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Les Honnêtes gens sous la commune

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Les Honnêtes gens sous la commune
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 94 (p. 100-133).
LES HONNÊTES GENS
SOUS
LA COMMUNE

Paris a eu, à quelques semaines de distance, deux légendes contraires. Dans les premiers jours de février, c’était encore la ville héroïque qui s’était résignée à tous les sacrifices et prêtée à tous les efforts pour repousser l’étranger; avant la fin du même mois, c’était déjà une ville maudite où toutes les violences et tous les crimes avaient le champ libre par la scélératesse des uns et par la lâcheté des autres. Les désordres incessans et toujours impunis qui ont précédé l’insurrection du 18 mars, le foudroyant succès de quelques agitateurs dans cette néfaste journée, ces saturnales de soixante-dix jours qui n’auraient été qu’une grotesque parodie de toutes les fonctions d’un gouvernement régulier, si elles n’avaient fait peser sur une population de près de 2 millions d’âmes tous les genres d’oppression, ce dénoûment lugubre qui s’est présenté à la fois comme la délivrance et comme la délaite de Paris, spectateur impuissant ou complice de l’incendie de ses monumens et des plus horribles assassinats, — c’était plus qu’il ne fallait pour faire oublier la première légende et pour donner tout crédit à la seconde. Il n’y avait pas d’ailleurs contradiction entre l’une et l’autre légende pour les partisans avoués ou déguisés de la rébellion. Ils affirmaient sans hésiter la complicité directe ou indirecte de toute la population parisienne dans une révolution qu’ils glorifiaient sans réserve, ou dont ils s’efforçaient de pallier les excès. Au dire des plus impudens, cette population tout entière se levait comme un seul homme pour la défense de ce qu’ils appelaient ses droits. Les prétendus conciliateurs se donnaient le mandat de négocier au nom de « 300,000 neutres, » tellement attachés à quelques vagues principes que, pour n’en rien sacrifier, ils tenaient la balance égale entre les élus d’une minorité factieuse dans une seule ville et les représentans légitimes de la souveraineté du peuple français. Ceux qui jugeaient autrement une telle conduite ne faisaient pas plus de difficulté de l’accepter comme un fait acquis. L’Europe, qui depuis dix mois, quand elle ne nous était pas hostile, ne nous témoignait qu’une compassion sans bienveillance, flétrissait à la fois les crimes des insurgés parisiens et la poltronnerie ou, comme disait le Times, « l’abjecte terreur » de ceux qui les supportaient. La province, où l’irritation contre Paris étouffait même la pitié, retentissait des mêmes accusations. Les Parisiens fidèles à l’ordre, loin de démentir ces accusations, se montraient quelquefois les plus empressés à les propager. Nous sommes sans mesure en France dans le mal comme dans le bien que nous disons de nous-mêmes. Nous n’aimons que les propositions générales et les explications simples; notre logique les réclame, et, soit qu’elles nous appellent au partage d’une gloire universelle, soit qu’elles nous enveloppent dans une universelle infamie, notre vanité y trouve également son compte. Nous sommes fiers de notre part d’honneur, et, tout en prenant notre part de honte, en l’exagérant même au besoin pour nous donner le mérite de ne pas nous en faire accroire, il nous semble que la responsabilité s’efface pour chacun de nous quand elle s’étend à tout le monde. Combien, après nos désastres militaires, éprouvaient une étrange satisfaction à s’écrier : « Je rougis d’être Français! Nous sommes un peuple de fanfarons et de lâches! » Combien, depuis le 18 mars, vont répétant avec le même désespoir hautain : « Je rougis d’être Parisien! Paris n’est qu’une immense maison de fous où les pacifiques sont les instrumens complaisans ou inertes de la fureur des forcenés! »

Il faut protester, au nom de la vérité historique autant que de l’honneur national, contre ces exagérations, qui tombent devant un examen attentif et impartial des faits. Des témoins judicieux, sans dissimuler les fautes et sans atténuer les défaillances, ont vengé ici même le peuple français et les forces improvisées qui lui ont tenu lieu d’armée de ce qu’il y a d’excessif dans les reproches de présomption, d’indiscipline et de manque de courage. On se propose, dans cette étude, de rendre une semblable justice à la majorité salue de la population de Paris. Son attitude vraie, dans les révolutions successives dont elle a été complice ou victime, a déjà été indiquée dans un précédent travail[1]; mais au moment où il parut, on ne pouvait juger dans son ensemble une insurrection qui n’avait pas encore atteint son terme, et il y avait quelque danger pour la paix publique à en exposer toutes les causes. Aujourd’hui la commune de Paris n’est plus qu’un souvenir sinistre, assez présent pour qu’on en puisse embrasser exactement tous les détails, assez loin de nous déjà pour qu’il soit possible de l’évoquer sans colère, sinon sans indignation et sans amertume. D’un autre côté, l’œuvre de délivrance accomplie avec tant d’habileté et de courage par le gouvernement et par l’armée parle assez haut pour qu’il soit permis, sans les affaiblir et sans leur manquer de reconnaissance, de laisser à l’un et à l’autre leur part de responsabilité dans les malheurs qu’ils ont si heureusement réparés. Ils ont reconquis le droit d’entendre la vérité et rendu aux honnêtes gens de Paris celui de la dire.


I.

Le 18 mars 1871, vers six ou sept heures du matin, le rappel était battu dans tous les quartiers de Paris. C’était convoquer à la fois l’émeute et les défenseurs de l’ordre, ou, pour mieux dire, c’était donner tout l’avantage à l’émeute. Depuis un mois, une partie de la garde nationale parisienne était ouvertement en état de révolte. Elle avait accepté une direction illégale qui fonctionnait au grand jour. Elle s’était assuré des espèces de camps retranchés, où elle avait entassé un nombre formidable de canons dont elle s’était emparée sous prétexte de les soustraire aux Prussiens. Elle se livrait chaque jour à des démonstrations séditieuses sur la place de la Bastille, autour de la colonne de la liberté. Si un certain ordre et une sorte de discipline militaire présidaient à ces promenades soi-disant patriotiques, elles donnaient lieu, dans la foule qui se pressait pour y assister, à des manifestations d’un autre genre, souillées plus d’une fois par des actes d’une férocité sauvage. — Chaque nuit voyait se produire des tentatives, soit pour forcer les portes d’une prison et délivrer les détenus politiques, soit pour mettre au pillage un dépôt de cartouches, et ces tentatives rencontraient rarement une résistance sérieuse. Il n’y avait point toutefois, chez la plupart des gardes nationaux qui commettaient ou qui laissaient commettre ces actes de désordre, un parti-pris de rompre avec l’ordre légal. La révolte n’était complète qu’autour des canons de Montmartre, et des symptômes de plus en plus manifestes de lassitude permettaient d’espérer qu’elle tomberait d’elle-même. Partout ailleurs, les mêmes hommes obéissaient à la fois aux autorités régulièrement constituées et à des pouvoirs irréguliers qui, en vertu d’une prétendue élection dont ils n’ont jamais fait connaître ni la date, ni la forme, se donnaient les noms de Comité central et de Fédération de la garde nationale. L’ordre et le désordre se servaient ainsi tour à tour, quelquefois tout ensemble, des mêmes instrumens. Beaucoup se prêtaient à ce singulier partage avec une espèce de candeur. Ils avaient pris pendant le siège des habitudes d’obéissance passive, et ils suivaient docilement, sans en scruter l’origine, les commandemens qui leur étaient transmis par leurs chefs. Les insurrections antérieures s’étaient organisées dans l’ombre; celle qui allait éclater avait reçu de l’état lui-même une organisation toute prête. L’empire avait tout fait pour accroître la séparation que les mœurs n’entretiennent que trop entre les ouvriers et les autres classes de la population. Il avait enserré le Paris bourgeois, dont il craignait l’esprit libéral, dans un Paris ouvrier. Le gouvernement de la défense nationale avait constitué une garde nationale ouvrière à côté et en dehors de la garde nationale bourgeoise. Tous les ouvriers ne sont pas acquis aux émeutes; mais il est certain qu’elles ne se recrutent guère que dans leurs rangs. Ils forment une population flottante, sans racines dans les villes qu’ils habitent, vivant au jour le jour, et, de tous les liens qui attachent l’homme à l’ordre social, ne connaissant que la famille, dont beaucoup même s’affranchissent sans scrupule. Ce n’est pas d’ailleurs une population éparse. Le cabaret les réunit après l’atelier. Le foyer domestique a rarement assez d’attraits pour les retenir. Ils vivent volontiers ensemble, s’entre tenant dans les mêmes sentimens, parfois généreux et patriotiques, le plus souvent haineux à l’égard de toute autorité publique et de toute supériorité sociale. La révolution du 4 septembre leur avait donné à Paris deux nouveaux centres de vie en commun, le club et le poste. Le second, à lui seul, tenait lieu de tous les autres. Il offrait un gagne-pain plus goûté que le travail de l’atelier; il avait pour l’oisiveté et pour la débauche toutes les séductions du cabaret; il se prêtait à toutes les excitations séditieuses des réunions publiques, et, pour ajouter au péril social, il était comme un club permanent et armé. M. de Bismarck n’était pas le seul qui eût prévu une nouvelle et imminente révolution dans cet armement universel. C’était seulement une prophétie prématurée. Jusqu’à la fin du siège, le patriotisme a dominé dans la très grande majorité des ouvriers parisiens. Il s’y mêlait d’étranges illusions, un immense orgueil et toute sorte de mauvaises passions; mais le sentiment général était la répudiation de tout mouvement qui n’avait pas directement pour but la délivrance de la patrie. Les agitateurs ne s’y trompaient pas. Ils laissaient dormir les questions politiques ou sociales; pour soulever le peuple, ils ne lui parlaient que des intérêts de la défense. Ce détour même était sans effet, la « populace » de Paris se faisait un point d’honneur de ne pas justifier l’insolente prédiction de l’ennemi. Une émeute fut très près de réussir le 31 octobre par l’incroyable imprévoyance du gouvernement; une autre fit couler le sang le 22 janvier : l’une et l’autre ne rallièrent qu’une poignée d’hommes. Jamais armée mieux préparée ne s’était offerte aux fauteurs de désordre. Ils surent la manier avec une rare habileté. Ils lui montrèrent une double cause à défendre, la république menacée par la réaction monarchique, les réformes sociales, que les travailleurs avaient le droit d’exiger après les avoir ajournées dans un intérêt patriotique honteusement trahies. Ils eurent fait en même temps de contenir les passions qu’ils soulevaient. Ils se servirent de l’indignation excitée par l’entrée des Prussiens dans une partie de Paris en.la détournant des Prussiens eux-mêmes, contre qui se fussent brisés tous leurs efforts, pour la tourner tout entière contre le gouvernement, dont ils connaissaient la faiblesse. Ils se firent les arbitres de l’ordre, dont ils prirent en main les intérêts le 1er mars, pour le renverser plus sûrement le 18.

