Les Historiettes/Tome 1/18

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 110-113).


MADEMOISELLE DU TILLET.


Mademoiselle Charlotte du Tillet ne fut jamais mariée ; mais on dit qu’elle n’en étoit pas plus pucelle pour cela. Sa sœur avoit épousé le président Séguier[1], qui étoit tout le conseil de M. d’Épernon. Par ce moyen elle fit connoissance avec ce seigneur, et fut sa meilleure amie. Il en faisoit cas, car elle avoit fort bon sens, étoit fort adroite et fort née pour la cour. Elle étoit de toutes les intrigues, soit d’amour, soit d’autre chose. Six mois après la mort d’Henri IV, une certaine demoiselle Coetman[2], une petite bossue, qui se fourroit partout et qui se faisoit toujours de fête, l’accusa d’avoir été d’intelligence avec M. d’Épernon pour faire assassiner Henri IV. Ravaillac, qui étoit d’Angoulême, dont M. d’Épernon étoit gouverneur, fut six mois chez elle comme chez la bonne amie du duc, mais quelques années avant que de faire le coup. La Coetman ne disoit point que la Reine-mère fût du complot ; mais on ajoutoit dans le monde que M. d’Épernon l’avoit fait faire pour lui faire plaisir. Faute de preuves, et pour assoupir une affaire qui n’étoit pas bonne à ébruiter[3], la Coetman fut condamnée à mourir entre quatre murailles ; elle fut mise aux Filles repenties, où on lui fit faire une petite logette grillée dans la cour, et elle y est morte quelques années après.

Une extravagante madame de Poyanne battit une fois la pauvre mademoiselle du Tillet, sur le quai des Augustins, comme elle retournoit seule de la messe. Elles avoient eu querelle pour une suivante. Sigogne[4] en a fait une espèce de satire qu’on appelle le Combat d’Ursine et de Perrette. On appeloit cette madame de Poyanne, madame de Poyanne de la Loupe. Elle avoit une grosse loupe au front. C’étoit une espèce de gendarme. Depuis elle se fit épouser, je ne sais comment, par le père de feu M. de Bouillon La Mark, et, qui pis est, quoiqu’elle fût pauvre, elle fit si bien que sa fille épousa le fils ; madame de La Boulaie est venue de ce mariage-là.

Mademoiselle du Tillet étoit une diseuse de vérités ; elle ne ressembloit pas mal en cela à madame Pilou[5], aussi bien qu’en laideur. Elle disoit du feu roi et de la Reine-mère, que c’étoit une vache qui avoit fait un veau. « La sotte couvée qu’elle nous a faite là, ajoutoit-elle, que le Roi et Monsieur ! »

Quand le cardinal de Richelieu fit courir les lettres d’amour de madame du Fargis à M. le comte de Cramail : « Que dites-vous de cela, mademoiselle ? dit-il à mademoiselle du Tillet. — Monsieur, répondit-elle, je suis vieille, je me souviens de loin ; je vous dirai que, durant le siége de Paris[6], tous les passages étoient bouchés, tout commerce étoit interdit, mais les lettres d’amour alloient et venoient toujours. »

Elle dit une plaisante chose à feu madame de Sourdis, fille du comte de Cramail : « Madame ma mie, lui dit-elle, que ne faites-vous l’amour avec M. l’évêque de Maillezais, votre beau-frère ? — Jésus ! mademoiselle, que me dites-vous ? lui répondit madame de Sourdis. — Ce que je vous dis ? reprit-elle ; il n’est pas bon de laisser sortir l’argent de la famille ; votre belle-mère en usoit ainsi avec son beau-frère, qui étoit tout de même évêque de Maillezais. » Le comte de Cramail disoit du marquis de Sourdis : « Il peut bien faire sa fortune, car sa femme ne la lui fera jamais. » Elle n’étoit pas belle.

Madame de La Noue, sœur de la maréchale de Thémines, et une de ses parentes, eurent quelques paroles en présence de mademoiselle Du Tillet. « Je pense, disoit cette parente, que nous ne nous devons rien l’une à l’autre. — Madame ma mie[7], lui dit mademoiselle Du Tillet, en vérité ce n’est pas autrement bille pareille. Madame de La Noue est belle et jeune, et vous n’êtes ni l’une ni l’autre. »

  1. Pierre Séguier, deuxième du nom, seigneur de Soret, président à mortier au parlement de Paris, avoit épousé Marie du Tillet, fille de Jean du Tillet, seigneur de La Bussière, greffier en chef du Parlement.
  2. Jacqueline Le Voyer, dite de Comant ou de Coetman, femme d’Isaac de Varenne.
  3. Le passage imprimé en lettres italiques est biffé dans le manuscrit de Tallemant ; mais avec quelque soin on parvient encore à le lire sous les ratures, et nous avons cru devoir le rétablir.
  4. Sigogne est un poète satirique dont les œuvres n’ont pas été recueillies, et dont aucune biographie n’a parlé. Le Combat d’Ursine et de Perrette, parodie de la dispute de madame de Poyanne et de mademoiselle du Tillet, se trouve dans la deuxième partie du Cabinet satirique. Cette pièce y est suivie d’une Réponse, par Motin. Ce Recueil, licencieux et rare, contient un grand nombre de satires en vers par Sigogne, Motin, Desportes, Maynard, Régnier et d’autres poètes du temps d’Henri IV et de Louis XIII. Colletet avoit l’intention de consacrer un article à Sigogne dans ses Vies des poètes françois (manuscrit dépendant de la Bibliothèque particulière du roi) ; mais cette notice devoit trouver place dans la partie non terminée de cet ouvrage, et le nom de Sigogne n’y figure qu’à la table.
  5. Cette madame Pilou, bonne, spirituelle, alloit à la cour, quoique femme d’un procureur. On verra plus bas dans ces Mémoires des détails fort curieux sur cette femme singulière.
  6. En 1591.
  7. Elle disoit madame ma mie à la Reine même. (T.)