Les Hors nature/01-08

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Mercvre de France (p. 135-159).
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VIII

Dans le petit salon de la loge de Marguerite Florane, on devisait, avec des expressions fatiguées, sur la décadence des bals de l’Opéra. Vieux thème toujours repris au même endroit par les mêmes demi-mondains devant les mêmes demi-mondaines. Il y avait là un journaliste, un boursier, et deux Messieurs du Brésil. Marguerite était en nuit, prétexte banal pour leur exhiber une rivière célèbre, historique, et des comètes modernes, faisant fuser, en l’atmosphère étouffante de cette alcôve rouge-bourreau, quelques centaines de mille francs d’eau pure, distillée à travers pas mal de fanges.

Marguerite était bête, d’une pâleur de perle, ouvrait grands des yeux où l’on voyait se joindre, par l’orient de leur blanc uni aux noirceurs veloutées des prunelles, la mansuétude des veaux qu’on égorge et la folle, hystérie d’une femme presque toujours ivre. Elle était décolletée jusqu’à la taille, et un diamant, de la grosseur d’une noix, formait un lever de lune entre les monts neigeux de ses deux seins. Des voiles de crêpe, des voiles de veuve, s’enroulaient à ses cheveux noirs, dénoués, battant librement ses reins, comme une queue de cavale.

Avant minuit elle répétait les derniers mots de son entourage. Passé minuit elle jetait des cris d’argot plus que nature.

Les Brésiliens regardaient leurs bagues.

Le journaliste plaçait des phrases écrites la veille.

Le boursier racontait qu’il était sûr d’avoir croisé sa femme en Perrette, ce qui semblait lui faire plaisir parce que cela le posait en gros blasé, très littéraire.

— On soupera, heureusement, car on se rase, déclara-t-il pour terminer son anecdote conjugale.

— On se rase ! murmura Marguerite qui buvait un verre d’un affreux alcool où scintillaient les facettes de la glace pilée comme le mirage de tous ses diamants.

— Chez vous ? demanda le journaliste.

— Bien entendu. On mange trop mal partout, ces nuits grasses.

— Si on se sauvait tout de suite ? insinua le boursier.

— Oui ! affirma l’un des Brésiliens, très sérieux. L’Opérate, c’est bon pour les rastas, si on se fichait le camp ?

— J’attends le peintre Jules Desnoyers, répliqua cérémonieusement Marguerite avec une moue.

Presque aussitôt on frappa à la porte de la loge.

— Enfin, c’est lui ! cria le boursier. Quelle pose !

Marguerite se leva, faisant onduler sa queue de cavale ; elle acheva son alcool. Ce n’était pas le peintre. Une ouvreuse entra et vint chuchoter dans le cou de la jeune femme.

— Comprends rien du tout, ma bonne ! dit Marguerite ennuyée.

L’ouvreuse répéta, la voix plus haute, en ponctuant de son mieux :

La princesse byzantine demande si vous pouvez la recevoir dans votre nuit, parce qu’elle a le grand regret de ne pas oser vous admettre à son jour.

Et elle souffla.

— Ça y est !… Une intrigue !… Nous restons ? fit le chœur enchanté.

— Non, répondit durement Marguerite. Vous allez sortir, au contraire. Je vois ce que c’est : une femme du monde qui profite de l’occasion pour me réclamer son amant. Si on se griffe, je ne tiens pas à ce que vous nous fassiez remarquer !… Et j’ai idée que ça ne tardera guère ! Son jour ? Il n’y a que ces femelles pour vous parler de leur jour tout le temps. Est-ce que ça m’amuserait moi, leur jour ?

— On s’y rase encore plus qu’ici, et ce n’est pas peu dire ! objecta le journaliste, l’air convaincu.

— Certainement, appuya Marguerite ravie de l’approbation. Messieurs, déblayez le terrain et pas d’histoire, je vous prie.

Puisqu’il s’agissait d’un secret d’état, hochant le front, faisant des grimaces, les hommes se retirèrent un à un, comme devant la dompteuse défilent les lions chloroformés remâchant leur bave.

Seule, Marguerite se pencha au miroir — force de l’habitude — se frotta les joues d’une houppe, et, entendant gratter, dit, l’accent rageur :

— Entrez, chère Madame.

Quand elle se retourna, le domino de velours gris était déjà près d’elle, et, d’un geste lent, plein de coquetteries savantes, il se dégagea de la poussière des siècles, lui apparut en sa merveilleuse résurrection d’éclairs.

— Madame… fit Marguerite ahurie par la splendeur inattendue de ce costume.

— Madame… fit la princesse d’un ton délicieusement ému, très bas

Et les deux jeunes femmes demeurèrent immobiles, se mesurant des yeux, sans trouver autre chose.

