Les Hypothèses cosmogoniques/Chapitre VII

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Gauthier-Villars (p. 92-101).

CHAPITRE VII.

LA FIN DES MONDES.


Une étude cosmogonique complète doit nous apprendre comment finiront les mondes dont elle nous a montré l’origine. Les mêmes forces mécaniques qui ont transformé le Chaos primitif et donné naissance aux globes célestes gravitant isolément dans des espaces vides continuent à agir sur eux, transforment et modifient incessamment leurs mouvements et leurs positions relatives ; l’énergie primitive placée à l’origine dans la matière reste sans doute entière, mais subit d’incessantes métamorphoses qui la font apparaître tour à tour sous forme de mouvement, de chaleur, d’électricité ; la chaleur accumulée dans un soleil se répand progressivement dans l’Univers entier ; la quantité du mouvement soit orbital, soit rotationnel, que possédait un astre, passe dans ses satellites et une portion se transforme en chaleur : nous sommes ainsi amenés à nous faire du monde et du mécanisme qui le gouverne une idée complètement différente de celle qui, nous devons l’avouer, régnait dans l’Astronomie il y a quelques années encore.

Un des plus beaux titres de gloire de Laplace est d’avoir démontré l’invariabilité des grands axes du système planétaire. Les orbites des planètes se déforment et se déplacent, leurs intersections avec l’écliptique parcourent successivement les différents signes du zodiaque, leurs périhélies peuvent faire le tour entier du ciel ; les inclinaisons se modifient sans cesse ; « mais dans cet ensemble de mouvements si complexes et si divers, il est un élément qui reste constant, ou du moins ne varie qu’entre des limites très étroites : les grands axes des orbites planétaires n’ont pas d’inégalités séculaires, ils ne font qu’osciller de part et d’autre de leurs valeurs moyennes, en vertu des inégalités périodiques ; ces grands axes, qui sont aujourd’hui très différents les uns des autres, le seront donc toujours. — Il en résulte que les temps des révolutions des diverses planètes sont constants, ou du moins ne sont soumis qu’à de petits changements périodiques. Ce beau théorème est la base fondamentale sur laquelle repose aujourd’hui l’Astronomie théorique, de même que l’Astronomie d’observation est fondée sur l’invariabilité de la durée du jour sidéral[1]. » La stabilité mécanique du système planétaire étant ainsi établie, quelle sera la fin des mondes qui le composent ? J’en emprunte la description à M. Faye : « Le Soleil perd constamment de sa chaleur, sa masse se condense et se contracte ; sa fluidité actuelle doit aller en diminuant. Il arrivera un moment où la circulation qui alimente la photosphère, et qui régularise sa radiation en y faisant participer l’énorme masse presque entière, sera gênée et commencera à se ralentir. Alors la radiation de lumière et de chaleur diminuera, la vie végétale et animale se resserrera de plus en plus vers l’équateur terrestre. Quand cette circulation aura cessé, la brillante photosphère sera remplacée par une croûte opaque et obscure qui supprimera immédiatement toute radiation lumineuse. Bientôt on pourra marcher sur le Soleil, comme on le fait au bout de quelques jours sur les laves, encore incandescentes au dedans, qui sortent de nos volcans. Réduit désormais aux faibles radiations stellaires, notre globe sera envahi par le froid et les ténèbres de l’espace. Les mouvements continuels de l’atmosphère feront place à un calme complet. La circulation aéro-tellurique de l’eau qui vivifie tout aura disparu : les derniers nuages auront répandu sur la Terre leurs dernières pluies ; les ruisseaux, les rivières cesseront de ramener à la mer les eaux que la radiation solaire lui enlevaient incessamment. La mer elle-même, entièrement gelée, cessera d’obéir aux mouvements des marées. La Terre n’aura plus d’autre lumière propre que celle des étoiles filantes qui continueront à pénétrer dans l’atmosphère et à s’y enflammer. Peut-être les alternatives qu’on observe dans les étoiles, au commencement de leur phase d’extinction, se produiront-elles aussi dans le Soleil ; peut-être un développement accidentel de chaleur, dû à quelque affaissement de la croûte solaire, rendra-t-il un instant à cet astre sa splendeur première ; mais il ne tardera pas à s’affaiblir et à s’éteindre de nouveau comme les étoiles fameuses du Cygne, du Serpentaire et dernièrement encore de la Couronne boréale[2]. »

« Quant au système lui-même, les planètes obscures et froides continueront à circuler autour du Soleil éteint. Sauf ces mouvements, représentants derniers du tourbillonnement primitif de la nébuleuse que rien ne saurait effacer, notre monde aura dépensé toute l’énergie de position que la main de Dieu avait accumulée dans le Chaos premier. » (Faye, Sur l’Origine du monde, p. 252 et 253.)

