Les Indes hollandaises en 1848/03

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LES


INDES HOLLANDAISES.




LA SOCIÉTÉ JAVANAISE.
RICHESSES NATURELLES ET SITUATION FINANCIÈRE DE JAVA.




I

Si Java doit à l’énergique sagesse de son gouvernement européen, à la supériorité de ses institutions administratives, son importance politique et son rang élevé parmi les colonies hollandaises, elle trouve dans le système qui régit l’exploitation de ses richesses agricoles la principale cause et la meilleure garantie de sa prospérité matérielle. La politique coloniale de la Hollande s’est déjà montrée à nous sous plusieurs aspects ; nous l’avons vue s’étudiant à étendre et à régler les relations commerciales des Indes néerlandaises avec l’Orient comme avec l’Europe ; nous l’avons vue aussi fortifiant les bases et perfectionnant sans cesse le mécanisme de l’administration : les applications de cette politique à l’industrie, à l’économie agricole, ne sent pas moins dignes de notre intérêt ; elles reposent d’ailleurs sur une connaissance tellement exacte des conditions physiques du sol et du caractère des habitans, que l’étude des institutions ne peut être séparée ici de l’étude des lieux et des coutumes : quand on connaîtra ce que la nature a fait pour Java, on sera plus à même d’apprécier ce que les hommes ont tenté pour développer et compléter son œuvre.

Java s’étend sur l’Océan indien comme un immense ruban de verdure de plus de deux cents lieues de long sur une largeur moyenne de trente lieues. Elle est située au sud, mais à peu de distance de l’équateur et dans une direction légèrement oblique à l’intersection de ce grand cercle avec la surface terrestre. Au sud et à l’est, elle est baignée par la mer des Indes, au nord par la mer fermée de Java. Au nord-ouest, elle n’est séparée de Sumatra que par le détroit de la Sonde, large de quelques lieues seulement ; au sud-est, elle touche presque à Bali. — Les vents régnans de novembre en avril sont les vents d’ouest et nord-ouest ; avec eux commence la saison des pluies torrentielles : c’est la mousson ou saison humide. De mai à novembre soufflent les vents d’est et sud-est : c’est la saison sèche. Pendant la mousson de nord-ouest, les mois de décembre et janvier sont les plus humides ; pendant la mousson de sud-est, les mois de juillet et août sont les plus secs. Ces deux moussons affectent une régularité remarquable dans la mer de Java : dans les détroits et dans l’intérieur de l’île, l’inégalité des surfaces en modifie les effets. La régularité des vents périodiques dans la mer de Java et les petites mers voisines fait la sûreté de la navigation, en sorte que les eaux de l’océan relient plutôt qu’elles ne séparent les innombrables îles de l’archipel et les tiennent en communication constante avec Java, la plus riche et la plus importante de toutes. Le climat de Java, grace aux accidens du sol et à de nombreux cours d’eaux, est d’une chaleur moyenne : humide et chaud dans le voisinage des côtes, moins chaud et comparativement sec dans l’intérieur du pays. Sur les côtes, la température et l’état du ciel varient assez peu ; dans l’intérieur, au milieu des montagnes, de brusques changemens dans la constitution électrique de l’atmosphère amènent des orages fréquens, mais passagers. La différence moyenne annuelle des températures, pour l’île entière, ne dépasse pas, à ce qu’il paraît, 17 degrés centigrades. La chaleur la plus forte peut aller, dans de certaines localités, jusqu’à 37 où 38 degrés centigrades : la température la plus basse qui ait été observée au sommet des montagnes est de 1 degré au-dessous de zéro du même thermomètre. À Batavia, la température moyenne est de 27 à 28 degrés centigrades. Le vent d’est est quelquefois brûlant et son action sur la nature animale et végétale est débilitante ; mais l’influence de la mousson pluvieuse fait plus que balancer les inconvéniens de la saison sèche, et le climat moyen de Java est, en somme, l’un des plus sains du monde entier. Les déboisemens partiels, les cultures, le choix plus judicieux des sites les plus propre à l’érection des habitations européennes, ont amélioré par degrés les conditions sanitaires, négligées dans l’origine de la colonisation, et Batavia elle-même a cessé de justifier la funeste renommée que lui avaient faite les récits des voyageurs. Les deux moussons sont à Java ce que l’hiver et l’été sont dans les pays en dehors des tropiques : les époques du renversement de ces moussons répondent, dans de plus étroites limites, à notre printemps et à notre automne ; mais ces deux époques de transition rapide et considérées comme malsaines ne paraissent avoir d’action sensible que sur l’homme. La végétation languissante pendant les deux mois de grande sécheresse ne s’endort cependant jamais, et, toute l’année, la terre se pare de verdure, de fleurs et de fruits.