Les révolutionnaires impatiens, dont les tentatives prématurées pendant le siège avaient misérablement avorté, cédaient désormais la place à une autre initiative autrement intelligente. L’Association internationale des travailleurs superposait une véritable organisation politique à l’organisation militaire de la garde nationale : c’était un gouvernement complet. Cette redoutable association s’était tenue dans l’ombre après le 4 septembre. Une conversation qui nous a été rapportée peut aider à comprendre quelles espérances elle nourrissait en se résignant à cet effacement volontaire. Un de ses chefs, qui avait joué un rôle important dans les grèves des derniers temps de l’empire, et dont le 18 mars devait faire un des maîtres de Paris, se trouvait dans un fort vers le commencement du siège à côté d’un officier de marine. Il était r vêtu d’un de ces uniformes de fantaisie que les corps francs avaient multipliés. Il expliquait à son voisin pourquoi il était venu à Paris. « Je voulais, disait-il, profiter des fautes de l’empire pour tenter quelque chose. La chute de Napoléon et la proclamation de la république m’ont forcé d’ajourner la partie. Tous les esprits étant à la guerre, je me suis mis à la tête d’un corps de francs-tireurs; mais ces hommes font tant de sottises (il parlait du gouvernement de la défense nationale), que la main me démange singulièrement. Aussi, pour me soustraire à la tentation de les renverser, je me suis fait une loi de ne pas rentrer dans Paris avant la fin du siège. » Sans prendre les mêmes précautions contre la démangeaison d’agir, tous les meneurs de l’Internationale montrèrent la même prudence. Ils attendaient l’heure favorable. Les uns se préparaient à la lutte en s’attribuant ou se faisant donner les premiers grades dans les milices formées contre l’ennemi du dehors. Les autres s’insinuaient dans le pouvoir civil sous la forme de ces comité de vigilance que chaque mairie avait vus se constituer sans mandat. Il ne leur restait plus, pour être maîtres de la place, qu’à constituer un centre d’action. Dès qu’ils crurent le moment venu, ils créèrent de toutes pièces en face du gouvernement légal un pouvoir militaire et un pouvoir politique. A l’état-major officiel de la garde nationale, ils opposèrent ce « comité central » qui prétendait être une délégation de 215 bataillons, et qui fut tout entier leur œuvre; à l’assemblée nationale, ils opposaient le « parlement en blouse. » Leur principal organe, le Cri du peuple, par le citoyen Jules Vallès, futur membre de la commune, annonçait le 27 février ce. te dernière institution :


« Connaissez-vous entre le Temple et le Château-d’Eau, pas loin de l’Hôtel de Ville, une place encaissée, tout humide, entre quatre rangées de maisons? Elles sont habitées au rez-de-chaussée par de petits commerçans dont les enfans jouent sur le trottoir. Il ne passe pas de voitures, les mansardes sont pleines de pauvres. On appelle ce triangle vide la place de la Corderie... Regardez bien cette maison qui tourne le dos à la caserne du faubourg et jette un œil sur le marché. Elle est calme entre toutes les autres. Montez. Au troisième étage, une porte qu’un coup d’épaule ferait sauter, et par laquelle on entre dans une salle grande et nue comme une classe de collège. Saluez, voilà le nouveau parlement! C’est la révolution qui est assise sur ces bancs, debout contre ces murs, accoudée à cette tribune, la révolution en habit d’ouvrier! C’est ici que l’Association internationale des travailleurs tient ses séances, et que la fédération des corporations ouvrières donne ses rendez-vous. Cela vaut tous les forums antiques, et par ces fenêtres peuvent passer des mots qui feront écumer la multitude, tout comme ceux que Danton, débraillé et tonnant, jetait par les croisées du Palais de Justice au peuple qu’affolait Robespierre. »


Sur quel chiffre d’adhérens pouvait compter, dans la population de Paris, ce double pouvoir qui se croyait assez fort pour renoncer à l’action occulte? Deux des chefs de l’Internationale, les citoyens Malon et Tolain, avaient été élus à Paris, l’un avec 117,000, l’autre avec 89,000 voix; mais des causes diverses avaient contribué à leur succès. Les votes qui appartiennent en propre et sans conteste aux élémens déjà groupés du comité central et de la future commune ne s’élèvent pas à 60,000[2]. Si l’on ajoute les purs révolutionnaires, étrangers à l’action toute socialiste de l’Internationale, mais prêts à la seconder dans une pensée de destruction, et la tourbe, toujours nombreuse dans une grande ville, des simples malfaiteurs, qui aiment le désordre pour lui-même et pour les profits qu’ils en espèrent, en dehors de toute passion politique, il faut sans doute doubler ce nombre, et il convient peut-être de le tripler en y faisant entrer les femmes et les enfans, dont on ne saurait, hélas! négliger le rôle dans les troubles civils[3]. Paris renfermait donc de 150,000 à 200,000 artisans de désordre, chiffre effrayant, loin cependant de la majorité, loin surtout d’avoir une valeur égale, comme expression de l’opinion parisienne, à celle des autres parties de la population. Presque tous les élémens en sont fournis en effet par ces faubourgs qui ne font partie de Paris que depuis une dizaine d’années et par cette masse à peu près nomade que déversent sans cesse dans Paris la province et l’étranger. Ajoutez que 200,000 individus égarés ou pervers ne donnent pas une force agissante de 200,000 rebelles. Une émeute ordinaire ne voit descendre dans la rue qu’une très faible partie de ceux dont les vœux sont avec elle. Le danger au 18 mars, on ne saurait trop le rappeler, était moins dans le nombre des ennemis de l’ordre que dans l’erreur d’un gouvernement qui, trop confiant dans l’esprit de l’armée et dans l’initiative des hommes d’ordre, appela lui-même aux armes le ban et l’arrière-ban de l’émeute, après leur avoir fourni toutes facilités pour une action commune. M. Jules Favre s’est amèrement reproché l’aveugle insistance avec laquelle il s’est opposé dans la négociation de l’armistice au désarmement de la garde nationale parisienne. Combien cette faute a-t-elle été aggravée par le maintien, malgré l’état de paix, d’un service actif réunissant chaque jour sous les armes un tiers de ces bataillons, dont une portion si considérable était dans la main des factieux! C’était, au nom de la loi, préparer le renversement de la loi; c’était retarder la reprise du travail en donnant une excuse légitime à ceux qui n’avaient plus le cœur à l’ouvrage, comme ils le disaient eux-mêmes, et qui craignaient moins de ne plus retrouver le salaire que de perdre la solde. C’était laisser les esprits faibles et flottans sous la direction des fauteurs de désordre; c’était enfui, quand une occasion propice s’offrirait aux chefs, leur donner une armée où les moins décidés, incorporés avec les plus ardens, soumis à la même discipline et recevant les mêmes ordres, suivraient docilement l’impulsion commune. On sait comment se grossissent les émeutes. Tel qui un instant auparavant ne songeait à rien de mal, une fois mêlé à la foule, en partage et quelquefois en dépasse toutes les fureurs. Or, le 18 mars, le gouvernement, résolu à frapper un grand coup en enlevant à la sédition les retranchemens qu’elle avait élevés et les canons dont elle s’était emparée sous un prétexte patriotique, n’attendait pas que la foule se soulevât; il se chargeait de la convoquer, il lui faisait un devoir de se grouper suivant les cadres qu’il lui avait assignés, sous des chefs dont un grand nombre méconnaissait son autorité, et ce n’était pas à un tiers, c’était à la totalité de la garde nationale qu’il faisait appel.

Le même appel s’adressait, il est vrai, à la partie de la garde nationale qui voulait l’ordre, et qui respectait la légalité. C’était la plus nombreuse, et, si elle avait pu être réunie tout entière sous une direction unique et bien entendue, l’issue de la journée eût sans doute été différente; mais à quelle horrible confusion, à quelles scènes de carnage n’était-ce pas s’exposer que de mettre aux prises, sous le même uniforme, les partis opposés entre lesquels se divisait une milice de 300,000 hommes! C’était d’ailleurs une hypothèse impossible. L’esprit de conservation est toujours moins ardent que l’esprit de destruction; s’il se monte parfois jusqu’à la fureur, c’est peu à peu, à la suite d’une lutte, en présence d’un péril manifeste et le plus souvent d’un péril passé, qui le remplit tout ensemble d’effroi et de colère. La majorité paisible de la population parisienne n’avait aucun soupçon de la catastrophe qui la menaçait. Après avoir enduré sans faiblir, avec un courage et une patience dont elle garde le droit d’être fière, les souffrances et les angoisses d’un long siège, elle avait hâte de rentrer dans les conditions de la vie régulière, et elle se prêtait difficilement à l’appréhension de nouvelles épreuves. L’avortement des tentatives d’émeute pendant le siège la tranquillisait pour l’avenir. Elle voyait une cause de rapprochement entre les classes dans les maux supportés en commun. Les désordres, les crimes même qui se produisaient sur quelques points ne troublaient pas la sécurité générale. L’ordre peut souffrir les plus sérieuses atteintes dans un quartier de Paris sans qu’on en sache rien à quelques pas plus loin. On l’apprend par les journaux le lendemain; on s’en indigne comme d’un fait odieux qui se serait passé dans une autre ville; on s’étonne que l’autorité n’ait pas mieux pris ses mesures, et, tout en maudissant les coupables et en plaignant les victimes, on éprouve à peine une vague inquiétude pour soi-même. Les canons braqués sur Montmartre par une insurrection en permanence ne donnaient pas l’idée d’un danger sérieux. L’absence de toute agitation tumultueuse autour de ces canons, le petit nombre, de jour en jour décroissant, de leurs gardiens, la placidité avec laquelle ils s’acquittaient de ce qu’ils semblaient considérer comme un devoir civique, ne laissaient voir que ce qu’il y avait de ridicule dans cette manifestation. C’était devenu un spectacle; on allait en partie de plaisir visiter le « mont Aventin. » La sécurité affectée par le gouvernement contribuait à éloigner toute alarme. Il laissait croire qu’il ajournait avec intention, non par impuissance ou par faiblesse, mais par prudence, pour ne pas lui attribuer trop de gravité, la répression d’une sédition puérile. Les plus clairvoyans sentaient bien qu’on jouait un jeu dangereux; ils pensaient qu’on ne saurait prendre trop de précautions contre un coup de main, qui, dans une aussi grande ville, peut en quelques heures accomplir une révolution, non-seulement sans le concours, mais à l’insu de la très grande majorité des habitans. Néanmoins, tout en blâmant le gouvernement de sa temporisation, ils ne doutaient pas eux-mêmes qu’il n’eût facilement raison des perturbateurs dès qu’il voudrait sérieusement agir. La confiance était générale dans le bon sens et dans le patriotisme de M; Thiers. Les organes les plus décidés de l’opinion démocratique étaient d’accord avec les journaux conservateurs pour souhaiter la bienvenue au chef du pouvoir exécutif élu par l’assemblée nationale. L’assemblée nationale elle-même, sans inspirer une égale confiance, obtenait plus de respect et de justice qu’on ne croit dans tous les partis où se conservait un peu de raison. Un journal qui se donnait à lui-même le nom de radical félicitait dès ses premières séances « cette assemblée, en majorité monarchique, » des gages qu’elle donnait à la république en choisissant un républicain pour président et en composant son bureau « d’hommes notoirement hostiles à l’ex-empire; » il ne doutait pas qu’elle ne fût a amenée par la force des choses à voir dans la république le seul terrain possible de conciliation, de paix, de liberté et d’ordre. » Les révolutionnaires extrêmes s’étaient seuls indignés de sa translation à Versailles. Les Parisiens les plus jaloux des droits séculaires de a la seule capitale possible de la France » lui savaient gré d’avoir résisté aux efforts qui tendaient à la retenir dans une ville du midi ou du centre, et d’avoir permis à Paris, en venant siéger dans son voisinage et en lui laissant toutes les grandes administrations, l’espoir de la posséder bientôt elle-même.