Pour la demi-mondaine, ce fut une véritable stupeur. Elle voyait donc une personne ayant un jour qui consentait au costume ? Il y avait donc, chez ces femmes-là, des créatures qui risquaient le scandale de l’originalité ? Elle, Marguerite Florane, une déclassée, ne pouvait pas se permettre une telle orgie de couleurs et de pierres, elle aurait offensé le goût anglais, sobre, de ses fidèles, presque tous des imbéciles ; mais, vraiment, cela faisait du bien aux nerfs de se rencontrer avec une folle qui pensait que la robe d’or n’est pas uniquement destinée à la glorification des dieux.

La bouche rouge et bizarrement sensuelle de l’impératrice souriait de sa stupeur. Ombrée par la dentelle du masque, cette bouche luisait, s’entr’ouvrait sur des dents de jeune fauve guettant, et elle était terrible, car, à elle seule, dans l’or du costume, dans l’or des cheveux, dans l’atmosphère d’or de sa propre apothéose, elle vivait, disait un infernal désir. Ce n’était plus que le sang d’une blessure trouant la chair blanche jusqu’au cœur. Qu’importait la tendre magnétisation des yeux, bleus ou verts, qu’on n’apercevait pas puisque leurs paupières se baissaient, la rigide et sacerdotale tenue des beaux bras allongés en leurs manches, si amples qu’elles semblaient deux nouvelles jupes à deux nouveaux corps serpentins, qu’importaient, surtout, les grands chapelets d’améthystes aux croix étincelantes, si froides dans la chaude splendeur des soieries. Marguerite ne voyait plus que cette bouche, et, seule, cette bouche était l’impératrice !

— Pas banal. Mes compliments, dit la fille du bout des lèvres, furieuse, au fond, d’être dominée par un luxe dont elle n’avait jamais eu l’initiative.

— Oserai-je, Madame, fit la princesse byzantine d’une voix mélodieuse, très hésitante, une voix de Russe ou de Roumaine, on ne savait trop, car elle se traînait en mourants soupirs, oserai-je vous apporter le tribut de mes admirations passionnées, comme un homme un peu… hardi vous apporterait des fleurs ?… J’ai, depuis longtemps, le désir fou de vous voir. J’ai toujours eu le désir de prendre les étoiles dans mes mains, c’est plus fort que moi. Je ne sais pas résister à mes caprices. Et je voudrais… oh ! comme je voudrais essayer de vous toucher… de vous attendrir, Madame, dussé-je me piquer cruellement les doigts aux pointes aiguës de vos rayons. Tolérez-vous ma présence, dites ?

— Prends garde, répliqua Marguerite, vite revenue à l’insolence et se rendant compte qu’il s’agissait de toute autre complication que celle d’un amant volé. Ces désirs-là, ma chère, sont souvent des envies de femme enceinte !

Et elle toisa la grande apparition, si droite, si grecque, si fière de sa taille de jeune vierge.

— Ah ! riposta la Byzantine riant d’un rire étrange, combien je sais de jolies pécheresses qui rêvèrent d’obtenir de ceux qu’elles crurent leurs esclaves ce gage d’amour… ou de haine que vous pensez en la possession de mes entrailles ! Mais vous êtes, vous, trop belle et trop inhumaine pour avoir de pareilles faiblesses. Permettez-moi de m’asseoir à vos pieds, Marguerite ; je suis tellement lasse d’être une majesté encore plus belle et plus inhumaine que vous.

Marguerite tressaillit, un peu troublée, s’efforçant de rire.

— Tu es plus belle que moi ? Ôte donc ton masque. En tous les cas, tu dois déplaire aux hommes, ça, j’en réponds.

— Non, je suis toujours le plus beau. Je leur fais peur. Comprends-tu ?

— Oh ! je comprends fort bien, dit brutalement la fille saisie d’une angoisse singulière, je ne suis pas sourde ! Vous êtes taillée, d’ailleurs, pour ces emplois-là, ma pauvre princesse. Pas de hanche, pas de gorge, et, avec tous ces avantages, un aplomb de toréador ! Seulement, moi, je ne marche pas sans un sérieux béguin ou la forte somme. Et voici mes conditions : à mon corps défendant, j’exige que votre mari, si vous en avez un, vienne lui-même ratifier le contrat… Pas confiance dans les princesses qui courent les rues en temps de carnaval !… Pour le béguin… il faudrait me faire la cour… devant tout le monde, à visage découvert, et aussi bien chez vous, à votre jour, que chez moi, dans ma, nuit. Choisissez !

Le ton de Marguerite Florane s’était élevé, dur, implacable. Tenir enchaînée une de ces reines de la névrose, la torturer jusqu’aux pires actes de folie, était un songe qu’elle faisait vaguement à travers ses nombreuses ivresses. Marguerite avait des simplicités de brute. Elle pensait qu’on peut se venger des hommes sur les femmes, et réciproquement. Celle-là, tout bien considéré, des détails de sa toilette aux grains de sa peau, n’était pas une actrice, car elle ne soulignait ses effets d’aucun geste ; ni la collègue : elle se serait trahie par une expression technique ; encore moins la mondaine connue : elle aurait plus agi que parlé. Celle-là, c’était probablement une fantasque de la colonie étrangère, fabuleusement riche et capable de tout. On allait voir.

