Les Hirondelles (Esquiros)/Dies iræ, dies illa.

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Eugène Renduel (p. 125-129).



DIES IRÆ, DIES ILLA.



Nox est perpétua una dormienda.
Catulle.



Dies irae, dies illa.


Je n’ose plus aimer : tous ceux que dans la vie,
Comme un souffle brûlant, mon amour a touchés,
Ont senti se flétrir leur jeunesse ravie,
Et pareils à la fleur qu’un soleil a ternie,
Sur leur tombeau se sont penchés.


J’ai tenu trois enfans sur les fonts du baptême ;
Entre les doigts sacrés l’onde pure et le sel,
Sur ces fronts adorés dont le lis est l’emblême,
Firent couler la grâce et la vertu suprême :
Hé bien, tous les trois sont au ciel !

Mon cœur, tout palpitant d’un amoureux délire,
Sous un regard de femme une fois a frémi ;
Puis la mort est venue, étendant son empire,
Arrêter un baiser, et glacer un sourire
Sur sa bouche ouverte à demi.

J’aimais un jeune enfant : mon ame était la sienne,
Et ses yeux bleus riaient dessous ses blonds cheveux.
Mais tandis que sa main, sans que rien la retienne,
S’étendait doucement, pour s’unir à la mienne,
La mort se mit entre nous deux.

Un ange, un front modeste, une sœur empressée,
Du plaisir fugitif cueillait avec orgueil,
Au matin de ses jours, la fleur si-tôt passée,
Quand la mort, la prenant avec sa main glacée,
La fit tomber dans le cercueil.

Une aïeule berça mon enfance première,
Mais à peine mon cœur commençait à l’aimer,
Que son front a pâli sous le lin mortuaire,
Et que sur le bois neuf de sa funèbre bière
J’ai vu la terre se fermer.

Ma cousine était belle en sa couche branlante ;
Ses yeux levés au ciel n’avaient vu qu’un hiver,
Lorsque sous un baiser d’une lèvre brûlante
J’ai vu sécher soudain, sur sa tige tremblante,
Ce bouton à peine entrouvert.

Et je suis resté seul ; mais leur ombre chérie
Dans le calme du soir m’apparaît sans remords ;
Je vais souvent prier sur une herbe fleurie :
L’enclos du cimetière est déjà ma patrie,
Et ma fête est celle des Morts.


Novembre 1831.