reposent tant, d’espérances, soit promenée trois fois autour de la moisson nouvelle ; que tes compagnons, formant un chœur, la suivent en triomphe ; que vos vœux appellent à grands cris Cérès dans vos demeures ; que personne enfin ne mette la faucille dans les blés mûrs avant que, le front ceint d’un rameau de chêne, il n’ait, d’un pied rustique et sans art, dansé pour Cérès, et chanté des vers en son honneur.
Afin que les hommes pussent prévoir avec certitude et les chaleurs, et les pluies, et les vents précurseurs du froid, le père des dieux lui-même a déterminé d’avance ce que nous annoncerait la Lune, qui renaît tous les mois ; sous quel signe cesseraient de souffler les vents du midi, et quel présage souvent observé avertirait le laboureur de tenir les troupeaux plus près des étables.
Et d’abord, dès que les vents commencent à s’élever, la mer émue s’agite, enfle ses vagues ; des cris stridents s’entendent au haut des montagnes ; de longs mugissements courent au loin sur les rivages troublés, et les bruits redoublent dans les forêts murmurantes. L’onde n’épargne qu’à peine les flancs creux du navire, quand les plongeons, abandonnant la pleine mer, poussent de grands cris et cherchent le rivage ; quand les foulques marines, sortant de l’eau, s’ébattent sur le sable, et que le héron quitte ses marais et s’élance au-dessus des nues.
Souvent aussi, aux approches de la tempête, tu verras des étoiles, se détachant de la voûte céleste, sillonner les ombres de la nuit d’une longue traînée de lumière ; tu verras voltiger la paille légère et la feuille tombée de l’arbre, et des plumes nager en tournoyant à la surface de l’eau.
Mais si des éclairs partent du côté du nord orageux ; si la foudre gronde vers les régions d’Eurus et de Zéphyre, les torrents de pluie inondent les campagnes, et, sur les mers, le matelot se hâte de ployer ses voiles humides. Jamais l’orage ne surprit les moins attentifs : la grue, à son approche, s’élève du fond des vallées et s’enfuit ; la génisse, levant la tête et regardant le ciel, ouvre au souffle des airs ses larges naseaux ; l’hirondelle à la voix perçante vole sur les bords du lac, et la grenouille, dans la vase de ses marais, coasse sa plainte éternelle. Souventla fourmi, cheminant par d’étroits sentiers, emporte ses œufs et abandonne sa demeure souterraine ; l’arc-en-ciel plonge dans les eaux dont il s’abreuve, et de noires légions de corbeaux, revenant de la pâture, font retentir les airs du battement de leurs ailes. Tu verras aussi tous les divers oiseaux des mers, et ceux qui paissent dans les prairies du Caystre, sur les bords délicieux du lac Asia, tantôt humecter leur plumage d’abondantes rosées, tantôt offrir leur tête au flot écumant, tantôt s’élancer vers les ondes, et, tressaillant dans l’attente de l’orage, ne pouvoir contenter à leur gré leur désir de se baigner. Cependant la sinistre corneille appelle aussi la pluie à grands cris et se promène, seule et recueillie, sur le sable de la grève ; enfin les jeunes filles elles-mêmes, filant à la lueur de la lampe nocturne, savent présager la tempête, quand, autour de la mèche en feu qui pétille, elles voient se former de noirs flocons de mousse consumée.
Il ne te sera pas moins facile, durant la pluie, de prévoir, par des signes certains, le retour du soleil et des jours sereins : ils s’annoncent par l’éclat vif et brillant des étoiles et par celui de la Lune, qui semble alors ne plus emprunter à son frère la pureté de ses feux étincelants. On ne voit plus flotter dans les airs, pareilles à de légers flocons de neige, les nuées transparentes. Les alcyons, si chers à Thétis, n’étalent plus leurs ailes au soleil sur le rivage, et le porc immonde cesse d’éparpiller la paille qu’on délie devant lui. Les nuées s’abaissent insensiblement et retombent sur les plaines ; et la chouette, sur le faîte des toits, où elle attend le coucher du soleil, ne traîne plus son lugubre chant du soir Soudain Nisus plane au haut des airs transparents, et Scylla va recevoir sa peine pour avoir ravi à sa tête le cheveu fatal. De quelque côté qu’elle fuie, en fendant de ses ailes l’éther léger, l’implacable Nisus la poursuit d’un vol bruyant et rapide ; et de quelque côté que Nisus dirige son vol, Scylla, plus prompte, s’échappe et fend de ses ailes l’éther léger. Alors les corbeaux poussent trois ou quatre fois des cris moins rauques, et dans leur demeure élevée, ressentant je ne sais quelle volupté secrète et inaccoutumée, ils s’ébattent entre eux sous la feuillée, joyeux sans doute de retrouver, après l’orage, leur jeune famille et le nid si doux à leur amour. Je suis loin de penser assurément que la faveur des dieux ait mis en eux quelque étincelle de l’esprit prophétique, ou qu’une loi du destin leur ait donné une intelligence supérieure à leur nature ; mais quand les mobiles vapeurs dont l’air est chargé, prenant un autre cours, tour à tour se condensent ou se dilatent sous l’haleine changeante des vents, les êtres animés subissent ces influences diverses, et leurs sensibles organes reçoivent tantôt une impression, tantôt une autre. De là ce concert des oiseaux dans les champs ; de là l’allégresse des troupeaux dans les prairies et ces cris de joie que font entendre les corbeaux.
Si tu observes attentivement la marche du soleil et les phases successives de la lune, jamais tu ne seras trompé sur le temps du lendemain ; jamais tu ne te laisseras prendre à l’apparence insidieuse d’une nuit sereine. Lorsque la lune rassemble de nouveau ses feux renaissants, si tu vois les pointes de son croissant s’assombrir et se perdre dans l’épaisseur des nuages qu’elle embrasse, alors de grandes pluies menacent les laboureurs et les matelots. Mais si le pourpre rougit son front virginal, crains le vent : le pâle front de Phébé rougit toujours au souffle du vent. Si, parvenue à son quatrième jour (et ce présage est certain), elle promène dans le ciel une lumière pure, un arc rayonnant et nettement formé, ce jour-là et tous ceux qui le suivront, jusqu’à la fin du mois, seront exempts de vent et de pluie ; et les nautonniers, sauvés de la tempête, acquitteront sur le rivage les vœux qu’ils auront faits à Glaucus, à Panopée et à Mélicerte, fils d’Ino.
Le soleil, et lorsqu’il se lève et lorsqu’il se replonge au sein de l’onde, te donne aussi des présages, et les présages que donne le soleil ne sont jamais douteux, ni à son lever ni au retour des astres de la nuit. Si donc, au moment où il se lève, il montre son disque naissant semé de taches et à moitié caché derrière un nuage, crains la pluie : je vois déjà s’élever du côté des mers le Notus funeste à tes arbres, à tes moissons et à tes troupeaux. Lorsque le soleil, le matin, est enveloppé d’épais nuages d’où s’échappent çà et là ses rayons épars et brisés, ou que l’Aurore, en quittant la couche dorée de Tithon, montre un visage pâle et décoloré, hélas ! quelle horrible grêle va se précipiter, serrée et retentissante, sur ton toit, et que le pampre défendra faiblement contre ses coups tes raisins déjà mûrs !
Mais tu dois, plus attentivement encore, observer le soleil à l’heure où, après avoir parcouru sa carrière, il est sur le point de quitter les cieux. Souvent alors il peint son front de mille couleurs changeantes. Les taches d’un sombre azur t’annoncent la pluie ; le pourpre enflammé, le vent ; mais si le rouge et le bleu se mêlent et se confondent, la pluie et les vents réunis feront à l’envi d’affreux ravages. Que personne, en cette nuit horrible, ne me propose de couper le câble qui me retient au rivage et d’aller affronter les périls de la mer. Si, au contraire, en nous ramenant ou en nous retirant le jour, son orbe se montre clair et radieux, les nuages ne te feront que de vaines menaces, et, sous un ciel pur, l’Aquilon seul balancera la cime des forêts. C’est le soleil enfin qui t’apprendra ce que l’étoile du soir te réserve pour le lendemain, quel vent amène les nuées pures et sereines, et quels ravages prépare l’humide Auster. Qui oserait accuser le soleil d’imposture, lui qui nous annonce souvent les complots encore renfermés dans les abîmes des cœurs, les perfidies cachées, et les guerres qui fermentent dans l’ombre ?
