Les Historiettes/Tome 3/19

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 145-147).


FEU M. DE PARIS.


Jean-François de Gondy, premier archevêque de Paris[1], étoit bien fait, et avoit de l’esprit ; mais il ne savoit rien : il disoit les choses assez agréablement. Il a toujours vécu licencieusement pour ce qui étoit des femmes.

Il falloit qu’il eût quelque reconnoissance, car on a remarqué qu’il envoyoit souvent un page pour savoir des nouvelles d’une personne peu considérable avec qui il avoit eu autrefois commerce, et il en a toujours eu du soin.

On dit qu’un jour qu’il étoit convenu avec madame de Bassompierre de ce qu’il lui donneroit pour une nuit, il y fut bien ; mais il se trouva mal, et ne put rien faire : il voulut y retourner le lendemain, sans financer de nouveau ; mais elle lui manda, comme on fait aux auberges, que son assiette avoit mangé pour lui[2].

M. de Paris avoit fait autrefois beaucoup de dépense : il avoit musique et grand équipage ; il en retrancha un peu, et rompit sa musique. On dit que ses affaires nettoyées, il lui resta plus de cent mille livres de rente ; cependant il se traitoit si mal qu’il n’eût osé donner à dîner à personne sans être averti. Il a toujours fort bien entretenu ses maisons de plaisance : Noisy, vers Villepreux, que Bossuet, secrétaire du conseil, a acheté, et le jardin de Saint-Cloud.

Nonobstant la fine v..... qui le rongeoit, il n’a pas laissé de vivre assez long-temps. Depuis quelques années, le vice l’avoit quitté absolument ; il n’y avoit plus moyen de rire.

Si c’eût été un homme de bonne vie, il arriva une chose à Saint-Cloud qui l’eût fait passer pour saint ; on eût dit que c’étoit un miracle. Un pauvre diable qu’on alloit pendre à Saint-Cloud voulut avoir la bénédiction de M. l’archevêque ; par hasard, il y étoit alors : on le lui mène ; il se jette à genoux, et lui demande la vie. « Je ne puis, dit l’archevêque ; mais je te donne ma bénédiction. » On jette le galant, la potence se rompt, le peuple le sauve. Depuis on demanda à ce pendu à quoi il avoit pensé quand on l’eut jeté. « Je croyois, dit-il, assister à une penderie en l’autre monde. »

On dit que ce fut à cet archevêque qu’un jésuite dit : « Pour vous, monseigneur, vous êtes le plus grand falot de l’Église ; les autres ne sont que de petites lumières. » Mais on fait ce conte de bien des gens.

Passant par le bois de Boulogne, il vit un laquais de madame la maréchale de Themines avec des garces ; il le fit venir, et lui fit réprimande. Ce laquais le laissa dire, et puis dit, en haussant les épaules : Patientia. Après il reprit, et acheva la sentence : Patientia vincit omnia. « Camarade, lui dirent à demi-haut les laquais même de l’archevêque, ne lui en dis pas davantage, c’est temps perdu, il n’entend pas le latin. »

Le cardinal de Richelieu eut envie d’avoir son archevêché, et proposa de donner celui de Lyon à l’abbé de Retz, depuis son coadjuteur. Cela fut en quelque façon traité ; puis le cardinal ne s’en tourmenta pas trop, car cet homme ne lui nuisoit en rien, et il étoit bien assuré, en cas de vacance, ou qu’il l’auroit, ou qu’il le donneroit à qui il lui plairoit.

À la Régence, il fit son neveu son coadjuteur ; mais il s’en repentit bientôt et eut une jalousie enragée contre lui. Un jour qu’en descendant de carrosse il se fut laissé tomber voulant s’appuyer sur Ménage : « Ah ! dit-il, de quoi m’avisé-je de vouloir m’appuyer sur un homme qui est à mon coadjuteur ? »

  1. Oncle et prédécesseur du fameux cardinal de Retz ; né en 1584, mort en 1654.
  2. Le Plessis Guénégaud s’amusoit à payer cette grosse tripière comme un tendron ; c’est parce qu’elle étoit de qualité. (T.)