Les Gaietés du Conservatoire/7
Quand j’étais à la classe d’harmonie de François Bazin, homme très austère malgré le tour léger de sa musique, on s’y livrait assez fréquemment à un divertissement auquel je n’ai jamais pris part active, je l’atteste, mais contre lequel je dois avouer que je n’ai non plus jamais protesté.
Il fallait pour cela que M. Bazin fût appelé à l’administration, ou qu’il eût une visite à recevoir dans le couloir, qu’il sortît, enfin, pour une raison quelconque… Aussitôt qu’il avait fermé la porte, un élève s’emparait de son chapeau et le posait sur un des tabourets carrés qui, avec une table et un piano, forment tout notre mobilier scolaire ; puis il soulevait ce tabouret, sous lequel un autre élève en glissait un second ; il soulevait le second, sous lequel on en glissait un troisième… et ainsi de suite jusqu’à ce que la colonne ainsi édifiée, haute d’une dizaine de tabourets toujours surmontés du chapeau, et évoquant vaguement l’idée de la statue de Napoléon sur la colonne Vendôme, arrivât à toucher le plafond. Je ne sais qui avait inventé cet exercice, mais il est certain qu’avec trois élèves intelligents et bien rompus à la manœuvre, c’était fait, montre en main, en deux minutes.
Alors les deux plus forts pianistes de la classe se mettaient à jouer à tour de bras l’ouverture du « Voyage en Chine », pendant que les autres battaient « aux champs » sur la table et sur ce qui restait de tabourets disponibles, jusqu’au moment où une vigie annonçait le retour du professeur.
C’était très imposant ; mais M. Bazin n’aimait pas cela ; il disait : « Vous êtes des polissons », et n’avait peut-être pas absolument tort ; puis il congédiait tout le monde, et faisait venir deux garçons de classe pour détruire l’édifice et rentrer en possession de son couvre-chef.
Je dois dire qu’il avait comme une intuition que je ne participais pas à cette charge de mauvais goût, car un jour où je me trouvais partir le dernier, il me dit en me serrant la main d’une façon significative :
— « Croyez-vous qu’ils sont assez bêtes, ces animaux-là ? »
(Mes élèves actuels sont moins gais.)