Les Historiettes/Tome 3/50

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 317-320).


PORCHÈRES L’AUGIER[1].


Porchères L’Augier, dont nous allons parler, et Porchères d’Arbaud, dont il est parlé dans l’historiette de Malherbe, étoient tous deux de Provence, tous deux poètes, et tous deux de l’Académie. Chacun d’eux traitoit l’autre de bâtard, et soutenoit qu’il n’étoit pas de la maison de Porchères[2], assez bonne en ce pays-là ; mais ils s’accordoient en un point, c’est qu’ils étoient l’un et l’autre de méchants auteurs. Notre Porchères commença à paroître au temps de Nervèze et de son successeur Des Yveteaux, et étoit à peu près en vers ce qu’étoient les autres en prose : cela se peut voir par le sonnet que voici sur les yeux de madame de Beaufort :

Ce ne sont pas des yeux, ce sont plutôt des Dieux ;
Ils ont dessus les rois la puissance absolue.
Dieux, non ; ce sont des cieux, ils ont la couleur bleue,
Et le mouvement prompt comme celui des cieux.
Cieux, non ; mais deux soleils clairement radieux,
Dont les rayons brillants nous offusquent la vue.

Soleils, non ; mais éclairs de puissance inconnue,
Des foudres de l’Amour signes présagieux.
Car s’ils étoient des Dieux, feroient-ils tant de mal ?
Si des cieux, ils auroient leur mouvement égal ;
Deux soleils, ne se peut : le soleil est unique ;
Éclairs, non ; car ceux-ci durent trop et trop clairs.
Toutefois je les nomme, afin que je m’explique,
Des yeux, des Dieux, des cieux, des soleils, des éclairs[3].

Sa prose même ne valoit pas mieux, témoin le recueil du Carrousel, où il n’y a rien de bon de lui qu’une devise italienne dont le corps est une fusée, et le mot da l’ardore l’ardire[4].

Depuis, Malherbe apprit à parler françois. Je crois que Porchères a contribué avec Matthieu à gâter les Italiens d’aujourd’hui, et les Italiens à leur tour ont gâté quelques-uns des nôtres. Il n’y a que vingt ans qu’on a vu des secrétaires d’état[5] donner deux pistoles du Politico-Catholico de Virgilio Malvezzi[6].

La princesse de Conti faisoit cas de Porchères : il alloit tous les jours chez elle. Elle lui fit avoir l’emploi de faire les ballets et autres choses semblables ; pour cela, il avoit douze cents écus de pension. Il voulut en faire une charge, et l’avoir en titre d’office, mais il ne savoit quel nom lui donner : il ne vouloit pas que le nom de ballet y entrât, et après y avoir bien rêvé, il prit la qualité d’intendant des plaisirs nocturnes. Par cette raison il voulut se formaliser de ce que Desmarets avoit fait le dessin du ballet qui fut dansé au mariage du duc d’Enghien[7].

Pour les habits, ç’a toujours été le plus extravagant homme du monde après M. Des Yveteaux, et le plus vain. J’ai ouï dire à Le Pailleur, qu’étant allé chez Porchères, il y a bien trente-cinq ans, il aperçut, en entrant dans sa chambre, un valet qui mettoit plusieurs pièces à des chaussons. Il le trouva au lit ; mais le poète avoit eu le loisir de mettre sa belle chemisette et son beau bonnet ; car si personne ne le venoit voir, il n’en avoit qu’une toute rapetassée, et ne se servoit que d’un bonnet gras et d’une vieille robe-de-chambre toute à lambeaux, dont il se couvroit la nuit. Il demanda à Le Pailleur permission de se lever, et avec sa bonne robe-de-chambre il se met auprès du feu. « Mon valet-de-chambre, car il l’appeloit ainsi, apportez-moi, dit-il, un tel habit, mon pourpoint de fleurs. Non, mon habit de satin. — Monsieur, quel temps fait-il. — Il ne fait ni beau ni laid ? — Il ne faut donc pas un habit pesant ; attendez. » Le valet, fait au badinage, apporte cinq ou six paires d’habits qui avoient tous passé plus de deux fois par les mains du détacheur et du fripier, et lui dit : « Tenez, prenez lequel vous voudrez. » Il fut une heure avant que de conclure. Ce pourpoint de fleurs étoit un vieux pourpoint de cuir tout gras, et ce satin étoit un satin à pièces empesées qui avoit plus de trente ans. Jamais on ne lui vit un habit neuf, qu’il n’eût un vieux chapeau, de vieux bas ou de vieux souliers ; il y avoit toujours quelque pièce de son harnois qui n’alloit pas bien. La maréchale de Thémines disoit qu’il étoit « comme le diable qui a beau se faire agréable aux yeux de ceux qu’il veut tenter : il y a toujours quelque griffe crochue qui gâte tout[8]. » C’est de lui que Sorel se moque dans Francion, où un poète demande son pourpoint d’épigramme, etc.

Il y a onze ou douze ans qu’il eut une grande maladie, durant laquelle il fit une confession générale. Depuis cela il ne voulut plus se peindre la barbe et s’habilla comme un autre homme. Il disoit que, pendant son mal, son neveu lui avoit dérobé cent lettres qu’il fit imprimer sans suite ni ordre. Cependant il est tout constant que Porchères lui-même en demanda le privilége à M. Conrart, et aussi des lettres d’académiciens pour lesquelles il fallut aller à l’Académie. Ce fut la seule fois qu’il y alla, si je ne me trompe. Tout ce qu’il dit de ce neveu ne fut que lorsqu’il vit qu’on ne rendoit point ses lettres. Il a vécu jusqu’à cent trois ans. Il étoit grand et bien fait.

  1. Les Recueils du temps contiennent un assez grand nombre de pièces de vers signées Porchères, sans qu’il y soit fait aucune distinction des deux poètes qui ont porté ce nom.
  2. L’un s’appeloit L’Augier de Porchères, l’autre d’Arbaud de Porchères. Le nom de terre seul leur étoit commun ; ainsi ils étoient de deux familles différentes.
  3. Ce sonnet ridicule se trouve dans le Parnasse des plus excellents poètes de ce temps ; Paris, Guillemot, 1607 ; petit in-12, t. I, fol. 286. Il est aussi dans le Séjour des Muses, ou la Crême des bons vers ; Rouen, 1627, in-8, p. 372.
  4. Cette devise avoit frappé madame de Sévigné ; elle en parle dans la lettre à sa fille, du 11 novembre 1671 ; mais elle ne se souvenoit pas du livre dans lequel elle l’avoit vue.
  5. Brienne. (T.)
  6. Virgilio Malvezzi, écrivain italien, attaché à Philippe IV, roi d’Espagne, auteur de plusieurs ouvrages politiques. Il mourut à Cologne, en 1654.
  7. Au mariage du grand Condé. Il eut lieu le 11 février 1641.
  8. Voiture fit ce pont-breton :

    Vous êtes seigneur,
    Monsieur de Porchères ;
    Chacun vous révère
    Et vous porte honneur.
    Changez de jartières,
    Monsieur le rimeur. (T.)