Les Heures claires, 1896/1

La bibliothèque libre.
chez l’Éditeur Edm. Deman (p. 7-8).


Ô la splendeur de notre joie,

Tissée en or dans l’air de soie !

Voici la maison douce et son pignon léger,
Et le jardin et le verger.

Voici le banc, sous les pommiers
D’où s’effeuille le printemps blanc,
À pétales frôlants et lents.
Voici des vols de lumineux ramiers
Plânant, ainsi que des présages,

Dans le ciel clair du paysage.


Voici — pareils à des baisers tombés sur terre

De la bouche du frêle azur —
Deux bleus étangs simples et purs,
Bordés naïvement de fleurs involontaires.

Ô la splendeur de notre joie et de nous-mêmes,
En ce jardin où nous vivons de nos emblèmes !

Là-bas, de lentes formes passent,
Sont-ce nos deux âmes qui se délassent,
Au long des bois et des terrasses ?

Sont-ce tes seins, sont-ce tes yeux
Ces deux fleurs d’or harmonieux ?
Et ces herbes — on dirait des plumages
Mouillés dans la source qu’ils plissent —
Sont-ce tes cheveux frais et lisses ?

Certes, aucun abri ne vaut le clair verger,
Ni la maison au toit léger,
Ni ce jardin, où le ciel trame

Ce climat cher à nos deux âmes.