Le soleil, quand César cessa de vivre, eut pitié de Rome, et, s’associant à sa douleur, voila son front brillant d’un crêpe lugubre : le siècle impie craignit une nuit éternelle. Dans ces temps malheureux, tout nous donna des avertissements, et la terre, et les mers, et les hurlements des chiens, et les cris importuns des oiseaux funèbres. Combien de fois alors ne vîmes-nous pas l’Etna, rompant ses fournaises, se répandre à gros bouillons dans les champs des Cyclopes, et rouler des tourbillons de flammes et des rocs liquéfiés ? La Germanie entendit le bruit des armes retentir au loin dans le ciel, et les Alpes ressentirent des tremblements jusqu’alors inconnus. Des voix lamentables troublèrent le silence des bois ; des fantômes d’une affreuse pâleur se montrèrent errants dans l’obscurité des nuits ; et, prodige inouï ! les bêtes parlèrent. Les fleuves suspendent leur cours, la terre entr’ouvre ses abîmes ; on voit dans les temples l’ivoire pleurer et l’airain se couvrir de sueur. Le roi des fleuves lui-même, l’Éridan, furieux et franchissant ses rivages, emporte dans ses tourbillons les forêts déracinées, et roule à travers les campagnes les
étables et les troupeaux. Alors les entrailles des victimes n’offraient que des fibres menaçantes ; le sang coula des fontaines, et la nuit les cités retentissaient des tristes hurlements des loups. Jamais la foudre ne tomba plus souvent dans un temps serein ; jamais tant de comètes flamboyantes ne s’allumèrent dans les cieux.
Aussi les plaines de Philippes ont mis deux fois les Romains aux prises avec les Romains ; deux fois les dieux ont vu la Thessalie et les champs de l’Hémus s’engraisser de notre sang. Hélas ! un jour viendra que le laboureur, en traçant des sillons dans ces plaines fatales, rencontrera, sous le soc de sa charrue, des javelots rongés par la rouille, heurtera de ses pesants râteaux des casques vides, et contemplera dans leurs tombeaux découverts les grands ossements de nos pères.
Dieux de la patrie, dieux Indigètes, Romulus, et toi, auguste Vesta, qui veillez sur le Tibre toscan et sur les collines romaines, permettez du moins que ce jeune héros vienne en aide à ce siècle en ruine. Nous avons assez payé de notre sang les parjures de Troie et de la race de Laomédon. Depuis longtemps déjà, d’César, le ciel t’envie à la terre et se plaint que de vains triomphest’arrêtent encore parmi les hommes. Et pourtant quel spectacle pour tes yeux ! Le juste et saufuste partout confondus, la guerre allumée de toutes parts, le crime se multipliant sous toutes les formes, la charrue négligée et sans honneur, les campagnes d’où le laboureur a été arraché, languissant incultes et désolées, et la faux de Cérès convertie en glaive homicide ; tandis que d’un côté l’Euphrate, et, de l’autre, le Danube, se préparent à la guerre ; que les villes, rompant les antiques traités et tout lien de voisinage, s’arment les unes contre les autres, et que Mars remplit l’univers entier de ses fureurs impies. Ainsi quand les quadriges, s’élançant hors des barrières, volent dans l’espace, le conducteur, emporté par les rapides coursiers, en vain se roidit et retient les rênes : le char n’écoute plus ni la voix ni le frein.
Traduction mot-à-mot
ARGUMENT ANALYTIQUE.
Proposition et invocation, vers 1-42. — Du labour et de l’amélioration du sol en le laissant reposer, en changeant de culture, en l’engraissant, en brûlant les chaumes, 43-93. — Rendre la terre meuble en brisant les mottes, en hersant, en labourant une seconde fois en sens oblique ; travaux qui suivent l’ensemencement, 94-124. — De l’âge d’or et du siècle qui le suivit, 125-146. — Cérès apprit la première aux hommes à ouvrir la terre avec le fer. Au prix de combien de soins on délivre les champs des herbes parasites qui les envahissent, et des oiseaux qui les ravagent, 147-159. — Instruments de culture ; signes de la fécondité des terres ; préparation des grains, 160-203. — Des temps propres au labourage et à divers ensemencements, 204-230. — Cours du soleil ; les zones ; les pôles ; utilité des connaissances astronomiques pour l’agriculture, 231-258. — À quelles occupations peut se livrer le laboureur en temps de pluie ; aux jours de fêtes. Travaux pendant le jour, en été ; en hiver, 259-310. — Les tempêtes sont à craindre en automne et au printemps. Pour s’en garantir il faut observer la place que les planètes occupent dans le zodiaque. Se rendre les dieux favorables et surtout Cérès, 311-350. — Pronostics du temps : signes particuliers des vents, de la pluie, du beau temps, 351-423. — Pronostics tirés de la lune ; du soleil, 424-463. — Des prodiges qui précédèrent et suivirent la mort de Jules César, et qui présageaient la guerre civile, 466-497. — Vœux pour César Auguste, 498-514.
LES GÉORGIQUES.
LIVRE I.