— Tu veux que je meure ? murmura la voix lointaine et sanglotante de la princesse agenouillée. Merci ! Je redoutais tes abandons. Maintenant, je puis agoniser joyeusement. Rien ne fera que tu m’aimes ! Oh ! l’impossible ! Jure-le, tiens, veux-tu, sur la tête d’un poète qui fut plus blond que moi…

— Des poètes ? J’en ai soupé, sont des lâches ! s’écria la fille frémissante et serrant les poing à un souvenir qu’elle gardait, en elle, un peu confus, — elle s’était tant grisée depuis l’aventure — comme une plaie se cicatrisant.

Elle restait debout, fronçait les sourcils, tordait machinalement son voile noir d’où paraissait sourdre une sueur de feu. Pourquoi diable lui parlait-on de poésie ? Les poètes ? Du propre, leur pathos ! Elle savait ce qu’il y avait dessous ! Des lâches ne se plaisant qu’à humilier les belles filles !

— Comment s’appelait-il ? interrogea-t-elle anxieuse.

Pour toute réponse, la Byzantine, en un glissement de reptile, lui ceintura la taille de ses puissants bras d’ivoire et l’amena, malgré sa résistance, à se ployer sur elle. Marguerite se sentait peu à peu la proie du jeune fauve et ne s’expliquait plus rien. Jamais elle ne se grisait avant minuit. Qu’avait-on jeté dans son verre, ce soir ? Quelque chose d’extraordinaire rôdait autour d’elle, dans l’ombre voluptueuse de ce petit salon rouge ; et là-bas, tous ces fantoches se démenant au son d’un orchestre enragé, tous ces êtres bariolés passant et repassant comme des verroteries multicolores, toutes ces créatures démentes n’avaient plus l’air naturel, pas plus l’air naturel que le satan femelle qui la tenait.

— Je suis fort et je suis forte ! soupira doucement la princesse byzantine. J’ai la science et j’ai la ruse. Je peux ce que je veux, voilà pourquoi je ne te veux plus ! Je suis celle qui dompte, mais je dompte d’autres lions que ceux de ton troupeau, Marguerite ! Il est entendu que je meurs… cela me plaît… tu ne sauras pas le poète, pas plus que son poème. Et cependant, je désire un baiser, le premier, le dernier, avant d’aller mourir. Un baiser, oh ! à peine tes lèvres sur les miennes, le temps qu’une fiancée chaste met à dire : non. Marguerite ! Ma fleur toujours effeuillée et toujours refleurie, ma fleur dont la blancheur est celle des dents de mort !…

— Assez, hein ! gronda Marguerite énervée… Est-ce que vous n’avez pas fini, vous, de me faire voir double ? Vous me tournez le cœur avec vos histoires de mort. C’est trop bête ! Votre voix me fait mal ! Drôle d’amusement que de mêler des dents de morts à ça ! Moi, vous savez, je suis une très bonne fille, mais faut pas me parler de l’autre monde : j’ai horreur des araignées et j’aime pas qu’on renverse le sel. Chacun a ses manies ! Non ! Non ! C’est non, une fois pour toutes ! Ces petites blagues-là, c’est si ridicule ! Et pour ce que ça rapporte ! Voyons… vous êtes très belle… et très gentil par-dessus le marché, je l’avoue. Je vous aimerais si j’avais le temps, puis… Après tout, offrez-vous l’étrenne de ce soir ! (Elle ricana, impatientée, vaincue.) On dit que faire l’aumône à un mendiant avant de coucher ça porte bonheur !

Elle se pencha davantage, les lèvres offertes, très troublée, comme subitement fondue en une tendresse louche qui pouvait bien n’être, chez elle, que de la bonne éducation.

À ce moment, il se fit un léger remue-ménage dans la loge voisine.

La princesse byzantine ôta son masque, d’un souple mouvement de joie, et, regardant Marguerite Florane, les yeux rivés à ses yeux, les lèvres à un millimètre de ses lèvres :

— Tu seras donc toujours aussi godiche, ma chère enfant, s’exclama Paul riant de son rire de gamin féroce. Quand on pense qu’à la même musique j’ai repincé le même serpent ! Tu as beau t’en défendre, va, tu aimes la petite sérénade sentimentale comme toutes les filles… d’Ève ! Ah ! tu veux embrasser l’impératrice ? Eh bien, moi, l’empereur, tu sais, j’y tiens pas !

Paul se dressa, déployant le superbe luxe de sa robe d’or et toute la luxure de son beau regard cruel.

