Les Gueux de mer/03

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Les Gueux de mer
Revue des Deux Mondes3e période, tome 108 (p. 527-548).
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LES
GUEUX DE MER

III.[1]
LE DERNIER ASILE DE LA LIBERTÉ.


I
O’er the glad waters of the dark blue sea,
Our thoughts as boundless, and our souls as free,
Far as the breeze can bear, the billows foam,
Survey our empire and behold our home !
Sur les eaux joyeuses de la mer au bleu sombre,
Nos pensées sans bornes et libres comme elles,
Aussi loin que la brise peut emporter le vaisseau, aussi loin que les vagues peuvent dérouler leur écume,
Contemplent notre empire et saluent notre demeure.

Voilà un chant de corsaires que les gueux de mer auraient pu s’approprier. Quand Albe eut tout conquis sur la terre ferme, il se vit soudain arrêté par ces flots orageux que l’audace des proscrits lui opposait comme une dernière barrière. L’Océan du Nord, toujours indompté, demeurait, au milieu de la soumission générale, le domaine inviolable de la liberté néerlandaise. Albe n’était pas marin : c’est là son excuse. Il laissa la piraterie peu à peu grandir ; quand il voulut la supprimer, il était trop tard. Sa détresse financière explique d’ailleurs jusqu’à un certain point sa négligence. Le gouvernement des Pays-Bas n’avait jamais eu de marine permanente. Ce n’était pas l’usage pour la marine à voiles, et les mers du Nord se prêtaient mal à l’emploi de la marine à rames. En l’année 1557, il est vrai, le roi Philippe II jugea nécessaire de protéger les rivages des Flandres contre l’audace des corsaires français. Il rassembla et entretint aux frais du trésor royal onze vaisseaux de guerre : le Faucon de 400 tonneaux et de 250 hommes d’équipage, le Cheval marin de même échantillon, la Marie de 300 tonneaux et de 200 hommes, le Dragon de 200 tonneaux et de 150 hommes, l’Aigle de 150 tonneaux et de 110 hommes, le Tigre d’égale force, le Cerf monté par 120 hommes, le Sauveur armé de 120 hommes aussi, le Lion n’en possédant que 110, le Cerf-Volant pourvu d’un équipage de 100 hommes, le Petit-Oiseau naviguant avec un effectif de 60. Cette flotte, dont l’équipement exigeait l’entretien de 1,600 hommes régulièrement soldés, était une nouveauté. La nouveauté parut trop coûteuse et, la paix faite, la flotte royale fut désarmée. Au temps du duc d’Albe, il n’en restait rien.

Jusqu’à l’armement tout à fait exceptionnel prescrit par le fils de Charles-Quint, quand on avait eu besoin de vaisseaux, on s’était adressé pour les obtenir au commerce. Dans chaque province le stathouder, représentant de l’autorité suprême, convoquait les états, c’est-à-dire les députés nommés par les villes et par la noblesse. Les états assemblés, le stathouder leur exposait les motifs qui obligeaient le prince à réclamer leur concours, et il leur demandait de vouloir bien autoriser la mise sous séquestre des bâtimens dont les services deviendraient nécessaires. La mesure était généralement votée sans opposition. Les officiers du stathouder se rendaient alors dans les principales places de commerce. Là ils invitaient à comparaître les armateurs et les patrons. Ces patrons et ces armateurs, dont les dépositions se contrôlaient mutuellement, devaient, sous les peines les plus sévères, faire la déclaration du tonnage de leurs navires, du nombre de pièces d’artillerie et de la quantité de munitions de guerre qui se trouvaient à bord. Parmi les vaisseaux ainsi déclarés, les officiers du stathouder faisaient leur choix. Le contrat était ensuite dressé en présence des magistrats de la ville. Les conditions ordinaires de l’affrètement paraissent avoir été, en 1557, de 30 stuivers — 3 fr. 40 environ — par tonneau et par mois. Le prince s’engageait, en outre, à dédommager le propriétaire des avaries que subirait son vaisseau pendant la campagne. Au navire nolisé il fallait maintenant fournir un équipage. L’enrôlement volontaire constituait, à cette époque, le moyen de recrutement le plus usité. Certaines places de commerce, telles qu’Arnemuiden par exemple, étaient des entrepôts d’hommes où on pouvait en toute saison venir largement puiser. Au prix de 3 florins — 6 fr. 75 — par mois, on était à peu près certain de réunir en quelques jours un nombre suffisant de matelots. En y comprenant les soldats, le chiffre habituel des équipages ne dépassait guère un homme par deux tonneaux de jauge.

Le prix de la ration au XVIe siècle était peu élevé ; autrement dit, il était en rapport avec la valeur de l’argent. Bien qu’il eût à peu près doublé depuis dix ans, il atteignait à peine en 1557 le chiffre de 4 stuivers — 44 ou 45 centimes par jour. Les vivres se composaient de viande fraîche et de viande salée, de lard, de poisson sec, de fromage, de pois verts, de fayols, de moutarde, de pain frais et, vers l’année 1523, de biscuit. Le biscuit de mer, inconnu au XVe siècle, semble avoir été, en 1523, d’invention tout à fait récente.

La bière était la boisson ordinaire. En 1477, elle coûtait 23 stuivers — 52 centimes — le baril. A la même époque on pouvait avoir une livre de lard pour 2 centimes et demi ; une vache grasse pour 15 ou 16 francs. En 1523, la viande de bœuf se payait en moyenne 6 centimes la livre.

Le prince, jusqu’aux dernières années du XVe siècle, s’était chargé de l’achat et de la distribution des vivres. Sous le règne de Charles-Quint, on reconnut qu’il y aurait économie notable à confier aux commandans des vaisseaux le soin de nourrir leurs équipages. Une indemnité fixée une fois pour toutes par tête d’homme embarqué leur fut en conséquence allouée. La simplicité du système en assura la durée. Sous le règne du souverain imposé aux Hollandais par la politique de l’empereur Napoléon, l’adoption des institutions françaises entraîna le retour à l’achat des vivres par l’Etat. Ce régime, auquel Charles-Quint avait cru devoir renoncer, est aujourd’hui le régime en vigueur dans toutes les marines. Il date chez nous de l’administration de Colbert.

Toute notre civilisation est faite de traditions. Il n’y a que la révolution française qui ait eu la prétention de gouverner les hommes d’après la pure logique. Les ordonnances promulguées par Charles-Quint pour assurer le maintien de la discipline à bord des vaisseaux différaient peu des dispositions mises à l’ordre du jour par le roi Richard Cœur-de-Lion, quand il s’embarqua pour se rendre en terre sainte. Le roi Richard lui-même ne fit probablement que rappeler des lois déjà en usage du temps des pirates normands,

Qui tuait un camarade était attaché au mort et jeté avec sa victime à la mer. — N’avait-on infligé qu’une blessure, on en était quitte pour avoir la main coupée. — Tirer simplement le couteau, sans qu’une goutte de sang eût coulé, se payait encore assez cher. La main du coupable, traversée d’un de ces grands couteaux dont on se servait pour couper le pain, était clouée au grand mât, l’autre bras restant lié au corps. Le supplice semble dur : il dépendait du condamné d’y mettre un terme à l’instant même. Il fallait seulement qu’il eût le courage d’arracher sa main par un brusque effort à la lame tranchante qui la retenait.

