Les Honnêtetés littéraires/Édition Garnier/15

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 26 (p. 131-132).

QUINZIÈME HONNÊTETÉ.

Une honnêteté nouvelle, et dont on ne s’était pas encore avisé dans la littérature, c’est d’imprimer des lettres sous le nom d’un auteur connu, ou de falsifier celles qui ont couru dans le monde par la trop grande facilité de quelques amis, et d’insérer dans ces lettres les plus énormes platitudes avec les calomnies les plus insolentes. C’est ainsi qu’en dernier lieu on a imprimé à Amsterdam, sous le titre de Genève, de prétendues Lettres secrètes[1] de l’auteur de la Henriade ; lesquelles lettres, si elles étaient secrètes, ne devaient pas être publiques. Il y a surtout dans ces Lettres secrètes un correspondant nommé le comte de Bar-sur-Aube, qui est un homme sûr ; mais, comme il n’y a jamais eu de comte de Bar-sur-Aube, on ne peut pas avoir grande foi à ces Lettres secrètes.

Ensuite le nommé Schneider, libraire d’Amsterdam, a débité, sous le nom de Genève, les Lettres du même homme à ses amis du Parnasse : c’est là le titre. Il se trouve que ces amis du Parnasse sont le roi de Pologne, le roi de Prusse, l’électeur palatin, le duc de Bouillon, etc. Outre la décence de ce titre, on fait dire, dans ces lettres, à l’auteur de la Henriade et du Siècle de Louis XIV, qu’à la cour de France il y a d’agréables commères qui aiment Jean-Jacques Rousseau comme leur toutou. On ajoute à ces gentillesses des notes infâmes contre des personnes respectables ; et il y a surtout trois lettres à un chevalier de Bruan qui n’a jamais existé, et qu’on appelle mon cher Philinte. L’éditeur doute si ces trois lettres sont de M. de Montesquieu ou de M. de Voltaire, quoique aucun de leurs laquais n’eût voulu les avoir écrites[2]. On a déjà dit ailleurs[3] que ces bêtises se vendent à la foire de Leipsick, comme on vend du vin d’Orléans pour du vin de Pontac. Il est bon d’en avertir ceux qui ne sont pas gourmets.

  1. Voyez l’Appel au public, tome XXV page 579.
  2. Voici quelques lignes de la dernière à mon cher Philinte : « Il est impossible qu’il y ait un grand homme parmi nos rois, puisqu’ils sont abrutis et avilis dès le berceau par une foule de scélérats qui les environne, et qui les obsède jusqu’au tombeau. »

    C’est ainsi qu’on parle des ducs de Montausier et de Beauvilliers, des Bossuet et des Fénelon, et de leurs successeurs ; cela s’appelle écrire avec noblesse, et soutenir les droits de l’humanité. C’est là le style ferme de la nouvelle éloquence. (Note de Voltaire.) — Voyez tome XXV, page 583.

  3. Voyez tome XXIII, page 513.