Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Alexandre, imposteur Juif

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ALEXANDRE, imposteur Juif,
quelque tems après la naissance de Jesus-Christ.


La belle histoire des Juifs, écrite par Josephe, fait assez connoître Hérode à la postérité. Ce prince élevé sur le trône du sein de la médiocrité, fut assez habile pour gagner la faveur de Sextus-César, de Cassius, d’Antoine & d’Octave, qui lui firent donner le sceptre de la Judée par le sénat Romain. Ayant reçu l’investiture de ce royaume en marchant au Capitole, entre les deux Triumvirs, il revient en Palestine, & s’y montre aussi courageux qu’il avoit paru adroit à Rome. Il prend Jérusalem, se soutient auprès d’Antoine, en dédaignant les charmes de la belle Cléopatre, est vainqueur d’Antigone, de Malchus, des Arabes, dissipe les brigands de la Traconite, fonde plusieurs villes, éleve des édifices superbes, entr’autres, le temple de Jérusalem qu’il rebâtit, & rétablit les jeux olympiques dans leur ancienne splendeur.

Mais au milieu de la gloire que tant de belles actions devoient lui acquérir, il se souilla des plus grands crimes ; il fit mourir le vieillard Hircan dans sa quatre-vingtieme année ; le grand-prêtre Aristobule, son beau-frere ; Joseph, son propre oncle ; Alexandre, mere de Marianne, son épouse, enfin cette belle & vertueuse Marianne elle-même, dont la mort l’accabla de regrets, & le déchira de remords pendant le reste de sa vie.

Il avoit eu deux fils de cette princesse digne d’un meilleur sort, Alexandre & Aristobule, élevés avec soin à la cour d’Auguste, & doués des qualités de leur mere. Hérode voyant en eux des objets importuns qui lui reprochoient sans cesse le meurtre de Marianne, fut facilement prévenu par les ennemis de ces deux princes. Il les accusa à Rome d’avoir eu dessein de lui ravir la couronne avec la vie ; ils n’eurent pas de peine de se justifier de cette calomnie atroce, & l’Empereur Auguste persuadé de leur innocence, les réconcilia avec leur pere. Mais ce Prince soupçonneux, qui méritoit plutôt le nom de cruel que celui de grand, se laissant encore prévenir contre ses enfans, les fit condamner à Beryte dans une grande assemblée, & se souille d’un double assassinat, en les faisant étrangler à Sebaste. C’est bien le cas de dire avec un de nos poëtes, en parlant de ce monstre : Nature, tu frémis.

Un imposteur voulut profiter de cette mort pour tâcher de se rendre maître de la Judée. Voici comme Josephe raconte cette aventure. « Un Juif nourri dans Sydon chez l’affranchi d’un citoyen Romain, entreprit de s’élever sur le trône par la ressemblance qu’il avoit avec Alexandre que le roi Hérode, son pere, avoit fait mourir. Cette ressemblance étoit telle, que ceux qui avoient connu ce jeune prince étoient persuadés que c’étoit lui-même. Pour réussir dans cette fourberie, il se servit d’un homme de sa tribu, lequel avoit une connoissance particuliere de tout ce qui s’étoit passé dans la maison royale, & qui, n’étant pas moins artificieux qu’intriguant, étoit très-propre à exciter de grands troubles. Assisté d’un tel conseil, il feignit d’être Alexandre, & qu’un de ceux qu’Hérode avoit chargés de faire mourir avec Aristobule, son frere, les avoit sauvés, & en avoit supposé d’autres en leur place.

» Cet homme enflé des espérances dont il se flattoit, entreprit de tromper les autres, comme il se trompoit lui-même. Il alla en Crete, fascina l’esprit de tous les Juifs ; il sut tirer d’eux de l’argent, & passa de-là dans l’isle de Melos, où, dans l’idée qu’il étoit du sang royal, on lui en donna encore davantage. Alors il se persuada plus que jamais qu’il viendroit à bout de son dessein, promit de récompenser ceux qui l’assisteroient, & étant accompagné par eux, résolut d’aller à Rome.

» Quand il eut mis pied à terre à Pouzol, tous les Juifs qui y étoient, & particuliérement ceux qu’Hérode avoit traités avec bonté, se presserent de le venir voir, & le considéroient déja comme leur roi. On ne doit pas être étonné qu’il en eût imposé à tant de monde ; les hommes ont toujours ajouté foi aux choses qui leur paroissoient agréables ; d’ailleurs il étoit difficile de n’être pas trompé par une si grande ressemblance. Ceux qui avoient conversé familiérement avec Alexandre, doutoient si peu que ce fût lui, qu’ils ne craignoient point de l’assurer avec serment.

