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Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Cromwel

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CROMWEL (Olivier), en 1603.


Si l’ambition enfante les crimes, elle développe les grands talents. Quiconque est aiguillonné de cette passion, ne connoît pas cette pusillanimité de l’ame, qui absorbe les desirs, & qui ôte le courage & les moyens de les satisfaire. Il seroit à souhaiter que l’équité, l’obéissance & la fidélité que l’on doit à son souverain, missent toujours la distinction nécessaire entre la volonté & le devoir. C’est en voulant trop entreprendre, que tel qui eût été regardé comme un grand homme, ne passe que pour un scélérat & un tyran.

Cromwel naquit dans la ville de Huntington le 3 Avril 1603, le même jour que mourut la reine Elisabeth. Il ne sçavoit d’abord s’il seroit ecclésiastique, ou militaire : il fut l’un & l’autre. Il fit en 1622 une campagne dans l’armée du prince d’Orange ; il servit ensuite contre la France au siege de la Rochelle. Lorsque la paix fut conclue dans l’Angleterre, il vint à Paris, où il fut présenté au cardinal de Richelieu qui dit en le voyant : son air me plaît beaucoup, & si sa physionomie ne me trompe, ce sera un jour un grand homme. Il aspiroit à être évêque. Il s’introduisit auprès de Wiliam son parent, évêque de Lincoln, depuis archevêque d’Yorck. Chassé de la maison de son parent, parce qu’il étoit puritain, il s’attacha au parlement, qu’il servit contre Charles I. Il commença par se jetter dans la ville de Hull assiégée par le roi, & la défendit avec tant de valeur, qu’il eut une gratification de 6000 liv., on le fit bientôt colonel, & ensuite lieutenant général, sans le faire passer par les autres grades. Jamais on ne montra plus d’activité & de prudence. Dans un combat près d’Yorck il fut blessé au bras d’un coup de pistolet, & sans attendre qu’on eût mis le premier appareil à sa plaie, il retourna au champ de bataille que le général Manchester alloit abandonner aux ennemis : il rallie pendant la nuit plus de 12000 hommes, leur parle au nom de Dieu, recommence la bataille au point du jour contre l’armée royale victorieuse, & la défait entiérement. Aussi intriguant qu’intrépide, il avoit publié un livre intitulé : la Samarie angloise, ouvrage dans lequel il appliquoit au roi & à toute sa cour ce que l’ancien testament dit du regne d’Achab. Afin de mieux allumer le feu de la rébellion, il fit un second livre comme pour servir de réponse au premier qu’il intitula le Prothée puritain. Il y traitoit d’une maniere très-impérieuse les deux chambres du parlement, & les sectes opposées à la royauté & à l’épiscopat. Il répandit dans le public que cet ouvrage avoit été composé par les partisans du roi, animant tous les partis les uns contre les autres, pour venir à bout de gouverner seul. Ces libelles aujourd’hui ignorés, exciterent alors une violente fermentation. On ne parloit à l’armée, comme dans le parlement, que de perdre Babylone, de briser le colosse, d’anéantir le papisme & le pape, & de rétablir le vrai culte dans Jérusalem. Lorsque Cromwel fut envoyé pour punir les Universités de Cambridge & d’Oxford, royalistes zélées, les soldats se signalerent par des exécutions aussi barbares qu’odieuses. Ils firent des cravates avec des surplis, & des housses à leurs chevaux, avec des ornements d’église. Les salles & les chapelles servirent d’écuries. Les statues des saints eurent le nez & les oreilles coupés. Les professeurs furent brutalement châtiés, & quelques-uns assommés à coups de bâtons. La bibliotheque d’Oxford composée de plus de 40000 volumes rassemblés pendant plusieurs siecles de divers endroits du monde, fut brûlée, & un seul matin dans une nouvelle expédition contre cette ville, Cromwel tua de sa propre main le fameux colonel Legda. Dès qu’Oxford fut pris, il fit prononcer au parlement la déposition de son roi en 1646. Il restoit encore une statue de ce malheureux prince dans la bourse, on la fit abattre, & on mit à la place cette inscription. Charles le dernier des rois, & le premier tyran, sortit de l’Angleterre l’an du salut 1643.