La cale figurait encore dans notre code pénal en 1848. Elle fut, dès le moyen âge, de tous les châtimens, le plus fréquemment employé. « Que celui qui porte un coup avec le poing à un de ses compagnons, sans qu’il y ait de sang répandu, soit plongé trois fois dans la mer ! » prescrivait, en l’année 1189, le roi Richard. Le châtiment devenait terrible quand on faisait passer le condamné sous la quille du navire.

On peut constater deux périodes bien distinctes dans les progrès successifs qui ont constitué la marine à voiles de guerre. En l’année 1396, on voit l’artillerie apparaître à bord des vaisseaux des Pays-Bas. Vers l’année 1520, cette artillerie arme le travers des vaisseaux : un constructeur de Brest, le sieur Descharges, vient d’inventer les sabords. Dès ce moment, la marine qui ne s’effacera que devant le vaisseau à vapeur, la marine des Ruyter, des Tourville, des Suffren, des Nelson, des Bouvet, des Duperré, des amiraux Roussin, Baudin, Hugon, Lalande, de Parseval, de La Susse, Hamelin et Bruat, la marine à laquelle j’ai moi-même consacré ma jeunesse, se trouve irrévocablement fondée. Elle aura duré trois cent trente-cinq ans, du règne de Charles-Quint au règne de Napoléon III.

Pendant plus de cent ans, on s’était contenté de placer quelques pièces d’artillerie aux extrémités du vaisseau. Dès le début du XVIe siècle, on voit les flancs du Grand-Henry se garnir de 122 bouches à feu, ceux du Saint-Mathieu en porter 130, de la Charente 200. Réduisons cependant ces chiffres à leur juste valeur. Sur les 122 pièces du Grand-Henry, on en compte à peine 34 qui mériteraient aujourd’hui le nom de canons. Le reste se compose de fauconneaux, de serpentins, de rabinets, bouches à feu dont la plus forte lance un boulet d’une livre et demie à peine. La grosse artillerie elle-même comprend les calibres les plus variés. On y rencontre, outre les coulevrines, des demi-coulevrines et des quarts de coulevrines, en d’autres termes, des pièces tirant des boulets de quinze, de douze, de dix, de huit et de cinq livres. Le poids de la charge de poudre est, à peu de chose près, la moitié du poids du boulet.

Aux deux extrémités du navire on continuera d’installer à poste fixe les énormes pièces empruntées au vieil armement des galères, — des pièces du calibre de 36 et de 48 livres de balles. Les projectiles ont longtemps été des globes de plomb et des globes de pierre. On trouve encore en 1533, dans les comptes de la ville d’Enkhuysen, mention faite « de 552 pieds de pierre bleue de Namur, destinés à confectionner des boulets de 5, de 6, de 7, de 8, de 9 pouces de circonférence. » A partir de 1533, l’emploi des boulets de fonte de fer devient général.

Les premières bouches à feu furent faites de fer battu. Plus tard, on essaya la fonte, — en premier lieu la fonte verte ou métal de cloche, en second lieu la fonte de fer. La culasse fut, dans le principe, mobile. Nous finissons, après de longues résistances que les Anglais ont été les derniers à vaincre, par où on a commencé. On introduisait le boulet dans l’âme, la poudre dans une boîte détachée ; cette boîte portait le nom de chambre. Des bandes et des liens de métal reliaient ensuite les deux parties l’une à l’autre. Pour accélérer le tir, on en vint bientôt à multiplier les chambres. Chaque pièce fut munie de deux, de trois, quelquefois même de douze culasses mobiles chargées à l’avance. On n’avait plus que la peine de changer la chambre après chaque coup tiré. Le savant archiviste du royaume des Pays-Bas, Jean-Carolus de Jonge, mort à La Haye le 2 juillet 1853, à l’âge de soixante ans, a retrouvé dans les comptes de la ville de Leyde, comptes remontant à l’année 1477, ce curieux paragraphe : « Un petit canon, avec 12 chambres, pour mettre dans la hune. »

Vers le milieu du XVe siècle, une modification importante se produit. L’artillerie est alors la plupart du temps fondue d’une seule pièce. Cependant les pièces à chambre, — les Kamenstukken, — continuent de trouver encore place à bord des vaisseaux des Pays-Bas. Les Espagnols les désignent sous le nom de Pieças de camera ; les Portugais les appellent Pieças de braga[2].

Si les pièces à chambre n’eussent trop souvent péché par l’ajustage[3], on ne les aurait pas sans regret remplacées par les nouvelles bouches à feu. Les pièces à chambre, particulièrement dans l’emploi des forts calibres, offraient sur les canons fondus d’un seul jet un grand avantage. La grosse artillerie avait alors une longueur de volée tout à fait exagérée. Un canon de 15 ou 16 pieds de long est infiniment plus commode à charger par la culasse que par la bouche, surtout à bord d’un vaisseau, où il est déjà si difficile de le maîtriser.

L’affût roulant ne fut pas adopté dès le premier jour. A l’exemple de ce qui se passait sur les galères, on posa au début, dans la marine à voiles, les canons sur des madriers glissant dans des coulisses. Ce n’est pas avant la première moitié du XVIe siècle, qu’on verra l’affût à roues apporter au maniement de l’artillerie navale des facilités ignorées jusqu’alors. On peut enfin jeter la pièce à droite et à gauche, pointer en un mot avec le canon, au lieu d’être obligé de pointer, comme autrefois, avec le navire. Ce chariot que le tir fait reculer et qu’on ramène, après avoir rechargé la pièce, au sabord, aura l’existence aussi longue que la marine qui, pendant trois cents ans, le promènera sur maint champ de bataille. Il ne disparaîtra qu’avec le vaisseau à voiles.

L’arc et l’arbalète ont peu à peu battu en retraite ; le canon n’est cependant pas la seule arme de jet dont il soit fait usage à bord des vaisseaux des Pays-Bas. Vous y remarquerez, dès les premières années du XVIe siècle, les mousquets et les doubles mousquets fixés dans des créneaux ou tournant sur des pivots de fer. Ce sont là les armes que les historiens néerlandais nous présentent sous les noms de bossen, handbussen, haaksen et haakbossen. On en garnit principalement les hunes. Les flèches à feu, connues sous le nom de raquettes, de rockets, de fusées, les pots à feu, les boulets creux remplis de poix, de résine, de soufre, de salpêtre, de poudre, ont pour objet de porter l’incendie à bord de l’ennemi, soit en s’accrochant aux voiles, soit en répandant leur contenu sur le pont.

L’eau et l’huile bouillante, les chausse-trapes, les piques de 14 et souvent même de 17 pieds de longueur, servaient à repousser l’abordage. Casque en tête, le cou, les cuisses, les bras protégés par des pièces d’armure, les soldats et les mariniers composant l’équipage combattaient avec le sabre, avec la hache, avec la masse d’armes, avec le bâton noueux garni de pointes de fer.

Montons à bord d’un de ces vaisseaux du XVe ou du XVIe siècle, au moment où nous le saurons prêt à quitter le port ; étudions avec soin son organisation intérieure ; nous verrons combien cette organisation diffère peu de celle que conservent encore aujourd’hui nos escadres. « Vous fault partir votre navyre en quatre, » écrivait dans un ouvrage dédié à l’empereur Charles-Quint, quand ce puissant monarque n’était encore que roi de Castille, Philippe de Clèves, seigneur de Ravenstein. — « Vous fault partir votre navyre en quatre et en chacun quartier faire ung chief des plus gens de bien que vous ayez. » Cette division de l’équipage en quatre fractions égales destinées à se succéder dans le service de jour et de nuit s’est perpétuée jusqu’à nos jours, tant elle a paru rationnelle.