Marguerite s’était saisi le front. Elle demeura un moment muette. Est-ce qu’elle touchait à la folie ? Des médecins lui avaient souvent affirmé qu’elle finirait dans un cabanon de la Salpêtrière. Mais non, c’était lui, Paul de Fertzen, celui-là qui l’avait eue tout entière ! Elle releva la tête, éperdument cria :

— Tu ne vas pas me quitter comme ça, Paul, c’est trop lâche, entends-tu ! Je te défends de sortir. On ne se moque pas de moi deux fois ! Puisque tu es revenu, c’est que tu m’aimes ! Je te tiens, je te garde ! Mon Paul ! Mon petit homme chéri. (Elle se coula vers lui, les bras ouverts.) Est-il possible ! Je n’ai rien deviné ! En femme et vraiment plus belle que moi !… Et Jane, et Jane Monvel ?…

Elle se recula, se mit à rire, mais le rire sombra dans le hoquet hystérique ; elle avait eu peur, ses nerfs ne supportaient pas la terreur, de quelque nature qu’elle pût être, et, avec un geste d’effroi, ses mains crispées à la gorge, étouffant et râlante, elle s’affaissa sur un divan, au fond du petit salon rouge.

— Ouf ! murmura Paul, très tranquille, remettant soigneusement son loup devant la glace. Si encore tu n’avais pas cédé tout de suite ! À présent, ce serait trop possible. Je vais rappeler tes valets de chambre.

De l’autre côté de la loge, le boursier, qui, pour plusieurs louis, avait obtenu enfin une vrille — la même vrille que les ouvreuses prétendent découvrir chaque nuit de bal dans un coin de leur boîte à ouvrage : « Oui, Monsieur, il faudra me la rendre, elle me sert à faire du crochet » — le boursier retira son œil du trou minuscule fait au mur de la vie publique, et il sacra, durant que son entourage haletait.

— Mes pauvres enfants ! Savez-vous qui, le domino poussière ? Non, ne cherchez pas. Vous ne trouveriez jamais ! C’est le baron de Fertzen, le petit baron, le béguin de Marguerite ! Elle est bien bonne ! Voilà notre souper fichu ! Elle va nous balayer tous, en son honneur, comme de simples miettes ! Non ! Elle est excellente ! Je m’y suis trompé aussi, parole !

— Vous vous trompez encore, dit d’un ton sec un manteau vénitien, très noir, dans l’ombre de la porte, le baron de Fertzen, c’est moi. Il vous plaira de rectifier, n’est-ce pas, cher Monsieur ?

Reutler tendit sa carte.

— Diable ! grommela le jovial, vexé. J’ignorais que vous fussiez le… frère. Et vous savez, dans le doute, on se risque à faire les rustres. Nous sommes en carnaval, quoi ! Je me mets à votre disposition, naturellement. Ah ! réussi, le costume de votre… cadet. Le clou de la soirée ! Mes sincères félicitations, cher Monsieur.

Dès que Reutler eut tourné le dos, le chœur s’indigna.

— Vous n’allez pas provoquer ce grand spectre ! Ce serait idiot ! dit le journaliste avec autorité.

— Est-ce que vous plaisantez ? fit le boursier furibond. L’on ne pourrait plus s’amuser à l’Opéra, maintenant ? D’ailleurs, il m’a tendu sa carte, histoire de me prouver qu’il était réellement le frère. Il n’a pas eu d’idée de derrière la tête, sans cela… Le vrai baron de Fertzen… l’aurais jamais cru… il ressemble à l’homme des cavernes !

— Fertzen ? Un rasta ! déclara nettement le premier Brésilien.

— Voulais lui flanquer des gifles ! appuya le second.

— Très drôle, philosopha le journaliste ; en France, à l’heure actuelle, ce sont toujours les rastas qui ont envie de se battre !…

Reutler, frissonnant de dégoût — il sortait si peu ! — rejoignit Paul, qui, abandonnant Marguerite, se dirigeait vers le buffet.

— Mon grand, commença le jeune homme dont le rire cliquetait, pareil au bruit métallique de ses longs chapelets de pierres précieuses, il faut que je te raconte ça, c’est inouï… Elle est tombée dans le panneau, elle…

— Inutile, gronda Reutler, je suis très informé. J’ai même constaté que tous les espions ne venaient pas de Berlin !

Et, à son tour, il lui narra son aventure.

Paul, prenant son bras, se tordit.

— Mais je m’amuse ! s’écria-t-il. Tout s’embrouille à ravir ! Tu me produis l’effet d’un lion lâché au milieu d’un écheveau de soies ! Voilà que tu veux te battre pour Marguerite Florane, toi, l’austère !

— Toqué ! répliqua Reutler dont les épaules se haussèrent dédaigneusement ; je n’ai certes point à m’occuper de la pudeur de cette fille. Tu sais mieux que moi ce qu’il en faut penser.

— Alors ? questionna Paul railleur.

— Alors, je trouve le procédé ignoble !