La constitution géologique de l’île contribue merveilleusement à maintenir, à entretenir la fertilité du sol. Java se compose d’une chaîne de volcans ; cette chaîne, qui commence près du détroit de la Sonde, dans la résidence de Banlam, et finit au détroit de Bali, dans la résidence de Bézouki, a des nœuds et des rameaux nombreux, et couvre surtout de son réseau la partie centrale et la partie méridionale de l’île. D’une formation plus récente que Sumatra et Bornéo, Java paraît consister principalement en trachite. Des roches calcaires qui reposent sur ce noyau trachitique, surtout à la côte méridionale, paraissent avoir été soulevées en même temps du sein des mers. Les volcans, généralement situés à l’intérieur, se rapprochent rarement du littoral. Autrefois ils en étaient beaucoup plus voisins (ce qui est indiqué à la fois par des faits géologiques et par les témoignages historiques), mais la nature, toujours active, modifiant par degrés la forme primitive de l’île, a fini par l’entourer, surtout au nord, d’une large bande de terrain de nouvelle formation. Ce terrain s’élargit tous les ans par les alluvions marines, par les sédimens que les torrens déposent au terme de leur course précipitée et par les fréquentes inondations de la saison pluvieuse. Cette ceinture, de largeur inégale, a acquis des dimensions considérables, principalement dans les résidences de Batavia et de Krawang. À mesure que l’on s’éloigne de la mer, ce sol devient graduellement plus ferme, plus compacte et plus propre à la culture. Les couches supérieures des montagnes, décomposées par les influences atmosphériques, déchirées par les commotions volcaniques, entraînées le long des versans par les eaux pluviales dans les fonds et les vallées, charriées par les torrens et les rivières, ont fini par recouvrir l’ancien rivage au pied de la masse montueuse. Le sol alluvien a donc lui-même une origine volcanique ; le temps en a dissous les élémens primitifs, les a modifiés et les a mélangés pendant des siècles à des débris de substances animales et végétales. De cet ensemble formée une terre végétale toujours plus riche en humus et toujours plus fertile. À mesure que la végétation utile s’est développée dans ces couches préparées par la nature, remuées par la main puissante de l’homme et arrosées par sa prévoyante industrie, les végétaux nécessaires à l’alimentation, les arbres fruitiers, les plantes dont le commerce devait réclamer les produits, se sont présentés dans la richesse et la variété infinie de leurs formes.

Ainsi le climat et le sol concourent à faire de Java l’un des pays les plus fertiles de la terre. En même temps, la diversité des zones constituées par les gradins qui, de la base des chaînes volcaniques, s’étalent jusqu’aux crêtes de l’arête principale, crée autant de climats secondaires différens, dont chacun est propre à une végétation particulière. Il en résulte que les plantes originaires des pays étrangers ont trouvé à Java, pour la plupart, les conditions de sol et de température qui devaient en assurer la naturalisation, et c’est ainsi que l’agriculture a pu résoudre en quelques années le plus beau problème qu’elle eût à se proposer, celui de l’abondance et de la variété des produits.

Toutefois, dans la poursuite de ce grand but, l’industrie européenne n’a pas été secondée uniquement par les conditions favorables du sol et du climat : elle a trouvé dans le caractère des indigènes, dans leur aptitude particulière aux travaux des champs, d’autres élémens de succès qu’elle n’a eu garde de négliger.