Cromwel proclamé généralissime après la démission de Fairfax, défit le duc de Buckingam, tua plus de douze officiers de sa main comme un grenadier furieux & acharné, battit & fit prisonnier le comte de Holland, & entra à Londres en triomphateur. Les ministres des différentes églises de cette ville, l’annoncerent en chaire comme l’ange tutelaire des Anglois, & l’ange exterminateur de leurs ennemis. Le tems étoit venu, ajoutoient-ils, auquel l’œuvre du seigneur alloit être accomplie. Il ne tarda pas de l’être ; Charles I eut la tête tranchée en 1649. Un mois après cette exécution, Cromwel teint du sang de son roi, abolit la monarchie, & la changea en république. Cet illustre scélérat, à la tête du nouveau gouvernement, établit un conseil composé de ses amis, & lui donna le titre de protecteur du peuple, & défenseur des loix. Il passa en Irlande & en Écosse, & eut par-tout les plus grands succès. Lorsqu’il étoit dans ce dernier pays, il apprit que quelques membres du parlement vouloient lui ôter le titre de généralissime, il vole à Londres, se rend au parlement, oblige les députés de se retirer ; & après qu’ils sont tous sortis, il ferme la sale, & fait poser cet écriteau sur la porte : maison à louer. Un nouveau parlement qu’il assembla lui conféra le titre de protecteur. Il aimoit mieux, disoit-il, gouverner sous ce nom, que sous celui de roi, parce que les Anglois savoient jusqu’où s’étendoient les prérogatives d’un roi d’Angleterre, & ne savoient pas jusqu’où celles d’un protecteur pouvoient aller. Ayant appris que le parlement vouloit encore lui ôter ce titre, il entra dans la chambre des communes, & dit fiérement : j’ai appris, messieurs, que vous avez résolu de m’ôter les lettres de protecteur ; les voilà, dit-il, en les jettant sur la table. Je serois bien aise de voir s’il se trouvera parmi vous quelqu’un assez hardi pour les prendre. Quelques membres lui ayant reproché son ingratitude, ce fourbe fanatique leur dit d’un ton d’enthousiaste : le seigneur n’a plus besoin de vous, il a choisi d’autres instruments pour accomplir son ouvrage. Ensuite se tournant vers ses officiers & ses soldats : Qu’on emporte, leur dit-il, la masse du parlement, qu’on nous défasse de cette marote. Après ces paroles, il fit sortir tous les membres, ferma la porte lui-même, & emporta la clef. C’est par cette fermeté secondée d’hypocrisie, qu’il parvint à se faire roi sous un nom modeste ; mais il n’en fut pas plus heureux. Tourmenté sans cesse par la crainte d’être assassiné pendant la nuit, le tyran fit faire un grand nombre de chambres dans l’appartement du palais de Witheal qui regarde la Tamise. Chaque chambre avoit une trape, par laquelle on pouvoit descendre à une petite porte qui donnoit sur la riviere. C’étoit-là que Cromwel se retiroit tous les soirs, il ne menoit personne avec lui pour le deshabiller, & ne couchoit jamais deux fois de suite dans la même chambre. Craint au dedans, il ne l’étoit pas moins au dehors. Les Hollandois lui demanderent la paix, & il en dicta les conditions, qui furent qu’on lui payeroit 300,000 livres sterlings, & que les vaisseaux des Provinces-unies baisseront pavillon devant les vaisseaux Anglois. L’Espagne perdit la Jamaïque restée à l’Angleterre. La France rechercha son alliance. La prise de Dunkerque en fut le fruit. Le Portugal reçut les conditions d’un traité onéreux. L’usurpateur ayant appris avec quelle hauteur ses amiraux s’étoient conduits à Lisbonne : Je veux, dit-il, qu’on respecte la république Angloise, autant qu’on a respecté autrefois la Romaine. Ses troupes étoient toujours payées un mois d’avance, les magazins fournis de tout, le trésor public rempli de 300,000 livres sterlings. Il projettoit de s’unir avec l’Espagne contre la France, de se donner Calais avec les secours des Espagnols, comme il avoit eu Dunkerque par la main des François. Il mourut en 1658, à 55 ans, sans avoir pu exécuter ce dessein. La veille de sa mort, il déclara que Dieu lui avoit révélé qu’il ne mourroit pas encore, & qu’il le réservoit pour de plus grandes choses. Son médecin surpris que n’ayant pas 24 heures à vivre, il osât dire avec tant d’assurance qu’il seroit bientôt rétabli, lui témoigna son étonnement : Vous êtes un bon homme, répartit le politique ; ne voyez-vous pas que je ne risque rien par ma prédiction ? Si je meurs, au moins le bruit de ma guérison qui va se répandre, retiendra les ennemis que je puis avoir, & donnera le tems à ma famille de se mettre en sûreté ; & si je réchappe (car vous n’êtes pas infaillible), me voilà reconnu de tous les Anglois comme un homme envoyé de Dieu, & je ferai d’eux tout ce que je voudrai. Cette réponse développe son caractere, si bien peint par le grand Bossuet. « Un homme, dit cet écrivain éloquent, s’est rencontré d’une profondeur d’esprit incroyable. Hypocrite rafiné autant qu’habile politique, capable de tout entreprendre & de tout cacher, également actif & infatigable, & dans la paix & dans la guerre, qui ne laissoit rien à la fortune de ce qu’il pouvoit lui ôter par conseil ou par prévoyance ; d’ailleurs si vigilant & si prêt à tout, qu’il n’a jamais manqué aucune des occasions qu’elle lui a présentées ». L’usurpateur régicide se maintint autant par la force que par l’artifice, ménageant toutes les sectes, ne persécutant ni les catholiques ni les anglicans ; enthousiaste avec des fanatiques, austere avec des presbytériens, se moquant d’eux avec tous les déistes, & ne donnant sa confiance qu’aux indépendans ; sobre, tempérant, économe, sans être avide du bien d’autrui, laborieux & exact dans toutes les affaires. Il couvrit, dit un historien, des qualités d’un grand roi les crimes d’un usurpateur. Son cadavre embaumé & enterré dans le tombeau des rois avec beaucoup de magnificence, fut exhumé en 1660, au commencement du regne de Charles II, traîné sur la claie, pendu & enseveli au pied du gibet. Ces lâches outrages faits à la mémoire d’un mort, quelque coupable qu’il soit, déshonorent ceux qui exercent une vengeance aussi basse & aussi facile. Il est honteux & bien peu raisonnable d’assouvir sa colere sur un être inanimé. Le lion malade reçut un coup de pied de l’âne.

Finissons cet article par un portrait de Cromwel, par le célebre M. de Voltaire.

Cromwel, d’un joug terrible accablant sa patrie,
Vit bientôt à ses pieds ramper la flatterie.
Ce monstre politique au Parnasse adoré,
Teint du sang de son roi, aux dieux fut comparé ;
Mais, malgré le succès de sa prudente audace,
L’univers indigné démentoit le Parnasse ;

Et de Waller enfin les écrits les plus beaux,
D’un illustre tyran n’ont pu faire un héros.


Épître au régent, qui n’a pas été imprimée, & très-peu connue.