— Ce que je m’en moque, du procédé. À leur place, me serais gêné, peut-être ! Voyons ! Tu n’enverras pas des témoins à ce pauvre homme sous le prétexte de ma pudeur à moi ? Ce serait trop grotesque. (Il pinça terriblement le bras de son aîné.) Tu oublies que je sais me servir d’une épée, mon cher.

Rappelé à la réalité de la situation par une assez violente douleur physique, Reutler sembla tomber des nues.

— Au fait, murmura-t-il, c’est juste ! Vous ne valez pas mieux l’une que l’autre !

Et la boutade, heureusement, dérida l’impératrice.

Du côté du buffet, Paul fut amoureux vingt minutes d’une dame, un portrait de Reynolds, qui lui déclara les choses les plus folles dans un anglais très pur. Le costume, le ton, tout était littéraire. Paul répondit en allemand, d’abord, pour dérouter l’excentrique, mais elle parlait cette langue aussi bien que lui, et on allait finir ; probablement, par se comprendre en français, quand un mot de professionnelle éveilla l’attention de Reutler. Où avait-il entendu nommer ce détail de la robe de Paul ?

— Charmante. Si on soupait avec elle ? souffla le cadet à l’oreille de son aîné qui regardait le plafond.

— Non ! Merci ! riposta Reutler impatienté. Ce serait la deuxième fois et elle nous rééditerait les anecdotes sur le duc.

— Ce n’est pas Madame Angèle ? Tu rêves.

— Je ne rêve jamais devant une couturière, accentua Reutler d’une voix mordante.

Paul ne poussa pas plus loin son roman, et la dame s’envola, effarouchée.

Dans cette foule chaude, où chaque parfum, soit de jupe, soit de femme, se confondait en une seule et intolérable senteur de musc, Reutler prenait la migraine ; Paul se grisait, déjà un peu ivre, car il avait mélangé du kummel à du champagne pour scandaliser le portrait de Reynolds, et, très heureux, il entraînait le grand seigneur noir. Il dardait ses yeux d’icône flambante sur les hommes, qui n’osaient pas les plaisanteries traditionnelles, le bras lourd de la haute princesse les paralysant d’étonnement. Et elle, sans aucun souci de sa dignité, les posait sur leurs poitrines, les retirant tout à coup avec des rires bizarres dont les rudes éclats blessaient comme des dagues. Il y eut une seconde de bousculade en face de la cheminée du foyer. Les lèvres d’un suiveur profitèrent de l’occasion et se glissèrent dans l’échancrure de la dalmatique, puis retentit un cri sourd, une plainte venue du fond du ventre de quelqu’un qu’on a frappé à lui couper le souffle. Un cercle se forma autour du suiveur étalé sans connaissance, son faux nez aplati sous sa face très rouge.

— Un cas d’apoplexie ! expliquait-on. Non ! Non ! il en revient !

Les deux frères s’éloignaient.

— Ce qui m’étonne, c’est qu’il en revienne, murmura Paul. Reutler, tu es d’une brutalité révoltante ! Je me défendrai bien tout seul. Pour un pauvre diable qui se trompe… Ne dirait-on pas que l’honneur du nom est en péril. Signale-moi mes femmes de chambre, mais n’embête pas mes courtisans !

— Il ne se trompait point, dit Reutler la sueur aux tempes.

— Allons donc ! fit Paul ; dans les bouges, peut-être… ici, on les expulse !

— En es-tu sûr ! s’exclama Reutler fou de rage brusquement. Et quel bouge comparable à cet enfer ? Ai-je demandé à te suivre, moi ? N’espère pas que je tolère ce jeu de la part d’un voisin ! Ah ! ce musc ! ce musc, il me donne la nausée. C’est horrible ! Tu n’es pas chimiste, tu n’analyses pas tes sensations ! (Il ricana.) C’est du musc allemand, je connais sa provenance rien qu’à le respirer ! Il m’écœure, entends-tu ?

— Calme-toi, mon grand ! dit Paul, surpris de cet aveu au moins étrange de la part de celui qu’il regardait comme le Prussien. Un peu de patience, je cherche la comtesse…

Ils montèrent et descendirent, visitèrent la salle, et durent céder le pas à une entrée de clowns extrêmement bruyante.

— … Oui, poursuivit Reutler songeant tout haut, je ne dis pas que ce ne soit pas très pittoresque, seulement cela sentira toujours la parfumerie du bazar à treize ! De toutes ces distinctions et de toutes ces richesses il s’exhale une vulgarité qui est le vrai, l’unique signe de l’opprobre. Enfin, puisque vous avez le culte de la luxure, ne pourriez-vous pas lui ériger des temples au lieu de lui prêter banalement vos salles de spectacles ?

— À qui s’adresse le sermon ? questionna Paul gaîment.

Ils se trouvaient, en ce moment-là, au seuil du bal et, parmi les couples des valseurs, les deux jeunes gens, couple altier aux deux tailles droites comme des hampes, dominant de leur orgueil les voluptueux qui s’inclinaient, les deux jeunes gens regardaient encore plus haut, cherchaient, celui-ci une vengeance, celui-là une pure vision d’apothéose.