Hinc | De-ce-moment (maintenant) | |
incipiam canere | je commencerai à chanter | |
quid faciat segetes lætas, | ce-qui fait les moissons heureuses, | |
quo sidere, Mæcenas, | sous quel astre, ô Mécène, | |
conveniat vertere terram, | il convient de retourner la terre, | |
adjungereque vites ulmis ; | et de marier les vignes aux ormes ; | |
quæ cura sit boum, | quel soin doit-être pris des bœufs, | |
qui cultus | quel régime est à suivre | |
habendo pecori, | pour avoir un troupeau, | |
atque quanta experientia | et quelle-grande expérience il faut | |
apibus parcis. | pour élever des abeilles économes. | |
Vos, o lumina clarissima | Vous, ô lumières très-éclatantes | |
mundi, | du monde, | |
quæ ducitis cœlo | qui conduisez dans le ciel | |
annum labentem, | l’année qui-s’écoule, | |
Liber, et alma Ceres, | Bacchus, et bienfaisante Cérès, | |
si vestro munere | si par votre présent (bienfait) | |
tellus | la terre | |
mutavit glandem Chaoniam | a échangé le gland de-Chaonie | |
arista pingui, | pour l’épi gras (gonflé par le grain), | |
miscuitque | et a mêlé | |
pocula Acheloia | les coupes (les boissons) de-l’Achéloüs | |
uvis inventis ; | aux raisins (au vin) découverts ; | |
et vos, Fauni, | et vous, Faunes, | |
numina praesentia | divinités propices | |
agrestum, | des campagnards, | |
ferte pedem simul, | portez le pied (venez) à-la-fois, | |
Faunique, | et Faunes, | |
puellæque Dryades ; | et jeunes-filles Dryades : | |
cano vestra munera. | je chante vos présents. | |
Tuque, o Neptune, | Et toi, ô Neptune, | |
cui tellus prima | pour qui la terre la première (pour la première fois) | |
percussa magno tridenti, | frappée de ton grand trident, | |
fudit | a versé de son sein (a produit) | |
equum frementera ; | le cheval frémissant ; | |
et cultor nemorum, | et toi qui-habites les bois, | |
cui ter centum juvenci | pour qui trois-fois cent jeunes-taureaux | |
nivei | d’une-blancheur-de-neige | |
tondent dumeta pinguia | broutent les taillis gras | |
Ceæ ; | de-Céos ; | |
ipse, | toi-même, | |
linquens nemus patrium | quittant le bois paternel | |
saltusque Lycasi, | et les bosquets du Lycée, | |
Pan, custos ovium, | Pan, gardien des brebis, | |
si tua Mienalacura ; tibi, | si ton Ménale est à souci à toi (chéri de toi), | |
adsis favens, o Tegeæe ; | sois-moi favorable, ô dieu de-Tégée ; | |
Minervaque, | et toi, Minerve, | |
inventrix oleæ ; | inventrice de l’olivier ; | |
puerque | et toi, jeune-homme, | |
monstrator aratri unci ; | auteur de la charrue recourbée ; | |
et, Silvane, | et toi, Silvain, | |
ferensteneram cupressum | qui-portes un tendre cyprès | |
ab radiée ; | détaché de sa racine ; | |
dique, deæqueomnes, | et vous dieux, et déesses tous ensemble, | |
quibus studium | auxquels est le soin | |
tueri arva, | de protéger les champs, | |
quiquealitis fruges novas | et qui nourrissez les fruits nouveaux | |
non ullo semine, | nés sans aucune semence, | |
quique demittitis coelo | et qui faites-tomber du ciel | |
imbrem satis largum. | une pluie suffisamment abondante. | |
Tuque adeo, | Et toi aussi, | |
quem est incertum | lequel il est incertain | |
quæ concilia deorum | quelles réunions des dieux | |
sint habitura mox ; | sont devant posséder bientôt, | |
velisne, Cæsar, | soit-que tu veuilles, César, | |
invisereurbes, | visiter les villes, | |
euramque terrarum, | et que tu préfères le soin des terres, | |
etmaximusorbis accipiatte | et que le très-grand univers reçoive toi | |
auctorem frugum | comme auteur des fruits de la terre | |
potentemquetempestatum, | et maître des saisons, | |
cingens tempora | te ceignant les tempes | |
myrto materna ; | du myrte maternel ; | |
an venias deus | soit-que tu viennes comme dieu | |
maris immeusi, | de la mer immense, | |
ac nautæ colant | et que les matelots honorent | |
tua numina sola, | ta divinité seule, | |
Thule ultima | que Thulé la plus reculée du monde | |
serviat tibi, | soit-soumise à toi, | |
Tethysque emat te | et que Téthys achète toi | |
generum sibi | pour gendre à elle | |
omnibus undis ; | au prix de toutes ses eaux ; | |
anne addas te | soit-que tu ajoutes toi | |
sidus novum | comme astre nouveau | |
mensibus tardis, | aux mois tardifs (longs), | |
qua locus panditur | là où une place s’ouvre | |
inter Erigonen | entre Ërigone | |
Chelasque sequentes : | et les Serres qui-la-suivent : | |
jam ardens Scorpius ipse | déjà l’ardent Scorpion lui-même | |
contrahit brachia tibi, | resserre ses bras pour toi, | |
et reliquit | et t’a abandonné | |
plus parte justa coeli : | plus que ta part nécessaire du ciel : | |
quidquid eris | quoi que tu doives-être | |
(nam nec Tartara | (car et que le Tartare | |
sperent te regem, | n’espère pas toi pour roi, | |
nec cupido tam dira | et qu’un désir si violent | |
reguandi | de régner | |
veniat tibi, | ne vienne pas à toi, | |
quamvis Groecia | bien que la Grèce | |
miretur camposElysios, | admire les champs Élyséens, | |
nec Proserpina repetita | et que Proserpine redemandée | |
curet sequi matrem), | ne se-soucie pas de suivre sa mère), | |
da cursum facilem, | donne-moi une marche facile, | |
atque annue | et favorise | |
coeptisaudacibus, | mon entreprise audacieuse, | |
miseratusquemecum | et ayant-pitié avec-moi | |
agrestes | des campagnards | |
ignaros vioe, | ignorants de la route qu’ils doivent suivre, | |
ingredere, | avance-toi (viens), | |
et jam nunc assuesce | et déjà maintenant accoutume-toi | |
vocari votis. | à être appelé de nos vœux. | |
Vere novo, | Au printemps nouveau, | |
quum humor gelidus | lorsque l’humidité gelée (la neige) | |
liquitur | se-fond | |
montibus canis, | sur les montagnes blanchies, | |
et gleba putris | et que la glèbe friable | |
se resolvit Zephyro, | s’amollit par l’influence du Zéphyr, | |
jam tum taurus | que déjà alors le taureau | |
incipiat mihi ingemere | commence à moi à gémir | |
aratro depresso, | la charrue étant enfoncée en terre. | |
et vomer attritus sulco | et le soc usé par le sillon | |
splendescere. | à reluire. | |
Illa seges demum | Cette moisson (ce champ)-là seulement | |
respondet votis | répond aux vœux | |
agricolesavari, | du laboureur avide, | |
quas sensit bis solem, | qui a senti deux-fois le soleil (l’été), | |
bis frigora ; | deux-fois les froids (l’hiver) ; | |
messesimmensaeillius | la moisson immense de ce champ | |
ruperunt horrea. | a rompu (surcharge) les greniers. | |
At prius quam | Mais avant que | |
scindimus ferro | nous entr’ouvrions avec le fer | |
sequorignotum | un champ inconnu | |
cura sit proediscere | que le souci soit d’étudier-auparavant | |
ventos | les vents | |
et moremvarium coeli, | et l’état varié du ciel, | |
ac cultusque | et aussi la manière-de-cultiver | |
habitusque patrios | et les habitudes paternelles (anciennes) | |
locorum ; | des lieux ; | |
et quid ferat quaequeregio, | et ce-que porte (produit) chaque contrée, | |
et quid quasquerecuset. | et ce-que chacune refuse de produire. | |
Hic segetes, illic uvoe | Ici les blés, là les raisins | |
veniunt felicius ; | viennent plus heureusement ; | |
alibi fétus arborei | ailleurs les rejetons des-arbres | |
atque gramina | et les herbes | |
virescunt injussa. | verdoient non-ordonnés (sans culture). | |
Nonnevides | Ne vois-tu pas | |
ut Tmolus mittit | comme le Tmolus envoie | |
odorescroceos, | les odeurs du-safran (le safran odorant), | |
India ebur, | l’Inde l’ivoire, | |
Sabfeimolles | les Sabéens efféminés | |
tara sua, | les encens propres-à-eux, | |
at Chalybesnudi | au-contraire les Chalybes nus | |