Le Javanais est de taille moyenne, bien proportionné, plus petit que l’Européen et le Chinois, mais plus svelte et plus souple dans ses mouvemens. Il a le teint plus foncé que celui de plusieurs nations ou tribus de l’archipel qui lui sont inférieures en civilisation. Son front est haut, ses yeux sont petits, noirs et assez expressifs. Des pommettes saillantes, un nez petit, mais assez bien fait, quoique déprimé à sa racine, un menton bien marqué, un visage rond encadré de cheveux noirs très longs, épais et rudes au toucher, une barbe peu fournie et soigneusement épilée, tels sont à peu près les traits caractéristiques de la race. En général, ce n’est point par la beauté que les Javanais se distinguent, et on ne rencontre guère que dans la classe supérieure des figures rappelant le type hindou. On ne peut voir l’un près de l’autre un Malais et un Javanais sans être frappé de la différence des physionomies. Le regard du Javanais est plus franc, ses traits accusent moins de finesse et plus de bonté. La physionomie du Malais révèle une certaine activité d’esprit, un penchant à l’observation, à l’intrigue, à la défiance. On lit dans les yeux du Javanais le vague des idées, l’indolence du jugement, le besoin ou l’habitude de se placer dans la dépendance de toute supériorité réelle ou supposée[1]. L’expression de ses traits annonce en même temps une bienveillance naturelle, une légèreté insouciante, les passions de l’enfance plutôt que celles de l’âge mûr. Le Javanais est cependant capable de déployer une certaine énergie et beaucoup de persévérance, soit dans le bien, soit dans le mali, quand il est conseillé par son intérêt ou par ses préjugés, et conduit par un chef, par un maître, par un supérieur en un mot, que ce supérieur soit Européen ou indigène. Il est superstitieux et crédule[2], rarement fanatique, mais religieux dans la véritable acception de ce mot. Certaines pratiques assez irrégulièrement observées satisfont sa conscience. Il trompe moins facilement que le Malais où le Chinois. Il succombe plus aisément à la tentation du vol. L’immense majorité des Javanais n’ayant guère que des instincts et des préjugés, pas de convictions raisonnées, pas de principes, leurs vertus et leurs vices naissent de leur organisation et de leur contact plus ou moins fréquent avec les étrangers. La tendance la plus manifeste de leur caractère est l’oisiveté, le dolce far fiente. Ils ne travaillent jamais, comme le Chinois, pour gagner beaucoup d’argent ou pour s’enrichir, mais seulement pour s’assurer une nourriture suffisante et se procurer quelques amusemens ; et en même temps satisfaire à ce que l’adat exige d’eux dans des circonstances données. Ils ne savent, en général, ce que c’est qu’épargner et ne pensent pas à l’avenir. Le peu qu’ils possèdent, ils le dépensent ou le troquent. Ceux qui sont dans l’aisance achèteront volontiers ou même avec empressement des bagatelles coûteuses, des parures de luxe, mais ils les revendront avec la même facilité dès qu’ils auront besoin d’argent pour satisfaire quelque autre caprice, car la plupart des Javanais sont acheteurs avides, mais inconstans[3]. À leur penchant à l’oisiveté s’allie une appréciation instinctive des beautés de la nature et une sorte de vague reconnaissance ou d’attachement pour le champ qui les nourrit, l’arbre qui les protége de son ombre, la fleur qui réjouit leur vue, flatte leur odorat ou complète leur parure. Les travaux de l’agriculture, la pêche, les arts mécaniques, conviennent à leurs goûts, parce que, dans ces heureux climats, où le sol est fertile, la mer calme, les besoins limités, ils n’exigent pas de grands efforts, aucune tension énergique de l’esprit ou du corps. Il faut au Javanais la terre, des occupations rurales, une vie paisible, d’innocentes distractions ; il faut au Malais la mer, les émotions de la navigation, du trafic où du pillage.