» Lorsque ce bruit se fut répandu dans Rome, tous les Juifs qui y demeuroient en si grand nombre, allerent, en rendant graces à Dieu d’un bonheur si inespéré, au-devant de l’imposteur. Leurs acclamations mêlées aux souhaits qu’ils faisoient pour sa prospérité, témoignoient assez quel étoit le respect pour la grandeur de sa naissance du côté de la reine Marianne, dont ils le croyoient fils ; pour en imposer, & pour faire plus aisément des duppes, il avoit pris un équipage superbe. Dans tous les lieux où il séjournoit, les Juifs s’empressoient de fournir à sa dépense ; mais, quoi qu’on pût dire à Auguste sur ce prétendu roi des Juifs, il eut beaucoup de peine à y ajouter foi ; il connoissoit trop bien le caractere d’Hérode pour croire qu’il se fût laissé tromper dans une affaire si importante. Néanmoins, comme la chose n’étoit pas impossible, il ordonna à un de ses affranchis, nommé Celade, qui avoit connu très-particuliérement Alexandre & Aristobule, de lui amener cet homme. Celade l’alla querir, & se laissa tromper comme les autres ; mais Auguste ne le put être, parce qu’il les surpassoit tous en jugement, & que cette ressemblance, quelque grande qu’elle fût, n’étoit pas telle, qu’on n’y remarquât quelque différence, en considérant attentivement cet imposteur. Le travail lui avoit fait venir des calus aux mains ; & ayant toujours vécu auparavant dans la bassesse de sa condition, on ne voyoit point en lui ces graces que la noblesse du sang & l’éducation donnent à tous ceux qui sont élevés avec soin. Ainsi ne doutant point que le maître & le disciple n’agissent de concert pour abuser le monde, il demanda à ce faux Alexandre ce qu’étoit devenu Aristobule, son frere, & pourquoi il ne venoit point, comme lui, demander d’être traité selon qu’il avoit sujet de le prétendre. Il lui répondit qu’il étoit demeuré dans l’isle de Cypre pour ne point s’exposer au péril de la mer, afin que s’il périssoit, il restât au moins un des enfans de Marianne. Quoiqu’il eût répondu à Auguste d’un ton d’assurance singuliere, & que son confident, auteur de la fraude, eût confirmé ce qu’il disoit, Auguste, trop éclairé pour les croire, tira à part ce jeune homme, & lui dit d’un air qui ne prouvoit pas la conviction : Je vous promets de vous sauver la vie, pourvu que vous ne continuiez pas à me tromper comme les autres. Dites-moi donc qui vous êtes, & qui vous a mis dans l’esprit une entreprise de cette importance ? on ne conçoit pas à votre âge des desseins si grands & si artificieux.

» Ces paroles de l’empereur épouvanterent tellement ce misérable, qu’il lui avoua tout ; il lui déclara l’auteur de cette imposture, & de quelle façon elle avoit été conduite. Auguste jaloux de sa promesse, se contenta de l’envoyer aux galeres ; son tempérament fort & robuste s’accommodoit assez à ce genre de travail, & il étoit plus propre à tenir la rame que le sceptre. On fit pendre en même tems celui qui l’avoit si bien instruit. Quant aux Juifs de l’ifle de Melos, ils en furent quittes pour l’argent qu’ils avoient dépensé si mal-à-propos pour faire honneur au faux Alexandre. Une fin si honteuse étoit digne d’une entreprise si témérairement concertée ».

Nous avons ébauché le portrait d’Hérode, finissons-le par quelques détails intéressans. Nous avons parle des cruautés inouies dont il se souilla, ne passons pas sous silence les maux dont il fut accablé sur la fin de ses jours, & qui sembloient proportionnés à ses crimes. Sa derniere maladie eut les symptômes les plus effrayans ; une chaleur lente, dit Josephe, qui ne paroissoit point audehors, le consumoit & le dévoroit intérieurement. Il avoit une faim si violente, que rien ne suffisoit pour le rassasier. Ses intestins étoient pleins d’ulceres ; de violentes coliques lui faisoient souffrir d’horribles douleurs. Ses pieds étoient enflés & livides ; ses aînes ne l’étoient pas moins. Les parties du corps que l’on cache avec plus de soin étoient si corrompues, que l’on en voyoit sortir des vers. Ses nerfs étoient tout retirés ; il ne respiroit qu’avec beaucoup de peine, & son haleine infectée faisoit reculer tous ceux qui s’approchoient de lui. On regarda cette maladie terrible comme un effet de la providence, qui, par ce châtiment, vouloit effrayer les monarques barbares & sanguinaires.

Les savans sont encore partagés sur l’origine de cet homme atroce. Josephe le fait Iduméen & étranger ; plusieurs modernes soutiennent que, quoiqu’il fût originaire d’Idumée, il étoit Juif de naissance, & que son pere & son aïeul avoient embrassé la religion judaïque ; d’ailleurs les Iduméens, plus d’un siecle avant Hérode, avoient embrassé la même croyance ; & comme souvent par le nom Juif on entendoit seulement ceux qui étoient nés dans la province de Judée, & que les autres étoient nommés étrangers, on peut croire que Josephe parle conformément à la premiere signification. D’ailleurs puisque les Hérodiens prenoient Hérode pour le Messie, on ne peut pas douter qu’il ne fût Juif de naissance. Rien n’est plus clair dans les principes des Juifs, que l’extraction Juive de leur libérateur.

Quoi qu’il en soit, un homme tel qu’Hérode, le tyran de ses sujets, le meurtrier de sa femme & de ses enfans, ne mérite guere d’être revendiqué par aucune nation.