— Je m’adresse à l’impératrice Irène ! murmura Reutler dont la voix prit une soudaine inflexion de pitié, s’éteignit en une langueur navrante qui n’était peut-être que l’expression de tous ses désespoirs de vivre. Ne pensez-vous pas, chère Majesté, qu’il est long ce temps que nous passons à voir couler la mer ? Oh ! cette éternelle danse du flot ! Ces humains et ces humaines sautant perpétuellement les uns en face des autres !… pour retomber perpétuellement les uns sur les autres. Que cherchez-vous ici, princesse, que vous n’ayez le loisir de puiser en vous-même ? Est-ce la beauté ? Je sais des yeux plus profonds que les océans, comme eux pleins de perfidies et de monstres. Une existence d’homme ne suffira pas, je gage, à en tarir les multiples et effroyables rayonnements. Oui… je sais des chairs blondes qui ont la splendeur du lis sous les pâleurs lunaires. Je sais la grâce infinie du félin qui bondit en la noblesse de vos pieds et de vos mains, ma reine ! Cherchez-vous la volupté ? Ah ! dieux ! Votre bouche est toute proche de ses dernières amertumes. Elle a l’air, ce soir, teinte du sang de celle qu’un de vos poètes préférés déclare l’enfant malade et douze fois impure. Votre bouche ! sa vue seule me plonge dans l’horreur, aussi dans l’admiration de sa naïveté. Je vous sais si corrompue, belle bouche en fleur, que je vous plains, miséricordieusement. Que faisons-nous ici, princesse ? Byzance est morte ! Nous attendons quoi ? Qu’il neige encore des siècles ? En vérité, en vérité, ne serait-il pas préférable de fuir ? L’éternité n’est, après tout, que notre heure ! Si vous le désiriez, pourtant ? Je vous emporterais, moi, loin, très loin, jusqu’à nous découvrir le sommet pur où nous bâtirons notre temple ! Un sommet vierge… en une atmosphère glaciale, mais si salutaire aux poitrines exténuées ! Il ne faut que deux choses pour nous le bâtir, ce temple des mystères divins : ta volonté, la mienne ! Dites, ma princesse à la bouche fardée de lie, le voulez-vous ? Le geste chaste vous est-il donc impossible et ne pouvez-vous déposer pour toujours ce masque de Nessus que vous vous êtes collé ridiculement sur le visage ? Irène, mon Irène, la seule pierre fausse de vos parures, est-ce donc votre cœur ?

Stupéfait, Paul s’était serré peu à peu contre son frère dans un spontané abandon de tout son corps frémissant et charmé. Il ferma les yeux, saisi de vertige, se roidit puis eut un moment de fureur.

— Ah ! fit-il, je commence à comprendre ! Parbleu ! Ce devait être cela ! Toi, le grand illuminé, tu devais y venir ! Pas toi sans moi, hein ?

Reutler se taisait, les paupières battantes. Reutler était un adorateur de la musique ; ou profane, ou sacrée, elle le troublait toujours, et, malgré lui, il avait déroulé ses phrases en suivant le rythme de la valse lente que jouait l’orchestre. Il arrive toujours une minute suprême durant laquelle, par une exquise transposition de clavier, les sens d’un homme sage vont s’épanouir comme une vénéneuse floraison au centre même de son cerveau.

— Pas toi sans moi ? Que veux-tu dire ? balbutia-t-il pressant plus fort le bras d’Irène.

— Mon Dieu, s’écria Paul hors de lui, le voilà, ton secret, ton fameux secret. Tu veux… que nous nous fassions prêtres tous les deux ? Pour te garantir des options prévues ou des gloires égoïstes, il faut que j’entre aussi dans les ordres ? Ça t’amuserait, n’est-ce pas, l’ogre sentimental, de me dévorer vivant ? J’ai deviné, c’est bien cela ? Et tu n’as pas honte d’employer la langue du Cantique des Cantiques pour me parler de crucifier ma jeunesse, d’achever de tuer mon pauvre cœur ! Flattant mes vices, jusqu’à ma prétendue beauté impériale, tu espères, m’endormir… et que je ne me réveille plus !… Mais, Reutler, tu es un monstre plus abominable que moi. Tu es mille fois plus redoutable… Tu ne sais pas, tu ne t’imagines pas ce que je pouvais penser en t’écoutant tout à l’heure me parler, toi, la sagesse, comme Salomon parlait à ses femmes… à travers Dieu ! Et il choisit l’Opéra pour théâtre de ce discours ! Le fourbe ! Non ! Entends-tu bien, non, je ne veux pas ! Et je te défends de vouloir. Nous resterons deux hommes libres ! (Paul crispa ses doigts gantés, le long desquels des bagues fabuleuses, bossuant la peau du gant, formaient des armes pénétrantes, et, de nouveau, il lui meurtrit le bras en lui jetant ce mot comme une mortelle injure :) Mystique ! mystique ! épouvantable mystique !