Le Javanais est patient et docile, et même actif et zélé au besoin, Dès qu’on a pu réussir à le convaincre que les ordres qu’il exécute n’ont rien de contraire en principe aux lois traditionnelles de son pays, à l’adat, plus sacré pour lui que toutes les lois écrites. En général fidèle et scrupuleux dans l’accomplissement de ses devoirs, il se prête volontiers à l’apprentissage de travaux nouveaux pour lui, quand on lui démontre tranquillement et par des raisonnemens proportionnés à son intelligence les avantages de toute innovation qui, sans compromettre sa responsabilité envers l’adat, personnifié dans ses chefs naturels, lui ouvre une perspective de bien-être, d’aisance et de distinction sociale faite pour flatter ses instincts matériels ou sa vanité ; mais si l’événement trompe son attente, s’il s’aperçoit que les argumens qui l’avaient séduit n’ont pas été présentés de bonne foi ou qu’on cherche à l’exploiter sans merci, ses passions se soulèvent : il passe en un instant de la soumission et du dévouement à la révolte, à la violence. Les habitudes guerrières de sa race sont toujours près de se réveiller en lui, et, muni d’une pique, d’un klewang, d’un fusil où d’un kriss, il se fera justice lui-même, ou se précipitera, à la voix de ses chefs ou de quelques prêtres fanatiques, au rendez-vous marqué par la vengeance.

On voit quels ménagemens le caractère des Javanais impose à leurs maîtres européens. La surveillance trop directe des étrangers les importune, elle leur ôte jusqu’à un certain point l’exercice de leurs facultés. Ils aiment à ne pas être troublés dans leurs travaux, et toute précipitation leur est antipathique. C’est ce que les Hollandais ont compris de bonne heure, et mieux que ne l’auraient fait sans doute d’autres dominateurs occidentaux. Ils ont senti en outre que l’intervention continuelle des chefs indigènes serait la principale ressource et la garantie de leur gouvernement, et ils ont sagement respecté les anciennes institutions dont nous chercherons ici à indiquer rapidement l’esprit.

De tous les royaumes ou principautés indigènes qui ont fleuri à Java et Madura à diverses époques, il ne reste que deux états de quelque importance à Java, Solo où Sourakarta et Youckio où Djockjokarta, et deux sultanats dans l’île de Madura. Encore ces états sont-ils administrés par les princes indigènes sous la surveillance et avec le concours des résidens hollandais. Toutefois les mœurs et les usages javanais s’y sont conservés à peu près dans toute leur pureté. Il en est de même du pays de Préanguer, où les anciennes institutions ont été maintenues presque intactes, surtout en ce qui touche aux revenus, parce le gouvernement européen y a trouvé jusqu’à présent d’immenses avantages ; ces avantages lui sont assurés par l’intervention des régens qui, dans le Préanguer (ou les Préanguers), jouissent d’une plus grande autorité que dans les autres résidences de Java. Il y a donc à Java et Madura trois nuances de gouvernement : 1° le gouvernement direct fonctionnant dans dix-huit résidences et partie d’une dix-neuvième (Sourabaya), où les revenus ont pour base l’impôt territorial réglé par les résidens, de concert avec les régens ; 2° le gouvernement des Préauguers, où les revenus ont pour base la culture obligée de certains produits, par l’action plus immédiate des régens ; 3° enfin le gouvernement des pays princiers de Java et Madura, où les princes indigènes conservent la plupart des droits et prérogatives de la souveraineté, à la condition toutefois que leurs états seront administrés par un ministre dirigeant du choix du gouverneur-général, et placé sous la protection immédiate du résident que le gouvernement colonial entretient à chaque cour. Les contingens à fournir par ces princes, les subsides qui leur sont ou peuvent leur être imposés, les branches de revenus qui sont administrées au profit du gouvernement colonial, l’allocation annuelle garantie au souverain indigène, la police générale, etc., sont autant de points réglés minutieusement par les traités, et ces traités placent les princes javanais, à l’égard du gouvernement hollandais, dans une position parfaitement semblable à celle de la plupart des princes de l’Hindoustan envers le gouvernement britannique.