Ainsi la vie disparaîtra de notre système planétaire, mais les mouvements purement astronomiques du système continueront indéfiniment à moins, ajoute M. Faye, que le mouvement qui entraîne le Soleil vers la constellation d’Hercule n’amène une collision fortuite, qui transformerait en chaleur l’énergie que notre système a possédée jusqu’ici, et ramènerait ses matériaux à l’état de nébulosité incandescente. Mais une pareille collision est bien peu probable, de l’aveu même de M. Faye. Il semble même que l’idée dominante de la stabilité du système du monde exclut absolument la possibilité de ces chocs. Si les choses ont été arrangées autour du Soleil de manière que les planètes même éteintes puissent continuer indéfiniment leurs mouvements suivant les mêmes lois, les mouvements des étoiles dans l’immense amas de l’Univers doivent aussi avoir été combinés, par des lois que nous sommes impuissants à expliquer, de manière à ne pas se gêner réciproquement et à interdire toute rencontre entre elles. Ce n’est donc pas seulement notre système qui finira, comme M. Faue vient de le décrire en un si beau langage : c’est l’Univers tout entier, qui, à la fin des temps, aura perdu toute lumière, toute chaleur et toute vie, et ne se composera plus que de globes obscurs et glacés, circulant silencieusement dans les ténèbres d’une nuit éternelle.

Telle est la destinée finale du monde, si le théorème de Laplace est vrai. Et pourtant combien M. Faye est loin déjà des idées que Laplace et ses contemporains pouvaient se faire du Soleil et des planètes ! Pour eux, le Soleil est une source indéfinie et intarissable de chaleur et de lumière ; une mince couche de gaz incandescent, entourant un globe froid et obscur, c’est tout ce qu’il faut sous le règne des fluides impondérables, pour expliquer la chaleur et la lumière solaire ; l’idée n’est pas encore née, ou plutôt elle s’est perdue, que ce foyer a besoin d’être entretenu. La vie des planètes peut donc durer éternellement, et le système planétaire est réellement stable.

Mais l’Astronomie physique est intervenue, et c’est elle qui nous a montré dans le Soleil et dans les planètes les transformations incessantes qu’ils éprouvent, et nous a forcés à croire à leur durée passagère. Un premier pas a donc été fait : le système planétaire, stable mécaniquement, ne l’est pas pour les productions vivantes dont il est le support ; la vie s’éteindra un jour à sa surface. Les mouvements mécaniques, désormais inutiles et sans but, vont-ils continuer indéfiniment ? Un nouveau pas en avant est nécessaire, pour résoudre cette question.

