Les Historiettes/Tome 3/37

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 241-245).


LE MARÉCHAL DE CHÂTILLON[1].


M. de Châtillon, petit-fils de l’amiral, avoit assez de bien ; mais il en dissipa la plus grande partie : il vendit à M. de Montmorency pour peu de chose l’amirauté de Guyenne ; il étoit débauché et d’amoureuse manière. Il fut un des principaux galants de la Choisy ; il l’alloit voir dans une maison fossoyée à la campagne. Le vieux La Haye, surnommé des Assemblées, à cause qu’il avoit été souvent député aux assemblées des huguenots, étant ami de la maison de tout temps, lui dit plusieurs fois que les frères de cette fille lui pourroient jouer un méchant tour, et, le pont levé, lui faire épouser leur sœur par force. Il en fut quitte pourtant pour y laisser bien des plumes. Il avoit aussi un régiment d’infanterie, en Hollande, que ses enfants ont eu depuis l’un après l’autre. En je ne sais quelle retraite, à la vue du prince Maurice, il fit tout ce qu’on pouvoit faire ; le prince Maurice le loua fort, et dit : « Ce sera quelque jour un bon capitaine. » On verra par la suite que la prophétie n’a pas été trop bien accomplie. À Londres, quelque temps après, le prince d’Orange, Henri, père du dernier mort, et lui, furent pris dans un lieu d’honneur par le commissaire du quartier.

Il n’y avoit personne dans le parti huguenot si considérable que lui. Il avoit toute la faveur de son père et de son aïeul ; en un rien il pouvoit mettre quatre mille gentilshommes à cheval. Il tenoit Aigues-Mortes ; mais il la rendit pour être maréchal de France. La Haye en enrageoit, et tenant le petit Dandelot[2], qui étoit fort joli, entre ses bras, dans la galerie de Châtillon, il lui enseignoit à dire : « Je veux ressembler à celui-là, montrant son grand-père, et non pas à mon papa ; » et il disoit à cet enfant : « Pauvre petit garçon, que je te plains ! tu n’as point d’Aigues-Mortes à vendre ; » et cela en présence du maréchal, car ce bonhomme étoit diseur de vérités.

Le maréchal avoit l’honneur d’être assez prompt pour être appelé brutal ; c’étoit pourtant un fort bon homme, mais qui étoit incapable de direction et de discipline : il jouoit, et il lui est arrivé bien des fois, quand il perdoit, de faire semblant d’aller à ses nécessités ; et il descendoit dans le jardin où il se mettoit à secouer un arbre un gros quart-d’heure durant.

Il s’étoit marié un peu par amour. Sa femme étoit belle et vertueuse ; mais il disoit lui-même qu’il eût mieux aimé qu’elle eût été un peu plus complaisante et un peu moins honnête femme. Le comte de Carlisle, au mariage de la reine d’Angleterre, témoigna tant d’estime pour elle, que ci c’eût été un homme moins sérieux, on eût pu dire qu’il en étoit épris ; il la surnomma l’Incomparable. Quoi qu’on ait chanté parmi les huguenots, cette femme-là n’étoit pas si grand chose qu’on disoit ; l’histoire de ses enfants en fera foi. Mais sa vertu et son zèle, quelquefois assez inconsidérés, faisoient que le petit troupeau en étoit persuadé à un point étrange.

Elle se mit en tête d’entendre la Sainte-Écriture, et pour cela elle s’enfermoit des après-dînées entières avec un grand ministre mal bâti, qu’on appeloit M. Le Veilleux, et cela si souvent qu’on commençoit à en dire des sottises. Elle s’étoit laissé empaumer par une vieille mademoiselle Du Chesne, qui avoit été gouvernante des sœurs du maréchal ; c’étoit une dévote qui, par affectation, se mettoit toujours à prier Dieu quand il falloit dîner, afin qu’on dît : « Elle est en oraison, il la faut laisser achever. » Ce M. Le Veilleux étoit un homme qui, sans affectation, faisoit pourtant ses oraisons aussi à contre-temps que cette demoiselle. Lui et la maréchale[3] se promenoient quelquefois trois heures durant dans le parc, et on les trouvoit souvent en oraison au pied d’un arbre. Cet homme étoit un peu fou, et en priant Dieu il demeuroit quelquefois en extase. Il lui échappoit parfois de belles choses ; c’étoit un gentilhomme plein de charité. Il avoit près de quatre-vingt mille livres de rente qu’il employoit à assister les pauvres, et il ne se maria que quand il eut dissipé une partie de son bien, afin de faire des gueux. Le maréchal ne prit point plaisir à ces promenades de sa femme et y mit ordre.

C’étoit un homme intrépide que le maréchal ! Au siége d’Arras, il reçut un coup de mousquet dans son écharpe ; la balle s’arrêta au nœud. Il ne pouvoit porter des armes, tant il étoit gros, et puis il n’en eût pas voulu. Il eut un cheval tué entre ses jambes d’un coup de canon : « Ah ! dit-il, sans s’émouvoir, ces gens-là sont importuns ; cela n’est point plaisant. J’avois là un bon cheval. »

M. de Chaulnes, qui étoit le plus ancien maréchal[4], lui vint dire, le fort de Rousseau étant pris : « Monsieur, tout est perdu, les ennemis sont dans les lignes. — Bien, bien, répondit-il, je les aime mieux là qu’à Bruxelles. Allons, allons, monsieur de Chaulnes, il ne faut pas s’effrayer de cela. » C’étoit en effet le plus confiant des hommes. Il disoit toujours : « Laissez-les venir, » et on avoit une peine étrange à le faire monter à cheval ; peu prévoyant, et qui ne jouoit point du tout de la tête, il assuroit toujours de prendre, et dans peu de temps, et souvent il ne prenoit que fort tard, ou point du tout. Ma foi ! ce n’étoit ni son grand-père ni son père[5].

Il fut un temps qu’il n’y avoit que lui et le maréchal de La Force, car on étoit si ignorant, qu’à Saint-Jean-d’Angely personne ne savoit comment on faisoit des tranchées.

Le cardinal de Richelieu lui a donné de l’emploi à faute d’autre, car je ne crois pas qu’il trouvât trop bon que le maréchal fût le seul qui ne l’appelât que Monsieur, et il n’étoit pas persuadé qu’il fût à lui. C’étoit un bon François, et qui, depuis qu’il se fut accommodé avec la cour, n’a brouillé en aucune sorte. La Reine, au commencement de la régence, lui donna le brevet de duc. Il avoit voulu tenter si le Parlement le recevroit durant la minorité ; c’étoit une folle entreprise ; on l’estimoit, mais c’eût été faire la planche pour les autres. Il mourut quelque temps après ; sa femme se jeta à ses genoux pour lui demander pardon si..... etc. « Ah ! ma mie, lui dit-il, vous vous moquez ; ce seroit bien plutôt à moi. »

  1. Gaspard III, comte de Coligny, né en 1584, mort en 1646.
  2. Depuis M. de Châtillon, tué à Charenton. (T.)
  3. Ce n’étoit point une habile femme ; elle ne faisoit que prier Dieu. Le maréchal fut contraint de lui ôter le soin de sa maison. (T.)
  4. Ils étoient trois : Chaulnes, Châtillon et Brézé. (T.)
  5. Son fils Dandelot le sauva à la bataille de Sédan. (T.)