ferrum, | envoient le fer, | |
Pontusquecastorea | et le Pont les testicules-de-castor | |
virosa, | à-la-forte-odeur, | |
Epiros | l’Épire | |
palmas equarum | les palmes des cavales (les cavales victorieuses) | |
Eliadum ? | d’Élide (en Élide) ? | |
Continuo natura | Dès-le-commencement la nature | |
imposuithas leges | a imposé ces lois | |
foederaqueseterna | et ces conditions éternelles | |
locis certis, | à des lieux déterminés, | |
tempore quo primum | dans le temps où tout-d’abord | |
Deucalionjactavit lapides | Deucalion jeta des pierres | |
in orbem vacuum, | dans l’univers vide, | |
unde | d’où (desquelles pierres) | |
hommesnati, | les hommes sont nés, | |
genus durum. | race dure. | |
Ergo âge, extemplo | Ainsi allons, aussitôt | |
a primis mensibus anni | dès les premiers mois de l’année | |
tauri fortes | que des taureaux vigoureux | |
invertant | retournent | |
solum pingue terroe, | le sol gras de la terre, | |
aastasquepulverulenta | et que l’été poudreux | |
coquat solibusmaturis | échauffe de ses soleils mûrs (ardents) | |
glebasjacentes. | les glèbes gisantes (exposées à ses rayons). | |
At, si tellus | Mais, si la terre | |
non fuerit fecunda, | n’est pas féconde (grasse), | |
erit sat suspendere | ce sera assez de la suspendre (soulever) | |
tenui sulco | par un mince sillon | |
sub Arcturum ipsum : | à-l’approche-de l’Arcture même : | |
illic, ne herbæ | là, de peur que les herbes | |
officiant frugibus lætis ; | ne nuisent aux moissons riantes ; | |
hic, ne humor exiguus | ici, de peur que l’humidité peu-abondante | |
deserat arenam sterilem. | ne quitte la poussière (le sol friable) stérile. | |
Idem | Toi le même (de même) | |
patiere novales tonsas | tu souffriras les jachères moissonnées | |
cessare alternis, | se-reposer par années alternées, | |
et campum segnem | et le champ oisif | |
durescere situ ; | durcir par le repos ; | |
aut seres, | ou tu sèmeras, | |
sidere mutato, | l’astre étant changé (l’année suivante), | |
farra flava | des blés jaunes | |
ibi, unde prius sustuleris | là, d’où auparavant tu auras récolté | |
legumen lætum | le légume abondant | |
siliqua quassante, | à la cosse branlante, | |
aut tenues fetus viciæ, | ou les minces produits de la vesce, | |
calamosque fragiles | et les tiges fragiles | |
silvamque sonantem | et la forêt bruyante | |
tristis lupini. | du triste lupin. | |
Seges enim lini | Car une moisson de lin | |
urit campum, | brûle le champ, | |
avenæ urit, | une moisson d’avoine le brûle, | |
papavera | les pavots | |
perfusa somno Lethæo | imprégnés du sommeil du-Léthé | |
urunt. | le brûlent. | |
Sed tamen labor facilis | Mais cependant le travail est facile | |
alternis ; | à années alternées ; | |
tantum ne pudeat | seulement qu’il n’en coûte pas au laboureur | |
saturare fimo pingui | de saturer d’un fumier gras | |
sola arida, | le sol aride, | |
neve | ou (et) qu’il ne lui en coûte pas | |
jactare | de jeter | |
cinerem immundum | une cendre malpropre | |
per agros effetos. | dans les champs appauvris. | |
Sic quoque arva | Ainsi aussi les champs | |
requiescunt | se-reposent | |
fetibus mutatis ; | les produits étant changés ; | |
nec interea | et pendant-ce-temps | |
gratia terræ inaratæ | le rapport d’une terre non-labourée | |
est nulla. | n’est pas nul. | |
Sæpe etiam profuit | Souvent encore il a été-utile | |
incendere agros steriles, | de brûler les champs stériles, | |
atque urere stipulam levem | et de consumer le chaume léger | |
flammis crepitantibus : | avec des flammes pétillantes : | |
sive inde terræ ; | soit-que de-là les terres | |
concipiunt vires occultas | tirent des forces secrètes | |
et pabula pinguia ; | et des aliments (sucs) gras ; | |
sive omne vitium | ou-que tout vice | |
excoquitur illis | soit détruit-par-la-chaleur à elles | |
per ignem, | au-moyen du feu, | |
atque humor inutilis | et que l’humeur inutile | |
exsudat ; | sorte-en-suintant ; | |
seu ille calor relaxat | soit-que cette chaleur ouvre | |
vias plures | des routes plus nombreuses | |
et spiramenta cæca, | et des pores cachés, | |
qua succus veniat | par où le suc puisse-venir | |
in herbas novas ; | dans les plantes nouvelles ; | |
seu durat magis, | soit qu’elle durcisse davantage, | |
et adstringit venas hiantes, | et resserre les conduits béants. | |
ne pluvias tenues, | de peur que les pluies fines, | |
potentiave acrior | ou l’influence plus vive | |
solis rapidi, | du soleil rapide, | |
aut frigus penetrabile | ou le froid pénétrant | |
Boreæ | de Borée | |
adurat. | ne brûle les semences. | |
Qui frangit rastris | Celui-qui brise avec le râteau | |
glebas inertes, | les glèbes stériles, | |
trahitque crates vimineas, | et traîne sur le sol des herses d’-osier, | |
juvat adeo multum arva ; | fait-du-bien aussi beaucoup aux champs, | |
neque flava Ceres | et la blonde Cérès | |
spectat illum nequidquam | ne regarde pas lui en-vain | |
alto Olympo ; | du-haut-de l’Olympe ; | |
et | il fait aussi du bien aux champs, | |
qui perrumpit rursus | celui-qui brise-en-les-traversant de-nouveau | |
aratro | avec la charrue | |
verso in obliquum | tournée en sens oblique | |
terga qua? suscitât | les mottes qu’il élève | |
asquore proscisso, | sur le champ fendu (sillonné), | |
frequensque | et fréquent (souvent) | |
exercet tellurem, | travaille la terre, | |
atque imperat ai-vis. | et commande aux champs. | |
Orate | Demandez-avec-prière | |
solstitia humida | des solstices (étés) humides | |
atque hiemes serenas, | et des hivers sereins, | |
agricolæ; | ô laboureurs ; | |
pulvere hiberno | avec la poussière d’-hiver (un hiver sec) | |
farra lætissima, | les blés sont très-abondants, | |
ager lætus : | le champ riant (fertile) : | |
Mysia se jactat tantum | la Mysie ne se vante autant | |
nullo cultu, | d’aucune culture, | |
et Gargara ipsa | et le Gargare lui-même | |
mirantur suas messes. | n’admire pas autant ses moissons. | |
Quid dicam, | Que dirai-je de celui, | |
qui, semine jacto, | qui, la semence étant jetée, | |
insequitur cominus arva, | presse (travaille) aussitôt les champs, | |
ruitque cumulos | et renverse les amas | |
arenæ male pinguis ; | de terre peu grasse ; | |
deinde inducit satis | et ensuite introduit-dans ses blés semés | |
fluvium | un courant-d’eau | |
rivosque sequentes ? | et des ruisseaux qui-suivent ? | |
Et, quum ager exustus | Et, lorsque son champ desséché | |
æstuat herbis morientibus, | est-brûlant dans ses herbes mourantes, | |
ecce elicit undam | voilà qu’il fait-sortir l’eau | |
supercilio | du sourcil (sommet) | |
tramitis clivosi : | d’un chemin en-pente (d’une colline) : | |
illa cadens | celle-ci en tombant | |
ciet raucum murmur | produit un bruyant murmure | |
per saxa levia, | à-travers les rochers polis, | |
temperatque scatebris | et rafraîchit par ses cascades | |
arva arentia. | les champs arides. | |
Quid, qui, | Que dirai-je de celui qui, | |
ne culmus procumbat | de peur que la tige ne tombe | |
aristis gravidis, | sous les épis chargés, | |
depascit luxuriem segetum | fait-brouter la surabondance des blés | |
in herba tenera, | quand ils sont encore en herbe tendre, | |
quum primum sata | aussitôt que les semailles | |
æquant sulcos ? | égalent les sillons (sont à leur niveau) ? | |
quique deducit | et de celui qui fait-écouler | |
arena bibula | du sol imbibé | |
humorem collectum | l’eau amassée | |
paludis ? | d’un étang ? | |
præsertim | surtout | |
si mensibus incertis | si dans les mois incertains | |
amnis abundans exit, | le fleuve regorgeant sort-de son lit, | |