Aux yeux du Philosophe, la durée éternelle des êtres matériels qui ont eu un commencement est un non-sens : tout naît, vit et meurt. Les astres se sont formés aux dépens du Chaos primitif ; pendant un temps ils forment des systèmes animés de mouvements réguliers ; mais pour eux, comme pour les êtres qui vivent à leur surface, vient le jour de la destruction et de la mort. Newton, Buffon, Kant ont tous énoncé cette idée de la destruction finale et complète des systèmes qui composent l’Univers, et ce dernier en particulier a consacré à l’exposition de la fin des mondes de magnifiques pages dans le septième Chapitre de la deuxième Partie de la Théorie générale de l’Univers. Au sein du Chaos qui remplit l’espace sans limite, la création des mondes ou plus exactement leur formation va progressant sans cesse, autour d’un centre où le mouvement s’est manifesté d’abord. À chaque instant, des mondes nouveaux naissent à la limite extérieure d’une vaste sphère qui contient les mondes déjà façonnés ; et en même temps à l’intérieur de cette sphère, les mondes vieillissent et meurent. « Lorsqu’un système de mondes a épuisé, dans sa longue durée, toute la série des transformations que sa constitution peut embrasser, quand il est devenu ainsi un membre superflu dans la chaîne des êtres, rien n’est plus naturel que de lui faire jouer, dans le spectacle des métamorphoses incessantes de l’Univers, le dernier rôle qui appartient à toute chose finie : il n’a plus qu’à payer son tribut à la mort… Il semble que cette fin nécessaire des mondes et de tous les êtres de la nature soit soumise à une loi déterminée. D’après cette loi, les astres qui sont les plus voisins du centre de l’Univers disparaissent les premiers, comme ils sont nés les premiers. À partir de là, la destruction et la ruine s’étendent de proche en proche jusqu’aux régions les plus lointaines par l’anéantissement successif des mouvements, pour ensevelir dans un Chaos unique tous les mondes qui ont traversé la période de leur existence. D’autre part la nature, sur les limites opposées du monde déjà formé, est incessamment occupée à façonner des mondes avec les matériaux des éléments décomposés ; et pendant que, d’un côté, elle vieillit autour du centre, de l’autre elle est toujours jeune et féconde en nouvelles créations. » Mais que devient la matière des mondes ainsi détruits ? « N’est-il pas permis de croire que la nature qui a pu, une première fois, faire sortir du Chaos l’ordonnance régulière de systèmes si habilement construits, peut bien de nouveau renaître aussi aisément du second Chaos, où l’a plongée la destruction des mouvements, et régénérer de nouvelles combinaisons ?… Après que l’impuissance finale des mouvements de révolution dans l’Univers aura précipité les planètes et les comètes en masse sur le Soleil, l’incandescence de cet astre recevra un accroissement prodigieux du mélange de ces masses si nombreuses et si grandes… Ce feu ainsi remis en une effroyable activité par ce nouvel aliment, non seulement résoudra de nouveau toute la matière en ses derniers éléments, mais la dilatera et la dispersera, avec une puissance d’expansion proportionnée à sa chaleur, et avec une vitesse que n’affaiblira aucune résistance du milieu, dans le même espace immense qu’elle avait occupé avant la première construction de la nature. Puis, après que la vivacité du feu central se sera calmée par cette diffusion de la masse incandescente, la matière recommencera, par l’action réunie de l’attraction et de la force de répulsion, avec la même régularité, les anciennes créations et les mouvements systématiques relatifs, et ainsi reformera un nouveau monde. Et lorsque chaque système particulier de planètes sera ainsi tombé en ruines, puis se sera régénéré par ses propres forces, lorsque ce jeu se sera reproduit un certain nombre de fois ; alors enfin arrivera une période qui ruinera et rassemblera en un même Chaos le grand système dont les étoiles sont les membres. Mieux encore que la chute de planètes froides sur leur Soleil, la réunion d’une quantité innombrable de foyers incandescents, tels que sont ces Soleils enflammés, avec la série de leurs planètes, réduira en vapeur la matière de leurs masses par l’inconcevable chaleur qu’elle produira, la dispersera dans l’ancien espace de leur sphère de formation et y produira les matériaux de nouvelles créations qui, façonnés par les mêmes lois mécaniques, peupleront de nouveau l’espace désert de mondes et de systèmes de mondes. »

On ne peut lire sans une profonde admiration les pages éloquentes que le philosophe de Kœnigsberg a consacrées à l’exposition de ses idées sur la fin et la régénération des mondes. Sans doute elles portent l’empreinte des théories encore bien vagues qui régnaient au milieu du xviiie siècle, touchant la combustion et le mécanisme général des forces naturelles. Mais n’est-il pas étonnant de voir un jeune homme de vingt-cinq ans, confiné dans une petite ville du nord de la Prusse, à une époque où les communications scientifiques étaient encore lentes et difficiles, exposer d’une façon aussi magistrale les idées mêmes auxquelles la Science, bien plus avancée de nos jours, va nous ramener ? Et n’y a-t-il pas dans cette conception de l’Univers, renaissant incessamment de ses cendres, une notion bien plus grandiose et plus philosophique des lois générales de la nature, que dans l’éternelle stabilité des systèmes qui les ferait survivre, inanimés et déserts, aux êtres vivants auxquels ils auraient servi d’habitation pendant un instant seulement de leur immortelle durée ?

Les calculs de Laplace, de Lagrange et de Poisson ont démontré que, malgré les actions perturbatrices que les corps du système solaire exercent les uns sur les autres, leurs distances moyennes au Soleil ne changeront pas dans le cours des siècles de manière à les rapprocher ou à les éloigner de ces astres d’une façon continue. Mais, dans ces calculs, les globes célestes sont considérés comme absolument rigides et indéformables, ou plus exactement même comme réduits à des points matériels. De plus, ces corps sont supposés se mouvoir dans un vide parfait, ou dans un milieu dont la résistance est absolument nulle, et enfin la gravitation est la seule force qui agisse sur eux.

Bien que l’existence d’un milieu résistant n’ait encore paru se manifester que par l’acccélération du mouvement de la comète d’Encke et ne semble pas avoir altéré les mouvements des planètes ou de leurs satellites depuis les temps historiques, il n’en est pas moins vrai que le sentiment unanime des Astronomes admet que les espaces interplanétaires ne sont pas absolument vides. Newton écrivait que les mouvements des grands corps célestes se conservent plus longtemps que celui des projectiles lancés dans l’air, parce qu’ils ont lieu dans des espaces moins résistants. Des milliers d’années ne suffisent pas à rendre sensible la résistance du milieu éthéré, ni celle du milieu météorique sur le mouvement des planètes : est-il permis d’affirmer que cette résistance est nulle et qu’elle ne se manifestera pas par un rétrécissement de leurs orbites au bout d’un temps suffisamment long ?

