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Les Historiettes/Tome 1/63

La bibliothèque libre.
Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 338-339).


COCUS PRUDENTS OU INSENSIBLES.


Un président de Paris, dont on n’a jamais voulu me dire le nom, ni la cour dont il étoit président, ni même s’il vivoit ou s’il étoit mort, tant on avoit peur que je ne découvrisse qui c’est, un président donc fut averti par son clerc que sa femme couchoit avec un cavalier. « Prenez bien garde, dit-il à ce clerc, à ce que vous dites. — Monsieur, répondit l’autre, si vous voulez venir du Palais quand je vous irai quérir, je vous les ferai surprendre ensemble. » En effet, le clerc n’y manqua pas, et le mari, entré seul dans la chambre, les surprend. Il enferme le galant dans un cabinet dont il prend la clef, et retourne à son clerc. « Un tel, lui dit-il, je n’ai trouvé personne ; voyez vous-même. » Le clerc regarde et ne trouve point son cavalier. « Vous êtes un méchant homme, lui dit le président ; tenez, voilà ce que je vous dois, allez-vous-en, que je ne vous voie jamais. » Il le met dehors ; après il revient auprès du cavalier : « Monsieur, c’est ma femme qui a tort ; pour vous, vous cherchez votre fortune, allez-vous-en ; mais si je vous rattrape, je vous ferai sauter les fenêtres. » Pour sa femme, quand elle fut seule, il lui dit qu’il ne savoit pas de quoi elle pouvoit se plaindre ; qu’à son avis, elle avoit toutes les choses nécessaires. Elle pleura, elle se jeta à ses pieds, lui demanda pardon, et lui promit, à l’avenir, d’être la meilleure enfant du monde. Il le lui pardonna, et depuis elle lui a rendu tous les devoirs imaginables.

Un conseiller d’État de l’infante Claire-Eugénie avoit une belle femme, et quoiqu’ils n’eussent guère de bien, leur maison alloit pourtant comme il falloit, et ils faisoient fort bonne chère, car la galante en gagnoit. Cela dura assez long-temps sans que le mari s’informât d’où venoit cette abondance. La femme, étonnée d’une si grande stupidité, peu à peu, pour voir s’il s’apercevoit de quelque chose, diminua l’ordinaire. Il ne disoit rien, il faisoit semblant de ne le pas voir. Enfin, elle retrancha tant, qu’elle le réduisit à un couple d’œufs. Alors la patience lui échappa ; il prit les deux œufs et les jeta contre la muraille, en disant : « Est-ce là le dîner d’un cocu ? » Elle, voyant qu’il entendoit raillerie, remit dès le lendemain les choses en leur premier état. J’ai ouï faire ce conte d’un François, et je pense qu’il est de tout pays ; mais il n’en est pas moins bon pour cela.

M. Guy, célèbre traiteur à Paris, ne trouvant ni sa femme, ni un des principaux garçons, une fois qu’il avoit bien des gens chez lui, alla fureter partout, et les rencontra aux prises : « Hé ! Vertu-Dieu ! ce dit-il, c’est bien se moquer des gens que de prendre si mal son temps, et ne pouviez-vous pas attendre que nous eussions un peu moins d’affaires ? »