A défaut de griefs sérieux et universellement ressentis contre le gouvernement ou l’assemblée, l’opinion publique à Paris était-elle entraînée à favoriser l’esprit de désordre par le désir impatient de certaines réformes? On avait vu, à d’autres époques, des insurrections réussir en s’emparant d’une idée ou d’un mol qui faisait battre tous les cœurs. Rien de pareil au 18 mars. L’agitation était sans formule. On parlait partout d’une reconstruction de la société française comme du but vers lequel devaient converger tous les efforts; mais les idées les plus diverses s’attachaient à ces mots, et elles occupaient les esprits plutôt qu’elles ne soulevaient les passions. Le socialisme lui-même semblait craindre de se montrer. Il avait pris la direction du mouvement populaire sans arborer son drapeau. On ne parlait pas davantage de ces libertés municipales où l’insurrection, une fois maîtresse de Paris, devait chercher sa justification et un prétexte pour s’étendre dans toute la France. Le seul droit un peu précis qui fût revendiqué avec quelque insistance était l’élection du général en chef de la garde nationale, et l’on tenait si peu à ce prétendu droit qu’il n’en fut plus question après la victoire. Jamais cependant on n’avait plus parlé de guerre civile; mais ceux même qui annonçaient de nouvelles journées de juin comme une éventualité menaçante avaient peine à y croire, et répugnaient encore plus à s’y préparer. La haine de l’ennemi vainqueur avait épuisé tout ce qu’il y avait de fiel dans les âmes honnêtes, l’émulation dans la résistance, la prévoyance et l’initiative dont elles étaient susceptibles. Elles revenaient à leurs plus fâcheuses comme à leurs meilleures habitudes, parce que cela seul ne demandait aucun effort. Elles ne se refusaient pas, mais elles ne se portaient pas d’elles-mêmes à des résolutions efficaces : elles avaient besoin d’une vigoureuse impulsion, que les plus sages attendaient, que quelques ardens réclamaient avec instance, et qu’eussent suivie sans trop d’hésitation, pour peu qu’on eût pris soin de les réveiller, beaucoup de ceux qui s’endormaient dans une funeste confiance. L’isolement du gouvernement dans ces tristes jours n’est pas venu de l’abandon où l’ont laissé les hommes d’ordre, il est venu du peu d’efforts qu’il a faits pour les grouper autour de lui, pour les éclairer sur leurs dangers comme sur les siens, et pour s’assurer sous une forme précise le concours de toutes les bonnes volontés que les souffrances et les déceptions du siège n’avaient pas lassées.

De là le contraste entre la garde nationale du désordre et la garde nationale de l’ordre. Dans Tune, la passion s’unissait à l’intérêt pour rechercher le service, pour en provoquer au besoin les occasions. On en vivait, ou s’en amusait, on en faisait une base d’opérations contre la société qui le payait. Dans l’autre, un intérêt contraire s’unissait à l’absence de passion pour fuir des devoirs qui n’apparaissaient plus depuis la paix que par leur caractère rebutant. Les ouvriers honnêtes n’attendaient pour s’y soustraire que la reprise du travail. Les bourgeois n’y voyaient que leurs affaires ou leurs études troublées et leur santé compromise sans compensation. Les désagrémens les plus pénibles se faisaient gaîment supporter quand on était soutenu par l’ardeur patriotique; ils étaient devenus intolérables dès qu’il ne s’agissait plus que d’une mission de police. La convocation quotidienne d’un tiers de la garde nationale ne faisait que des mécontens dans les bataillons les mieux disposés : on comprenait d’autant moins la nécessité de ce déploiement de forces qu’il imposait à ceux qui s’y prêtaient les plus rudes fatigues sans que leur zèle fût mis sérieusement à profit pour le maintien ou pour le rétablissement de l’ordre. Les chefs ne faisaient rien pour donner un intérêt intelligible ou une sanction efficace à ces appels, dont ils étaient les premiers à se plaindre. Le nombre des réfractaires croissait tous les jours. La désorganisation était d’ailleurs à son comble dans la meilleure partie de la garde nationale, et l’autorité ne paraissait pas sentir le besoin d’y remédier. Les démissions d’officiers avaient été nombreuses après l’armistice. Beaucoup n’avaient sollicité ou accepté les grades que pour être les premiers au danger ou à l’honneur dans la lutte contre l’ennemi ; le ressentiment de la défaite et le besoin de repos les poussèrent également à s’en décharger quand ils n’y trouvèrent plus qu’un fardeau.

Et cependant, le 18 mars, beaucoup se réunirent soit le matin, soit dans la journée, lorsque des bruits sinistres commencèrent à circuler. Retenus par ordre dans leurs quartiers respectifs, inutiles dans ceux où l’émeute n’était pas à craindre, trop faibles pour lui résister dans les autres, ils ne formèrent qu’une force éparse qui ne pouvait rendre aucun service. Rassemblés avec un signe de ralliement et des instructions précises sur les points les plus menacés, réunis à l’armée régulière, dont ils auraient soutenu le moral, en même temps que son concours leur eût donné à eux-mêmes plus de confiance, ils pouvaient tout sauver sans effusion de sang peut-être, par le respect seul que leur nombre et leur fermeté eussent imposé à une insurrection où les hommes décidés à tout étaient encore en minorité. L’avant-veille, pendant la nuit, devant un des bastions les plus isolés des remparts, j’avais vu une poignée de gardes nationaux, qui étaient loin d’être des héros, faire reculer par leur ferme attitude une masse armée beaucoup plus nombreuse qui venait pour s’emparer d’un dépôt de cartouches.

Par malheur, l’armée est chargée seule de l’enlèvement des canons usurpés, et, en cas de résistance, des premiers efforts contre l’émeute. Réduite à 10,000 hommes après l’armistice, elle avait reçu peu à peu d’importans renforts, dont la plus grande partie avait été appelée de province. Les factieux n’avaient pas manqué de la circonvenir, de se faire l’écho de ses plaintes sur les imperfections inévitables d’une installation hâtive, à l’intéresser à leurs propres griefs contre le gouvernement et la société. C’est leur tactique habituelle, et il faut beaucoup de précautions pour en conjurer l’effet. Cette tactique devait réussir auprès de soldats mal disciplinés, sans confiance dans leurs chefs, et dont l’ardeur s’était éteinte dans les dernières péripéties de la guerre étrangère. Il était difficile de leur faire voir des ennemis dans ces gardes nationaux de Paris, dont le prestige était encore si grand dans toute la France, et de qui ils ne recevaient que des démonstrations amicales. Sauf de rares et impuissantes exceptions, ils se débandèrent partout où l’insurrection se présenta devant eux sous un uniforme qui n’éveillait dans leurs âmes que des sentimens sympathiques. Les meilleurs refusèrent de combattre; les plus mauvais ou les plus faibles jetèrent leurs armes, fraternisèrent avec l’émeute, et, soit scélératesse naturelle, soit besoin d’assourdir le cri du devoir, quelques-uns offrirent ou prêtèrent leurs bras pour les crimes les plus exécrables. Dès lors toute résistance est vaine. Là même où elle est essayée par les gardes nationaux fidèles, ils reçoivent l’ordre de céder. A cinq heures du soir, la plupart sont congédiés sans autre instruction que de rester chez eux et de se tenir prêts au premier signal. Le rappel bat toute la nuit; mais il ne bat que pour l’émeute, par l’ordre du comité central. Le lendemain matin, une proclamation signée par les ministres présens à Paris, après avoir rappelé les attentats commis, se terminait par ces mots qui, sous la forme d’un dernier appel, n’étaient qu’un reproche immérité : « Voulez-vous prendre la responsabilité de leurs assassinats et des ruines qu’ils vont accumuler? Alors demeurez chez vous; mais, si vous avez souci de l’honneur et de vos intérêts les plus sacrés, ralliez-vous au gouvernement de la république et à l’assemblée nationale. » Cette proclamation ne put être affichée. Beaucoup de gardes nationaux qui la lurent dans le Journal officiel sortirent, la rougeur au front, à la recherche d’ordres qui leur permissent enfin de se dégager de la solidarité honteuse dont ils étaient menacés. Les ordres étaient absens. Ce n’étaient de toutes parts que soldats jetant, donnant ou vendant leurs armes, que gardes nationaux insurgés campant auprès de barricades qui ne leur avaient pas été disputées, et devant les principaux édifices publics, qui leur avaient été livrés sans coup férir. Nulle trace d’ailleurs de cet enthousiasme qui suit les victoires populaires. A peine l’expression d’une satisfaction enfantine chez ceux qui se partagent les chassepots des soldats, ou qui veillent avec complaisance sur leurs canons. Les événemens sont encore confus pour tout le monde, et l’affiche qui révèle à la population la plus vaniteuse du monde entier les noms obscurs de ses nouveaux maîtres n’est pas propre à faire la lumière dans les esprits et dans les consciences.

Maintenant, dans cette néfaste journée, que devaient suivre de plus néfastes encore, quelles ont été les responsabilités? Le crime est tout entier du côté des insurgés et de ceux des soldats qui se sont faits leurs complices; ailleurs il n’y a eu que des fautes, et les plus graves ont été commises par les autorités civiles ou militaires, dont toutes les mesures ont été imprudentes ou mal conçues. Si on ne peut accuser l’illustre chef du gouvernement, retenu loin de Paris pendant et après le siège par les plus hauts comme les plus douloureux devoirs, dont aucun n’a été au-dessus de sa sagesse et de son énergie, sont-ils exempts de reproches ceux de ses auxiliaires qui, depuis plusieurs mois, étaient en possession du pouvoir dans Paris, avant de l’avoir reçu en dépôt de ses mains? Plus excusable peut-être a été la défaillance de l’armée, quand elle n’est pas allée jusqu’à la trahison formelle et à de criminels attentats. Trop d’exemples dans notre histoire contemporaine ont autorisé en quelque sorte la faiblesse des troupes régulières devant l’émeute, lorsque celle-ci prend l’apparence d’une révolution. Il ne faut pas oublier toutefois que la faiblesse ne s’est pas bornée, le 18 mars et les jours suivans, au refus de combattre, et que les postes les plus importans, même les forts, à l’exception du Mont-Valérien, même le château imprenable de Vincennes, ont été remis sans résistance aux insurgés. La garde nationale honnête n’a pas à se reprocher des actes semblables : elle a été aveugle, elle s’est prêtre avec mollesse à des devoirs dont elle n’a pas su ou comprendre l’importance; mais elle a offert en somme plus qu’il ne lui a été demandé, et, si elle a sa part de responsabilité dans le commun désastre, ce n’est pas assurément la plus grande.


II.

Le « comité central de la fédération de la garde nationale » ne fut pas moins habile dans le premier usage que dans la préparation et dans la poursuite de la victoire. Il affecta une modération extrême. Il ne s’était emparé du pouvoir que pour le rendre dans le plus bref délai « au peuple de Paris librement consulté. » Il reconnaissait tous les droits, ceux de la province comme ceux de Paris, et il ne songeait pas même à méconnaître ceux qu’avaient concédés à la Prusse les préliminaires de paix votés par une assemblée contre laquelle il s’était insurgé. Il ne s’agissait que d’une modeste révolution municipale. Il est vrai que cette révolution avait débuté par l’assassinat, et qu’elle se continuait par la terreur. Les arrestations arbitraires, presque toujours accompagnées de mauvais traitemens, se multipliaient. Les boutiques étaient mises au pillage sous forme de perquisitions ou de réquisitions. La garde nationale « fédérée, » comme s’intitulaient les mercenaires de l’insurrection, se livrait à tous les excès d’une soldatesque en délire dans une ville conquise; mais ces excès mêmes servaient doublement le comité central : ils effrayaient l’opposition, et ils étaient un argument pour rallier les indécis; tout rentrerait dans l’ordre, si les bons citoyens prêtaient main-forte aux autorités provisoires pour établir un régime définitif.