et tenet late omnia | et occupe au-loin toutes les campagnes | |
limo obducto, | de son limon répandu-sur elles, | |
unde lacunæ cavæ | d’où (par suite de quoi) les fossés creux | |
sudant humore tepido. | sont-humides d’une eau tiède. | |
Nec tamen, | Et cependant il n’est pas vrai que, | |
quum labores | quand les travaux | |
hominumque boumque | et des hommes et des bœufs | |
sint experti hæc | ont éprouvé (accompli) ces choses | |
versando terram, | en remuant la terre, | |
anser improbus, | l’oie malfaisante, | |
gruesque Strymoniæ, | et les grues du-Strymon, | |
et intuba fibris amaris | et les chicorées aux fibres amères | |
officiunt nihil, | ne fassent-de-mal en rien, | |
aut umbra nocet. | ou que l’ombre ne nuise pas. | |
Pater ipse | Le père des dieux lui-même | |
haud voluit viam colendi | ne voulut pas la méthode de cultiver | |
esse facilem, | être facile, | |
primusque movit agros | et le premier il fit-remuer les terres | |
per artem, | selon un art, | |
acuens curis | aiguillonnant par les soucis | |
corda mortalia, | les cœurs des-mortels, | |
nec passus sua regna | et ne souffrant pas son royaume | |
torpere gravi veterno. | s’engourdir dans une pesante langueur. | |
Ante Jovem | Avant Jupiter | |
nulli coloni | aucuns cultivateurs | |
subigebant arva ; | ne domptaient (travaillaient) les champs ; | |
nec erat quidem fas | il n’était pas même d’usage | |
signare aut partiri campum | de marquer ou de partager la campagne | |
limite : | par une borne (des bornes) : | |
quærebant | les hommes cherchaient leur nourriture | |
in medium ; | en commun ; | |
tellusque ipsa | et la terre elle-même | |
ferebat omnia liberius, | produisait tout plus libéralement, | |
nullo poscente. | personne ne le lui demandant. | |
Ille addidit | C’est lui qui ajouta (donna) | |
virus malum | un venin nuisible | |
atris serpentibus, | aux noirs serpents, | |
jussitque lupos prædari, | et ordonna les loups piller, | |
pontumque moveri, | et la mer s’agiter, | |
decùssitque | et il fit-tomber-en-les-secouant | |
mella foliis, | le miel des feuilles, | |
removitque ignem, | et retira le feu, | |
et repressit vina | et refoula les vins | |
currentia passim | qui-couraient (coulaient) çà-et-là | |
rivis : | en ruisseaux : | |
ut usus meditando | afin que le besoin en s’essayant | |
èxtunderet paulatim | fît-sortir (trouvât) peu-à-peu | |
artes varias, | les arts divers, | |
et quæreret sulcis | et cherchât par des sillons (en les creusant) | |
herbam frumenti ; | la tige du blé; | |
ut excuderet | afin qu’il fît-jaillir | |
venis silicis | des veines du caillou | |
ignem abstrusum. | le feu caché. | |
Tunc primum fluvii | Alors pour-la-première-fois les fleuves | |
sensere alnos cavatas ; | sentirent les aunes creusés (les barques) ; | |
tum navita | alors le navigateur | |
fecit numeros et nomina | fit (donna) des nombres et des noms | |
stellis, | aux étoiles, | |
Pleiadas, Hyadas, | les Pléiades, les Hyades, | |
Arctonque claram | et l’Ourse brillante | |
Lycaonis | de Lycaon. | |
Tum inventum | Alors il fut imaginé | |
captare feras laqueis | de prendre les bêtes avec des lacs | |
et fallere visco, | et de les tromper avec de la glu, | |
et circumdare canibus | et d’envelopper de chiens | |
magnos saltus. | les grandes forêts. | |
Atque jam alius | Et déjà, un autre | |
verberat funda | frappe du tramail | |
latum amnem, | un large fleuve, | |
petens alta, | cherchant les eaux profondes, | |
aliusque trahit pelago | et un autre traîne sur la mer | |
lina humida ; | ses filets humides ; | |
tum rigor ferri, | alors fut employée la dureté du fer (le fer dur), | |
atque lamina serræ argutæ : | et la lame de la scie aigre : | |
nam primi | car les premiers hommes | |
scindebant cuneis | séparaient avec des coins | |
lignum fissile ; | le bois facile-à-fendre ; | |
tum venere variæ artes ; | alors vinrent les divers arts ; | |
labor improbus | le travail opiniâtre | |
vicit omnia, | vint-à-bout-de tout, | |
et egestas urgens | et le besoin qui-pressait les hommes | |
in rebus duris. | dans une situation rigoureuse. | |
Ceres prima | Cérès la première | |
instituit mortales | apprit aux mortels | |
vertere terram ferro, | à retourner la terre avec le fer, | |
quum jam silvas sacras | lorsque déjà les forêts sacrées | |
deficerent glandes | manquaient de glands | |
atque arbuta, | et d’arbouses, | |
et Dodona negaret victum. | et que Dodone refusait la nourriture. | |
Mox labor | Bientôt le travail | |
additus et frumentis : | fut ajouté aussi aux blés : | |
ut rubigo mala | savoir que la nielle malfaisante | |
esset culmos, | rongeât les chaumes, | |
carduusque segnis | et que le chardon oisif (inutile) | |
horreret in arvis : | se-hérissât(se dressât) dans les champs : | |
segetes intereunt ; | les moissons périssent : | |
silva aspera subit, | une forêt épineuse vient-en-place, | |
lappæque, tribulique, | et les bardanes, et les tribules, | |
interque culta | et au-milieu des champs cultivés | |
nitentia | brillants (qui viennent bien) | |
lolium infelix | l’ivraie inféconde | |
et avenas steriles | et les avoines stériles | |
dominantur. | dominent. | |
Quod nisi et insectabere | Que si et tu ne tourmentes pas | |
terram | la terre | |
rastris assiduis, | avec des râteaux assidus (sans relâche), | |
et terrebis aves sonitu, | et tu n’effrayes pas les oiseaux par le bruit, | |
et premes falce | et tu n’élagues pas avec la serpe | |
umbras | les ombrages (les arbres) |
ruris opaci, |
de ton champ trop ombragé, |
imos currus ; |
le-bas du char (la charrue mise sur des roues); |
|
|
viri, |
hommes, |
|
|
Hic Anguis maximus |
Ici (au pôle nord) le Dragon très-grand |
arator procudit |
le laboureur forge-au-marteau |
creat Cœumque |
produit et Cée |
area terit fruges tostas. |
l’aire bat les blés desséchés. |
et quum frumenta lactentia |
et lorsque les grains laiteux |
telo flagranti |
de son trait enflammé |
det Cereri |
il ne donne (ne fasse) à l’honneur de Cérès |
alboscere a tergo; |
blanchir (briller) en se détachant de leur dos; |
studio lavandi. |
du désir de se-baigner. |
inimicus, atrox, |
hostile, acharné, |
noctis serenæ. |
d’une nuit sereine. |
surget pallida | se-lèvera pâle | |
linquens cubile croceum | quittant le lit de-safran (doré) | |
Tithoni, | de Tithon, | |
heu! pampinus | hélas ! le pampre | |
defendet male tum | défendra mal alors | |
uvas mites, | tes raisins doux (mûrs), | |
tam multa horrida grando | si drue l’horrible grêle | |
salit crepitans in tectis ! | rebondit en craquant sur les toits ! | |
Hoc etiam, | De ceci encore, | |
quum jam decedet | lorsque déjà il se-retirera | |
Olympo emenso, | de l’Olympe parcouru, | |
profuerit meminisse magis : | il sera-utile de se-souvenir davantage : | |
nam sæpe videmus | car souvent nous voyons | |
colores varios | des couleurs diverses | |
errare in vultu ipsius : | errer (se répandre) sur le visage de lui : | |
cæruleus | étant couleur-d’azur (sombre) | |
denuntiat pluviam, | il annonce la pluie, | |
igneus Euros. | étant de-feu il annonce les Eurus (les vents). | |
Sin maculæ | Si-au-eontraire des taches bleues | |
incipient | commencent | |
immiscerier igni rutilo, | à se-mêler à son feu roux (ardent), | |
tunc videbis omnia | alors tu verras tout | |
fervere pariter | bouillonner (être agité) pareillement | |
vento nimbisque : | par le vent et par les nuages (la pluie) : | |
illa nocte | pendant cette nuit-là | |
non quisquam moneat me | que personne n’engage moi | |
ire per altum, | à aller à-travers la haute mer, | |
neque convellere funem | ni à détacher le câble | |
