Les Historiettes/Tome 2/21

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 127-139).


RACAN ET AUTRES RÊVEURS[1].


Racan est de la maison de Bueil. Son père étoit chevalier de l’ordre et maréchal de camp. Il portoit le nom de Racan, à cause que son père acheta un moulin, qui est un fief, le propre jour que ce fils lui naquit, et il voulut que ce petit garçon en portât le nom. J’ai dit, dans l’Historiette de Malherbe, comme Racan commandoit les gendarmes de M. le maréchal d’Effiat. Cela le faisoit subsister, car son père ne lui laissa que du bien fort embrouillé. Il a été quelquefois bien à l’étroit. Boisrobert le trouva une fois à Tours ; la cour y étoit alors. Il étoit après à faire une chanson pour je ne sais quel petit commis qui lui avoit promis de lui prêter deux cents livres. Boisrobert les lui prêta. Il a logé long-temps dans un cabaret borgne, d’où M. Conrart le voulant faire déloger : « Je suis bien, je suis bien, lui dit-il ; je dîne pour tant, et le soir on me trempe pour rien un potage. » Il avoit toujours quelque chose de madame de Bellegarde, dont à la fin il hérita de vingt mille livres de rente en fonds de terre, de quarante qu’elle avoit. Elle étoit de la maison de Bueil. Racan étoit marié quand cette succession lui vint.

J’ai dit aussi comme il s’attacha à Malherbe. Il profita si bien sous un si bon maître, qu’il lui donna de la jalousie. En effet, on a accusé Malherbe d’en avoir eu un peu pour cette belle stance de la Consolation à M. de Bellegarde sur la mort de M. de Termes, son frère. La voici :

Il voit ce que l’Olympe a de plus merveilleux ;
Il y voit à ses pieds ces flambeaux orgueilleux
Qui tournent à leur gré la fortune et sa roue,
Et voit comme fourmis marcher nos légions
Dans ce petit amas de poussière et de boue,
Dont notre vanité fait tant de régions[2].


Et on dit que, par malice, il n’avertit pas Racan que dans une autre stance il faisoit Amour, divinité et passion tout ensemble. Racan faisoit des vers, étant page. Cette pièce, qui commence :

Vieux corps tout épuisé de sang et de moelle, etc.[3],


est de ce temps-là. Il dit que les comédies de Hardy qu’il voyoit représenter à l’Hôtel de Bourgogne, où il entroit sans payer, l’excitoient fort. Il dit aussi qu’il avoit de qui tenir, car son père et sa mère faisoient tous deux des vers ; il est vrai qu’ils n’étoient guère bons, mais ceux du père valoient encore moins. Il en avoit un gros volume. Il n’a jamais su le latin ; et cette imitation de l’ode d’Horace, Beatus ille, etc., est faite sur la traduction en prose que lui en fit le chevalier de Bueil, son parent, qui s’étoit chargé de la mettre en vers françois.

Jamais la force du génie ne parut si clairement en un auteur qu’en celui-ci ; car, hors ses vers, il semble qu’il n’ait pas le sens commun. Il a la mine d’un fermier ; il bégaie, et n’a jamais pu prononcer son nom, car, par malheur, l’r et le c sont les deux lettres qu’il prononce le plus mal. Plusieurs fois il a été contraint d’écrire son nom pour le faire entendre. Bon homme du reste et sans finesse, étant fait comme je vous le viens de dire.