Un capitaine, nommé par l’amiral, exerçait à bord du vaisseau l’autorité suprême. Il recevait par mois, en l’année 1555, 30 florins de solde (67 francs), à peu près. Pour le seconder, ce capitaine avait un lieutenant, — un stathouder, — aux appointemens mensuels de 24 florins (54 francs.) Il avait également sous ses ordres deux patrons, des timoniers, des pilotes, des Esquimaux.

Les manœuvres se commandaient généralement au sifflet. En l’année 1523, on voit l’amiral Adolphe de Bourgogne faire délivrer à son vice-amiral Dirk van der Meer une certaine somme d’argent « qui sera consacrée, écrit l’amiral, à l’achat d’un sifflet d’or. »

Restée longtemps fidèle aux types que lui avaient transmis les Normands et les Vénitiens, l’architecture navale s’empressa, dès que l’adoption de la boussole lui eut ouvert l’accès des mers lointaines, de remplacer les cocche par les hourques, les drakars par les caravelles. Ce sont des caravelles qui découvriront le Nouveau-Monde. D’où est venu ce nom de caravelles ? D’un procédé nouveau dans la manière d’assembler les bordages, si nous en croyons les savans hollandais. Karvelwerken signifie encore dans la langue des Pays-Bas : « Border un navire de telle façon que les bordages chevauchent l’un sur l’autre. » Il nous en est resté les constructions à clins.

Sur les eaux intérieures, on continua, même après le développement prépondérant pris par la marine à voiles, d’employer, sinon de véritables galères, au moins des bâtimens à rames. Pour la navigation pratiquée en haute mer, la grandeur des carènes s’accrut, en quelques années, dans une proportion notable. Aux vaisseaux de 160, de 180, de 200 tonneaux, ont succédé des navires de 300, de 400, de 500, de 600 tonneaux même. Les navires à voiles n’avaient primitivement que deux mâts ; on leur en donne trois, sans compter le mât de beaupré.


II

Je vous ai montré l’instrument des luttes futures ; il ne sera pas, si j’en juge d’après mes goûts, inutile de vous décrire sommairement le théâtre sur lequel ces luttes vont avoir lieu. Les Pays-Bas comprenaient sous Charles-Quint la Hollande, la Belgique et six des plus beaux départemens du nord de la France. La Hollande et la Belgique à elles seules occupent aujourd’hui un territoire de 63,000 kilomètres carrés de superficie. La population de ces deux États réunis fournirait un ensemble de 9 ou 10 millions d’habitans. Au temps des ducs de Bourgogne et des princes de la maison d’Autriche, le chiffre naturellement était beaucoup moindre : il ne dépassait pas 3 millions, — densité encore exceptionnelle, tout à fait exceptionnelle pour l’époque. La ville d’Anvers, en effet, renfermait environ 100,000 habitans : elle le cédait à peine sous ce rapport à la ville la plus peuplée de l’Europe, — à Paris. Les Pays-Bas passaient donc à bon droit pour une possession des plus enviables. Ils fournissaient annuellement à l’Espagne 2 millions de florins (4,500,000 francs), c’est-à-dire les deux cinquièmes du revenu de tous les États espagnols.

L’unité de ce magnifique domaine ne s’était pas faite sans combat. Elle ne fut complètement réalisée que sous Charles-Quint. En 695, Willebrod fut à Utrecht le premier évêque ; au XIIe siècle, on trouve, à côté des ducs de Brabant, des comtes de Namur et de Hainaut, successeurs des grands feudataires de Charlemagne, un évêque de Liège, un comte de Flandre, un duc de Gueldre. Le morcellement politique était la loi du jour. La domination des comtes de Hollande dura, sans altération sensible, de l’année 922 à l’année 1299. En l’année 1323, le comte de Hollande est devenu à la fois comte de Hollande et comte de Zélande. Les Frisons, — les libres Frisons, comme on les appela longtemps encore après qu’ils eurent cessé d’être libres, — maintiennent obstinément leur autonomie. La ville de Groningue constitue à elle seule une république. Elle étend son autorité sur une partie de la Frise et de la contrée désignée sous le nom d’Ommeland. De 1433 à 1467, Philippe le Bon règne sur la Bourgogne, sur la Flandre, sur Malines, sur la Franche-Comté, sur l’Artois, sur Namur, sur le Brabant, sur la Hollande et sur la Zélande. Il ne lui manque, pour pouvoir se vanter d’avoir joint à ses États héréditaires la totalité des Pays-Bas, que la Gueldre, Utrecht, l’Overyssel, Drenthe, Groningue et la Frise.

L’annexion de ces dernières provinces fut l’œuvre de la maison d’Autriche. Ces conquêtes suprêmes accomplies, l’ensemble des Pays-Bas se trouva-circonscrit par la Mer du Nord, par le cours de l’Ems, le cours du Rhin et celui de la Moselle, par la Meuse enfin au Midi et par la frontière française. Nouvelle Chaldée, sillonnée dans tous les sens de cours d’eau, la Néerlande, par sa position entre la Baltique et la Méditerranée, mettait en communication l’Allemagne et l’Italie avec les royaumes du Nord. Elle recevait les laines de l’Angleterre et les distribuait aux fabriques des Flandres dont l’industrie ne tarda pas à inonder de ses produits toute l’Europe. Le Rhin et la Meuse étaient pour les Pays-Bas « le chemin qui marche, » comme le Tigre et l’Euphrate le furent pour la Chaldée.

On donnait jadis le nom de Flandres à tout le pays compris entre le Bas-Escaut, la Mer du Nord, l’Artois, le Hainaut et le Brabant. Quant à la Hollande et à la Zélande, elles avaient été jadis unies à la Frise. Le tout composait un vaste marais entrecoupé de lacs, de petites îles et de forêts vierges. En l’année 1170, les tempêtes ouvrirent une première brèche dans le cordon littoral. Dunes et digues cédèrent peu à peu sous la pression de l’océan germanique. De l’année 1170 à l’année 1287, les brèches ne cessèrent de se multiplier et de s’élargir. Des inondations formidables joignirent le lac Flevo à la Mer d’Allemagne et engloutirent des centaines de villages frisons. Là où se dressaient autrefois les clochers, où paissaient les troupeaux, où fumaient les toits des villages, s’étendit la large nappe d’eau de la Mer du Sud, le Zuyderzée. La Hollande septentrionale fut ainsi séparée de la Frise, de la Drenthe, de l’Overyssel, de la Gueldre. Le Zuyderzée couvrit un espace de 220 kilomètres du nord-est au sud-ouest, de 75 kilomètres de l’est à l’ouest. Plus au nord, une catastrophe semblable créait, à l’embouchure de l’Ems, le golfe du Dollard, refoulant vers le sud les frontières de la province de Groningue et marquant, s’il est permis de s’exprimer ainsi, d’un trait mieux accusé la limite où finissaient les Pays-Bas, où commençait l’Allemagne.