a terra. | de la terre. | |
At si, | Mais si, | |
quum referetque diem, | lorsque et il ramènera le jour, | |
condetque relatum, | et il cachera le jour ramené, | |
orbis erit lucidus, | son cercle est clair, | |
frustra terrebere nimbis, | en-vain tu seras effrayé par les nuages, | |
et cernes silvas moveri | et tu verras les forêts être remuées | |
Aquilone claro. | par l’Aquilon clair (sonore). | |
Denique, | Enfin, | |
quid Vesper serus vehat, | ce-que le soir tardif apporte, | |
unde ventus | d’où le vent | |
agat nubes serenas, | pousse les nuages sereins, | |
quid cogitet | ce-que médite | |
humidus Auster, | l’humide Auster, | |
sol dabit signa tibi. | le soleil en donnera les signes à toi. | |
Quis audeat dicere | Qui oserait dire | |
solem falsum ? | le soleil être trompeur ? | |
Ille etiam monet sæpe | Lui encore avertit souvent | |
tumultus cæcos instare, | des troubles encore cachés menacer, | |
fraudemque | et la perfidie (les complots) | |
et bella operta | et les guerres encore couvertes | |
tumescere. | s’enfler (fermenter). | |
Ille etiam | Lui encore | |
miseratus Romam, | fut ayant-pitié-de Rome, | |
Cæsare exstincto, | César étant mort, | |
quum texit caput nitidum | lorsqu’il couvrit sa tête brillante | |
ferrugine obscura, | d’une rouille sombre, | |
sæculaque impia | et que les générations impies | |
timuerunt noctem æternam. | craignirent une nuit éternelle. | |
Quanquam illo tempore | Quoique dans ce temps-là | |
tellus quoque, | la terre aussi, | |
et æquora ponti, | et les plaines de la mer, | |
canesque obsceni, | et les chiens de-mauvais-augure, | |
volucresque importunæ, | et les oiseaux de-fatal-présage, | |
dabant signa. | donnaient des signes. | |
Quoties vidimus | Combien-de-fois n’avons-nous pas vu | |
Ætnam undantem, | l’Etna bouillonnant, | |
fornacibus ruptis, | ses fournaises étant rompues (ouvertes) | |
effervere | se-répandre-à-gros-bouillons | |
in agros Cyclopum, | dans les champs des Cyclopes, | |
volvereque | et rouler | |
globos flammarum | des tourbillons de flammes | |
saxaque liquefacta ! | et des roches liquéfiées ! | |
Germania audiit toto cœlo | La Germanie entendit dans tout le ciel | |
sonitum armorum, | le bruit des armes, | |
Alpes tremuerunt | les Alpes tremblèrent | |
motibus insolitis. | de secousses inaccoutumées. | |
Ingens vox quoque | Une grande voix aussi | |
exaudita vulgo | fut entendue çà-et-là | |
per lucos silentes ; | dans les bois silencieux ; | |
et simulacra | et des fantômes | |
pallentia modis miris | pâles d’une façon étrange | |
visa sub obscurum noctis ; | furent vus dans l’obscurité de la nuit ; | |
pecudesque locutæ, | et les bêtes furent parlant, | |
infandum ! | prodige inouï ! | |
amnes sistunt, | les fleuves s’arrêtent, | |
terræque dehiscunt ; | et les terres s’entr’ouvrent ; | |
et ebur mœstum | et l’ivoire triste (les statues affligées) | |
illacrimat templis, | pleure dans les temples, | |
æraque sudant. | et l’airain sue. | |
Rex fluviorum Eridanus | Le roi des fleuves l’Éridan | |
proluit silvas | inonda les forêts | |
contorquens | les faisant-tourner (les entraînant) | |
vortice insano, | dans son cours insensé (fougueux), | |
tulitque armenta | et il emporta les troupeaux | |
cum stabulis | avec les étables | |
per omnes campos. | à-travers toutes les campagnes. | |
Nec eodem tempore | Et dans le même temps | |
aut fibræ minaces | ou (ni) des fibres menaçantes | |
apparere | ne cessèrent de se-montrer | |
extis tristibus, | dans les entrailles de-triste-augure, | |
aut cruor cessavit | ou (ni) le sang ne cessa | |
manare puteis, | de couler dans les puits, | |
et urbes altæ | et (ni) les villes profondes | |
resonare per noctem | ne cessèrent de retentir pendant la nuit | |
lupis ululantibus. | de loups hurlant. | |
Plura fulgura | Plus-de coups-de-foudre | |
non ceciderunt alias | ne sont tombés une-autre-fois (jamais) | |
cœlo sereno, | d’un ciel serein, | |
nec cometæ diri | et des comètes effrayantes | |
arsere toties. | n’ont brillé jamais tant-de-fois. | |
Ergo Philippi | Aussi les champs de Philippes | |
videre iterum | virent une-seconde-fois | |
acies Romanas | les armées romaines | |
concurrere inter sese | se-heurter entre elles | |
telis paribus ; | avec des armes pareilles ; | |
nec fuit indignum | et il ne fut pas déplaisant (il plut) | |
Superis | aux dieux d’-en-haut | |
Emathiam | l’Émathie | |
et latos campos Hæmi | et les vastes champs de l’Hémus | |
pinguescere bis | s’engraisser deux-fois | |
nostro sanguine. | de notre sang. | |
Scilicet et tempus veniet | Sans-doute un temps aussi viendra | |
quum illis finibus | lorsque dans ces confins (pays) | |
agricola, molitus terram | le cultivateur, travaillant la terre | |
aratro incurvo, | avec la charrue recourbée, | |
inveniet pila | trouvera des javelots | |
exesa rubigine scabra, | rongés par une rouille rude au toucher, | |
aut pulsabit | ou heurtera | |
rastris gravibus | avec les hoyaux pesants | |
galeas inanes, | des casques vides, | |
mirabiturque | et regardera-avec-étonnement | |
grandia ossa | de grands ossements | |
sepulcris | les tombeaux | |
effossis. | ayant été ouverts-en-creusant. | |
Di patrii Indigetes, | Dieux de-la-patrie Indigètes, | |
et Romule, | et toi Romulus, | |
Vestaque mater, | et toi Vesta mère (auguste), | |
quæ servas | qui gardes (protèges) | |
Tiberim Tuscum | le Tibre toscan | |
et palatia Romana, | et les collines romaines, | |
saltem ne prohibete | du-moins n’empêchez pas | |
hunc juvenem | ce jeune-homme | |
succurrere | de porter-secours | |
sæclo everso ! | à ce siècle détruit (en ruine) ! | |
Satis jampridem | Depuis assez longtemps déjà | |
luimus nostro sanguine | nous lavons (payons) de notre sang | |
perjuria | les parjures | |
Trojæ Laomedonteæ. | de la Troie de-Laomédon. | |
Jampridem, Cæsar, | Depuis-longtemps, César, | |
regia cœli invidet te nobis, | le palais du ciel envie toi à nous, | |
atque queritur curare | et se-plaint toi t’occuper | |
triumphos hominum : | des triomphes des hommes : | |
quippe ubi | car où (là, chez les hommes) | |
fas atque nefas | le permis et l’illicite | |
versum ; | a été retourné (pratiqué) ; | |
tot bella | tant-de guerres | |
per orbem ; | ont été faites dans l’univers ; | |
facies scelerum tam multæ ; | les espèces des crimes sont si nombreuses ; | |
non ullus honos dignus | aucun honneur digne (assez grand) | |
aratro ; | n’est à la charrue ; | |
arva squalent, | les campagnes sont-incultes, | |
colonis abductis, | les colons en ayant été emmenés, | |
et falces curvæ conflantur | et les faux courbes sont fondues | |
in ensem rigidum. | pour en faire une épée roide(droite). | |
Hinc Euphrates, | D’un-côté l’Euphrate, | |
illinc Germania | de-l’autre la Germanie | |
movet bellum ; | met-en-mouvement (commence) la guerre ; | |
urbes vicinæ, | les villes voisines, | |
legibus ruptis inter se, | les traités étant rompus entre elles, | |
ferunt arma ; | portent (prennent) les armes ; | |
impius Mars sævit | l’impie Mars se-déchaîne | |
toto orbe. | dans tout l’univers. | |
Ut, quum quadrigæ | Comme, lorsque les quadriges | |
sese effudere | se sont répandus (lancés) | |
carceribus, | hors de leurs prisons, | |
addunt in spatia, | ils ajoutent les espaces aux espaces, | |
et, tendens frustra | et, tendant en-vain | |
retinacula, | les brides, | |
auriga fertur equis, | le conducteur est emporté par les chevaux, | |
neque currus | et le char | |
audit habenas. | n’obéit pas aux rênes. |
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NOTES.