Le chevalier de Bueil et Yvrande, sachant qu’il devoit aller sur les trois heures remercier mademoiselle Gournay, qui lui avoit donné son livre[4], s’avisèrent de lui faire une malice, et à la pauvre pucelle aussi. Le chevalier y va à une heure. Il heurte ; Jamyn va dire à mademoiselle qu’un gentilhomme la demandoit. Elle faisoit des vers ; et en se levant, elle dit : « Cette pensée étoit belle, mais elle pourra revenir, et ce cavalier peut-être ne reviendroit pas. » Il dit qu’il étoit Racan ; elle, qui ne le connoissoit que de réputation, le crut. Elle lui fit mille civilités à sa mode, et le remercia surtout de ce qu’étant jeune et bien fait, il ne dédaignoit pas de venir visiter la pauvre vieille[5]. Le chevalier, qui avoit de l’esprit, lui fit bien des contes. Elle étoit ravie de le voir d’aussi belle humeur, et disoit à Jamyn, voyant que sa chatte miauloit : « Faites taire ma mie Piaillon, pour écouter M. de Racan. » Dès que celui-là fut parti, Yvrande arrive, qui, trouvant la porte entr’ouverte, dit en se glissant : « J’entre bien librement, mademoiselle, mais l’illustre mademoiselle de Gournay ne doit pas être traitée comme le commun. — Ce compliment me plaît, s’écria la pucelle. Jamyn, mes tablettes, que je le marque. — Je viens vous remercier, mademoiselle, de l’honneur que vous m’avez fait de me donner votre livre. — Moi, monsieur, reprit-elle, je ne vous l’ai pas donné, mais je devrois l’avoir fait. Jamyn, une Ombre pour ce gentilhomme. — J’en ai une, mademoiselle ; et pour vous prouver cela, il y a telle et telle chose en tel chapitre. » Après, il lui dit qu’en revanche il lui apportoit des vers de sa façon ; elle les prend et les lit. « Voilà qui est gentil, Jamyn, disoit-elle ; Jamyn en peut être, monsieur, elle est fille naturelle d’Amadis Jamyn[6], page de Ronsard. Cela est gentil ; ici vous Malherbisez, ici vous Colombisez ; cela est gentil. Mais ne saurai-je point votre nom ? — Mademoiselle, je m’appelle Racan. — Monsieur, vous vous moquez de moi. — Moi, mademoiselle, me moquer de cette héroïne, de la fille d’alliance du grand Montaigne, de cette illustre fille de qui Lipse a dit : Videamus quid sit paritura ista virgo[7]. — Bien, bien, dit-elle, celui qui vient de sortir a donc voulu se moquer de moi, ou peut-être vous-même, vous en voulez-vous moquer ; mais n’importe, la jeunesse peut rire de la vieillesse. Je suis toujours bien aise d’avoir reçu deux gentilshommes si bien faits et si spirituels. » Et là-dessus ils se séparèrent. Un moment après, voilà le vrai Racan qui entre tout essoufflé. Il étoit un peu asthmatique, et la demoiselle étoit logée au troisième étage. « Mademoiselle, lui dit-il sans cérémonie, excusez si je prends un siége. » Il fit tout cela de fort mauvaise grâce et en bégayant. « Oh ! la ridicule figure, Jamyn ! dit mademoiselle de Gournay. — Mademoiselle, dans un quart-d’heure je vous dirai pourquoi je suis venu ici, quand j’aurai repris mon haleine. Où diable vous êtes-vous venue loger si haut ? Ah ! disoit-il en soufflant, qu’il y a haut ! Mademoiselle, je vous rends grâces de votre présent, de votre Omble[8] que vous m’avez donnée, je vous en suis bien obligé. » La pucelle cependant regardoit cet homme avec un air dédaigneux. « Jamyn, dit-elle, désabusez ce pauvre gentilhomme ; je n’en ai donné qu’à tel et qu’à tel ; qu’à M. de Malherbe, qu’à M. de Racan. — Eh ! mademoiselle, c’est moi. — Voyez, Jamyn, le joli personnage ! au moins les deux autres étoient-ils plaisants. Mais celui-ci est un méchant bouffon. — Mademoiselle, je suis le vrai Racan. — Je ne sais pas qui vous êtes, répondit-elle, mais vous êtes le plus sot des trois. — Mordieu ! je n’entends pas qu’on me raille. » La voilà en fureur. Racan, ne sachant que faire, aperçoit un recueil de vers. « Mademoiselle, lui dit-il, prenez ce livre, et je vous dirai tous mes vers par cœur. » Cela ne l’apaise point ; elle crie au voleur ! Des gens montent, Racan se pend à la corde de la montée, et se laisse couler en bas. Le jour même elle apprit toute l’histoire ; la voilà au désespoir ; elle emprunte un carrosse, et le lendemain de bonne heure elle va le trouver. Il étoit encore au lit ; il dormoit ; elle tire le rideau ; il l’aperçoit, et se sauve dans un cabinet. Pour l’en faire sortir, il fallut capituler. Depuis, ils furent les meilleurs amis du monde, car elle lui demanda cent fois pardon. Bois-Robert joue cela admirablement ; on appelle cette pièce les Trois Racans. Il les a joués devant Racan même, qui en rioit jusqu’aux larmes, et disoit : Il dit vlai, il dit vlai.