L’histoire romaine nous a rendu familiers les noms de Belges et de Bataves. Les Belges prolongeaient l’influence de la race celtique jusqu’à la Meuse et jusqu’à l’Escaut ; l’île de Batavie, — Bet-Auw, la bonne prairie, — serrée entre les deux bras du Rhin, avait vu, au contraire, les Celtes reculer devant les migrations successives des Germains. Il n’a fallu que quelques mots à César pour consacrer ce partage historique. « On appelle Germains, écrit-il, les peuples qui habitent au-delà du Rhin. » Les fleuves, les déserts, les chaînes de montagnes ont de tout temps établi entre les nations voisines des lignes de démarcation qui n’ont pas sans raison reçu l’appellation de frontières naturelles. Ces limites logiques, le système féodal prit à tâche de les méconnaître : il bouleversa tout. Les mariages des princes intervinrent dans l’agglomération des États et vinrent plus d’une fois confondre sous le même sceptre les races les plus diverses par leur origine, les plus séparées par la constitution des lieux. C’est ainsi que le Rhin, que la Meuse, que l’Escaut, traversèrent des provinces et ne les bornèrent plus.

S’il est un pays où il soit facile au lecteur de s’égarer, c’est assurément ce pays hérissé de places fortes dans lequel la guerre se transporte incessamment du raidi au nord, de l’Orient à l’Occident, des frontières de la France aux bords du Zuyderzée, des frontières de l’Allemagne à la mer. Nous avons déjà suivi les armées d’Albe et les armées d’Orange du duché de Luxembourg au Hainaut, du Hainaut au Brabant, du Brabant dans les Flandres. Par les Flandres on touche à cet océan qu’étreignent les Pays-Bas et l’Angleterre, à cet océan sur lequel, de l’année 1(553 à l’année 1692, l’Angleterre, les Pays-Bas et la France se disputeront la suprématie maritime. Longez, en remontant toujours vers le nord, les bords de cette arène si bien préparée pour les naumachies sanglantes, franchissez la bouche occidentale de l’Escaut, poursuivez, de détroit en détroit, votre roule vers le nord-est, vous pénétrerez bientôt au sein du labyrinthe formé par les îles dont se compose la Zélande. Walcheren, l’île Beveland du Sud et l’île Beveland du Nord défilent rapidement devant vous; une branche de l’Escaut, la branche orientale, un instant vous arrête. Passez outre : au-delà, vous rencontrerez sur voire chemin les îles de Schouwen, de Tholeu, d’Overflakkee, de Voonie. Vous atteignez enfin l’embouchure de la Meuse : la rive septentrionale de la Meuse est le commencement de la Hollande. Entre Botterdam et Amsterdam, cette province, dont le nom s’est imposé au reste du pays, fait corps avec le territoire d’Utrecht; d’Amsterdam à la pointe du Helder, elle n’est plus qu’une étroite langue de terre bornée d’un côté par la Mer du Nord, de l’autre par le Zuyderzée.

Nous avons déjà dit que le Zuyderzée, par une longue série d’empiétemens, sépara jadis la Hollande de la Gueldre, de l’Overyssel, de la Drenthe, de la Frise et de Groningue. Ces cinq provinces pourraient s’appeler les provinces continentales par opposition à la Flandre, à la Zélande et à la Hollande, qui sont les provinces maritimes.

Voilà donc l’arène où, depuis trois ans, les armées de Philippe et les armées d’Orange ne cessent de se mesurer. Le théâtre de la guerre maritime n’a pas moins besoin d’être décrit. Rarement, les flottes ont rencontré terrain plus ardu et plus difficile.

La longue vallée sous-marine que contiennent entre leurs contre-escarpes de granit la Norvège et l’Écosse se présente, quand on vient du nord, sous la forme d’un bassin de cent lieues environ de largeur. La profondeur moyenne y est rarement inférieure à 300 mètres. Le fond s’élève graduellement au fur et à mesure que le bassin se resserre. De la hauteur du Texel à la hauteur de Calais, dans toute l’étendue de cette poche, qui conserve encore une largeur de quarante lieues marines à son ouverture et qui n’en aura plus que six au point où elle va crever, la sonde rapporte généralement de 30 à 40 mètres d’eau, puis tout à coup, brusquement, elle n’en accuse plus que 9, que 6, que 3 : elle a rencontré le dos d’un sillon. Les courans de marée qui maintiennent entre la côte de Flandre et la côte d’Angleterre un canal navigable, opèrent, sur le sol sablonneux qu’ils fouillent et qu’ils retournent, un travail analogue à celui de la charrue. Leur passage alternatif laisse en maint endroit des stries plus ou moins profondes ; leurs remous y donnent naissance à des dépôts perfides, à des bancs généralement étroits qui se prolongent presque toujours dans une direction parallèle au tracé du rivage, parallèle au cours régulier des marées. « Tous ces bancs, nous enseignent nos instructions nautiques, sont accores du côté de la terre et s’abaissent en pente douce du côté du large. » Pour les éviter, il suffit de ne jamais approcher des côtes par des fonds au-dessous de 36 mètres à marée basse. On se trouve alors dans le canal connu sous le nom de Canal des grands fonds. Ce canal commence à l’entrée du Pas-de-Calais et se termine un peu au nord du 53e degré de latitude.

Si l’on se rapproche, au contraire, de la terre sans tenir compte de la limite que nous venons d’indiquer, on ne cessera plus un instant de marcher d’embûche en embûche. De Calais à l’embouchure de l’Ems on verra se succéder : sur la rive flamande, le Riden de Calais, les bancs de Dunkerque partagés en deux groupes et, plus à l’est encore, la longue et fameuse série des bancs de Flandre, si souvent cités dans l’histoire des grands combats du XVIIe siècle ; sur la rive anglaise, les bancs de Goodwin et de l’embouchure de la Tamise. Des côtes basses, uniformes, à peine visibles à 10 milles de distance, un ciel souvent couvert, des brouillards intenses, tout se réunit pour rendre la navigation de ces parages la plus délicate peut-être qui soit au monde. La sonde est le seul guide sur lequel on puisse compter ; aussi faut-il l’avoir constamment à la main. Les sondeurs flamands n’ont pas leurs pareils ; ils palpent en quelque sorte le fond sous leurs doigts intelligens et agiles.

Les ports sur la côte de Flandre sont nombreux ; seulement, ils ne sont, pour la plupart, accessibles qu’aux faibles tirans d’eau ; ils ne le seraient même pas aux simples barques sans le secours des marées. Calais, Gravelines, Dunkerque, Nieuport, Ostende, ne sont pas des abris sur lesquels on ait droit de compter à toute heure de nuit et de jour. Il nous faudra pousser jusqu’à l’embouchure de l’Escaut pour rencontrer enfin un port que des vaisseaux de ligne puissent aborder franchement et sans crainte. Flessingue est la clé de l’Escaut ; Anvers, située à 50 milles dans l’intérieur des terres, en est la citadelle. À Anvers, l’Escaut a près de 500 mètres de large et, dans quelques endroits, une profondeur qui dépasse 12 mètres. La Mer du Nord, de quelque côté qu’on la tâte, ne présentera plus de refuge comparable à celui-là. On pourra sans doute arriver à Rotterdam après avoir franchi les hauts-fonds de la Meuse, atteindre Amsterdam par la passe du Texel et par le Zuyderzée. Rien des flottes de guerre et bien des flottes marchandes ne tarderont pas à prendre ce double chemin ; elles l’auront, soyez-en certains, rarement parcouru, surtout dans les rudes saisons d’automne et d’hiver, sans quelque aventure. « Les îles Texel, Vlieland et Ter-Schelling, — ainsi s’exprimeraient, si vous les interrogiez, les pilotes hollandais, — forment une pointe saillante sur laquelle les naufrages sont nombreux. On ne doit pas les approcher, quand on les contourne, par moins de 23 mètres de fond. » L’île Texel a 12 milles de long ; Vlieland, 9 ; Ter-Schelling, 13 ; Ameland, 13 également ; Schiermonnikoog, 3. La plus large de ces îles, — l’île Texel, — n’a pas 5 milles en largeur.