Les adhérens ne manquent jamais aux faits accomplis. Tant de coups de force se sont fait accepter sans résistance, que le succès en matière politique tient lieu de droit pour une foule d’esprits d’une honnêteté scrupuleuse dans la vie privée. D’autres moyens de séduction venaient encore en aide aux vainqueurs du 18 mars. Les habitudes d’obéissance et surtout la question de la solde ramenaient dans les rangs de la garde nationale rebelle bon nombre d’ouvriers paisibles restés jusque-là étrangers au mouvement, mais dont le sens moral n’était ni assez éclairé, ni assez ferme pour refuser de se soumettre aux seules autorités de qui ils pussent désormais recevoir des ordres et attendre leur subsistance. Aux adhérens par indifférence, par ignorance ou par besoin, se joignaient ceux que leurs passions ou leurs idées politiques rapprochaient de l’insurrection triomphante. Beaucoup qui n’auraient pas voulu renverser l’ordre légal craignaient maintenant qu’il ne pût être rétabli qu’aux dépens de la république : ils se ralliaient aux vainqueurs du jour par crainte des vainqueurs du lendemain. D’autres se laissaient séduire par cette idée, si libérale en elle-même, d’un conseil municipal élu : pourquoi repousser une révolution dont le premier et le seul acte officiel était de faire rentrer Paris dans le droit commun ? Les libertés municipales sont moins chères aux Parisiens que ne le prétend l’esprit de parti. Une population qui comprend des élémens aussi divers et aussi incohérens ne saurait former une véritable commune, dans le sens légal, non dans le sens révolutionnaire du mot; aussi toutes ses aspirations vont beaucoup plus à régner sur la France et sur le monde qu’à se gouverner elle-même. L’esprit français est toutefois trop logique, l’expérience de l’administration impériale était trop concluante, pour que chacun ne comprît pas ce qu’il y avait d’injuste et de funeste dans la situation d’une grande ville privée de tout droit de contrôle sur ses intérêts propres. Quelques esprits, qui ne manquaient ni de patriotisme, ni de lumière, n’étaient pas éloignés d’accueillir, en la dépouillant de son exagération, une autre idée qui se présentait dès lors comme le programme de la république nouvelle : celle d’une décentralisation municipale qui attribuerait aux communes, pour toutes les affaires municipales, une autonomie complète, et qui ne laisserait au gouvernement central que le soin des intérêts les plus généraux. C’était, comme on le rappelait dernièrement ici[4], le renversement de toute la tradition révolutionnaire; mais une telle volte-face ne scandalisait pas la masse du parti révolutionnaire, moins fidèle à ses principes qu’au besoin de destruction, et les naïfs, dans les autres partis, étaient tentés d’y applaudir comme à un retour aux idées vraiment libérales. En même temps qu’elle recrutait des partisans plus ou moins sympathiques, l’insurrection voyait ses adversaires les plus décidés lui laisser le champ libre. L’émigration commença dans les plus larges proportions dès la première semaine. Les uns fuyaient simplement par un sentiment de frayeur qui n’était que trop excusable; d’autres cédaient à un mouvement plus réfléchi. L’impuissance complète où ils se sentaient de rien faire pour le bien public les justifiait à leurs yeux de pourvoir avant tout à leurs intérêts personnels et au salut de leurs familles. Parmi les plus généreux et les plus droits, beaucoup estimaient qu’il n’y a qu’une façon honorable de protester contre des crimes que l’on ne peut empêcher : c’est de ne pas les autoriser en quelque sorte par sa présence. Tel semblait être en effet le rôle humiliant auquel étaient réduits les honnêtes gens que leurs devoirs, leurs intérêts, la médiocrité de leur fortune ou une certaine insouciance retenaient à Paris. Que pouvaient désormais quelques milliers d’hommes sans liens, sans direction, dont la plupart étaient découragés par une série inouïe de malheurs, et dont beaucoup, malgré les leçons qu’ils avaient reçues, étaient encore sous l’influence, non, comme on l’a dit, du luxe anglais et de la corruption italienne, mais de ce qu’il faut appeler de son vrai nom la décadence de la France impériale? Cependant ces honnêtes gens, qui se sont laissé accuser de couardise, manifestèrent dès le premier jour leur dégoût pour la plus ignoble des révolutions, et dès le suivant ils se préparèrent à la résistance. Dans tous les lieux publics, la réprobation s’exprimait sous la forme la plus vive. Des discussions s’engageaient devant les barricades elles-mêmes entre leurs gardiens armés et les hommes d’ordre sans armes, qui savaient souvent se faire écouter. Le Journal officiel dont l’insurrection s’était emparée comme de tous les instrumens de gouvernement, signalait lui-même les « groupes de vingt-cinq, cinquante et même cent personnes » qui se formaient sur les boulevards et s’y tenaient « en permanence, discutant, gesticulant et gênant la circulation.» — «Chaque groupe, ajoutait-il, possède quatre ou cinq orateurs en plein vent qui tiennent l’attention des auditeurs. Ces orateurs, presque tous réactionnaires, s’appuient sur ce thème, que ce qu’il faut maintenant, c’est le travail, et que le nouveau gouvernement est incapable d’en donner. » Ces premiers actes d’opposition trouvèrent un écho dans la presse, non-seulement sous la forme de critiques plus ou moins acerbes, mais sous celle d’une protestation collective à laquelle eurent le courage de s’associer les organes de toutes les opinions avouables, depuis les plus rétrogrades jusqu’aux plus radicales. Le terrain commun sur lequel se plaçaient tous ces journaux, c’était le respect de la souveraineté nationale, que représentait seule l’assemblée réunie à Versailles. Ils ne se laissaient ni effrayer par les menaces, ni duper par la feinte modération du pouvoir de fait qui siégeait à l’Hôtel de Ville. Ils refusaient des mains de ce pouvoir des élections municipales qui ne seraient que la consécration de la révolte.

Le jour où parut la déclaration de la presse, le 21 mars, la population elle-même fit directement une autre protestation collective d’un caractère plus significatif encore. Plusieurs centaines d’hommes sans armes parcoururent les principales rues de Paris, portant des drapeaux sur lesquels on lisait en grosses lettres : vive l’ordre! vive la république! vive l’assemblée nationale! à bas le comité! Leur nombre croissait à mesure qu’ils avançaient. Ceux même qui, soit timidité, soit hésitation légitime à faire, suivant une expression célèbre, « de l’ordre avec du désordre, » refusaient de se joindre à eux les saluaient des fenêtres. Sauf sur quelques points, les postes de gardes nationaux fédérés n’essayèrent pas de les arrêter. Nulle part leurs cris ne furent étouffés par des cris contraires. Or ce qu’ils criaient surtout à travers cette ville où l’on a prétendu que le gouvernement légal ne rencontrait qu’indifférence ou hostilité déclarée, c’était : vive l’assemblée nationale! Une démonstration plus imposante, sans armes encore, mais sous l’uniforme de la garde nationale, était annoncée pour le lendemain. Le parti vainqueur en vint à s’inquiéter. Un de ses organes, la Nouvelle République, invita les fédérés à disperser la manifestation par la force. Cette menace n’intimida pas les défenseurs de la légalité. On connaît la scène de carnage dont la place Vendôme fut le théâtre : des hommes pour qui le plus grand des crimes était de tirer sur une foule armée commandèrent un feu meurtrier contre une foule sans armes; c’était, suivant leur journal officiel, user des droits de l’autorité contre les « émeutiers. »

La guerre civile était engagée. Le parti de l’ordre, dont s’honore désormais de prendre le nom tout ce qu’il y a d’éclairé et d’honnête dans le parti républicain, n’en décline pas les cruels devoirs. Un vaste îlot est resté libre au cœur de Paris. Il s’étend des halles centrales à la gare Saint-Lazare, comprenant le second arrondissement tout entier et une partie du premier et du neuvième. Les gardes nationaux de ces quai-tiers y maintiennent des postes permanens qui en ferment l’accès à la rébellion, partout ailleurs triomphante. Dans plusieurs arrondissemens, les bataillons ou les portions de bataillon fidèles à l’assemblée nationale se réorganisent. Passant par-dessus les formalités légales, avec un esprit d’initiative plus rare à Paris que partout ailleurs, ils complètent leurs cadres, remplacent leurs chefs démissionnaires ou absens, et se réunissent en légions, à la tête desquelles ils aiment à placer quelques-uns de ces officiers supérieurs de marine que leur énergie pendant le siège a rendus si populaires. Ils ont leurs places d’armes au milieu des postes occupés par les fédérés. L’Ecole polytechnique, entre la place Maubert, aux souvenirs populaires, et celle du Panthéon, où campent jour et nuit quelques-uns des bataillons les plus dévoués au comité central, reçoit la légion du 5e arrondissement. Les premières compagnies qui viennent l’occuper s’y rendent sans bruit, le soir. Ce n’est encore qu’une conspiration; le lendemain, c’est déjà une force assez sûre d’elle-même pour agir en pleine lumière. Toute la journée, les retardataires arrivent, isolément ou par groupes, le fusil sur l’épaule. On les regarde passer non sans inquiétude, nul ne les arrête. A quelques mètres de la porte de l’école se tiennent attentifs les factionnaires de l’autre parti. Le second soir, les préparatifs étaient faits pour soutenir un siège et pour tenter au besoin une sortie agressive. Des adhésions inespérées étaient venues de la part de bataillons qui semblaient acquis au pouvoir insurrectionnel. L’assurance de toucher la solde rallie beaucoup d’ouvriers indifférens ou indécis; d’autres recrues, plus désintéressées, sont fournies par la jeunesse des écoles, infidèle cette fois à ses habitudes révolutionnaires en présenc3 d’une insurrection où elle ne rencontre rien de ce qui parle à l’intelligence, rien de ce qui soulève les passions généreuses.

Ce n’est pas assez de la résistance organisée par arrondissemens; il faut une direction centrale, que l’on ne peut attendre que du gouvernement lui-même. Depuis le 18 mars, le gouvernement n’est plus représenté dans Paris. Il a fait son devoir en se transportant tout entier à Versailles : le salut de la France devait passer avant celui de sa capitale. Ce qui est moins justifiable, c’est le départ du maire de Paris et du général en chef de la garde nationale. Leur place ne pouvait être ailleurs que dans la ville confiée à leur vigilance. Chassés par l’émeute de leur résidence officielle, ils pouvaient trouver un abri provisoire sur quelqu’un des points qui avaient échappé à l’émeute. S’ils se sentaient trop peu populaires pour rendre des services, ils devaient solliciter leur remplacement immédiat. Le général d’Aurelle de Paladines fut seul remplacé le 20 mars. Nul ne pouvait être mieux accueilli pour commander la garde nationale que l’amiral Saisset. Le nom de l’amiral était l’un des plus populaires dans cette courageuse marine qui eût sauvé Paris, si Paris avait pu être sauvé; il venait le septième, par ordre de suffrages, sur la liste des quarante-trois députés de la Seine. Malheureusement l’installation de son état-major au Grand-Hôtel fut tardive et toujours imparfaite, et son commandement de trois jours ne s’exerça jamais qu’au milieu d’une confusion inévitable. La garde nationale d’ailleurs, par son caractère mixte, réclame une direction civile autant qu’une direction militaire. Le maire de Paris n’étant plus revenu à son poste et n’y ayant pas été remplacé, les municipalités des arrondissemens se trouvèrent investies par la force des choses de tous les pouvoirs civils, qui leur furent confirmés par une délégation, officieuse plutôt qu’officielle, du gouvernement de Versailles. C’était une situation regrettable à tous égards. Elle était incompatible avec l’unité de direction; elle faisait prévaloir des influences qui ne représentaient ni l’esprit du gouvernement, ni surtout celui de l’assemblée. Les municipalités s’étaient désorganisées avant le siège, comme la garde nationale elle-même. Parmi les maires et les adjoints les plus attachés à l’ordre, plusieurs avaient donné leur démission. Après le 18 mars, d’autres se retirèrent par respect de la légalité. L’esprit radical domina ainsi dans ce qui restait des municipalités. Il dominait également dans une fraction de la députation de Paris qui s’associa d’office à leurs actes. De là ces compromis malheureux qui furent proposés pendant une semaine au gouvernement et à l’assemblée. Ils blessaient, dans toute la France et à Paris même, tous ceux qui avaient un vif sentiment du droit. Ils tranchaient brusquement des questions qui n’étaient pas mûres, et qui ne pouvaient sans péril recevoir une solution précipitée. Ils ne donnaient satisfaction qu’aux demandes avouées des révolutionnaires, dont ils ne pouvaient ni contenter les aspirations réelles, ni désarmer les ressentimens. Ils n’étaient propres qu’à rallier ceux qui s’étaient laissé duper par les promesses d’autonomie municipale dont le comité central avait couvert son usurpation.