Reutler éclata d’un rire très franc, un rire sonore, un rire de jeunesse qui fuse quand même, bouillante et démoniaque, par toutes les plaies d’une chair qu’on vient de blesser douloureusement.

— Bravo ! fit-il, tu as deviné, je te remercie ! C’est, en effet, cette idée de prêtrise qui me torture de temps en temps… un peu comme mes migraines !

— Reutler, tu me méprises ?

— Oui, cher enfant, jusqu’à rêver de te convertir, jusqu’à rêver de te placer sur un autel !… Éric, parlons d’autre chose ! Ma névralgie me fait divaguer. Je crois bien que je me suis grisé à te voir boire tous les infects poisons. Cherchons Madame de Crossac, puisqu’elle a le mauvais goût de se commettre ici.

— Oh ! fit Paul rageur et heureux d’épancher sa rage sur un ennemi plus tangible, si je la trouve… je suis capable de l’étrangler. Je ne la hais pas au sujet de Jane. Je la hais pour le mal qu’elle nous fait chaque jour de nous révéler l’un à l’autre. Elle est cause de tout !

— Peuh ! railla Reutler. L’instrument de la providence, mon très cher frère ! Moi, je lui donne ma bénédiction.

— Je te dis que je la tuerai…

— À moins que tu ne préfères la…

Et Reutler se mordit les lèvres, car jamais sa bouche triste ne prononçait ce genre de mots. Ils errèrent, silencieux, se heurtant aux couples qui se désenlaçaient. Une seconde, ils avaient plané beaucoup trop haut, ils retombaient dans la boue. Ils y aperçurent une fille élégante, déguisée en marquise, rattachant sa jarretière et montrant un bas sale.

Trois petites danseuses les suivaient en chuchotant.

— C’est Paul !

— Non, ce n’est pas lui !

— Et le grand type noir ?

— Pst ! Pst ! Paul !…

Comme le grand type noir se retournait, elles eurent peur et se turent.

— Enfin, souffla Paul étreignant le bras de son aîné, regarde, là-bas, deuxième galerie, un domino myosotis et un Monsieur chauve !

— Son époux ? demanda Reutler étonné.

Paul se mit à rire, et il braqua ses jumelles :

— Non, nigaud, un amant diplomate qu’elle a choisi plus chauve que le comte… par esprit de corps ! Oh ! ce domino bleu, est-ce assez province en goguette ? Pourquoi pas tricolore, Madame ? Attends ! je vais te servir le frisson neuf, moi. Dans le doute, on peut toujours ne pas s’abstenir… En chasse ! je te rejoindrai dans notre loge ! Je te dis qu’il faut que je la tue !

Et laissant derrière elle un sillage d’or, l’impératrice sauta par-dessus une balustrade avec une prestesse qui ahurit les spectateurs.

— C’est bien lui ! crièrent les trois petites danseuses folles en se lançant à sa poursuite.

La chasse fut mouvementée. Paul dut gagner les galeries supérieures, essayant de désorienter les trois petites qui le filaient, joyeusement, comme une meute. Toutes trois, dressées sur leurs pointes, barrant le passage ; à l’entrée des derniers escaliers, elles le cernèrent. Là, le buste fin, dans l’évasement de la jupe courte, semblables à trois bouquets posés à l’envers sur une table de marbre, un parfum de fleur qui se fane et de fillette qui a chaud montant de la dentelle brodée de leur papier, elles éclatèrent de rire.

— Nous te faisons prisonnière, Madame la reine ! cria la plus jeune, une jolie poupée dont la petite bouche était, à peine, comme un petit pli ouvert de son costume rose.

Elles avaient des robes roses identiques, mais celle-ci était la rose la plus pâle. Elle possédait un soupçon d’âme blanche.

— C’est pas chic, ça, de nous la faire à la femme du monde ! dit la seconde.

— Oh ! Paul, t’as pas honte… t’es décolleté… on voit ton signe ! dit la troisième.

Et toutes ensemble :

— Qui c’est le grand type noir ? Est-ce que c’est ton amoureux ?

Elles s’étaient prises par la taille et elles avaient l’aspect d’une séduisante pieuvre aux six tentacules de nacre, une pieuvre dont le ventre de tulle bouffant se gonflait aux allées et venues de la même respiration.

— Sacredieu ! fit Paul exaspéré.

Elles pouffèrent. Il se mit à rire aussi. Puis il eut une idée géniale.

— Écoutez, petites pestes, redescendons. Nous sommes ici au paradis, mais vous m’y damneriez inutilement. J’ai mieux à faire. Vous allez rejoindre le grand type noir dans ma loge, et vous m’y attendrez en tâchant de le… distraire ! Tous mes bracelets pour vous si vous l’apprivoisez, foi d’impératrice. Vous ne serez peut-être pas trop de trois, je vous en préviens, mes mignonnes !