Le Zuyderzée est rempli de hauts-fonds. Pouvait-on mieux attendre d’une mer qui a submergé les villages par centaines ? Le grand canal du Nord-Holland, creusé de l’année 1819 à l’année 1825, un canal plus récent qui coupe l’isthme en droite ligne, ont à peu près supprimé cette navigation dangereuse. Les navires qui veulent gagner le port d’Amsterdam ne sont plus obligés aujourd’hui de pénétrer dans le Zuyderzée par la passe du Texel ou par le Vlie-Stroom, de descendre ensuite au sud, en laissant : sur la gauche les villes frisonnes, de Harlingen, de Makkum et de Workum ; sur la droite les villes hollandaises de Medemblik, d’Enkhuysen, de Hoorn, de Monnikendam, pour arriver à la barre, si souvent mentionnée dans les chroniques navales, du Pampus. Le Pampus est un banc qui ferme en quelque sorte, à marée basse, l’entrée de l’Y[4], bras de mer de 26 kilomètres de longueur, par lequel on arrive au port d’Amsterdam.

Ces détails géographiques étaient, je ne crains pas de le répéter, nécessaires. Pour l’intelligence des événemens, ils ne suffiraient pas encore. Déployez la première carte marine venue », voyez comme tous les abords de ces côtes sont maculés d’écueils qui s’enchevêtrent, de hauts-fonds au milieu desquels il semble vraiment impossible de tracer sa route, rappelez-vous la violence capricieuse des courans, les surprises foudroyantes de la brise, le ciel voilé, les terres basses presque constamment enveloppées de brume. Naviguez en pensée pendant les longues nuits noires à travers ces obstacles qui n’ont pas même, comme les roches de Bretagne, le rauque mugissement des brisans pour vous avertir de leur présence : alors peut-être, mais alors seulement, vous pourrez vous flatter d’avoir compris ce qu’on peut demander à l’audace humaine, et vous ne décernerez plus si négligemment ce titre qui embrasse tant de choses, le titre de « grand homme de mer. »


III

La marine néerlandaise, au moment où le mouvement de 1568 éclata, possédait déjà une histoire. Elle s’était plus d’une fois réunie sous un même étendard ; elle avait eu des amiraux célèbres, une tactique ; elle avait livré des batailles. En 1438, la jalousie commerciale arma contre elle les villes de Lubeck, de Hambourg, de Rostock, le roi de Danemark, les ducs de Holstein, de Poméranie et de Prusse, les Espagnols et les Vénitiens. La Néerlande fit tête à l’orage. En un instant, tous les vaisseaux jugés propres à la guerre furent équipés. Le duc régnant, Philippe de Bourgogne, n’approuva pas seulement l’armement ; pour le compléter, il prêta ses soldats. Les gens de l’Est, — les Osterlingues, — c’est ainsi que les Hollandais appelaient leurs ennemis, — furent poursuivis, battus en mainte rencontre, chassés des mers qu’ils infestaient, et, pour la première fois, le balai, le fameux balai historique, signe d’une domination dont l’Angleterre ne songeait pas encore à prendre ombrage, apparut à la pomme du grand mat à bord du vaisseau-amiral : « Le lion dort, » avait dit à ses compatriotes un des envoyés des villes hanséatiques, « le lion dort : prenez garde de l’éveiller ! »

Les Osterlingues domptés, il fallut mettre un frein aux déprédations des Anglais. Henri van Borselen, comte de Grampré, seigneur de Ter-Vere, de Flessingue, de Westcappel et autres lieux, reçut du duc Philippe et conserva sous le règne de Charles le Téméraire le titre de « capitaine-général et amiral de la mer. » On lui confiait une mission difficile. Il s’agissait d’aller refouler dans ses ports le vaillant Richard duc de Warwick, qui ne cessait de molester et de harceler la navigation néerlandaise.

Henri van Borselen appartenait à une des premières familles des Pays-Bas. Possesseur de vastes domaines, déjà célèbre par sa connaissance approfondie du métier de la mer, il équipa rapidement sa flotte, puis, monté sur son beau vaisseau peint aux couleurs de ses armes, ces mêmes armoiries s’étalant dans tout leur éclat au centre de ses voiles gonflées par la brise, ses flammes, ses guidons, ses gaillardets déployés et flottant au vent, il partit résolument du port de Middelbourg pour aller offrir le combat à son redoutable adversaire. Il ne se porta pas cependant en fou et en tête brûlée à cette aventure. Toutes ses précautions, — les précautions les plus minutieuses, — furent prises pour tenir son armée rassemblée sous sa main, pour la mettre en garde contre les surprises et contre les abordages[5], pour la faire passer sans encombre de l’ordre de marche à l’ordre de bataille.

« L’ordre et le bon gouvernement, disait ce dignissime capitaine de l’illustrissime et puissant prince Monsieur le Duc de Bourgogne, — est le commencement et la fin de tout bien en ce monde. » — Good order and discipline, dira Nelson à son tour, trois cent soixante ans plus tard. La question est bien posée par l’amiral Henri van Borselen ; maintenant il faut la résoudre. Comment assurer « l’ordre et le bon gouvernement » dans une armée navale ? Le premier point, le point essentiel au jugement du comte de Grampré, — comme au mien, — consiste à fournir aux vaisseaux qui doivent naviguer en escadre le moyen de se reconnaître pendant la nuit. On aura donc soin de leur donner « le mot du guet, » et ce mot, pour le soustraire à la connaissance de l’ennemi, on le changera toutes les semaines et dans chaque semaine tous les jours. La première semaine qui suivra la sortie du port, les vaisseaux, lorsqu’ils se rencontreront la nuit à l’improviste, se crieront mutuellement : le dimanche, Jésus-Christ ; le lundi, sainte Marie ; le mardi, saint Marc ; le mercredi, saint Jean-Baptiste ; le jeudi, saint Jacques ; le vendredi, sainte Croix ; le samedi, saint Nicolas.

Chaque soir, tous les navires viendront successivement passer à poupe de l’amiral, pour recevoir ses ordres, « sans malefaire à nulluy des aultres navyrs qui seront dessus ou dessous lèvent. » C’est, en effet, la recommandation qui doit primer toutes les autres. Manœuvrez à votre guise en vous conformant aux règles qui président, depuis que des flottes ont commencé à sillonner les mers, aux rencontres inopinées, manœuvrez, dis-je, à votre guise, sans vous poser d’inutiles problèmes de géométrie ; seulement, n’oubliez jamais que vous devez « faire tout pour la salvation des aultres navires et vessaulx. » Dans un abordage, il y a généralement deux coupables : un maladroit et un tacticien intraitable, un tactitien à cheval sur son droit et qui n’en veut rien céder.