Il faut dire que de ces trois nuances de gouvernement mixte, celle où domine l’élément indigène est la plus féconde en abus de toute espèce et la moins propre à assurer le développement de la population, de l’agriculture, du commerce. La résidence des Préanguers offre des résultats infiniment plus satisfaisans, dus en partie à l’action plus directe des fonctionnaires européens, mais autant et plus peut-être au caractère remarquablement doux et facile de la population sondanaise qui y domine. Enfin, dans les dix-neuf résidences administrées plus directement encore par les Européens, mais toujours avec le concours des régens, et, en particulier, dans la résidence de Sourabaya, l’agriculture, l’industrie, le commerce, le bien-être des indigènes, ont fait d’immenses progrès, et se maintiendront, sans aucun doute, dans cette voie de prospérité croissante[4]). Ainsi donc l’intervention européenne a été un bienfait immens pour la population ; mais cela prouve avant tout que le gouvernement européen a su tirer parti des institutions du pays que les gouvernemens indigènes, absolus et égoïstes par leur essence, n’ont respectées que dans les plus étroites limites compatibles avec leurs intérêts.

En principe tous les Javanais sont égaux devant le souverain, c’est-à-dire qu’il est le maître absolu de leurs personnes et de leurs biens, que toute dignité, toute importance sociale, tout honneur émane de lui, et de lui seul, et qu’il peut donner ce qu’il lui plaît, et reprendre ce qu’il a donné au premier comme au dernier de ses sujets. Il n’est qu’une autorité que le Javanais reconnaisse comme supérieure à celle du souverain, c’est l’autorité de l’adat, devant laquelle le despote lui-même doit s’incliner, et qu’il peut éluder parfois, mais qu’il n’oserait enfreindre ouvertement. Le souverain étant l’unique source des distractions, les titres et dignités conférés par lui seul constituent autour de son trône une véritable noblesse, qui n’est pas héréditaire de droit, mais qui l’est devenue de fait, par suite du profond respect, de la considération traditionnelle que les Javanais professent pour l’ancienneté des familles et pour les souvenirs glorieux qui relèvent cette illustration du temps. Les princes du sang royal portent le titre de panguerang[5]. Après eux vient la noblesse, ayant en tête le radhen-adipati[6] ou ministre dirigeant[7]. Adipati est le titre le plus élevé après celui de régent ; viennent ensuite les tommonggongs, les ingabeys, etc. Ces titres sont rehaussés encore, dans de certains cas, par l’addition des mots kiahi, maas, radin, qui les précèdent. Ainsi l’on dit : Radin-adipati, radin-tommonggong, maas-tommonggong. Il faut distinguer de ces titres, qui s’attachent à la naissance, ceux qui désignent plus particulièrement les fonctions ; ainsi les gouverneurs de province portent en général le titre de bopati, leurs lieutenans celui de patie ou pati, les autres fonctionnaires publics celui de mantri. Le juge, prêtre mahométan qui décide de la nature des délits et des peines à infliger selon le Koran, est désigné par le titre de panghoulou ; l’assesseur remplissant les fonctions de procureur royal, et appelé surtout à résoudre questions qui relèvent de l’adat, des anciens usages, des coutumes générales ou particulières, porte la dénomination de djacksa ou yacksa, etc.

Le signe distinctif extérieur de chaque degré de cette hiérarchie nobiliaire et administrative est caractéristique. Les souverains javanais (et le gouverneur-général hollandais) peuvent seuls faire déployer au-dessus de leur tête un parasol (payong) entièrement doré. Les reines et membres des familles royales se distinguent par un payong jaune ; celui des bopaties et tommonggongs est de couleur verte, bordé d’or ; celui des kliwons, ingabeys, ronggos, demangs, mantries, doit être rouge, etc. Enfin, des chefs de dessas inférieurs ne peuvent se permettre qu’un payong de couleur foncée ; ainsi le veut l’adat.