L’excuse des députés et des maires est dans une situation tellement grosse de dangers que le gouvernement parut entrer lui-même à leur suite dans ces tentatives de conciliation, et que l’assemblée, quoique non sans mauvaise humeur, ne refusa pas de les discuter. L’amiral Saisset ne craignit pas de fortifier de son autorité et de celle du gouvernement ce qu’il y avait de plus excessif dans ces projets de compromis, lorsqu’il adressa au peuple de Paris la proclamation suivante :


« Chers concitoyens,

« Je m’empresse de porter à votre connaissance que, d’accord avec les députés de la Seine et les maires élus de Paris, nous avons obtenu du gouvernement de l’assemblée nationale :

« 1° La reconnaissance complète de vos franchises municipales,

« 2° L’élection de tous les officiers de la garde nationale, y compris le général en chef. »


Ces concessions, qui ne furent ni confirmées, ni démenties, dépassaient les réclamations légitimes des partis libéraux. Elles effrayèrent beaucoup d’hommes d’ordre; les révolutionnaires n’y virent qu’un encouragement à redoubler d’audace. L’empressement avec lequel les autorités officielles ou officieuses de Paris proposaient des compromis aussi peu acceptables, la résignation des pouvoirs de Versailles à les subir ou du moins à les discuter, s’expliquent trop bien aujourd’hui. La guerre entre habitans d’une même ville est chose assez affreuse pour que des hommes moins rapprochés par leurs opinions de ceux qu’il fallait combattre que les maires radicaux et les députés de l’extrême gauche soient excusables d’avoir tout tenté pour la prévenir.

Le seul compromis légitime eût été de prendre au mot le comité central en permettant sous toutes réserves les élections dont il s’était engagé à respecter l’arrêt, quel qu’il lût. Il ne s’agissait pas pour le pouvoir légal de prendre un engagement semblable; il ne se fût pas obligé à reconnaître un conseil municipal irrégulièrement élu : il n’eût fait que laisser à la population honnête de Paris un moyen pratique de manifester ses sentimens. Ce compromis fut la dernière et tardive ressource des maires et des députés la veille même des élections, lorsqu’ils eurent perdu tout espoir d’en obtenir l’ajournement. Le comité central ne pouvait faire procéder au vote qu’après avoir brisé ou vu céder toute résistance. La lutte devenait imminente : les conciliateurs ne voulurent pas en assumer la responsabilité; ils consentirent à une nouvelle capitulation de Paris, les uns tacitement, en s’abstenant de tout acte, les autres expressément, en signant un pacte par lequel ils acceptaient les élections pour le lendemain, sans autre garantie que la réintégration des municipalités légales dans les mairies dont elles avaient été dépossédées. Cette clause, même était un leurre; rien ne fut tenté pour en assurer l’exécution. L’usurpation était consommée du consentement de ceux qui avaient été les derniers représentans du droit. L’amiral Saisset se retira sans mot dire; les gardes nationaux fidèles furent renvoyés dans leurs foyers; la population crut à une paix sincère, légalement conclue. L’illusion dura peu, même dans les masses : les hommes vraiment éclairés ne l’avaient jamais partagée; dès la première annonce de ce déplorable arrangement, ils sentirent que tout était perdu.

Les signataires de cet arrangement demandèrent à l’assemblée d’approuver leur conduite; elle s’y refusa sans leur infliger d’autre part une censure expresse. Elle garda la juste mesure. Ils avaient empiété sur sa souveraineté, et ils n’avaient pas même la justification d’un service rendu à sa cause. Les élections ne pouvaient être bonnes que si tous les bons citoyens y prenaient part avec entente. Ordonnées par un pouvoir usurpateur, consenties par une autorité légale qui outre-passait son mandat, elles ne pouvaient que répugner à tous ceux qui avaient le souci du droit. Ceux qui crurent pouvoir sortir de la légalité stricte pour éviter de plus grands malheurs, ou qui se laissèrent tromper par l’apparence d’un acte régulier, étaient réduits à voter en aveugles. Le temps manquait pour arrêter et pour publier des listes sur lesquelles pût se faire l’accord de tous les hommes d’ordre. Il était permis tout au plus, comme l’événement le prouva, d’espérer quelques choix passables qui ne pouvaient, par suite de leur petit nombre, qu’aboutir à autant de démissions. Le champ devait rester libre aux élus de l’insurrection, et l’acceptation du vote semblait leur donner la consécration d’une sorte de droit.

Faut-il donc blâmer ceux qui avaient pris en main les intérêts de Paris d’avoir reculé devant la guerre civile, et, en se résignant à une capitulation nécessaire, d’avoir cherché à en adoucir l’amertume pour la population généreuse dont ils avaient encouragé les efforts? Ils pouvaient, ils devaient peut-être subir pour leur compte les élections; il ne leur appartenait pas de les autoriser, ils étaient surtout inexcusables de les ordonner en laissant mettre leurs signatures à la suite de celles du comité central. Ils devaient abandonner à la conscience de chacun le parti à prendre, soit l’abstention par respect scrupuleux du droit, soit le vote en vue d’atténuer autant que possible la tyrannie que ces élections irrégulières allaient faire peser sur Paris. Ils ne devaient pas moins ne laisser aucun doute dans l’esprit des électeurs sur le caractère illégal du conseil qu’il s’agissait d’élire. Ceux d’entre eux qui se sont abstenus ont compris ainsi leur devoir, les autres ont été coupables; mais il convient d’ajouter qu’ils ne l’ont pas été au même degré. On peut suspecter les intentions de ceux qui ont siégé à la commune, ou qui ont pris part sous son règne à des actes manifestement factieux; la sévérité serait injuste à l’égard de ceux qui avaient donné auparavant et qui ont continué à donner des gages assurés de leur fidélité à l’ordre. C’est surtout pour une crise comme celle-ci qu’il est vrai de dire avec un penseur éminent que « le difficile n’est pas de faire son devoir par les temps d’épreuves civiles, mais de le connaître. » Qui n’a jamais failli avant et après le 18 mars? Paris en somme n’a pas à rougir du rôle qu’ont joué jusqu’à ces tristes élections quelques-uns de ceux qu’il avait élus pour l’administrer ou pour le représenter, et l’assemblée a été sage de les désavouer sans les condamner. Dès le 13 mars, dans la dernière réunion des maires au ministère de l’intérieur, l’un d’eux demandait formellement que le soir même le comité central fût dissous et ses membres arrêtés. Cet acte de vigueur parut prématuré; il était moins imprudent que celui qui, cinq jours plus tard, devait avoir une si funeste issue. Si Paris a conservé pendant huit jours des autorités légales, il ne le doit qu’à ses élus. Les municipalités se tiennent en permanence soit dans leurs mairies respectives, soit, quand elles en ont été expulsées, dans celle du 2e arrondissement. Par leurs soins, des affiches partout apposées à côté des proclamations et des décrets de l’Hôtel de Ville apprennent aux habitans de Paris ce que fait pour eux à Versailles le gouvernement national de la France, et ce qu’essaient en son nom à Paris même les autorités qui le représentent. Sous leur direction, la résistance s’organise, et, si elle n’aboutit qu’à un avortement, elle est loin d’avoir été inutile. Elle a, pendant une semaine, arrêté la marché envahissante de l’insurrection, et gagné du temps pour les préparatifs plus efficaces qui se faisaient au dehors. Si elle-même s’est vue paralysée par une capitulation soudaine, cette capitulation, si regrettable dans sa forme et dans quelques-unes de ses conséquences, n’a pas été sans profit. La guerre civile dans Paris pouvait être immédiatement suivie, après la défaite inévitable des défenseurs du droit et dans l’enivrement de la victoire, de cette attaque contre Versailles que les élections et l’installation de la commune ont retardée d’une autre semaine : ces quinze jours de répit, en facilitant la réorganisation de l’armée, ont peut-être été le salut de la France.


III.

Le comité central avait été habile ; la commune, quoiqu’elle eût hérité d’une partie de ses membres, ne fut que violente. Elle fut au-dessous de toutes les tyrannies par l’inutilité, ou, pour mieux dire, l’insanité de ses crimes. Elle ne sut que faire revivre les mots de 1793, sans y faire passer le souffle qui les animait. Loin d’avoir des hommes d’état, elle n’eut pas même des tribuns. Dans ses ternes séances, qu’elle n’osa pas rendre publiques, et dont elle hésita longtemps adonner le compte-rendu, il n’y avait pas trace de cette éloquence enflammée qui devait, suivant un de ses membres, faire « écumer la multitude, » et rappeler « Danton débraillé et tonnant. » Et cependant cette assemblée où l’ineptie le disputait à la perversité, loin de perdre ses adhérons, en vit croître le nombre ; on la servait en la méprisant, on lui témoignait son dédain en s’abstenant de voter aux élections destinées à la compléter, on n’en obéissait pas moins à ses plus absurdes décrets, et on persistait à se battre pour elle. Tous ses soldats n’étaient pas également braves : beaucoup s’enfuyaient au premier choc, presque tous se lassaient après un service assidu hors des murs, ils rentraient en criant à la trahison ; mais ils ne passaient pas à l’ennemi. La commune se soutenait par les espérances de transformation sociale qui s’attachaient à son nom, par la solde qu’elle assurait à tous les gardes nationaux qui reconnaissaient son autorité, par l’organisation et la quasi-discipline de ses bataillons, par une sorte de point d’honneur militaire qu’il n’était pas rare de rencontrer chez ces hommes du peuple dont l’orgueil avait été si imprudemment exalté et si amèrement déçu ; elle se soutenait surtout par la défiance et la haine dont les « Versaillais » étaient l’objet. J’ai entendu des gardes nationaux emprisonnés au nom de la commune, et qui n’avaient aucune raison de lui être attachés, s’écrier en montrant le poing : « Toute notre haine est pour Versailles ! » M. Guizot a dit excellemment : « Rien n’égale l’empressement des passions populaires à croire ce qui leur plaît et à excuser ce qui les sert[5]. » L’état de démence dans lequel a vécu une partie considérable de Paris sous la commune est résumé dans cette phrase. — Tous les griefs contre un gouvernement abhorré étaient acceptés aveuglément. On ne doutait pas de l’imminence d’une restauration monarchique; c’était un article de foi qu’il n’y avait pas autre chose dans l’armée adverse que « les zouaves pontificaux de Charette, les chouans de Cathelineau et les sergens de ville de Valentin; » on se rendait complice de toutes les atrocités attribuées aux suppôts de la réaction quand on en demandait la preuve. Auprès des crimes des à Versaillais, » les plus abominables excès des « communeux » passaient pour de peccadilles ou des actes de légitime défense. « On fait pire à Versailles, » disaient les plus modérés. C’était le thème habituel des journaux populaires, même de ceux qui ne craignaient pas de flétrir ou de railler les actes de la commune.

