Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Procope

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PROCOPE, vers l’an 365.


Si la hardiesse donne de la célébrité, personne n’est plus en droit d’y prétendre que Procope ; il osa prendre le titre d’Auguste sous l’empire de Valentinien & de Valens. Cilicie étoit la patrie de l’imposteur : il étoit parent de Basiline, mere de l’empereur Julien. Une alliance si illustre donna de l’éclat à sa personne dès ses premieres années, & son intelligence dans les maneges de cour le fit parvenir auprès de Constance à la dignité de secrétaire du prince & de tribun. Il étoit assez bien fait, d’une taille avantageuse, mais un peu courbé, toujours les yeux baissés vers la terre ; sa physionomie, qui n’étoit point développée, annonçoit un cœur faux & dissimulé. Il y a des hommes qui portent d’avance la honte des crimes qu’ils méditent, & c’est de ces ames hypocrites dont on doit le plus se méfier.

Il n’y avoit point de grade auquel il ne pût aspirer, lorsque Constance mourut. Cet événement, loin de renverser fa fortune, éleva encore plus haut ses espérances ; Julien lui donna le titre de comte. La régularité de ses mœurs le faisoit estimer ; mais son humeur sombre & taciturne inspiroit la méfiance. Cependant Julien se sentoit trop de supériorité sur lui pour le craindre ; il le laissa en Mesopotamie, à la tête d’un corps de troupes considérable, & il n’eut qu’à se louer de sa fidélité.

Après la mort de Julien, Procope, chargé de faire rendre les honneurs funebres à ce prince, saisit cette occasion pour s’éloigner de la cour, & se tenir caché, en attendant des circonstances plus favorables aux desseins secrets qu’il avoit formés. Il se retira d’abord avec sa femme & ses enfans dans une terre qu’il possédoit près de Césarée, en Cappadoce. Jovien, à qui sa fuite le rendit plus suspect, en fut bientôt averti ; il envoya des soldats pour le prendre & le ramener.

Le fugitif se mit lui-même entre leurs mains ; & protestant qu’il étoit prêt à les suivre, il obtint la permission de faire ses adieux à sa femme & à ses enfans ; mais il sut se procurer la liberté par la ruse : sa garde ne résista point à l’attrait de la bonne-chere & du vin dans un repas qu’il lui fit servir tout de suite. Il profita de leur ivresse pour gagner le pont Euxin avec sa famille, & passa dans la Tauride. Il ne fut pas long-tems à s’appercevoir qu’il avoit à faire à des barbares perfides, qui ne manqueroient pas de le trahir à la premiere occasion ; il prit donc le parti de repasser avec les siens dans l’Asie-Mineure. Là changeant tous les jours de retraite, évitant la rencontre des hommes, caché dans les forêts, dans les cavernes, dans les rochers les plus inaccessibles, il fut réduit à la triste nécessité de vivre pendant quelque tems d’herbes & de fruits sauvages. Enfin, pressé de la faim, & réduit à la plus affreuse misere, il se détermina de se rapprocher de Chalcédoine par des sentiers écartés : il n’avoit de ressource que dans la fidélité d’un ami qui vivoit à la campagne sur le territoire de cette ville.

Cet ami, nommé Stratege, étoit un ancien officier du palais, qui s’étoit retiré avec le titre de sénateur. Le malheureux proscrit lui confia sa vie & sa famille : il le tint quelque tems caché dans une terre de l’hérétique Eunonius, qui, étant alors absent, prétendit dans la suite en avoir eu connoissance. De cette retraite il passoit souvent à Constantinople, déguisé, pour observer la disposition des esprits. Le mécontentement étoit général. Petrone, beau-pere de Valens, ayant beaucoup de crédit sur son esprit, traitoit le peuple, les nobles & les soldats comme des esclaves.

