Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Jacaya

La bibliothèque libre.


JACAYA, vers l’an 1620.


Mahomet III, empereur des Turcs, qui mourut en 1603, eut trois fils de différentes sultanes, Mustapha, qu’il fit étrangler, Jacaya, & Achmet qui succéda à la couronne. Lapara, mere de Jacaya, étoit chrétienne de naissance. Prévoyant que son fils seroit une victime d’état qu’on sacrifieroit pour assurer la couronne à son frere aîné Mustapha, qui vivoit encore, elle demanda la permission au sultan d’aller à Magnésie pour changer d’air, & pour éviter une maladie qu’elle craignoit.

Lorsqu’elle y fut arrivée avec son fils, elle fit courir le bruit que Jacaya étoit mort de la petite-vérole, & elle fit enterrer avec pompe un autre enfant à sa place. Elle confia son fils à un eunuque, qui l’amena en Macédoine sous l’habit d’un religieux Grec, & découvrit sa qualité à l’archevêque de Thessalonique, qui l’éleva jusqu’à l’âge de 17 ans, & le baptisa ensuite. L’envie que ce jeune prince eut de savoir ce que la fortune avoit résolu de faire de lui, le porta à se déguiser en dervis ou religieux Turc.

Sous cet habit, il sortit de Thessalonique, & visita secrétement les principales villes de la Grece. Étant arrivé à Scopea, il apprit la mort de son pere, & sut en même tems que son frere aîné Mustapha n’étoit plus au monde. Se voyant légitime héritier de la couronne, il espéra de monter sur le trône, & passa en Asie, où il savoit que quelques bachas s’étoient revoltés contre le nouvel empereur. Il se fit reconnoître à eux pour le fils de Mahomet, & marcha à la tête de leurs troupes contre le lieutenant d’Achmet, auquel il donna bataille ; mais il fut blessé, & contraint de se retirer en Grece. Après avoir tiré toutes les connoissances nécessaires du druis, très-puissant à la Perte, & ami secret des bachas d’Asie, il alla à Constantinople, déguisé en religieux Persan.

Mais le bacha qui le favorisoit étant mort, Jacaya fut obligé de se sauver à la suite d’un ambassadeur Polonois qu’il accompagna jusqu’à Cracovie. Après avoir été quelque tems au service de ce seigneur, il se fit connoître à un envoyé de Toscane, qui le présenta au roi de Pologne. Ce prince examina les preuves qu’il donnoit de sa qualité : c’étoient les déclarations de la sultane sa mere, de l’eunuque & de l’évêque de Thessalonique, avec quelques lettres des bachas d’Asie. Malgré ces preuves, plusieurs le regarderent comme un imposteur, & il joua un personnage équivoque qui nous a obligé de le placer parmi ces fourbes insignes.

Il arriva aussi dans ce tems-là un chiaoux d’Achmet à la cour de Pologne, qui avoit été envoyé aux bachas d’Asie, lorsque Jacaya étoit avec eux, & qui reconnut ce prince. Ce chiaoux demanda au roi qu’il le livrât à son maître Achmet ; mais il ne put rien obtenir. Le prince ne croyant pas qu’il y eût assez de sûreté pour lui dans ce pays, parce que le chiaoux avoit gagné des Tartares pour l’assassiner, se retira promptement à Vienne en Autriche vers l’empereur Mathias, qui le reçut favorablement ; mais Jacaya qui aspiroit à la couronne de son pere ne voyant pas que ce prince fût disposé à lui fournir des troupes, alla chercher un asyle auprès du duc de Toscane, qui lui donna de grandes prétentions.

Cependant le grand-duc fit inutilement tous ses efforts pour persuader au roi d’Espagne & aux autres princes chrétiens de se servir d’une si favorable conjoncture pour détrôner Achmet. Le prince Jacaya vint ensuite en France avec Charles de Gonzague, duc de Nevers, depuis duc de Mantoue ; mais s’étant brouillé avec lui, il se vit exposé à plusieurs insultes, & on ne sait si ce seigneur ne lui fit point dresser des embûches : il est constant qu’il disparut.

Nous croyons devoir placer à la fin de cet article celui de Jacques Héraclide ou Basilides, imposteur, qui se disoit de la race des anciens despotes ou vaivodes de Moldavie & de Valathie. Il avoit la figure fort noble, & savoit bien la langue Grecque, Italienne, Latine & Françoise. Plusieurs seigneurs Polonois embrasserent son parti avec tant d’ardeur, qu’ils l’établirent à main armée despote de Moldavie & de Valachie, après avoir gagné une bataille contre le despote Alexandre, en 1561. Jacques se fit confirmer dans sa principauté par Soliman II, empereur des Turcs, après avoir gagné les bachas & les visirs à force d’argent : mais il ne régna que trois ans. Les Valaques ayant conçu quelque soupçon de ses fourberies, l’attaquerent dans son palais pour le massacrer. Ce despote prit alors les ornemens de sa dignité, & se présenta à la mort avec la grandeur d’ame d’un homme qui méritoit de régner, quoiqu’usurpateur.