Un langage semblable se tenait parfois en des milieux où l’insurrection n’avait jusqu’alors rencontré qu’antipathie. Même en faisant la part des exagérations, le second siège rappelait le premier, éveillait des sentimens du même genre. Ceux qui en souffraient avaient quelque peine à distinguer d’un ennemi l’ami qui les tenait en partie bloqués, qui envoyait des obus sur leurs maisons, qui les menaçait d’une prise d’assaut suivie d’une affreuse boucherie dans leurs rues barricadées, qui les exposait enfin à toutes les conséquences de l’exaspération de leurs coassiégés. De là une disposition trop répandue à placer sur la même ligne la commune et le gouvernement légal; de là cette forme comminatoire sous laquelle se produisaient de nouvelles tentatives de conciliation. Repoussés à l’Hôtel de Ville avec plus de hauteur qu’à Versailles, les promoteurs de ces tentatives ne montraient d’égards que pour le pouvoir insurrectionnel : ils lui empruntaient presque tout son programme, ils affectaient, en lui adressant leurs requêtes, une certaine confiance en sa sagesse; à peine osaient-ils se plaindre de son refus. Versailles au contraire était menacé du soulèvement de tout Paris, s’il rejetait un seul article d’un traité de paix qui eût été le complet anéantissement des droits de la France sur sa capitale. L’esprit révolutionnaire dictait seul ces propositions : plus d’un défenseur de la commune était parmi leurs adhérens ; mais il s’y trouvait aussi bon nombre d’honnêtes gens égarés ou aigris. D’autres propositions, plus modérées, mais non moins inopportunes, étaient présentées par des hommes à qui l’insurrection n’inspirait qu’horreur. Le refus inévitable auquel ils s’exposaient fournissait de nouveaux griefs aux ennemis de l’ordre ; les passions factieuses s’emparaient même des formes bienveillantes dont ce refus était entouré pour jeter la défiance entre le pouvoir exécutif et l’assemblée. La masse des hommes d’ordre ne se laissait pas entamer par toutes ces causes de malentendus ; mais, privée désormais de toute garantie légale, voyant la situation de plus en plus trouble, elle se laissait aller à l’impatience, au découragement, et, si elle ne s’égarait pas dans ses vœux, elle ne savait, en dehors d’un seul homme, en qui mettre sa confiance.

Une vaste conspiration dans l’intérêt de l’ordre avait donc contre elle toutes les chances. Elle fut tentée cependant, reçut une extension considérable, s’assura des instrumens dans les rangs et parmi les chefs de l’insurrection, et, quoique soupçonnée, quoique dénoncée à la population par la commune, qui prétendait tenir « tous les fils de cette intrigue ténébreuse, » elle sut se dérober à toutes les recherches. Un jeune lieutenant de vaisseau qui avait concouru à la défense de Paris comme colonel d’une légion bretonne, M. Domalain, en prit l’initiative. Il fut activement secondé par un lieutenant-colonel de l’ancienne garde nationale, M. Charpentier. Il s’agissait non pas d’un soulèvement, mais d’un concours énergique à donner aux troupes lorsqu’elles entreraient dans Paris. Plusieurs milliers d’hommes étaient acquis à cette œuvre de délivrance, et ils pouvaient compter que la partie la plus ferme des honnêtes gens restés à Paris n’hésiterait pas à les suivre au moment décisif. Le gouvernement était averti, un signe de reconnaissance convenu, une proclamation préparée. Tout fut déconcerté par l’entrée, inopinée pour elle-même de l’armée, le 21 mai. Il ne put être entrepris que quelques mouvemens isolés, doublement périlleux, car sans ordres, sans mots de ralliement, on avait tout à craindre de la défiance des soldats comme de la fureur des fédérés. Les hommes de cœur qui ont payé de leur vie ces actes d’audace, les commandans Durouchoux et Poulizac, le capitaine Verdier, n’en font que plus d’honneur à la garde nationale fidèle.

De tels traits d’héroïsme ont été rares par la faute des circonstances ; mais le courage et le dévoûment des honnêtes gens de Paris ont pu se prodiguer sous bien d’autres formes pendant le règne et à la chute de la commune. Refuser de servir un pouvoir usurpateur n’est qu’un courage négatif commandé par le strict devoir. Il ne faut pas l’admirer dans les classes supérieures, pour lesquelles les moyens de fuir ou de se cacher ne manquaient point, et qui n’étaient pas d’ailleurs l’objet de recherches bien rigoureuses. Les fédérés tenaient peu à incorporer de force des bourgeois dans leurs rangs; ils n’étaient impitoyables que pour les ouvriers réfractaires. La résistance à leurs ordres et la fermeté devant leurs menaces sont particulièrement méritoires chez des hommes dont la défaillance eût pu avoir l’excuse non-seulement de la contrainte, mais de l’ignorance et de l’exemple. Beaucoup, pour échapper à un service odieux, n’ont pas hésité à quitter leur mansarde, leur famille, leur travail. Trop pauvres pour émigrer, ils se réfugiaient dans d’autres quartiers, s’y tenaient cachas, et n’en sortaient que le soir, de temps en temps, pour venir, au risque de leur vie, se retremper auprès des êtres chéris dont ils s’étaient séparés par devoir. Combien ont été surpris, et, plutôt que de céder, ont accepté la prison, plus d’une fois même la mort immédiate sans procès ! Pendant les derniers combats surtout, les arrestations, les fusillades sommaires, se sont multipliées pour ceux qui refusaient de monter sur les barricades. On ne distinguait plus alors entre les ouvriers et les bourgeois, entre les jeunes gens et les hommes mûrs; on prenait quiconque s’aventurait dans les rues, on fouillait même les maisons.

Dans cette suprême agonie de la guerre civile, le domicile privé n’était pas seulement violé pour rechercher les réfractaires. Une surveillance inquisitoriale était exercée sur les maisons pour assurer l’exécution d’ordres arbitraires; des hommes armés y pénétraient sous le moindre prétexte, se faisaient tout ouvrir sans plus de respect pour les propriétés que pour les personnes. Dans beaucoup de maisons, l’invasion a pour but de tirer par les fenêtres sur les troupes; dans plus d’une, elle apporte l’incendie. Un grand nombre d’appartemens dont les locataires ont fui n’ont pour gardiens que les concierges ou des domestiques : s’il y a eu des actes de faiblesse, parfois même des actes de trahison parmi des hommes sans éducation chargés d’une si redoutable responsabilité, beaucoup ont fait preuve d’un rare dévoûment, et, si les ravages n’ont pas été plus considérables, on le doit surtout à leur présence d’esprit et à leur énergie. Les classes inférieures, comme toujours, ont fourni à l’insurrection le plus fort contingent; il n’est que plus juste de rappeler les grands exemples qu’elles ont donnés.

C’est aussi aux classes inférieures qu’il faut faire honneur de la fidélité et du dévoûment qu’ont montrés presque sans exception, sous la commune, les serviteurs subalternes de l’état. La plupart étaient restés à leur poste du consentement formel ou tacite de leurs chefs. Leur conscience n’était pas engagée dans les services tout matériels que pouvaient exiger d’eux les usurpateurs des fonctions publiques, et eux seuls pouvaient protéger utilement de précieux intérêts. Placés entre leurs anciens et leurs nouveaux chefs, leur rôle était d’autant plus délicat qu’ils étaient seuls juges de la mesure qu’ils devaient y apporter. Ils se sont généralement acquittés de leurs difficiles devoirs avec autant de prudence que de fermeté. Ils ont veillé jusqu’à la fin sur le matériel des établissemens publics et sur le mobilier personnel des fonctionnaires en fuite. S’ils n’ont pu partout empêcher les incendies, ils les ont circonscrits. Leur vigilance s’est multipliée pour détourner des dépôts de poudre la fureur des incendiaires, pour couper les mèches et les fils de communication, et, quand ils n’avaient pu prévenir les désastres les plus terribles, pour essayer d’éteindre le feu ou du moins de lui arracher, avant de se mettre eux-mêmes en sûreté, quelques-uns des objets confiés à leur garde. Je cède à un sentiment de reconnaissance personnelle en donnant une mention spéciale, parmi ces modestes et courageux employés, à ceux des prisons. Ils étaient pleins d’égards pour les détenus honnêtes (il n’y en avait guère d’autres). Par une attention délicate, ils réunissaient de préférence, pour la promenade, ceux entre qui ils devinaient une certaine affinité d’éducation et de goûts. « Nous étions ici avant la commune, » disaient-ils à demi-voix, non sans une certaine fierté. Les marques d’humanité qu’ils se plaisaient à donner n’étaient pas sans péril. Le greffier du dépôt de la préfecture de police passait de son bureau dans une cellule, où il restait quarante jours, pour avoir témoigné quelque compassion aux premiers et aux plus éminens otages de la commune : l’archevêque de Paris, le curé de la Madeleine, le président Bonjean. Quand le moment suprême fut venu pour les prisonniers, menacés par l’incendie à défaut du massacre, beaucoup furent sauvés par leurs gardiens, qui leur ouvrirent les portes, leur procurèrent des déguisemens, ou bien, après les avoir fait sortir de leurs cellules, se joignirent à eux pour éteindre le feu en attendant les troupes libératrices.

Les fonctionnaires d’un ordre supérieur n’avaient pas tous quitté Paris. Beaucoup, bien qu’empêchés de remplir leurs fonctions, n’avaient pas cru devoir en déserter le siège, tant qu’ils n’étaient pas appelés ailleurs par des obligations plus impérieuses. Quelle plus belle fin que celle de M. Bonjean ! Après avoir partagé depuis le mois de septembre toutes les épreuves de la population parisienne, il s’était donné à peine quelques jours de congé, vers le milieu de mars, pour embrasser sa famille, dont il était resté séparé pendant six mois. Il se hâte de revenir à Paris en apprenant le triomphe de l’insurrection. Premier dignitaire par intérim de la magistrature française, il estime que sa place ne peut être que là où le droit est en souffrance. Arrêté presque aussitôt après son retour, il est retenu comme otage. Malade, on demande qu’il soit transféré à la maison municipale de santé. L’ordre de transfert est signé par le « délégué militaire à l’ex-préfecture de police, » le « général » Duval : le « délégué civil, » Raoul Rigault, s’y oppose. — « Bonjean ne sortira, s’écrie-t-il, que lorsque Blanqui nous aura été rendu, et il viendra ici même, à mon bureau, me demander sa grâce! » M. Bonjean ne fit pas entendre une plainte. Peu de jours avant sa mort, répondant à un jeune ami qui lui reprochait son imprudence, il expliquait les nobles motifs auxquels il avait obéi, et il ajoutait que, si c’était à recommencer, malgré la cruelle expérience qu’il avait faite, sa conduite serait la même.

Les fonctionnaires dont les emplois étaient étrangers à la politique ou à l’administration proprement dite avaient reçu pour instruction de continuer à les remplir tant que des actes contraires à leurs devoirs ne leur seraient pas imposés. C’était une situation pleine de périls, dont toutes les exigences ont été acceptées sans murmures et observées sans défaillance. Elle pouvait obliger à des actes de résistance légale qui pour la commune étaient des crimes. Ceux qui ne recevaient pas d’ordres des délégués ou des agens de la commune étaient compromis par le seul fait des relations qu’ils étaient obligés d’entretenir avec leurs chefs réfugiés à Versailles. La bureaucratie n’abdique jamais ses droits. Des circulaires étaient envoyées, des rapports officiels ou confidentiels demandés comme par le passé, sans souci du décret sur les otages, qui menaçait de mort « toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles. » Un tel chef d’accusation était le prétexte le plus ordinaire des emprisonnemens : les fonctionnaires fidèles enfermés dans Paris n’ont jamais cherché à en décliner les périls.