Les principales dispositions du code indigène et de l’adat ont été conservées par les Hollandais dans les résidences soumises directement à l’administration européenne. Dans chaque résidence s’assemble toutes les semaines une cour provinciale, présidée par le résident, le résident-adjoint ou le secrétaire de la résidence. Dans cette cour siégent un certain nombre de chefs indigènes comme assesseurs, avec un yacksa et un panghoulou (ou plusieurs, suivant l’importance des provinces). Les affaires administratives sont réglées par les résidens et résidens-adjoints, de concert avec les régens et paties, et, pour les détails relatifs aux cultures, à la répartition de l’impôt territorial, etc., par les contrôleurs européens, de concert avec les chefs de district. Suivant les anciennes institutions javanaises, la terre doit satisfaire aux engagemens envers le souverain, et, à défaut de la terre, la personne. Les terres, affermées de père en fils à une certaine classe de citoyens des dessas, sont considérées comme la propriété commune de chaque dessa ou village. La population des dessas se divise en djatjas ou grandes familles composées d’un chef et de plusieurs ménages dans la dépendance de ce chef, ou bien en héritiers et dépendans ou sujets. — Cela posé, le souverain a droit au cinquième du produit de toutes les terres d’une tjatja, ou à certains services personnels, pour l’acquittement de ce droit ou impot. Le nombre des ménages ou familles qui composent la tjatja est plus ou moins considérable, suivant la quantité de champs de riz dont le chef de la tjaija peut disposer, et suivant le nombre de bras nécessaires à l’exploitation. Les chefs prélèvent sur les champs dont ils disposent la moitié où les deux cinquièmes de la récolte, suivant leur fertilité. Dans les régences des Préanguers, les tjaijas sont évaluées, l’une dans l’autre, à vingt deux personnes ou environ quatre familles. Si le chef d’une tjatja préfère s’acquitter envers l’état par des services personnels, il désigne pour l’accomplissement de ces servitudes un certain nombre de ses dépendans, qui alors sont affranchis de l’impôt, ou bien le service est réparti entre les différens ménages, et, dans ce cas, chaque individu paie, dans la même proportion, un impôt moindre que celui qu’il aurait eu payer au chef dans les cas ordinaires.


II

Les premières tentatives des Européens pour exploiter les richesses naturelles de Java ne furent pas heureuses. On avait trop peu tenu compte des habitudes et des besoins de la population indigène. Le but des gouvernemens européens qui se sont succédé à Java ayant été principalement de tirer tout le parti possible de la puissance productive du sol, divers systèmes furent imaginés et mis en pratique pour l’atteindre. Certaines cultures furent obligatoires jusqu’en 1808 inclusivement ; elles le sont encore dans les Préanguers. On introduisit ensuite le système des landrenten (impôt territorial), système dans lequel sawas (terres à riz) devaient payer, d’après leur plus ou moins de fertilité, une demi, deux cinquièmes ou un tiers, et les tagal ou terrains élevés propres à la culture des autres céréales, un tiers de la récolte. L’acquittement de cet impôt devait avoir lieu en argent, et la perception en fut confiée à des collecteurs indigènes qui jouissaient d’une commission de 8 pour 100. L’application de ce système eut pour résultat de faire tomber la valeur des propriétés foncières. La moitié ou les deux cinquièmes de la récolte devant revenir au gouvernement, l’autre moitié ou les trois cinquièmes appartenant, d’après l’adat, au cultivateur immédiat, il devenait désavantageux de posséder plus de terre qu’on n’en pouvait cultiver de ses propres mains.

De 1816 à 1830, on adopta de nouvelles mesures, surtout dans l’intention d’augmenter la production du café. On eut la pensée d’assurer au Javanais qui aurait acquitté sa quote-part de l’impôt l’autre partie de sa récolte, comme juste et suffisante rémunération de son travail. L’idée était bonne en principe, mais inapplicable à la production du café sur une grande échelle. Cette culture impose, en effet, au Javanais des charges de toute espèce, et la réalisation de la récolte présente de grandes difficultés, sans compter qu’elle se fait attendre quatre longues années.

