Les Heureux Succès de la Régence

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ODE VII

A LA REINE, MERE DU ROY
sur les heureux succez de sa regence

1610


Nymphe qui jamais ne sommeilles
Et dont les messages divers
En un moment sont aux oreilles
Des peuples de tout l’univers,
Vole viste ; et de la contrée
Par où le jour fait son entrée,
Jusqu’au rivage de Calis,
Conte sur la terre et sur l’onde
Que l’honneur unique du monde,
C’est la Reine des fleurs de lys.

Quand son Henry, de qui la gloire
Fut une merveille à nos yeux,
Loin des hommes s’en alla boire
Le nectar avecques les dieux,

En cette aventure effroyable,
À qui ne sembloit-il croyable
Qu’on alloit voir une saison
Où nos brutales perfidies
Feroient naistre des maladies
Qui n’auroient jamais guerison ?

Qui ne pensoit que les Furies
Viendroient des abysmes d’enfer
En de nouvelles barbaries
Employer la flamme et le fer ?
Qu’un débordement de licence
Feroit souffrir à l’innocence
Toute sorte de cruautez,
Et que nos malheurs seroient pires
Que n’agueres sous les Busires
Que cet Hercule avait domtez ?

Toutesfois, depuis l’infortune
De cet abominable jour,
À peine la quatriéme lune
Acheve de faire son tour,
Et la France a les destinées
Pour elle tellement tournées
Contre les vents seditieux,
Qu’au lieu de craindre la tempeste
Il semble que jamais sa teste
Ne fut plus voisine des cieux.


Au delà des bords de la Meuse,
L’Alemagne a vu nos guerriers,
Par une conqueste fameuse,
Se couvrir le front de lauriers.
Tout a fléchi sous leur menace ;
L’aigle mesme leur a fait place,
Et, les regardant approcher
Comme lyons à qui tout cede,
N’a point eu de meilleur remede
Que de fuïr et se cacher.

Ô reine qui, pleine de charmes
Pour toute sorte d’accidents,
As borné le flus de nos larmes
En ces miracles evidents,
Que peut la fortune publique
Te voüer d’assez magnifique,
Si, mise au rang des immortels
Dont ta vertu suit les exemples,
Tu n’as avec eux, dans nos temples,
Des images et des autels ?

Que sauroit enseigner aux princes
Le grand demon qui les instruit,
Dont ta sagesse en nos provinces
Chaque jour n’épande le fruit ?
Et qui justement ne peut dire,
À te voir regir cet empire,

Que, si ton heur estoit pareil
À tes admirables merites,
Tu ferois dedans ses limites
Lever et coucher le soleil ?

Le soin qui reste à nos pensées,
Ô bel astre, c’est que tousjours
Nos felicitez commencées
Puissent continuer leur cours.
Tout nous rit, et nostre navire
A la bonace qu’il desire :
Mais, si quelque injure du sort
Provoquoit l’ire de Neptune,
Quel excez d’heureuse fortune
Nous garantiroit de la mort ?

Assez de funestes batailles
Et de carnages inhumains
Ont fait en nos propres entrailles
Rougir nos déloyales mains ;
Donne ordre que sous ton genie
Se termine cette manie,
Et que, las de perpetuer
Une si longue mal-vueillance,
Nous employions nostre vaillance
Ailleurs qu’à nous entre-tuer.

La Discorde aux crins de couleuvres,
Peste fatale aux potentats,

Ne finit ses tragiques œuvres
Qu’en la fin mesme des Estats.
D’elle naquit la frenesie
De la Grece contre l’Asie,
Et d’elle prindrent le flambeau
Dont ils desolerent leur terre
Les deux freres de qui la guerre
Ne cessa point dans le tombeau.

C’est en la paix que toutes choses
Succedent selon nos désirs ;
Comme au printemps naissent les roses,
En la paix naissent les plaisirs ;
Elle met les pompes aux villes,
Donne aux champs les moissons fertilles,
Et, de la majesté des lois
Appuyant les pouvoirs suprémes,
Fait demeurer les diadémes
Fermes sur la teste des rois.

Ce sera dessous cette ægide
Qu’invincible de tous costez
Tu verras ces peuples sans bride
Obeïr à tes volontez ;
Et, surmontant leur esperance,
Remettras en telle asseurance
Leur salut, qui fut déploré,
Que vivre au siecle de Marie

Sans mensonge et sans flatterie,
Sera vivre au siecle doré.

Les Muses, les neuf belles fées
Dont les bois suivent les chansons,
Rempliront de nouveaux Orphées
La troupe de leurs nourrissons ;
Tous leurs vœux seront de te plaire ;
Et, si ta faveur tutelaire
Fait signe de les avoüer,
Jamais ne partit de leurs veilles
Rien qui se compare aux merveilles
Qu’elles feront pour te loüer.

En cette hautaine entreprise,
Commune à tous les beaux esprits,
Plus ardent qu’un athlete à Pise,
Je me feray quitter le pris ;
Et quand j’auray peint ton image,
Quiconque verra mon ouvrage
Avouera que Fontaine-bleau,
Le Louvre, ny les Tuileries,
En leurs superbes galeries
N’ont point un si riche tableau.

Apollon à portes ouvertes
Laisse indifféremment cueillir
Les belles feuilles toujours vertes

Qui gardent les noms de vieillir ;
Mais l’art d’en faire des couronnes
N’est pas sceu de toutes personnes ;
Et trois ou quatre seulement,
Au nombre desquels on me range,
Peuvent donner une loüange
Qui demeure éternellement.