Ce sont surtout les fonctions intellectuelles, si l’on peut ainsi parler, l’enseignement public, les services scientifiques, la conservation des bibliothèques et des musées, qui ont continué à être remplies par leurs titulaires légitimes. L’intelligence était la moindre préoccupation des hommes de la commune, bien qu’ils eussent un « délégué à l’instruction publique. » Leur sollicitude n’était excitée que par l’enseignement primaire. Ils voulaient en faire je ne sais quel « enseignement intégral ; » mais au fond ils n’y apportaient que la passion irréligieuse. Ils respectèrent les instituteurs laïques, ils expulsèrent les congréganistes. Dans une note de leur Journal officiel qui n’a pas été une de leurs moindres infamies, ils accusaient de désertion les frères de la doctrine chrétienne et les sœurs, et se justifiaient ainsi de les avoir remplacés. C’était ajouter la calomnie à la violence. Les instituteurs et les institutrices congréganistes n’ont quitté leur poste qu’à la suite d’une expulsion brutale, le plus souvent accompagnée de pillage, et plus d’une fois suivie d’arrestations. L’enseignement secondaire est resté à l’abri d’actes directs d’ingérence; ses membres ont pu continuer leurs fonctions sans recevoir d’autres ordres que ceux de leurs chefs légitimes. Ils ne les ont pas toutefois continuées sans danger. Les plus jeunes professeurs étaient atteints par la loi des réfractaires; tous étaient menacés par la fureur des derniers jours. Les lycées n’ont pas d’ailleurs évité l’invasion, s’ils ont échappé à une immixtion directe. Quelques-uns ont eu à subir le hideux drapeau rouge, qu’ils ont dû supporter, non-seulement par prudence, dans l’intérêt de leurs élèves, mais en vertu d’un ordre venu de Versailles. Cette concession elle-même a failli être un nouveau péril : la première fois qu’ils ont vu cet emblème de la démagogie, les élèves du lycée Charlemagne ont tenté de l’arracher, et ce n’est pas sans peine qu’on a contenu leur généreuse indignation. Plusieurs lycées ont été occupés, soit partiellement, soit en totalité. La situation a été particulièrement terrible pour le lycée de Vanves, placé pendant deux mois au centre des combats les plus acharnés. Le courageux proviseur, M. Clevriaux, n’a pas voulu l’abandonner. Laissé sans instructions, il n’a pris sous sa responsabilité que de pourvoir au salut de ses élèves et des fonctionnaires sous ses ordres. Il n’a pas tardé à être arrêté comme coupable d’entretenir des relations avec Versailles. À ce crime se joignait pour lui celui d’avoir fait son devoir dans les journées de juin 1848 comme chef de bataillon de la garde mobile, et de s’être trouvé une seconde fois en face de l’émeute, le 31 octobre 1870, comme chargé au même titre du commandement de l’Hôtel de Ville. Enfermé à Mazas, il était un des otages le plus naturellement désignés à la vengeance des assassins. Le dévoûment d’un gardien le sauva la veille de la reprise de la prison par les troupes.

De même que l’enseignement secondaire, l’enseignement supérieur et les établissemens consacrés aux sciences et aux arts avaient été à peu près respectés. Le gouvernement avait cru sage de suspendre les cours publics. Les étudians étaient d’ailleurs presque tous partis pour échapper à l’obligation de la guerre civile sous le drapeau de la commune. Un essai de réorganisation révolutionnaire à l’École de médecine échoua misérablement. La Bibliothèque nationale reçut des mains de la commune un directeur que les conservateurs se résignèrent à reconnaître par un accord qui, sous l’apparence d’un pacte avec l’insurrection, était un acte de courage. La garde de leurs collections passait pour eux avant le scrupule des formes légales. Les musées du Louvre subirent la « fédération des artistes, » à laquelle se soumirent, au nom des mêmes devoirs et avec le même courage, les employés fidèles. Révoqués, ils n’abandonnèrent pas leur dépôt; l’un d’eux, M. Barbet de Jouy, sollicitait et obtenait l’honneur d’y rester attaché comme simple gardien. Si presque tous les établissemens voués aux travaux et aux œuvres de l’intelligence ont pu être sauvés, ils le doivent au dévoûment de ces fonctionnaires de tout ordre, qui n’ont voulu fuir ni les périls généraux de Paris, ni les périls particuliers de leur service. Leur présence assidue, le zèle dont ils ne se sont jamais départis, ont détourné ou limité, même dans les derniers jours, les velléités d’envahissement. Ils ont presque partout imposé aux incendiaires, et, quand ils n’ont pu arrêter leur rage, ils en ont atténué les effets. Les Archives, dans un des quartiers les plus exposés, ont été préservées par l’énergique vigilance de leur directeur, M. Alfred Maury, et de ses employés. M. Barbet de Jouy, de conservateur devenu gardien, de concert avec deux autres fonctionnaires qui s’étaient maintenus à leur poste, MM. Héron de Villefosse et Morœnt, a sauvé les collections du Louvre après des prodiges de présence d’esprit et d’audace; mais c’est surtout à l’Observatoire que le dévoûment à la science a pris un caractère dramatique. Il faut lire l’émouvant récit du chef du bureau météorologique, M. Marié-Davy[6] : ces trois jours passés au milieu des fédérés, — leur surprise en voyant que leur présence et leurs formidables mesures de défense n’empêchent pas les travaux (en apparence du moins, ajoute modestement le courageux physicien), — l’espèce de déférence qu’ils en témoignent pour les instrumens et pour les savans, — la sollicitude pleine d’angoisses avec laquelle ceux-ci se multiplient pour veiller au salut de leurs familles, pour protéger les collections et pour ne pas interrompre les observations commencées, — la sécurité relative dont on jouit, malgré une fusillade incessante dont le bruit se rapproche de plus en plus, jusqu’au moment où, dans la nuit du 23 au 24 mai, l’incendie est tout à coup annoncé, — les efforts à peu près heureux pour l’éteindre avec la concours des domestiques et de quelques ouvriers réfractaires de la commune à qui l’Observatoire avait donné asile, — le brusque retour des fédérés, forçant l’entrée de la maison qu’ils viennent de quitter après y avoir mis le feu, et lui demandant un refuge contre les troupes qui les poursuivaient, — leurs injonctions réitérées de faire sortir les femmes et les enfans dont la présence les gêne dans leurs projets de destruction, — les préparatifs accumulés pendant plusieurs heures pour faire sauter tout l’édifice, — la diversion apportée, sous la forme d’un nouveau danger, par l’explosion de la poudrière du Luxembourg, — le salut enfin, au moment le plus critique, par l’irruption soudaine des soldats, — la mort du plus enragé des insurgés et la débandade des autres.

Les grandes institutions qui ne dépendent pas ou qui ne dépendent qu’indirectement de l’état ont trouvé dans leurs membres ou dans leurs employés le même zèle pour leurs intérêts. La Banque de France n’a pas échappé à l’intrusion d’un délégué de la commune ; elle a eu du moins le double bonheur de tomber entre les mains du plus sage de cette bande, M. Beslay, et d’avoir à sa tête, dans son sous-gouverneur, M. le marquis de Plœuc, un homme intelligent et ferme. En faisant la part du feu, elle a préservé son encaisse et son crédit, et, ce qui n’était pas moins précieux pour elle, elle est restée sous la garde exclusive du bataillon qu’elle avait formé avec ses employés pendant le premier siège. Dès que l’entrée des troupes fut connue, ce bataillon se tint en permanence à la Banque, prêt à repousser toute attaque des fédérés, toute tentative d’occupation, de pillage ou d’incendie. Il y avait là des pères de famille dont les femmes, les enfans, les plus importans intérêts étaient, sur d’autres points de Paris, sans leur protection, exposés à tous les dangers. Ils n’eurent pas un instant de défaillance dans ces trois jours de mortelles angoisses, et ils eurent la satisfaction de remettre intact à la garde de l’armée française le grand établissement financier de France.

Le corps médical et ses auxiliaires bénévoles ou salariés ont déployé un égal courage pour la défense d’intérêts d’un ordre plus élevé. Les hôpitaux et les ambulances devaient, comme tout le reste, subir l’invasion de la commune. Elle n’a pas eu plus de respect pour la société toute privée de secours aux blessés que pour les dépendances de l’assistance publique. Partout où elle a mis la main, elle a porté la désorganisation : elle ne découragea point les hommes dévoués dont elle troublait les services; ils lui cédèrent dans tout ce qui n’était que leurs droits, ils surent défendre contre elle tout ce qui intéressait directement leurs devoirs. Ils veillèrent jusqu’au bout sur leurs malades, et en les sauvant ils sauvèrent, avec les édifices qui les abritaient, les bâtimens voisins. Paris leur doit la conservation du Luxembourg et, bienfait plus inestimable, celle de Notre-Dame.

Il est superflu de rappeler le courage du clergé et des corporations religieuses dans ces lugubres journées. Des épreuves de ce genre sont toujours glorieuses pour l’église. Dans les temps calmes, elle ne se fait que trop d’ennemis par sa tendance à sortir de son domaine; aux époques de persécution, la sagesse avec laquelle elle s’y renferme, le dévoûment sans bornes qu’elle met à le défendre, désarment les préventions les plus obstinées. Sous la commune, elle n’a voulu rien sauver que son trésor spirituel. Les congrégations faisaient elles-mêmes aux envahisseurs les honneurs de leurs maisons qu’ils venaient piller. Les prêtres ne réclamaient, dans les églises occupées et le plus souvent profanées, qu’un coin, et au besoin un asile souterrain pour célébrer les saints mystères. Ils n’accordaient à la protection de leurs personnes ou plutôt des devoirs attachés à leurs personnes que le port, dans les rues, du costume séculier et la liberté de laisser croître leur barbe. Incarcérés, ils attendaient patiemment la mort que tant d’entre eux n’ont pas évitée. Les plus jeunes avaient soif du martyre. Il y eut à La Roquette, lorsque le massacre des otages avait déjà commencé, un combat de générosité entre un missionnaire de vingt ans et un père de famille, le premier pressant le second de le laisser mourir à sa place en répondant à l’appel de son nom, si celui-ci venait le premier. L’église catholique a eu seule l’occasion de montrer cet héroïsme, parce que seule elle est assez puissante pour porter ombrage aux ennemis de toute foi; mais, si les cultes dissidens n’ont pas partagé ses persécutions, ils se sont honorés en prenant publiquement sa défense.

Il ne faut pas oublier dans cette énumération des titres de gloire de la population honnête de Paris le rôle de la presse. Sauf de honteuses exceptions, ce rôle avait été courageux et digne au lendemain du 18 mars. L’accord qui s’était établi alors entre des journaux de toutes nuances se maintint quant à l’opposition au pouvoir insurrectionnel: mais il y eut, au point de vue du droit pur et des convenances de la situation, de nombreuses et regrettables défaillances. Un certain nombre de journaux, surtout dans la presse républicaine, ne surent pas s’abstenir, non-seulement de critiques inopportunes à l’égard des pouvoirs légaux qui étaient le dernier boulevard de la société menacée, mais de comparaisons imprudentes entre leurs actes et ceux de la commune, qui semblait mise sur la même ligne. Une telle attitude irritait d’autant plus les amis de la légalité, qu’elle était imitée et souvent exagérée par les organes des mêmes opinions en province. Les journalistes de Paris qui commirent cette faute avaient toutefois une excuse qui manquait à leurs confrères des départemens, et dont ne leur tiennent pas assez compte ceux qui n’étaient pas avec eux sur la brèche. Ils jouaient leur liberté et leur vie en combattant la commune dans son antre, et ils affrontaient d’assez grands périls, ils rendaient en même temps d’assez grands services pour se croire le droit de dire la vérité ou ce qui leur semblait la vérité à d’autres pouvoirs que la commune. C’était une erreur, mais il ne faut pas la leur reprocher au point d’être injuste ou ingrat envers leur courage. La faute même qu’ils commettaient n’était pas sans avantages. Les attaques de la presse républicaine étaient particulièrement désagréables aux hommes de l’Hôtel de Ville et à leurs adhérens. Leur tactique était de faire croire qu’ils n’avaient d’adversaires que dans les partis monarchiques. Cette tactique ne pouvait être plus sûrement déjouée que par l’hostilité persistante que leur témoignaient des journaux aussi opposés qu’eux à toute tentative de restauration, aussi peu suspects de partialité pour la majorité royaliste de l’assemblée nationale. Ces journaux se faisaient lire d’une foule de républicains dont le fanatisme inclinai ’vers l’insurrection; ils les retenaient sur cette pente, moins encore en flétrissant les excès de la commune qu’en mettant à néant les récits mensongers par lesquels elle entretenait les illusions de ses défenseurs. Il ne faudrait pas oublier de tels services, lors même qu’ils auraient été rendus sans péril. Or le péril a toujours été au moins aussi grand pour les organes des opinions républicaines que pour ceux des opinions monarchiques. Les persécutions contre la presse depuis le 18 mars ont été assez capricieuses, et il serait difficile d’expliquer pourquoi certains journaux ont été supprimés dès le début, tandis que d’autres, non moins hostiles, ont vécu jusqu’à la fin de mai: mais ces caprices mêmes d’une tyrannie en démence ont affecté une sorte d’impartialité. S’il y a eu des différences dans les traitemens infligés, elles montrent de quel côté la critique était la plus odieuse; presque tous les journalistes emprisonnés ou menacés d’emprisonnement et le seul journaliste mis à mort appartenaient au parti républicain.