Le « capitaine de la flotte, » — celui que nous appellerons plus tard l’amiral, — désire-t-il de nuit « augmenter de voiles, » en d’autres termes, mettre bonnette à la voile, il montrera une lanterne allumée à mi-hauteur du château de poupe et ne la fera rentrer à bord que lorsque tous les navires auront répété le signal. Veut-il, au contraire, « diminuer de voiles, » c’est-à-dire oustre la bonnette, il allumera une lanterne à la même place, l’élèvera et la baissera continuellement jusqu’à ce qu’il lui soit répondu des autres navires.

Le vent continue de fraîchir ; il devient nécessaire « d’amener complètement les voiles, » — de les striker ou mainer à basse : deux lanternes seront allumées l’une à côté de l’autre, « au milieu de la nef. » Veut-on « rétablir la voilure » : on allumera, également au centre du vaisseau, trois lanternes. Se propose-t-on de « virer de bord » : deux lanternes apparaîtront sur le château de poupe ; on élèvera l’une, on abaissera l’autre alternativement, ne cessant de les mouvoir que lorsque le signal aura été compris.

« Une voile suspecte a été aperçue » : celui qui l’aura le premier découverte allumera une lanterne dans la grand’hune, en la coupelle ou la cage sur la grande arbre.

Ce n’est pas seulement un navire, ce sont plusieurs vaisseaux ; c’est une flotte entière dont on entend signaler l’approche : « on haussera et on baissera la lanterne de la coupelle autant de fois qu’il y aura de navires en vue. » Si la proximité des voiles étrangères exige un avis encore plus affirmatif et plus prompt, « on tirera autant de bombardes qu’on aura compté de vaisseaux. » Immédiatement, sans perdre une minute, sans attendre un nouveau signal, l’armée « serrera les distances et se tiendra prête à se mettre en ordonnance. » Le vaisseau le plus à l’ouest deviendra u le régulateur ; » il servira de guida et de pivot au ralliement. Pour se faire reconnaître, il aura soin de hisser une bannière au bout de la vergue, à tribord. Cette bannière, il la remplacera par une bannière arborée à bâbord aussitôt que le rassemblement sera effectué.

La vue de la terre se signalera de la même façon.

Le doute n’est plus permis : les voiles suspectes sont bien des voiles qu’il faut se préparer à combattre. Le capitaine de la flotte en transmet l’avis « à tous les patrons. » Il arbore : de jour, une longue flamme, — un pennon, — sur le devant du château de poupe ; de nuit, quatre lanternes placées deux par deux les unes au-dessus des autres. Au premier son des trompettes, on se hâte de prendre les armes, on se met en harnaise ; à la seconde sonnerie, chacun se range, sur l’ordre du patron et des « sous-capitaines, » à son poste de combat ; à la troisième fanfare, on arbore le pennon de la bataille sur le château d’avant. Alors, « au nom du Saint-Esprit, de cœur et de bon courage, » on s’apprête à combattre, « à frapper sur l’ennemi, pour l’honneur du très redouté prince, Monsieur le Duc, de telle façon qu’on puisse vigoureusement obtenir la victoire. »

Voilà une stratégie peu compliquée. Trouvez mieux ! La tactique navale n’est pas née d’hier. On dirait, à la prendre à ses débuts, qu’elle pressentait déjà l’avènement de la marine à vapeur. Je serais tenté de la soupçonner, pour ma part, d’avoir voulu travailler bien moins pour l’heure présente que pour l’avenir. Qui eût pu croire, en 1438, que l’art de la guerre ne ferait tant de progrès, dans le long espace de trois siècles, que pour aboutir aux évolutions stériles dont nous subissons encore le joug ? Henri van Borselen ne s’y reconnaîtrait plus. « Que nul patron, dit-il, ne songe à quitter le combat et à enfreindre les ordres ! Il y va pour lui de la vie. » Le même sort attend « les contremaîtres, les conseillers, le peron, les jurati, les timoniers et les cubiers » qui manqueraient à leur devoir.

De Thémistocle au comte de Grampré, en passant par les Byzantins, la tactique, on le voit, ne s’est guère modifiée ; elle s’est seulement adaptée aux nécessités de la navigation à voiles. On assemblera commissions sur commissions, on publiera des volumes, on ne changera pas grand’chose aux principes de la guerre d’escadres. Si complet qu’on s’applique à faire le code des signaux, on n’arrivera jamais à rendre le signal assez instantané pour qu’il puisse intervenir pendant le combat : jamais il ne vaudra « le bon exemple. »

Après avoir tenu pendant quelques jours la mer, le comte de Borselen finit par rencontrer l’ennemi. Sa victoire fut complète. Les vaisseaux du comte de Warwick, — ceux du moins qui ne furent ni pris ni coulés, — rentrèrent dans leurs ports et n’en sortirent plus. Il n’avait fallu qu’un jour bien employé pour rendre au commerce néerlandais la sécurité et la confiance.

Ce commerce, — on le sait, — était considérable : il ne représentait cependant qu’à demi les profits que les Pays-Bas tiraient de la mer. La pêche était une source de richesse aussi considérable, au moins, que le transport des marchandises. Du jour où Guillaume Beukelsz, né à Biervliet en 1347, eut, vers la fin du XIVe siècle, découvert l’opération du caquage, c’est-à-dire assuré la conservation du hareng en lui enlevant les ouïes, près de 1,500 buses, plus de 20,000 hommes furent, chaque année, employés à la pêche et à la préparation du poisson. Le poisson était devenu, pour des populations astreintes aux austérités du carême, un objet de première nécessité. Avant d’être « les rouliers de la mer, » les Hollandais en ont donc été les laboureurs. Ils ont traîné leurs filets sur le fond avec une constance aussi opiniâtre qu’en peut mettre le paysan à enfoncer son soc de fer dans le sol. Quant au commerce, son grand développement remonte à la découverte du Nouveau-Monde. En 1503, les Portugais apportèrent à Anvers les premières marchandises de l’Inde ; en 1506, les Zélandais y débarquèrent le premier sucre des îles Canaries. En 1559, plus de 2,500 vaisseaux se pressaient dans ce port où, en 1444, on rencontrait à peine quelques petits navires destinés aux transports sur les eaux intérieures. Amsterdam, Dordrecht, Rotterdam, Middelbourg, les villes situées sur le Zuyderzée, Hoorn, Enkhuysen, Medemblik, voyaient également, en quelques années, leurs ports devenir trop étroits. Les grains de la Baltique y affluaient amenés par des flottes entières. Les Pays-Bas étaient, dès ce moment, le grenier de l’Europe.


IV

Avant la constitution des grandes mannes permanentes, la course était à peu près le seul moyen employé pour étendre jusqu’en mer la zone des hostilités. Que la course dégénérât souvent en piraterie, qu’elle s’adressât aux navires neutres aussi bien qu’aux navires ennemis, personne, pour peu qu’on songe aux mœurs du XVe et du XVIe siècle, à coup sûr, ne s’en étonnera. Une ordonnance de Charles-Quint, promulguée en 1549, montre assez à quelles précautions le commerce maritime se trouvait astreint par suite du peu de sûreté qu’offrait alors la navigation. L’empereur prescrivait que « nul vaisseau, si petit qu’il pût être, » n’entreprît de faire le commerce avec la France, avec l’Angleterre, avec les royaumes du Nord, sans avoir embarqué un équipage de huit hommes au moins en état de porter les armes et six pièces de canon. Si le vaisseau devait pousser ses opérations jusqu’en Espagne, huit hommes n’étaient plus considérés comme un équipage suffisant ; il en fallait seize et dix bouches à feu au lieu de six. Ces chiffres croissaient rapidement avec la grandeur du navire, et l’on voit tel vaisseau marchand quitter à cette époque le port avec un équipage de 44 hommes et un armement de 22 pièces.