Page 2 : 1. Clarissima mundi lumina, se rapporte, selon les meilleurs commentaires, à Cérès et à Bacchus ; quelques-uns cependant ont voulu l’entendre du soleil et de la lune.
— 2. Chaoniam… poculaque… Acheloia. — Chaoniam, la Chaonie, province maritime de l’Epire, entre la Thesprotie et les monts Acrocérauniens. — Acheloia, l’Achéloüs est un fleuve de la Grèce, qui sépare l’Acarnanie de l’Étolie, et qui se jette dans la mer vis-à-vis des îles Echinades. C’est sur ses bords que la fable place la mort du centaure Nessus. L’Achéloüs est l’Aspropotamo actuel.
— 3. Præsentia numina. Præsens, a ici le sens de favorable, propice, comme nous l’avons déjà vu, églogue I, vers 41.
— 4. Ceœ. Cée est une des Cyclades dans la mer Égée. Il s’agit ici d’Aristée, fils d’Apollon et de Cyrène, qui se retira dans cette île après la funeste aventure de son fils Actéon. Voyez au IVe livre des Géorgiques, le touchant épisode : Pastor Aristœus, etc.
Page 4 : 1. Tegeœe. Pan est appelé Tegeœus, de Tegea, ville d’Arcadie, où il était particulièrement honoré.
— 2. Puer monstrator aratri ; et teneram ab radice ferens, Silvane, cupressum. — Puer monstrator désigne Triptolème, suivant les uns ; Osiris, suivant les autres. — Silvane, Silvain, dieu champêtre qui présidait aux forêts, et qui aimait le jeune Cyparisse, changé en cyprès par Apollon.
— 3. Urbesne invisere… terrarumque velis curam. Le verbe invisere régit à la fois les deux substantifs urbes et curam. Avec le premier, il garde son sens propre ; avec l’autre, il faut ajouter l’idée d’un autre verbe, tel par exemple que suscipere.
— 4. Ultima Thule, l’île de Thulé. On croit que c’était l’Islande ou les îles de Shetland, ou le Jutland. C’était dans tous les cas la limite la plus reculée de la géographie ancienne vers le nord, et l’épithète ultima l’accompagne toujours.
Page 6 : 1. Erigonen… Erigone est le même signe que la Vierge. Du temps de Virgile on connaissait peu le signe de la Balance. L’espace du ciel compris entre la Vierge et le Scorpion était rempli par les serres de ce dernier : ainsi le Scorpion occupait seul l’étendue de soixante degrés, quoique chaque signe n’en eût que trente. La Balance préside au mois de septembre.
— 2. Incipiat jam tum mihi. Mihi est ici un pronom explétif ; les exemples en sont innombrables dans Virgile.
Page 8 : 1. Tmolus. Ce mont est sur les confins de la grande Phrygie et de la Lydie ; il est fertile en vins et en safran. — Nonne vides….
ut.... mittit ? D’après les règles de la grammaire, il faudrait mittat ; mais nonne vides ut est souvent une formule d’énumération, et n’a pas plus de valeur que præterea, porro.
— 2. Virosaque Pontus castorea. Le castoreum est d’un très-grand usage en médecine : c’est un puissant soporifique. Lucrèce a dit :
Page 10 : 1. Arcturum. L’Arcturus est une étoile de la première grandeur dans le signe du Bootès (Bouvier), près de la queue de la grande Ourse. Du temps de Virgile son lever cosmique arrivait au commencement de septembre ; il arrive aujourd’hui au commencement d’octobre.
— 2. Alternis idem tonsas cessare novales. Par novales, Pline entend une terre qu’on ensemence de deux ans l’un.
Page 12 : 1. Multum adeo, rastris glebas qui frangit inertes, etc. Les Romains brisaient d’abord la terre avec des râteaux, et l’aplanissaient ensuite en y traînant des claies. Columelle semble avoir voulu consacrer le précepte donnépar notre poëte, en disant après lui : Glebas sarculis resolvere, et inducta crale cooequare.
— 2. Mysia... Gargara messes. Mysia, la Mysïe asiatique le long de la mer Egée. Il y a dans cette province une montagne et une ville du nom de Gargara. Comme les peuples de ce pays devaient moins leurs belles moissons à l’industrie qu’à la bonté du sol, Virgile a dit très-bien :
Page 14 : 1. Incertis... mensibus. LaFontaine songeait sans doute à ce vers de Virgile qui désigne les mois douteux de l’automne, quand il disait (liv. VI, fable iii) :
Il pleut, le soleil luit, et l’écbarpe d’Iris
Rend ceux qui sortent avertis
Qu’en ces mois le manteau leur est fort nécessaire :
Les anciens les nommaient douteux pour cette affaire.
— 2. Strymoniœque grues. Virgile parle de la grue comme d’un oiseau funeste aux moissons. Ces oiseaux se trouvent en foule sur les bords du Strymon, fleuve de la Thrace. Quand ils sont attroupés, un d’entre eux se met un peu à l’écart, se pose sur un pied et fait sentinelle ; de là : Faire le pied de grue, pour dire attendre quelqu’un longtemps.
Page 16 : 1. Pleiadas, Hyadas, claramque Lycaonis Arcton. Les Pléiades sont sept étoiles placées sur le cou du Taureau ; les Hyades sont sept autres étoiles placées sur le front du Taureau. — Arcton. Calisto, fille de Lycaon, eut de Jupiter un fils nommé Arcas. Junon les changea l’un et l’autre en ours ; mais Jupiter les plaça au ciel près du pôle arctique : c’est la grande et la petite Ourse.
Page 22 : 1. Quum se nux... induet in florem. Construction poétique, au lieu de induet flore. On trouve aussi, Énéide, liv. VII, vers 20 : Quos… induerat Circe in vultus ac terga ferarum. Au contraire, en prose, Columelle, IV, 24, 12 : Vites induunt se uvis. Plus loin, liv. IV des Géorgiques, vers 142, nous trouverons :
Quotque in flore novo pomis se fertilis arbos
Induerat.
Page 24 : 1. Abydi, Abydos, aujourd’hui Nagara-Bouroun, sur l’Hellespont, à l’endroit le plus resserré du détroit, vis-à-vis de Sestos, en Europe ; Virgile l’appelle ostrifer, à cause des huîtres excellentes qu’on pêchait sur cette côte.
— 2. Die, pour diei. De même Horace, Odes, III, vii, 4 : Constantis juvenem fide. Et Ovide :
Page 26 : 1. Candidus auratis aperit quum cornibusannum Taurus… Canis occidit… C’est par le Bélier que commence l’année astronomique ; mais, comme c’est au mois d’avril que la terre ouvre son sein, et que avril (aprilis) et ouvrir (aperire)ont une même étymologie, Virgile a jugé à propos de faire ouvrir l’année rurale par le signe du Taureau, où le soleil entre le 22 avril. Virgile donne au Taureau deux cornes dorées, parce que chacune de ses cornes a une étoile très-brillante : l’une de ces étoiles est de la seconde grandeur, l’autre de la troisième. — Canis occidit. Il s’agit du coucher héliaque de la Canicule, lorsque, étant engagée dans les rayons du soleil, elle cesse d’être aperçue.