L’état électrique du Soleil et des planètes semble aujourd’hui démontré par les concordances au moins fort singulières qui se manifestent entre les variations d’aspect de la surface solaire d’une part, et les aurores boréales et les variations du magnétisme terrestre de l’autre. De là des actions inductrices s’exerçant entre le Soleil et les planètes, dont M. Quet a fait une étude approfondie. Or de pareilles actions engendrent des courants de sens contraire à ceux dont l’effet électrodynamique serait de produire les mouvements réels de rotation et de révolution des planètes. Ils agissent donc nécessairement à la manière d’un frein pour diminuer à chaque instant les quantités de mouvement de ces astres. Si les travaux de Laplace ne permettent pas de considérer l’attraction newtonienne comme une cause de désordre dans le système solaire, l’induction électrique semble au contraire y introduire une cause de perturbation graduellement croissante, dont les Astronomes doivent aujourd’hui se préoccuper.

Enfin il est encore une autre résistance indirecte, résultant des mouvements relatifs des corps voisins, qui enlève incessamment à ces corps une part de leur énergie. Les astres ne sont pas réduits à des points matériels : ce sont des sphéroïdes en partie solides, en partie fluides ; la rigidité des parties solides n’est pas absolue. L’attraction newtonienne produit donc sur eux des déformations continuelles ; et puisque les portions solides ne sont pas parfaitement élastiques, puisque les fluides n’ont pas une mobilité absolue, il en résulte des frottements qui altèrent les mouvements relatifs. absorbent une partie de l’énergie de mouvement, et la transforment en chaleur. L’étude de cet effet des marées a été faite surtout par MM. W. Thomson et Tait et par M. G.-H. Darwin, et le résumé des travaux de ce dernier auteur, que j’ai donné dans le Chapitre précédent, montrent quelles peuvent être les conséquences du frottement des marées sur les positions et les mouvements relatifs des corps de notre système, lorsque son action est prolongée pendant un temps suffisamment long. Si l’on considère seulement deux corps, la Terre et la Lune, tournant toutes deux sur elles-mêmes et autour de leur centre commun d’inertie, une analyse très simple de l’action de chacune d’elles sur la protubérance qu’elle soulève sur l’autre fait voir qu’elle finirait par réduire la Terre et la Lune à tourner toutes deux d’un même mouvement angulaire autour d’un axe passant par leur centre d’inertie, comme si elles faisaient partie d’un même corps rigide. S’il n’existait aucun autre corps dans l’Univers, ces deux astres continueraient donc indéfiniment à décrire des orbites circulaires autour de ce centre, en tournant sur eux-mêmes dans le même temps, de manière à se regarder constamment par la même face, la forme de chacun d’eux restant dès lors invariable. Mais l’introduction d’un troisième corps, le Soleil, change cet état de choses. Les marées solaires, qui se produiront deux fois dans l’espace d’un jour solaire, devenu égal au mois, déterminent une nouvelle perte d’énergie par le frottement qu’elles engendrent. Le premier effet sera de faire tomber la Lune sur la Terre, en même temps que la distance de ces corps au Soleil augmentera ; l’astre unique résultant de la réunion de la Lune à la Terre verra son mouvement de rotation se ralentir, jusqu’à prendre une période égale à la durée de sa révolution, qui sera devenue aussi la durée de la rotation du Soleil. Dans ce nouvel état, la Terre et le Soleil, plus éloignés l’un de l’autre qu’ils ne l’étaient d’abord, tourneront autour de leur centre commun d’inertie, comme si leur ensemble constituait un corps rigide, en se regardant constamment par la même face. Qu’un nouvel astre intervienne, la Terre va se rapprocher peu à peu du Soleil et finir par s’unir à lui. La conclusion définitive sera donc celle de W. Thomson[3] : « Nous ne possédons dans l’état présent de la Science aucune donnée pour estimer l’importance relative du frottement des marées ni celle de la résistance du milieu à travers lequel se meuvent la Terre et la Lune ; mais quelle qu’elle puisse être, il n’y a qu’un seul état final pour un système constitué comme celui du Soleil et des planètes, si son existence se prolonge pendant un temps suffisamment long sous l’empire des lois actuelles, et s’il n’est pas perturbé par la rencontre d’autres masses en mouvement à travers l’espace. Tous les corps de ce système se réuniront en une seule masse, qui tournera sur elle-même encore pour un temps, mais finira par rentrer au repos relatif dans le milieu qui l’entoure. »