On comprend quelles facilités ces prescriptions, inspirées par une légitime sollicitude, pouvaient à l’occasion offrir pour improviser à peu de frais des flottes de guerre[6]. L’approvisionnement obligatoire en munitions comprenait de vingt à vingt-cinq coups par pièce. Tout navire marchand, en principe, devait être en mesure de se défendre. Par une conséquence naturelle, tout navire marchand se convertissait facilement en pirate. Ce qui distinguait la course de la piraterie, c’était « la lettre de marque. » Les ordonnances de Charles-Quint, complètement d’accord sur ce point avec le droit maritime généralement adopté en Europe, ne pouvaient laisser aucun doute à ce sujet. « Nous ordonnons, disait l’auguste empereur, que tout capitaine, patron ou autre, quel qu’il soit, qui sera trouvé naviguant en armes sur la mer, sans commission, ou avec une commission fausse, ou avec deux commissions émanant de deux différens pays, dont l’un sera notre ennemi, l’autre notre ami, s’il a causé quelque dommage à nos sujets, soit considéré comme pirate. »

La double commission a toujours été le grand moyen de fraude mis en œuvre par la navigation illicite. Elle rend très délicat l’exercice du droit de visite international. Nous l’avons vu, de 1816 à 1830, sur la côte d’Afrique, où, en vertu d’un acte du congrès de Vienne, les croiseurs européens poursuivaient à outrance les négriers. La France s’était réservé le droit de faire elle-même la police de ses vaisseaux ; elle n’admettait pas que les Anglais pussent les arrêter. Qu’arrivait-il ? Les négriers français se procuraient à l’île de Saint-Thomas, outre les expéditions françaises prises au port de départ, des expéditions danoises. A la vue d’un croiseur soupçonné d’être anglais, c’était le pavillon français que le négrier arborait, les expéditions françaises qu’au moment de la visite il présentait. Les Anglais n’en saisissaient pas moins le bâtiment. Par ruse ou par violence, ils finissaient toujours, au bout de quelque temps, par faire sortir la commission propre à légitimer la capture de la cachette où le capitaine la tenait soigneusement enfermée. Bien des conflits ont failli naître de cette ardeur apportée par les Anglais à courir par toute voie, légale ou illégale, à la part de prise. N’a-t-on pas vu, en 1829, le capitaine Villaret-Joyeuse faire enlever par ses embarcations, en plein jour, sous les forts de Sierra-Leone, un négrier français ainsi séquestré ? La fraude prévue par Charles-Quint n’avait donc pas été pressentie par le congrès de Vienne ? Elle ne le fut pas peut-être à dessein. La restauration ne pouvait se consoler de la perte de notre beau domaine colonial ; l’abolition de la traite et de l’esclavage ne possédait qu’à demi ses sympathies.

La guerre de 1552, entre l’Espagne et la France, mit sur pied tous les corsaires de Dieppe et de La Rochelle. On sait ce que le célèbre armateur Jean Ango avait fait du port de Dieppe. Il en avait fait un arsenal de course, un arsenal d’où sortaient des flottes à faire trembler les rois. Dès l’ouverture des hostilités, les corsaires dieppois apparurent dans la Manche et dans la Mer du Nord. Ils n’y trouvèrent pas des vaisseaux sans défense. Les Néerlandais, aussi prudens que braves, ne naviguaient plus qu’en convois. En 1554, vingt-deux navires marchands des Pays-Bas revenaient d’Espagne : ils furent attaqués, à la hauteur de Calais, par un nombre à peu près égal de vaisseaux français sortis de Dieppe. Le combat fut violent. Il dura, presque sans interruption, de neuf heures du matin à trois heures de l’après-midi. Les Néerlandais voulaient à tout prix éviter l’abordage ; les Français ne mettaient, au contraire, qu’une médiocre confiance dans leur artillerie. Quinze de leurs vaisseaux finirent par jeter les grappins sur autant de vaisseaux ennemis. Là il fallut combattre à l’arme blanche. Le courage, l’opiniâtreté, ne manquaient pas aux Flamands ; mais leurs équipages étaient inférieurs en nombre aux équipages français. Ils furent accablés. Six vaisseaux, montés par quatre cents hommes, se virent obligés de baisser pavillon. Les autres résistaient encore. Tout à coup l’incendie éclate. Six couples de vaisseaux, accrochés l’un à l’autre, sont à l’instant la proie des flammes. Les combattans se jettent pêle-mêle à la mer. L’incendie a mis fin au combat. Les débris de la flotte vaincue s’éloignent ; le vainqueur recueille, confondus, amis et ennemis qui surnagent. La victoire lui a coûté cher : il a perdu six de ses vaisseaux, il ne ramène que six vaisseaux capturés à Dieppe.

Pitoyable artillerie, tir plus défectueux encore, navires peu manœuvrans et faiblement armés, tout cela n’empêchait pas les combats d’être alors plus sanglans et plus décisifs qu’aujourd’hui. On se rappelle cet amiral français que les matelots du premier empire avaient surnommé va-de-bon-cœur. J’ai cité son nom en plus d’un endroit. Il s’appelait Cosmao Dumanoir. Cet amiral était comme Nelson, comme Cochrane, de l’école des corsaires dieppois, de celle aussi de leurs adversaires, de l’école de ces marins flamands d’où venaient, en 1568, de sortir les gueux de mer. Au XVIe siècle, les marins y allaient de franc jeu ; ils ne songeaient pas surtout à ménager leur matériel. Le matériel, à cette époque, c’était si peu de chose ! Quand on verra plus tard entrer en scène le Royal-Sovereign, la Couronne, les Sept-Provinces, on continuera pendant quelque temps encore, par un reste d’habitude, de combattre à outrance. Puis, peu à peu, on y mettra plus de science, plus de tactique, plus de façon ; on finira par aboutir aux combats du règne de Louis XVI, combats glorieux sans doute, mais jamais décisifs. Ce qui marquera d’un cachet à part les longs engagemens au milieu desquels notre marine naissante viendra s’interposer, c’est, je l’ai déjà dit, le théâtre tout semé d’écueils de la lutte. La science nautique saura prendre avantage de ces difficultés. Ce ne sont pas seulement les triomphes de la force brutale qui se préparent ; la connaissance intime du métier, la sûreté du coup d’œil que donne l’habitude de naviguer dans des mers difficiles, assureront, en mainte occasion, la victoire à la flotte en apparence la plus faible. Que les soldats aillent cueillir des palmes à Lépante ! Les mers du Nord réservent leurs lauriers aux Tromp et aux Ruyter.


V

Les gueux de mer, nous sommes bien contraint de le rappeler, Jurent à l’origine des pirates. On trouvait parmi eux presque autant d’Écossais et de Danois que de Néerlandais. En guerre avec la société, ils affichaient pourtant une certaine sympathie pour la cause de la Réforme. Le comte Edzard, possesseur héréditaire de la Frise orientale, ce comte allemand dont les domaines confinaient à la rive droite de l’Ems, leur sut gré d’arborer un drapeau hostile au souverain qui laissait rarement échapper l’occasion de contester ses droits. Il consentit à fermer les yeux sur les fréquentes visites que rendaient au port d’Emden ces croiseurs irréguliers. A Emden, les pirates trouvaient aisément à se ravitailler ; souvent même ils allaient y abattre leurs vaisseaux en carène pour les radouber. La turbulence naturelle à des bandes rassemblées de tous les coins de la Mer du Nord compromit malheureusement plus d’une fois la bonne entente entre le comte Edzard et les corsaires auxquels il donnait asile.