Ces théories abstraites, appliquées à une société dont on méconnaissait le caractère et les habitudes séculaires, ne pouvaient exercer qu’une fâcheuse influence. On accordait au Javanais, en principe, la libre disposition de sa personne et du produit de son travail, mais on lui faisait acheter ces avantages par le paiement d’un impôt territorial et par l’obligation de planter du café dans des conditions telles que les fruits de son labeur devenaient inévitablement la proie des spéculateurs et des usuriers. « Que l’on compare, disait à ce propos le gouverneur Van den Bosch, à ce système des landrenten et des cultures spéciales forcées le mode de culture même obligée basé sur l’adat : dans ce cas, chaque dessa est obligé de fournir un certain nombre d’hommes pour l’établissement des jardins à café, par exemple ; mais par ce moyen, il est affranchi immédiatement de l’impôt sur les terres. Chaque habitant peut donc faire cultiver son champ par un autre moyennant cession de la partie de la récolte qui aurait dû revenir au gouvernement, ou se faire remplacer pour la plantation du café en cédant à un tiers la jouissance de cette partie de la récolte. Un grand nombre de chefs de famille, profitant de ces dispositions, abandonnent à leurs wouwongs ou ouvriers la tâche de planter le café[8].

La culture et la fabrication du sucre, celle de l’indigo et de divers autres produits, furent encouragées par le gouvernement, pendant cette même période de 1816 à 1830, et soutenues par tous les efforts, par tous les sacrifices que l’espoir du succès pouvait autoriser le résultat ne répondit que bien imparfaitement à l’attente générale. Les choses en étaient arrivées à ce point que, les frais de culture et de fabrication des produits coloniaux coïncidant avec le bas prix de ces produits en Europe, la valeur relative des exportations de Java menaçait, Dès 1828 et 1829, de décroître dans une proportion effrayante pour l’avenir de la colonie : tout concourait à indiquer combien l’état de l’industrie agricole laissait à désirer sous le rapport de l’extension comme sous celui de la stabilité des produits. Il devenait donc urgent de se frayer une route nouvelle où le Javanais eût intérêt à suivre son guide européen, parce que chaque pas qu’il y ferait lui assurerait un avantage réel et palpable, sans contrarier en rien ses habitudes domestiques.

C’est au gouverneur Van den Bosch que revient l’honneur d’avoir marché le premier dans cette voie féconde. Après avoir étudié sérieusement la condition sociale des Javanais, Van den Bosch reconnut l’importance des deux grands principes qui lui servent de base. Ces principes, nous les avons déjà indiqués : 1° toutes les terres à Java sont des terrains communaux ; 2° ces terres sont réparties à une certaine classe de citoyens, tandis qu’une autre classe est privée de toute propriété immédiate et se trouve dans une dépendance plus ou moins complète des propriétaires de fait. Van den Bosch comprit qu’il ne pourrait faire réussir un système de culture à Java qu’en se mettant d’accord avec ces principes, ainsi qu’avec les habitudes domestiques des indigènes. Ceux-ci étant à la fois indolens et intéressés, avides de et peu portés au travail, il fallait trouver une combinaison, telle que le Javanais et principalement les tjatjas (héritiers) eussent à travailler moins de temps, ou qu’avec le même travail que par le passé ils jouissent de plus d’avantages. À cet effet, Van den Bosch adopta, comme principe, « qu’un dessa qui consacrerait un cinquième de ses champs de riz à la culture d’une autre plante d’un produit propre aux marchés d’Europe, et ne demandant pas plus de travail que la culture du riz, serait exempté du paiement de l’impôt territorial ; qu’en outre ce dessa profiterait, d’après une juste évaluation, de la valeur des produits livrés en sus de la valeur représentative de l’impôt ; que les récoltes manquées seraient pour le compte du gouvernement, pourvu toutefois que cette perte ne dût pas être attribuée à un manque de zèle et d’activité de la part des Javanais. »