On en fait plusieurs autres contes. C’est un des plus grands rêveurs qu’on ait jamais vus. Une fois, en rêvant, il mangea tant de pois, qu’il n’en pouvoit plus : « Regardez, dit-il, ces totins de latais, ils ne m’avertissent pas, ils m’ont laissé trever. »

Un jour quelqu’un lui traduisit quelques épigrammes de l’Anthologie ; il les trouva plates, et il disoit, pour dire des épigrammes plates, des épigrammes à la grecque. En ce temps-là il dîna chez un grand seigneur, où il y avoit devant lui un potage qui ne sentoit que l’eau. Se tournant vers un de ses amis qui les avoit vues avec lui : « Voilà, dit-il, un potage à la grecque. »

Il alloit voir un jour un de ses amis à la campagne, seul, et sur un grand cheval. Il fallut descendre pour quelque nécessité. Il ne put trouver de montoir ; insensiblement il alla à pied jusqu’à la porte de celui qu’il alloit voir ; et y ayant trouvé un montoir, il remonta sur sa bête, et s’en revint sur ses pas sans sortir de sa rêverie.

Il lui est arrivé plusieurs fois de se heurter par la rue. Un jour que Malherbe, Yvrande et lui avoient couché en une même chambre, il se leva le premier, et prit les chausses d’Yvrande pour son caleçon. Quand Yvrande voulut s’habiller, il ne trouva point ses chausses. On les chercha partout. Enfin il regarda Racan, et il lui sembla plus gros qu’à l’ordinaire par le bas. « Sur ma foi, lui dit-il, ou votre cul est plus gros qu’hier, ou vous avez mis mes chausses sous les vôtres. » En effet, il y regarda, et les trouva.

Une après-dînée, il fut extrêmement mouillé. Il arrive chez M. de Bellegarde, et entre dans la chambre de madame de Bellegarde, pensant entrer dans la sienne ; il ne vit point madame de Bellegarde et madame Des Loges, qui étoient chacune au coin du feu. Elles ne dirent rien, pour voir ce que ce maître rêveur feroit. Il se fait débotter, et dit à son laquais : « Va nettoyer mes bottes ; je ferai sécher ici mes bas. » Il s’approche du feu, et met ses bas à bottes bien proprement sur la tête de madame de Bellegarde et de madame Des Loges, qu’il prenoit pour des chenets ; après, il se met à se chauffer. Elles se mordoient les lèvres de peur de rire ; enfin elles éclatèrent.

Un jour qu’il vouloit mener un prieur de ses amis à la chasse aux perdreaux, le prieur lui dit : « Il faut que je dise vêpres, et je n’ai personne pour m’aider. — Je vous aiderai, dit Racan. » En disant cela, Racan oublie qu’il avoit son fusil sur l’épaule, et, sans le quitter, il dit Magnificat tout du long.

Il a plusieurs fois donné l’aumône à de ses amis, les prenant pour des gueux. On dit qu’il boita tout un jour parce qu’il fut toujours à se promener avec un gentilhomme boiteux. Un matin étant à jeun, il demanda un doigt de vin chez un de ses amis. L’autre lui dit : « Tenez, il y a là-dessus un verre d’hypocras et un verre de médecine que je vais prendre. Ne vous trompez pas. » Racan ne manque pas de prendre la médecine, et cet homme ayant eu soin de la faire faire la moins désagréable qu’il avoit pu, Racan crut que c’étoit de médiocre hypocras, ou de l’hypocras éventé. Il va à la messe, où peu de temps après il sentit bien du désordre dans son ventre, et il eut bien de la peine à se sauver dans un logis de connoissance. Le malade qui avoit pris l’autre verre ne sentoit que de la chaleur, et n’avoit aucune envie d’aller. Il envoie chez Racan, qui lui manda que pour ce jour il seroit purgé sans payer l’apothicaire.

Racan, tout rêveur qu’il étoit, faisoit des contes de la rêverie de feu M. de Guise. À Tours, M. de Guise lui dit : « Allons à la chasse. » Il y fut, et toujours auprès de lui ; et le lendemain M. de Guise lui dit : « Vous avez bien fait de n’y point venir, nos chiens n’ont rien fait qui vaille. » Racan voyant cela, se crotta une autre fois tout exprès, et fit semblant d’avoir été à la chasse avec lui : « Ah ! vous avez bien fait, lui dit-il, nous avons eu aujourd’hui bien du plaisir. »

Racan dit qu’ayant promis une pistole à une maquerelle pour une demoiselle qu’elle lui devoit faire voir, au lieu de cela elle lui fit voir une guenippe, et qui n’avoit rien de demoiselle. Racan ne lui donna qu’une pièce de quatorze sous et demi, le quart d’une pièce de cinquante-huit sous ; elles n’étoient pas communes alors. « Qu’est-ce là ? dit-elle. — C’est, lui dit-il, une pistole déguisée en pièce de quatorze sous, comme vous m’avez donné une demoiselle déguisée en femme-de-chambre. »