Nous voilà bien loin déjà du résultat final auquel M. Faye a été conduit par la seule application des lois de Laplace. Mais faut-il s’en tenir là et, suivant l’expression de Kant, faut-il considérer la destruction du système solaire comme une véritable perte de la nature ? Nous avons vu ce grand esprit faire renaître ce système de ses cendres, par le retour à l’état de nébuleuse résultant de l’incandescence du foyer solaire ranimé par l’apport de la matière combustible des planètes. Il suffit de changer quelques mots à son exposé de la résurrection des mondes pour le mettre en complet accord avec les données de la Science actuelle. La Lune finira par tomber sur la Terre, celle-ci et toutes les planètes se réuniront au Soleil. Chacune de ces collisions sera l’origine d’un développement mécanique de chaleur, puisque les deux corps n’arriveront pas l’un sur l’autre sans vitesse ; et la Terre reprendra peut-être l’état nébuleux, ou tout au moins une température assez élevée pour pouvoir reproduire des satellites par le mode de génération qu’a indiqué M. G. Darwin. Le Soleil pourra de même reproduire des planètes. Les mondes ne périraient que pour renaître de leurs cendres, et préparer peut-être de nouvelles habitations à de nouvelles créatures qu’y placerait la Providence divine.

Quelque téméraires que puissent être ces vues sur l’avenir de l’Univers, j’ai tenu à les poursuivre jusqu’au bout, pour bien mettre en relief les idées nouvelles qui tendent aujourd’hui à s’introduire dans l’Astronomie. La Mécanique céleste, fondée sur l’application des seules lois de Newton, et considérant les planètes comme des points matériels ou des corps indéformables en mouvement dans le vide absolu, suffit à nous rendre compte des mouvements des astres depuis l’époque des premières observations précises. Mais déjà lorsque nous voulons remonter jusqu’aux époques éloignées de l’histoire, la comparaison des éclipses fait ressortir dans le mouvement de la Lune une accélération dont l’explication ne semble pas pouvoir être demandée à la Mécanique céleste de Laplace. L’influence du frottement des marées, suivant les uns, la résistance du milieu interplanétaire, suivant les autres, doivent être prises en sérieuse considération. Les idées que nous nous étions faites de la stabilité du système du monde reçoivent, de l’introduction de ces causes de perturbation, de sérieuses atteintes. Sans doute leur action ne devient sensible qu’au bout d’un nombre énorme d’années, et semble n’intéresser que très faiblement les mouvements et les positions relatives des astres pendant la durée de la vie humaine et peut-être de la vie de l’humanité. Déjà, en effet, les conditions climatériques assignent à la présence de l’homme sur la terre une durée assez limitée : la vie n’a pu apparaître sur notre globe que longtemps après le commencement de la formation du système, lorsque la chaleur résultant de la condensation de la nébuleuse primitive s’était déjà dissipée en partie. La continuation incessante de cette déperdition pose une autre limite où l’action calorifique et lumineuse du Soleil deviendra impuissante à entretenir la vie sur la Terre. Entre ces deux limites, il ne paraît pas que les causes perturbatrices que je viens d’énumérer puissent influencer d’une façon bien sensible les mouvements des grosses planètes ; l’analyse de Laplace suffit et suffira encore longtemps à calculer les positions de ces astres. On peut donc dire que, relativement à l’homme, le système planétaire est stable. Mais dans les longues périodes qui ont précédé la création des êtres vivants, dans les périodes illimitées qui s’écouleront après leur disparition, par conséquent dans ces temps qui sont le domaine proprement dit de la Science cosmogonique, il devient nécessaire de tenir compte de l’influence des causes qui ajoutent leur action à celle de la gravitation. L’établissement définitif d’une hypothèse cosmogonique complète exige donc l’étude complète aussi de cette influence. Nous ne pouvons aujourd’hui encore que signaler l’existence des forces mécaniques qui ont dû intervenir dans la formation des mondes et qui présideront à leur fin et peut-être à leur renouvellement.

  1. M. F. Tisserand, Notice sur les perturbations (Annuaire du Bureau des Longitudes pour 1885, p. 823).
  2. L’étoile de la Couronne n’est pas éteinte ; elle est aujourd’hui de 9e,5 grandeur comme elle l’était avant son énorme accroissement d’éclat en 1866.
  3. Sir W. Thomson and Tait, Treatise on Natural Philosophy, vol. I, Part. I, p. 258.