Les Horizontales/05

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Librairie européenne (p. 23-25).


TROTTINETTE



Comme elle court !
V. Hugo, Orientales.


Elle trotte, voyez, le long des boulevards,
Sa robe chiffonnée a des froufrous bavards.
Elle s’arrête aux devantures,
Donnant quelques regards aux bijoux, aux chapeaux,
Elle est de celles qui cheminent, sans repos,
À la recherche d’aventures.


Oh ! quand son œil vous fixe, on est vite perdu !
Pour résister, il faut avoir de la vertu
Ou le vide en son escarcelle ;
L’œil de Donato fait le contraire du sien,
Elle réveillerait un académicien !
Gare à celui qu’elle harcèle !

Certes, le vieux Lévy, banquier juif du Marais,
La rencontrant le soir quand il prenait le frais,
A fait souvent le malhonnête.
Bien vite, il oubliait sa folie ? Hélas ! non.
Car il a fait ce rêve extravagant, sans nom,
Avoir le cœur de Trottinette !

Oui, ce juif, pour avoir, à lui, ce cœur, oh ! tel
Est son désir, il eût donné petit hôtel,
Chevaux, voitures, écuries,
Et laquais, et cochers, et grooms, et cætera,
Avant-scène aux Français et loge à l’Opéra,
Et des coffrets de pierreries !

Il eût donné les clefs de tous ses coffres-forts.
Et si, touchée enfin par de pareils efforts,

Trottinette avait dit : Espère !
S’il l’eût fallu, devant l’univers étonné,
Oh ! pour avoir ce cœur, il eût vendu, donné,
Le prépuce de son grand’père !

Ce n’est point un banquier, c’est un mec à l’œil noir
Qui tient ce cœur, et s’est fait payer pour l’avoir,
Car il sait le prix des conquêtes !
Un mec est un gaillard qui n’a rien des chapons,
Au visage encadré d’une casquette à ponts,
Et de soyeuses rouflaquettes !