Quand il faisoit l’amour à celle qu’il a épousée, et qu’il n’eut qu’à cause que madame de Bellegarde, hors d’âge d’avoir des enfants, lui assura du bien, il voulut l’aller voir à la campagne, avec un habit de taffetas céladon[9]. Son valet Nicolas, qui étoit plus grand maître que lui, lui dit : « Et s’il pleut, où sera l’habit céladon ? Prenez votre habit de bure, et au pied d’un arbre vous changerez d’habit proche du château. — Bien, dit-il, Nicolas ; je ferai ce que tu voudras, mon enfant. » Comme il relevoit ses chausses, c’étoit en un petit bois proche de la maison de sa maîtresse, elle et deux autres filles parurent. « Ah ! dit-il, Nicolas, je te l’avois bien dit. — Mordieu, répond le valet, dépêchez-vous seulement. » Cette maîtresse vouloit s’en aller ; mais les autres, par malice, la firent avancer. « Mademoiselle, lui dit ce bel amoureux, c’est Nicolas qui l’a voulu : parle pour moi, Nicolas, je ne sais que lui dire. »

Un de ses voisins lui donna une fois un fort beau bois de cerf. Racan dit à son valet, qui étoit à cheval avec lui, de le prendre. Il étoit tard, Racan le pressoit ; ce garçon lui dit : « Monsieur, j’ai mis tantôt de toutes les façons ce que vous m’avez donné ; je vois bien que vous ne savez pas combien il y a de peines à porter des cornes, car vous ne me tourmenteriez pas tant que vous faites. »

À l’Académie, quand ce fut à son tour à haranguer, il y vint avec un chiffon de papier tout déchiré dans ses mains : « Messieurs, leur dit-il, je vous apportois ma harangue, mais une grande levrette l’a toute mâchonnée. La voilà : tirez-en ce que vous pourrez, car je ne la sais point par cœur, et je n’en ai point de copie. » Il est le seul qui ait voulu avoir ses lettres d’académicien, et quand son fils aîné fut assez grand, il le mena à l’Académie pour lui faire saluer tous les académiciens.

Depuis son mariage et la mort de madame de Bellegarde, il commanda une fois un escadron de gentilshommes de l’arrière-ban. Il conte que jamais il ne put les obliger à faire garde, ni autre chose semblable, jour ni nuit, et enfin il fallut demander un régiment d’infanterie pour les enfermer. Un jour, en marchant, il y eut je ne sais quelle alarme ; il les trouva tous au retour (car cependant il étoit allé parler au général), l’épée et le pistolet à la main, aussi bien les derniers que les premiers, quoiqu’il fallût percer neuf escadrons avant que de venir à eux. Il y en eut un qui donna un grand coup de pistolet dans l’épaule à celui qui étoit devant lui.

Le bonhomme Racan fut vingt ans sans faire de vers après la mort de Malherbe. Enfin il s’y remit à la campagne, où il fit des versions de psaumes, naïves, disoit-il, mais, en effet, les plus plates du monde. Depuis, il fit ses Paraphrases de psaumes qu’il a imprimées, où il y a de belles choses, mais cela ne vaut pas ce qu’il a fait autrefois.

Racan étant tuteur du petit comte de Marans, de la maison de Bueil, le mari de la mère l’appela en duel. Racan dit : « Je suis fort vieux, et j’ai la courte haleine. — Il se battra à cheval, lui dit-on. — J’ai des ulcères aux jambes, répondit-il, quand je mets des bottes ; puis, j’ai vingt mille livres de rente à perdre. Je ferai porter une épée ; s’il m’attaque, je me défendrai. Nous avons un procès, nous n’avons pas une querelle. » Les maréchaux de France gourmandèrent fort ce galant homme.