— 2. Eoœ Atlantides abscondantur. Virgile veut parler du coucher cosmique des Pléiades, lorsque le matin elles descendent sous l’horizon en même temps que le soleil se lève. L’une de ces étoiles s’appelait Maia. Les Pléiades étaient filles d’Atlas, Atlantides.
— 3. Gnosiaque ardentis decedat Stella Coronæ. Il s’agit ici du lever héliaque de la Couronne d’Ariane, lorsque, s’étant dégagée des rayons du soleil, elle commence à se faire voir. Ariane était fille de Minos, roi de l’île de Crète, où était Gnosse : de là Gnosia Stella.
Page 28 : 1. Cadens… Bootes. Il s’agit du coucher achronique du Bouvier ou Arcturus, ou gardien de l’Ourse, lorsqu’une partie de ses étoiles descend sous l’horizon. Ce coucher répond, suivant Columelle, au 21 d’octobre ; il a lieu aujourd’hui plus tard.
— 2. Glacie concretæ atque imbribus atris. Concretæ ne se rapporte à imbribus que par attraction, et n’a son sens propre qu’en le joignant à glacie.
— 3. Mundus ut ad Scythiam Riphœasque… Virgile parle ici des pôles et de leur élévation relative à l’horizon de chaque peuple. — Riphœas, chaîne de montagnes que les poètes confondent souvent avec les monts Hyperboréens. Il faut chercher les monts Riphées dans la Sarmatie, au-dessus des Palus-Méotides. Ces montagnes étaient généralement, pour les anciens, le point le plus reculé vers le nord, et ils l’éloignaient de plus en plus, à mesure qu’ils acquéraient des connaissances géographiques plus étendues.
Page 30 : 1. Maximus hic flexu sinuoso elabitur Anguis, etc. La constellation du Dragon atteint de sa queue la grande Ourse et embrasse la petite Ourse, Oceani metuentes… qui craignent de toucher l’Océan. Ces derniers mots sont une manière poétique d’exprimer que ces constellations sont toujours sur l’horizon. Voyez la fable de Calisto.
— 2. Illic, ut perhibent… Les anciens croyaient que le soleil n’éclairait point l’autre hémisphère. Virgile soupçonne cependant que cet astre, en nous quittant, luit pour le pôle inférieur, c’est-à-dire pour les antipodes. Hic, illic : il distingue par là notre pôle et celui qui lui est opposé. Lucrèce avait, comme Virgile, soupçonné l’existence du double hémisphère.
Page 32 : 1. Amerina… retinacula. Il croissait beaucoup d’osiers et de saules près d’Amérie, ville d’Ombrie. L’osier y était si commun, qu’il en a pris le nom d’Amerina.
Page 34 : 1. Scilicet ici la même valeur que les particules homériques δη ou ρα.
— 2. Faces inspicat. Métaphore tirée de l’épi. Cette expression est propre à Virgile.
Page 36 : 1. Stuppea torquentem Balearis verbera fundæ. Les habitants des Baléares (îles Majorque, Minorque, etc.) passaient, dans l’antiquité, pour les meilleurs archers qui fussent connus. Ils employaient des balles de plomb, qu’ils envoyaient avec tant de vigueur, qu’elles arrivaient toutes brûlantes, comme nos balles de fusil. Ovide le dit (Met. lib. II, v. 729) :
Non secus exarsit, quam quum Balearica plumbum
Funda jacit : volat illud, et incandescit eundo.
Page 40 : 1. Aut Atho, aut Rodopen, aut alta Ceraunia. Ce vers est imité de Théocrite, VII, 77 :
Le mont Athos est dans la Macédoine, le mont Rhodoope dans la Thrace, et les monts Cérauniens (aujourd’hui della Chimera)dans l’Épire.
— 2. Ignis... Cyllenius. La planète de Mercure, fils de Jupiter et de Maia, né sur le mont Cyllène, en Arcadie.
— 3. Terque novas circum felix eat hoslia fruges, etc. Ces fêtes s’appelaient Ambarvalia, Ambarvales, parce que la victime faisait le tour des moissons, ambiret arva.
On ne voit point les champs répondre aux soins du maître,
Si dans les jours sacrés, autour de ses guérets,
Il ne marche en triomphe en l’honneur de Cérès.
Page 42 : 1. Quo signo caderent Austri. Le verbe cadere a bien ici le sens que nous donnons au verbe français tomber, en parlant du vent. De même, Énéide, I, 154 : Omnis pelagi cecidit fragor. Églogue ix, v. 58 : Ventosi ceciderunt murmuris auræ. Il ne faut donc pas l’entendre dans le sens de tomber, s’abattre sur la terre.
Page 44 : 1. Veterem… ranæ cecinere querelam. Allusion à ces paysans insolents qui furent changés en grenouilles, pour avoir injurié Latone, lorsqu’elle implorait leur secours.
— 2. Et bibit ingens Arcus. Les anciens croyaient que l’arc-en ciel pompait les eaux de la mer. On trouve chez les poètes plusieurs allusions à ce préjugé. Dans une comédie de Plaute, quelqu’un, voyant boire une femme vieille et courbée, dit plaisamment :
— 3. Asia… prata Caystri. Asia, était un lac dans la Lydie, entre les rives du Caïstre et le mont Tmolus. — Le Caïstre ou Caystre, aujourd’hui Kitchek-Meinder, c’est-à-dire Petit-Méandre, rivière de Lydie, qui se jette dans la mer Égée, près d’Éphèse. Cette rivière est souvent citée dans les poètes de l’antiquité. On voyait un grand nombre de cygnes sur ses bords.
Page 46 : 1. Nisus,… Scylla. Nisus, roi de Mégare, avait un cheveu couleur de pourpre, dont dépendait le sort de son royaume. Scylla, sa fille, éprise de Minos, qui assiégeait Mégare, lui coupa ce cheveu fatal. Nisus fut changé en épervier, et Scylla en alouette. Depuis ce temps-là, le père, pour se venger de sa fille, la poursuit sans cesse.
Page 54 : 1. Ille etiam exstincto miseratus Cæsare Romam, etc. Tous ces prodiges, qui précédèrent ou suivirent la mort de César, sont rapportés par différents auteurs, Pline, Appien, Suétone, Cicéron, Valère Maxime, Plutarque, etc. Le merveilleux du poëte est ici consacré par l’histoire. Qu’on juge, d’après cela, quelle foi on doit souvent ajouter aux récits des historiens grecs et romains.
Page 56 : 1. Romanas actes iterum videre Philippi. Ce passage a fort embarrassé les interprètes. L’opinion de Delille, qui a consacré plusieurs pages à l’explication de ce passage, est 1° qu’il y avait deux Philippes auprès desquelles deux batailles ont été livrées ; 2° que ces deux villes étaient dans la Macédoine, autrement nommée Émalhie ; 3° que ces deux villes étaient au pied du mont Hémus.
Page 58 : 1. Perjuria Trojæoe. Le roi Laomédon refusa leur salaire à Neptune et à Apollon qui avaient bâti les murs de Troie, d’où les Romains prétendaient tirer leur origine.
— 2. Hinc movet Euphrates, illinc Germania bellum. Ce passage semble avoir été écrit dans le temps qu’Auguste et Antoine rassemblaient leurs forces pour se disputer l’empire romain. On sait que cette guerre fut terminée par la défaite d’Antoine et de Cléopâtre, au promontoire d’Actium. Antoine tirait ses forces de la partie orientale de l’empire, que Virgile désigne ici par Euphrates : Auguste tirait les siennes de la partie septentrionale, et c’est ce qu'exprime Germania.