Les murmures que Procope entendoit de toutes parts lui firent croire qu’il pourroit très-facilement se rendre maître du trône impérial. On voyoit alors tous les jours passer par Constantinople des troupes qui defiloient vers l’intérieur de la Thrace, pour garnir les bords du Danube. Deux cohortes venoient d’arriver, & devoient séjourner dans la ville pendant deux jours. Procope ayant gagné un eunuque de la cour, nommé Eugene, séduisit par ce moyen plusieurs de leurs officiers, qui s’obligerent, par serment, à le servir de leurs armes & de leurs amis.

La révolution fut rapide. Dès la nuit suivante, ses partisans vont saisir les magistrats dans leurs lits ; ils traînent les uns dans les prisons, ils font aux autres une prison de leur maison même. Au point du jour, le 28 septembre 365, Procope se rend aux bains d’Anastasie, où les deux cohortes étoient logées : c’étoit un vaste édifice, qui avoit pris le nom d’une sœur de Constantin. Les conjurés qui, pendant la nuit, avoient engagé dans leur complot leurs camarades & les soldats, le reçoivent avec joie au milieu d’eux, & forment sa garde. Comme on ne trouvoit pas de quoi faire les ornemens impériaux, on l’habilla de plusieurs pieces qui lui donnoient l’air d’un empereur de théâtre.

Dans ce ridicule appareil, il sortit escorté d’une garde nombreuse. Les soldats, sous leurs enseignes, marchoient en ordre de bataille ; & pour jetter l’effroi, ils frappoient à grands coups de javelots leurs boucliers qu’ils tenoient élevés sur leur tête, afin de se mettre à couvert des pierres & des tuiles dont on auroit pu les accabler du haut des toits. Entre les premiers de la ville, les uns étoient déja arrêtés ; les autres, surpris de cet événement imprévu, se tenoient renfermés, sans savoir quel parti prendre. Le peuple sortant dans les rues, ne témoignoit d’abord qu’une curiosité froide & indifférente. Cependant la haine universellement répandue contre Petrone, jointe aux charmes de la nouveauté, rendoit agréable à la plupart cette révolution. Procope fut bientôt reconnu par tout Constantinople.

Pour se maintenir dans cette place, il donna les charges à ses partisans ; il fit répandre de grosses sommes d’argent parmi les troupes qui se rendoient de toutes parts dans cette province pour gagner les bords du Danube ; & les ayant réunies en un corps, & enivrées de magnifiques promesses, il leur fit prêter serment en son nom, avec d’horribles imprécations, afin de les attacher davantage à sa personne. Il prit le nom de Constantin ; & portant entre ses bras la fille de Constance, âgée de trois ans, il leur représenta, les larmes aux yeux, ce dernier rejetton d’une famille qu’ils avoient respectée, & les attendrit par ce spectacle.

Valentinien & Valens ayant appris la révolte, penserent sérieusement à s’y opposer ; mais leurs premiers efforts furent inutiles. Procope s’empara de plusieurs villes, entr’autres, de Cysique, place importante, & se prépara à continuer la guerre. Deux batailles mirent fin à la révolte ; la premiere fut donnée à Thyatire, & la seconde, près de Nacolie, le 27 mai 366. Le rebelle fut trahi dans ces deux journées par ses généraux, qui allerent se jetter dans l’armée de Valens. Leur exemple entraîna des bataillons entiers, & bientôt toutes les troupes se rendirent à l’empereur. Procope abandonné, prit la fuite ; mais ayant été découvert, il fut mené garrotté à Valens. Ce prince lui fit couper la tête, qu’il envoya à Valentinien dans les Gaules. Ainsi périt Procope, âgé d’environ 41 ans. Après s’être montré, dans sa tyrannie passagere, superbe, violent, inhumain & injuste : sur la foi des astrologues, il s’étoit flatté de parvenir au comble. Après sa mort, ces fourbes publierent qu’ils avoient entendu le comble des maux, & non de la fortune. (Lebeau, Hist. du Bas-Empire.)