La plus jeune leva ses yeux : deux lueurs d’eau sur un bouton d’églantine.

— Et toi ? Où vas-tu ? À un rendez-vous avec une bonne femme de la haute ! Mauvais sujet ! Nous ne te suffisons pas ?

— Tu as tellement d’esprit, Juliette, qu’on ne peut rien te cacher. Oui, je vais à un rendez-vous. Il s’agit d’une ancienne. On doit toujours être poli vis-à-vis de ses grand’mères.

— Tu l’as déjà oubliée, l’autre, la… morte ?

Et Juliette eut un petit geste digne.

Les trois fleurs se balançaient toujours, souriaient d’un même sourire qui semblait faire partie de leur livrée. La plus jeune, Juliette, était grave et souriait, les deux autres avaient l’air grave et souriaient. Elles levaient leurs longues tiges déliées, d’un mouvement rythmique, leurs pieds, préhensiles comme des mains, se frottaient, talon contre talon ou pointe contre pointe, avec la rapidité d’aiguisement que mettent les mouches à se frotter les pattes. Sous les maillots de soie blanche, s’irisant d’un reflet de peau plus blanche encore, on eût dit que transparaissait un sang blanc, une sorte de sève particulière, crémeuse, une essence végétale qui s’évaporait en deux gouttes de rosée sur leur figure.

Paul les entoura toutes les trois de son bras lourd, les courbant, heureuses, sous la royauté de ses bijoux. Il les embrassa, cueillant les bouches comme on égrène les grains d’une même grappe, et toutes elles eurent ensemble le même frisson de plaisir.

Cela commença par la tête de la plus jeune qui se renversa, les yeux clos, traversa la poitrine de la seconde qui poussa un soupir, et finit aux petites jambes trépignantes de la troisième, lesquelles frétillèrent dans un entrechat léger.

La paix faite, on redescendit.

— Nous avons soif ! déclara la plus grande.

— Nous avons faim ! jeta la plus brune.

Et la troisième, la plus jeune, câline, se fit porter. On ne sut pas ce qu’elle pouvait bien avoir, car elle le dit tout bas.

— Juliette, taisez-vous, ordonna Paul, sérieux comme une grande dame qui va offrir des poupées à un enfant pauvre. Vous raconterez tout cela au type noir. Il est fort généreux… quand on sait s’y prendre, et vous lui direz, de ma part, que je vous ai autorisée à faire sa conquête. Il est veuf.

— Flûte ! j’aime mieux toi, fit la petite qui bouda. Toi et puis ton costume ! Il est épatant, tu sais, ton costume. Mince de luxe ! Tous tes joujoux sont pas du toc. Mesdemoiselles, regardez ces colliers de perles, il en a autant que la Mauri. C’est à en pleurer. Et il vous traîne ça, lui, comme de simples boulettes de mie de pain !

— La dentelle d’or, dit respectueusement la seconde, vient de chez Valentine, pas ?

La troisième caressa les manches de brocart changeant.

— Donne-nous tes deux manches, dis, pour nous faire deux peignoirs ?

Celle que Paul portait à son cou s’écria, furieuse :

— Et moi, espèces de petites grues, qu’est-ce que j’aurai pendant qu’il vous habillera de ses deux manches ?

— Toi, je te déshabillerai de mes deux bras ! répondit Paul tranquillement.

Il y eut une mêlée terrible. Les deux quémandeuses se jetèrent sur la troisième intéressée. Elles s’égratignèrent, se tirèrent les cheveux, mais en souriant et dans des poses plastiques. Elles n’étaient pas au théâtre, pourtant elles avaient toutes trois endossé le sourire et les gestes de grâce avec le costume, il le fallait bien. Sans cela, comment s’y reconnaître, si on prenait l’habitude de se négliger en jupe bouffante ! Elles dirent chacune des petites paroles obscènes affreuses, et si délicatement que Paul crut au pépiement d’un moineau en colère.

— Je crois, murmura-t-il très rêveur, qu’il est plus difficile qu’on ne pense d’entrer dans les ordres !

Et il assujettit son masque.

Il fallut refaire la paix. Princièrement, Paul distribua les baisers. La plus sévère impartialité présida, du reste, à cette distribution, bien qu’il eût un caprice pour la plus petite, et toutes quatre, les trois danseuses portant la traîne d’or de l’impératrice de Byzance, elles firent une irruption solennelle aux premières loges.

Paul leur ouvrit la porte, s’effaça.

En monôme, leurs petits bras sur leurs épaules, elles entrèrent, se balançant, dans la cage du lion, et Paul s’éloigna, avec un rire nerveux, une gaîté convulsive où il y avait l’ivresse, et, sans doute, le regret de les donner, toutes trois si jolies et si roses, à ce grand homme noir qui ne saurait pas s’en servir.