Les Horizontales/02

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Librairie européenne (p. 14-16).


LA NASSE



Les Turcs ont passé là.
V. Hugo, Orientales.


Koning a passé là. — C’est parfaitement clair.
Une écœurante odeur de marée emplit l’air
Sur le boulevard Poissonnière :
Cela sort du Gymnase et de son corridor,
Où l’on peut voir Koning nager dans les flots d’or,
Vingt dédits dans son aumônière !


Tout est désert. — On fait le vide autour de lui.
Seule, une enfant, dont l’œil noir et profond reluit,
Approche Koning et l’affronte.
Elle va, court et rit, et cela sans trembler.
Mais, pour ne point la voir et ne point lui parler,
Marais descend quand Lina Munte.

« Ah ! dit Bébé, voyant Marais plein de souci,
Frère, quelle douleur peut transformer ainsi
Celui que l’esprit illumine ?
Tu sais des calembours ! et seul, à l’Odéon,
Jadis tu déridais Duquesnel, ô Léon !
Pourquoi fais-tu si triste mine ?

N’es-tu pas le premier de nos jeunes premiers ?
N’as-tu pas, à Saint-Flour ainsi qu’à Coulommiers,
Ému la femme du notaire ?
Ne reçois-tu donc pas tous les soirs des poulets ?
Veinard ! Dis ? et n’aurais-tu pas, si tu voulais,
Toutes les belles de la terre ?

Ta renommée est grande et l’on parle de toi.
Ton portrait, entre ceux de Valtesse et du Roy,

Se voit à tous les étalages.
Plus d’une, en passant, dit : Comme il est distingué !
Et ce refrain s’entend : J’aime Marais, ô gué !
Dans Paris et dans les villages !

Et je te trouve triste ? Eh quoi ! tout te sourit :
L’amour et la beauté, sans compter ton esprit,
Et la gloire avec ses cymbales ;
Que veux tu donc de plus sans paraître exigeant ?
« — Ami, répond Marais, as-tu beaucoup d’argent ?
Je veux soixante mille balles ! »