Le vent de la révolte cependant soufflait de jour en jour avec plus de violence dans les Pays-Bas. Les Frisons furent les premiers à vouloir s’opposer ouvertement par les armes aux persécutions du duc d’Albe. Avant même que le comte Justin de Nassau, précurseur du comte Louis[7], tentât une imprudente irruption dans la province de Groningue, un grand nombre de mécontens était venu grossir les rangs de ces marins sans aveu que les habitans de la Frise, à quelque parti qu’ils appartinssent, redoutaient à l’égal des soldats espagnols. Albe n’avait encore frappé aucun coup ; il n’avait même pas encore posé le pied sur le sol néerlandais que déjà la terreur de son nom multipliait les bannis volontaires. On se répétait avec effroi que, vingt-huit ans plus tôt, le 24 février 1540, Albe recommandait à l’empereur Charles-Quint, comme le plus sûr moyen de prévenir toute révolte nouvelle, « de raser la ville de Gand. »

L’excitation des esprits ne se traduisait pas seulement par la fuite ; elle se traduisait aussi par des défections. Pour les pouvoirs publics, de tous les symptômes celui-là est incontestablement le plus grave. Albe eût dû réfléchir le jour où un vaillant marin de Dokkum, Jan Abels, appelé par le conseil de la Frise au commandement de quelques vaisseaux destinés à tenir en bride les pirates, accepta le commandement, mais alla livrer les vaisseaux à ceux-là mêmes qu’on l’envoyait combattre.

Les nations sont comme les individus. Quand elles n’ont pas de grands chagrins, elles s’en créent de petits. La nation néerlandaise, au XVIe siècle, a connu les grands chagrins. Comparez son sort au nôtre dans les heures qui nous ont arraché le plus de gémissemens et jugez si jamais peuple, depuis que l’histoire existe, paya de tant de sacrifices sa liberté. Nous n’avons connu qu’une « année terrible ; » le peuple des Pays-Bas en a traversé quatre-vingts.


Prælia magnatum cernes et sanguinis undas
Et terras populis vacuas, contusaque regna ;
Fana domusque cadent et erunt sine civibus urbes,
Inque locis multis tellus inarata jacebit :
Strages nobilium fiet procerumque ruina ;
Fraus erit inter eos, confusio magna sequetur.

Tu verras les combats des grands et les flots de sang,
Les campagnes dépeuplées et le choc des empires,
Temples et maisons tomberont ; les villes seront sans habitans,
En maint endroit la terre restera en friche ;
Les nobles seront massacrés et les premiers du pays ruinés,
La fraude régnera parmi eux et une grande confusion s’ensuivra.


Telle est la prophétie lugubre qu’un gueux frison ne craignit pas d’aller, au péril de sa tête, clouer sur les ruines fumantes du château qui avait longtemps servi de repaire aux rebelles. Nous ne nous attendions pas à trouver chez les gueux de si bons écoliers : ce gueux faisait partie des recrues nouvelles. Hartman Gauma, — tel était son nom, — restait poète en dépit des horreurs de la guerre. Il continuait de lire et de méditer son Horace à la lueur des bûchers. Gauma n’était ni un brigand sans foi, ni un pirate sans merci. « Le service de Dieu et la délivrance de la patrie » lui avaient mis les armes à la main ; il eût été digne de figurer dans ces grands débats parlementaires où nous avons entendu les hommes d’État anglais se jeter mutuellement les vers de Virgile à la tête. N’était-ce pas un trait à noter, et ne pressent-on pas déjà que la marine des gueux, sans perdre complètement ses habitudes sauvages et sanguinaires, va insensiblement s’épurer ? Parce que le peuple néerlandais est fort, il ne faut pas croire qu’il soit insensible aux charmes de la poésie. C’est, au contraire, le peuple le plus porté au culte de l’idéal, le plus prompt à s’enivrer d’ambroisie, que cette ambroisie ait une saveur latine ou flamande. Voilà des alliés que j’aimerais pour mon pays ; on saurait au moins avec eux sur quoi compter.

A la nouvelle de la défection de Jan Abels, et des ravages qui désolaient la Frise, Albe crut pouvoir se borner à donner l’ordre à la garnison de Medemblik de se tenir sur ses gardes. Quelques pièces de petit calibre furent aussi expédiées à la Brille, et un certain nombre de navires marchands, armés précipitamment en guerre, se hâta d’embarquer ses équipages pour protéger, s’il était possible, en même temps que les côtes de Frise, la pêche du hareng contre les pirates.

Ces précautions furent prises au mois d’août 1567. Au mois de mai 1568, Louis de Nassau envahissait les Ommelands, c’est-à-dire les pays qui avoisinent et entourent la ville de Groningue. L’amiral flamand au service de l’Espagne, François van Boshuizen, accourut, s’établit devant Delfzijl, dans l’Ems occidental, à l’entrée du Dollard, et s’occupa de couper les vivres à Louis de Nassau. La détresse ne tarda pas à se faire sentir dans l’armée rebelle. Louis de Nassau n’hésita plus ; il fit appel aux pirates et, le 1er juillet 1568, délivra, au nom de son frère le prince d’Orange, des lettres de marque à Henri Thomas et à Didier Sonoy, acceptés comme chefs par les gueux. Le prince leur abandonnait d’avance tout le butin qu’ils pourraient faire, sans vouloir s’en réserver aucune part ; il ne leur demandait que l’artillerie. Les flibustiers se trouvaient du coup élevés au rôle de belligérans.

C’est une phase nouvelle qui vient de s’ouvrir. L’histoire de la marine néerlandaise commence. Quelle marine pourrait se glorifier de plus magnifiques annales ? Celle-ci n’a pas seulement honoré la patrie : elle l’a fondée.


JURIEN DE LA GRAVIERE.

  1. Voyez la Revue du 15 septembre et du 1er novembre.
  2. Geschiedenis van het Nederlandsche Zeewezen door M. J. C de Jonge, archivarius van het Hijk. — La Haye et Amsterdam, chez les frères Van Cleef, 1833.
  3. C’est l’ajustage, le crachement des pièces, qui a suspendu si longtemps dans notre marine l’adoption d’une réforme à laquelle en l’année 1870, lorsque j’avais l’honneur de commander l’escadre de la Méditerranée, d’excellens esprits ne se résignaient pas encore.
  4. Prononcez l’Aï.
  5. J’ai défini, il y a déjà plus de vingt ans, et je définirai encore la tactique navale sous ce titre peu ambitieux : « L’art de naviguer en escadre sans se séparer et sans s’aborder. » Les idées simples ont toujours quelque peine à prévaloir. Quand l’heure critique arrive, c’est infailliblement à elles qu’on a recours. Le pédantisme technique ne résiste pas à quelques jours de campagne.
  6. Nous revenons dans une certaine mesure à ce système par l’armement prévu d’un certain nombre de paquebots. Cet armement serait une des grandes ressources de l’Angleterre, qui aurait, en temps de guerre, tant de flottes marchandes à convoyer.
  7. Voyez la Revue du 1er novembre, p. 100.