Les Historiettes/Tome 1/49

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 300-302).


LE CAMUS[1],
MAÎTRE DES REQUÊTES.


Le Camus, le riche, étant petit garçon, alla voir un lion que l’on montroit dans un jeu de paume sur un théâtre. Il n’étoit pas bien à sa fantaisie. Il voulut passer par un bout du théâtre, et montoit avec une échelle, quand le lion, qui étoit à l’autre bout (et le théâtre avoit toute la largeur du jeu de paume), en un saut fut à cet enfant, et avec sa queue l’amène de l’échelle sur le théâtre, le manteau entortillé autour de la tête. Il le tenoit déjà sous lui, quand d’en bas un page, peut-être plutôt pour faire niche au lion que pour secourir l’enfant, lui donna un coup de gaule. Le lion saute vers le page, et on tira le petit garçon en bas en danger de lui rompre le col ; il en fut quitte pour une saignée.

M. d’Aubigny, de la maison des Stuarts, cadet du duc de Lenox[2], logeant au faubourg Saint-Germain dans une maison des Jacobins réformés, qui avoit une entrée dans leur jardin, l’été, un soir, sans savoir que deux dogues d’Angleterre, qui gardent leur enclos, eussent été lâchés une demi-heure plus tôt que de coutume, il entre sous un berceau qui n’étoit pas loin de son logement. Les chiens le sentent et lui coupent chemin. Il ne perdit point pourtant le jugement, et, sachant que cette sorte de chiens principalement ne se jettent point sur ceux qui ne témoignent point de peur, il ne fuit point, et avertit un homme qui étoit avec lui, puis il se met à les caresser en anglais. Il y en eut un qui s’apprivoisa aussitôt ; l’autre gronda toujours, cependant il eut le loisir de gagner la porte. Ces mêmes chiens attrapèrent la jambe d’un voleur de fruits qui se sauvoit par-dessus le mur, le tirèrent à bas et l’étranglèrent. Les moines jetèrent le corps par-dessus le mur dans la rue : il n’en fut autre chose (1650).

Un homme de Marseille reçut en bonne compagnie une cassette. Il crut que c’étoit des essences, et ne la voulut point ouvrir devant je ne sais combien de femmes qui étoient chez lui, de peur d’être obligé d’en trop donner. Il se retire sur un balcon qui donnoit sur un jardin. En ouvrant, le feu prend à une fusée qui eut assez de force pour faire tomber la cassette dans le jardin, où tout l’artifice et tous les pistolets qui étoient dedans jouèrent sans faire mal à personne. Voyez quel fracas cela auroit fait, s’il eût ouvert devant ces dames.

On dit qu’un chanoine de Notre-Dame de Paris étant à l’extrémité, ses gens s’emparoient de tout ce qu’ils pouvoient attraper. Un singe qu’il avoit se saisit à l’instant du bonnet carré du chanoine et se le mit sur la tête. Le malade, qui voyoit cela, se mit tellement à rire, qu’il se creva un abcès qu’il avoit dans la gorge, et il en guérit.

L’abbé de Beauveau, évêque de Nantes, poursuivit un jour, en caleçon, ses tenailles à la main, un cordelier contre lequel il s’étoit mis en colère, jusque dans le marché de Nantes, qui est proche de l’évêché.

Une fois qu’il partoit, tous les ouvriers à qui il devoit vouloient avoir de l’argent. Son cordonnier lui alla présenter ses comptes. « Je n’ai point d’argent, lui dit-il. — Mais, monseigneur, de quoi nourrirai-je mes enfants ? — Je n’ai point d’argent, » répéta-t-il. Le cordonnier rognonnoit. L’évêque prend la pelle du feu et lui en donne sur le dos plus de quatre coups. Au sortir de là, le cordonnier trouve le menuisier, à qui il dit qu’il venoit d’être payé. « Je m’y en vais donc, dit l’autre. — Oui, oui, reprit-il, il y fait bon. » Le menuisier va. « Je n’ai point d’argent. — Mais monseigneur, vous avez bien payé le cordonnier. — Veux-tu que je te paie en même monnoie ? — Je ne demande pas mieux ? » Il le battit tout comme l’autre. Il ne craint que le maréchal de La Meilleraie.

  1. C’est celui qu’on appelle Patte-Blanche. Il se pique d’avoir de belles mains.
  2. Il a le bien de France, et s’est fait d’église. Il est à cette heure chanoine de Notre-Dame, et bon ami des jansénistes. (T.)