Les Guérêts en fleurs/36

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Éditions Édouard Garand (p. 137-138).

CHAGRIN D’OISEAU


Dans la forêt paisible où d’un pas lent la nuit
Amoureuse s’approche et se pose sans bruit,
La linotte revient à tous petits coups d’ailes
Pour ne pas éveiller de ses amours fidèles
Le fruit qui, sous l’ombrée, ainsi qu’un pur ruisseau,
Repose, faible encore, au fond de son berceau ;
Et sur ces frêles corps au fin duvet de neige
Jette un regards ému qui rassure et protège.
Un vent imperceptible agite les rameaux.
Les étoiles, au ciel, comme de clairs émaux.
Poudroient de rayons d’or les doigts fins des branchettes
Dont le froissement vibre ainsi que des clochettes.
Et tout dort. La nature a reconquis ses droits.
Ayant fait brin par brin le nid aux murs étroits,
Comme un vivant rempart, la linotte, à cette heure,
Couve ses oisillons et veille à sa demeure.
Mais demain… Ô fatal demain… ! Les nourrissons
Ayant vocalisé des bribes de chansons,
Sans plus se soucier des douleurs de leur mère,
Sans songer aux périls de l’existence amère.
Croyant même connaître en tous lieux les chemins,
Surmonter les dangers des fauves, des humains,
Et toujours boire en paix à la source où l’on aime,
Le nid, ils quitteront sans craindre l’anathème.

II

Le gai printemps n’est plus. Un beau soleil d’été
Échauffe au loin l’azur de sa douce clarté
Prêtant à la moisson sous sa mantille blonde,
L’aspect d’un océan insondable, et dont l’onde
Mire en ses yeux pensifs le vol capricieux
Des ramiers migrateurs revenus d’autres cieux.
Tout chante au bois. Le source, ingénument cachée
Gazouille en son langage auprès d’une trochée ;
Les amants, deux à deux, et la main dans la main,
Font serment de s’aimer davantage demain.
Tout aspire à la vie. Et le sang chaud des choses
Dans les veines bouillonne ; et mille fleurs écloses
Sèment à l’aventure, odorants leurs parfums,
Sur les aulnes naissants, sur les rosiers défunts.
Tout chante au bois. Hélas ! un être y pleure encore… !
La linotte, attirée, au début de l’aurore.
En ces lieux, par la force et l’ardeur de l’amour,
Tremblote près du nid délaissé sans retour,
Car au logis ancien elle ne voit la trace
D’aucun des siens venu perpétuer la race.

C’est pourquoi, dans le soir nous entendons parfois,
Quand nous allons rêver à l’ombre des grands bois,
Aux bords des nids déserts comme d’humbles chapelles,
Sangloter les oiseaux, la tête sous leurs ailes !