Le grand chagrin de ce pauvre homme, c’étoit que son fils aîné n’est qu’un sot, et qu’il a perdu celui dont il espéroit avoir du contentement. Ce petit garçon étoit page de la Reine, et étoit fort bien avec M. d’Anjou[10]. Il disoit un jour à son père : « Je voudrois bien qu’on payât à Monsieur six cents écus de ses menus plaisirs qu’on lui doit, j’en aurois une bonne part. » Cet enfant s’étoit adonné à porter la robe de Mademoiselle. Au commencement ses pages en grondèrent ; elle leur dit que toutes les fois qu’un page de la Reine lui voudroit faire cet honneur, elle lui en seroit obligée. Il continua donc ; eux, enragés de cela, le firent appeler en duel par le plus petit d’entre eux. Ils eurent tous deux le fouet en diable et demi, car ils se vouloient aller battre. Ce petit garçon fut délégué par ses camarades pour demander à la Reine qu’on leur donnât deux petites oies[11] au lieu d’une, car l’argentier leur en retranchoit une de deux qu’ils devoient avoir. « Oui, dit la Reine ; mais, étant fils de M. de Racan, vous ne l’aurez point que vous ne me la demandiez en vers. » Tout le monde veut que ses enfants soient poètes, et il ne sauroit faire qu’on les appelle autrement que Racan tout court. Le père fit pour son fils ce madrigal, mais il ne le fit pas de toute sa force :

MADRIGAL.

Reine, si les destins, mes vœux et mon bonheur
Vous donnent les premiers des ans de ma jeunesse,
Vous dois-je pas offrir cette première fleur
Que ma muse a cueillie aux rives du Permesse ?
Si mon père, en naissant, m’avoit pu faire don
De son esprit poétique, ainsi que de son nom,
Qui l’a rendu vainqueur du temps et de l’envie,
Je pourrois dans mes vers donner l’éternité
  À Votre Majesté
  Qui me donne la vie.

Étant à Paris pour un procès, il s’ennuyoit quelquefois et ne perdoit pas un jour d’Académie ; même il lui prit une telle amitié pour elle, qu’il disoit qu’il n’avoit d’amis que messieurs de l’Académie. Il prit pour son procureur le beau-frère de M. Chapelain, parce qu’il lui sembloit que cet homme étoit beau-frère de l’Académie. Un jour, sortant de l’Académie où sa femme l’étoit venu prendre, pensant parler à Patru, il parla à Chapelain et lui offrit de le remener comme il l’avoit amené. Chapelain le remercie ; il descend. Et quand ils furent loin, sa femme lui dit : « Où est donc M. Patru ? — Ah ! dit-il ; vous verrez que j’ai cru parler à lui et j’ai parlé à un autre. » Il retourna, mais Patru n’y étoit plus.

Ce bon homme est devenu avare. Au dernier voyage qu’il a fait ici, il n’a point été voir Patru, lui qui le voyoit tous les jours auparavant, parce que les écritures que Patru a pu faire pour lui pourroient monter à quelque chose. Il ne connoît guère bien Patru ; il n’auroit garde de prendre de son argent.

  1. Honorat de Bueil, marquis de Racan, né en 1589, mort en février 1670.
  2. Œuvres de Racan, Paris, Coustelier, 1724, t. 2, p. 198.
  3. Stance contre un vieillard jaloux. (Ibid. t. 2, p. 182.)
  4. Elle ne l’appeloit jamais autrement que le singe de Malherbe. Elle en donna même un exemplaire à Malherbe, quoiqu’elle le haït à mort. (T.)
  5. Mademoiselle de Gournay étoit née en 1566. Elle publia en 1626 le volume qui a pour titre : L’Ombre de la demoiselle de Gournay. Ce livre venoit de paroître, ainsi elle devoit avoir environ soixante ans. (Voyez plus bas l’article de mademoiselle de Gournay.)
  6. Amadis Jamyn, poète françois du seizième siècle, fut en effet reçu par Ronsard dans sa propre maison, et traité par lui comme s’il eût été son fils. Les ouvrages d’Amadis Jamyn sont rares et recherchés. Né vers 1540, il est mort vers 1585.
  7. Le Jeune Heinsius a dit d’elle : « Ausa virgo concurrere viris, scandit supra viros. » (T.)
  8. Tallemant nous a prévenus plus haut que Racan ne pouvoit prononcer les lettres r et c.
  9. Couleur de vert-clair très-tendre ; elle avoit emprunté son nom au héros du roman de l’Astrée, qui étoit loin d’avoir perdu alors tous ses adorateurs.
  10. Premier titre du duc d’Orléans, frère de Louis XIV. Il le porta jusqu’à la mort de Gaston, époque à laquelle le Roi lui conféra le titre de duc d’Orléans.
  11. Petite oie, se disoit figurément des rubans et garnitures qui rendoient un habillement complet ; elle consistoit dans les rubans pour garnir l’habit, le chapeau, le nœud d’épée, les bas, les gants. (Dict. de Trévoux.)