Après les journaux qui pouvaient détourner de sa cause les républicains de Paris, la commune redoutait surtout ceux dont l’influence lui aliénait l’opinion publique à l’étranger. Une de ses plus étranges prétentions était d’être bien avec les peuples et même avec les puissances. Elle avait un « délégué aux relations extérieures » qui annonçait son avènement à l’Europe et au monde. Elle se faisait traduire les journaux étrangers, et les journaux français qui se lisaient le plus au dehors étaient particulièrement l’objet de sa surveillance. Aussi le Journal des Débats est un des premiers qu’elle ait supprimés, et la Revue des Deux Mondes ne fut pas plus épargnée. On recula longtemps toutefois devant la suppression de la Revue. On se flatta d’intimider un recueil dont l’hostilité était d’autant plus désagréable que ses coups, bien que se répétant à des intervalles plus éloignés et gardant un caractère plus général que ceux de la presse quotidienne, portaient plus loin, et laissaient des traces plus profondes. Un de ses rédacteurs, coupable d’avoir témoigné son mépris de la commune dans une étude historique dont elle faisait la conclusion plutôt que le fond, fut amené, en vertu d’un mandat d’arrêt, devant un haut fonctionnaire de « l’ex-préfecture de police. » Des explications qui lui furent données et que lui confirma quelques jours plus tard un intermédiaire officieux, il résultait qu’on ne voulait prendre à son égard qu’une mesure de précaution (tel fut l’euphémisme dont on se servit). On avait saisi ses papiers, emporté les clés de son cabinet de travail, et on le retenait lui-même prisonnier « en vue du prochain numéro. » On espérait que ce numéro serait sage. La commune acceptait la discussion de ses actes; elle ne supportait pas le mépris de ses droits : c’était détourner ses sujets de l’obéissance qu’ils lui devaient, c’était provoquer à la désertion dans la garde nationale. Peut-être les masses ne lisaient-elles guère la Revue des Deux Mondes ; mais elle se lisait ailleurs, partout dans les classes éclairées elle faisait le plus grand tort. Un gouvernement régulier ne pouvait se laisser traiter dans le monde entier comme un vil ramas d’insurgés. On voulait bien se contenter, au lieu d’une suppression qui « serait une trop grosse affaire, » de lui donner un avertissement, et, pour en assurer l’effet, on gardait un otage. L’effet ne se produisit pas. La Revue ne changea rien au ton à la fois mesuré et ferme de ses appréciations. On se décida alors à la frapper directement, et, pour que l’événement fit moins de bruit, on l’enveloppa dans la suppression en bloc de dix journaux. Le décret est du 19 mai, la commune mourut avant qu’il eût pu recevoir un commencement d’exécution.

L’espoir d’intimider la presse fut une des plus constantes et des plus grossières illusions de la commune. Elle eût voulu donner à son règne l’apparence d’une presse libre. Elle eut d’abord recours aux menaces, puis elle laissa agir « la justice du peuple, » c’est-à- dire l’irruption des gardes nationaux dans les bureaux et dans les imprimeries des journaux mal pensans; elle pratiqua ensuite des suppressions honteuses, pour ainsi dire, qu’elle s’abstint de publier : c’est assez tard que, reconnaissant l’impuissance de ses efforts, elle prit la responsabilité officielle de ses actes de rigueur. Elle n’y gagna rien. Les journaux qu’elle laissait vivre se faisaient un honneur de la traiter avec moins de ménagement, pour qu’on ne crût pas qu’ils achetaient son indulgence; ceux qu’elle condamnait à mort ressuscitaient au bout de quelques jours avec le même format, le même cadre et une opposition non moins vive. Le titre seul était modifié. Telle feuille a eu l’honneur de quatre suppressions successives sous quatre titres différens, elle ne s’arrêta que lorsque la publication de tout nouveau journal fut rigoureusement interdite sous peine d’être déféré à une cour martiale; mais son énergique rédacteur en chef ne s’arrêta pas. Depuis plus d’un mois, il était pourchassé par une police, enfantine dans sa brutalité même, qui ne parvenait à l’atteindre ni dans sa personne, ni dans les articles qu’il envoyait chaque jour à l’imprimerie. Quand il ne put plus se servir de sa plume, il se tint prêt à reprendre son fusil; il fut un des premiers parmi les gardes nationaux qui se rallièrent aux troupes : il était auprès du commandant Durouchoux lorsque celui-ci fut tué, et lui-même fut atteint d’une balle. Les honnêtes gens qui, pendant ces deux mois de tyrannie, ont donné tant de preuves de patriotisme et de vrai courage sauront-ils garder le fruit de la dure leçon qu’ils ont reçue, et qu’ils ont paru comprendre? Les premiers jours qui ont suivi la délivrance, on ne lisait sur presque tous les visages que la joie de se retrouver sain et sauf, et la colère contre ces bandits à qui le temps seul semblait avoir manqué pour réduire Paris en cendres. Ces deux sentimens dépassaient même toute mesure dans quelques-unes de leurs manifestations, et, de la part d’une population qu’une tache commune semblait encore souiller tout entière, ils pouvaient avoir une apparence de bassesse. Un journal crut pouvoir rappeler avec un douloureux à-propos l’énergique tableau que fait Tacite de l’aspect de Rome après la chute de Vitellius[7]. L’attitude est devenue plus réservée et plus digne; est-elle devenue plus sage? Le mouvement électoral a ravivé les vieilles querelles et fait perdre de vue les plaies récentes. On a recommencé à Paris, comme dans toute la France, à se diviser sur des mots et sur des noms propres. C’est notre plus triste manie, et, si nous n’y prenons pas garde, notre signe le plus visible de décadence. Ce n’est pas sans raison qu’on nous a comparés à ces Byzantins qui, dans les heures de répit que leur laissaient les Turcs, revenaient à leurs subtilités théologiques. Quand la guerre civile sévissait autour de Paris, le reste du pays, oubliant qu’il s’agissait de ses intérêts les plus pressans, transformait des élections municipales, où les affaires locales devaient seules être en jeu, en un débat sur des questions de politique transcendante. Il s’agissait de savoir quel est le vrai fondement de la souveraineté, s’il y a une forme de gouvernement supérieure au suffrage universel, si la république doit être acceptée pour sa nécessité présente ou pour sa légitimité absolue. Quiconque n’avait pas une opinion arrêtée sur tous ces points était incapable de prendre part à l’administration de son village ou de sa ville. Les élections complémentaires pour l’assemblée nationale ne pouvaient que faire renaître les mêmes débats. En vain des ruines toujours fumantes nous crient-elles qu’il faut courir au plus pressé, conserver ce qui tient encore pour raffermir ce qui chancelle et relever ce qui est par terre, qu’il est insensé de se quereller sur l’avenir et sur l’absolu quand le présent a besoin de tous nos efforts; en vain un homme que la confiance du pays a placé à la tête de ses affaires nous donne-t-il avec instance le même conseil : toutes les questions qu’il serait urgent de résoudre nous laissent indifférens; nous n’avons à cœur que de discuter les bases d’une constitution dont beaucoup réclament et dont presque tous acceptent l’ajournement. Quand nous laissons un instant reposer les questions de principe, nous soulevons avec aussi peu d’opportunité les questions de personnes ; nous nous complaisons dans des débats rétrospectifs sur les fautes qu’a pu commettre il y a quelques mois ou quelques années, parfois même il y a près d’un siècle, tel homme d’état ou tel général, et toutes nos passions sont en jeu dans ce qui ne devrait être qu’une appréciation historique réservée pour les temps calmes. Paris est une ville trop française pour ne pas retomber dans la même manie, les divisions lui sont trop naturelles pour qu’il ne l’exagère pas encore. Ce qui fait à la fois son charme et son malheur, c’est que chacun peut s’y faire une société de son choix assez large pour qu’on s’y renferme sans y étouffer. On n’y a pas comme en province, surtout dans les petites villes et dans les campagnes, des relations forcées avec des hommes de toute condition et de toute éducation ; il en résulte que les différentes couches de la population restent sans liens entre elles, sans habitudes communes qui leur permettent de s’entendre et d’agir les unes sur les autres. Même éparpillement pour les nuances d’opinions. Chacune est représentée par un groupe assez nombreux pour se faire illusion sur sa faiblesse, et ne pas sentir le besoin de se rapprocher des groupes les moins distans. De là bien des malentendus qui ont été pour beaucoup dans les folies que nous expions, et qui menacent de nous laisser de nouveaux sujets de repentir. Il s’est fait cependant un progrès sensible. L’accord se réalise aisément dans les réunions électorales sur presque toutes les questions pratiques ; il ne menace de se rompre que lorsque surgit tout à coup un de ces mots malencontreux qui ont le privilège de nous faire perdre notre bon sens. Le souvenir de l’abîme d’où nous sortons à peine est le meilleur et peut-être le seul remède à ces accès de déraison : quel plus fort lien que des souffrances endurées en commun et réclamant les mêmes moyens de salut ? Dans un de ces nombreux comités qui se sont formés en vue des élections prochaines, on discutait, conformément à la manie française, une déclaration de principes. Un des assistans fit remarquer qu’il y manquait le point le plus essentiel, — le souvenir de la commune. On se récria : à quoi bon une telle mention ? La commune est morte. — Eh bien ! non, elle n’est pas morte ! Elle vit dans les ruines qu’elle a laissées ; elle se perpétue dans les idées fausses, dans les passions sauvages qu’elle représentait, et qu’elle n’a pas emportées dans sa chute : ne saurons-nous pas faire durer aussi le seul bien qu’elle ait produit, — ce large parti de l’ordre où elle a fait entrer tous ceux qu’ont révoltés ses excès, et dont la nécessité n’a pas disparu avec elle ?


EMILE BEAUSSIRE.

  1. Voyez la Revue du 1er mai.
  2. Voici quelques chiffres qu’il n’est pas Hors de propos de rappeler, les noms qu’ils concernent appartenant désormais à l’histoire : Assi, 58,776 voix; Varlin, 58,384; Jobannard, 50,331; Vaillant, 49,340; Theisz, 49,230; Ranvier, 40,865.
  3. Les voix acquises à l’insurrection du 18 mars dans l’élection des membres de la commune peuvent être évaluées à 140,000; mais il faut tenir compte, comme ayant contribué à grossir ce chiffre, de l’influence des faits accomplis, de l’absence de candidatures relativement modérées dans plusieurs arrondissemens et des irrégularités plus que vraisemblables d’un vote sans contrôle.
  4. Voyez la Revue du 15 juin.
  5. Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre.
  6. Rapport adressé à leurs correspondans par les directeurs du bulletin international de l’observatoire de Paris.
  7. Historiarum, III, 83.