Nul doute que ces principes ne fussent entièrement dans les intérêts du Javanais ; ils lui permettaient non-seulement de retirer de plus grands avantages de la culture de ses terres, mais encore de restreindre son travail dans les bornes qui conviendraient le mieux à ses forces, à ses habitudes, à l’accomplissement de ses devoirs domestiques. Il ne suffisait pas, en effet, de faire cultiver des plantes desquelles on pût obtenir des produits propres aux marchés d’Europe ; ces plantes devaient souvent subir une préparation manufacturière ou manipulation spéciale avant de pouvoir être employées, et cela exigeait beaucoup de capitaux, de connaissances et de soins particuliers que, dans bien des cas, on ne pouvait attendre du Javanais ; c’est pourquoi il était nécessaire de mettre l’industrie, les capitaux européens et chinois en rapport intime avec toute l’entreprise, afin d’assurer une manipulation convenable de la matière cultivée. Van den Bosch invita donc les personnes que leur position, leur caractère et leur instruction rendaient les plus propres à diriger de grandes exploitations agricoles, à traiter avec le gouvernement colonial, qui leur ferait au besoin, et avec la plus grande libéralités les avances de fonds nécessaires pour l’érection de grands établissemens, et les aiderait de son influence, à la seule condition, par eux, de se conformer strictement, dans leurs relations avec les indigènes, aux intentions paternelles du gouvernement. Cet appel fut entendu.

Dans certains cas, comme pour la culture de la canne à sucre, il fut jugé nécessaire, pour ne pas faire peser sur une partie de la population un travail trop lourd, de diviser la culture de cette plante de manière qu’une partie des ouvriers fût chargée de la culture jusqu’à maturité de la plante, une autre partie de la récolte, une troisième du transport jusqu’aux fabriques, une dernière partie enfin du travail dans les fabriques. Comme le Javanais ne travaille pas volontiers sous la surveillance des Européens et préfère la surveillance et la direction de ses chefs, on alla aussi au-devant de son penchant ; le service des fonctionnaires européens fut considérablement restreint. Ces fonctionnaires se bornèrent à veiller à ce que les travaux de culture, de récolte et de transport se fissent en temps utile.

Ces principes généraux, pris pour base, subirent, dans l’application autant de modifications que les circonstances et les usages locaux le permettaient. C’est ainsi que, dans certaines résidences, on a satisfait au vœu des Javanais de cultiver certaines plantes pour leur propre compte ; ils y employaient parfois la plus grande partie de leurs champs de riz, parce que ces cultures nouvelles leur procuraient plus d’avantages que la culture du riz, quoique, dans ce cas, ils eussent à paver l’impôt territorial. Cependant les terres à riz n’ont pas toujours été affectées aux cultures en question, et là où ces terres sont rares, on a permis aux Javanais de se servir pour leurs cultures de terrains élevés. On n’a voulu négliger aucun moyen de leur rendre le travail agréable, et, malgré tant de précautions, tant d’encouragemens, ce n’est pas sans de grandes difficultés qu’on est parvenu à vaincre la répugnance des indigènes pour le travail. Les précautions à prendre dans l’application de ce système durent varier aussi selon les districts où il était introduit. Là où on rencontrait une trop grande résistance, Van den Bosch recommandait lui-même de s’en tenir au principe « que la culture d’un cinquième des terres donnant des produits propres aux marchés d’Europe libère le Javanais de l’impôt, et que le planteur a satisfait à l’obligation qui lui est imposée, lorsqu’il a soigné la plante jusqu’à maturité ; » mais, là où les cultures étaient établies sur un bon pied, comme dans les districts de l’est, Van den Bosch recommandait de n’y apporter d’autres changemens que ceux qui seraient réclamés par la population. En général, le Javanais n’aime pas les changemens. Dans les districts où l’ignorance des indigènes pouvait paralyser l’extension des cultures, on commençait par mettre à part une étendue de terrain (de préférence des terres à riz) équivalant, autant que possible, à un cinquième des sawas d’un dessa. La population chargée de la culture requise était ensuite divisée en petits groupes, qui se relevaient de telle façon qu’il y eût toujours quatre hommes disponibles pour la préparation du terrain, et qu’un seul des quatre travaillât. D’habiles mandoors chinois dirigeaient les travaux, qui étaient soumis d’ailleurs à l’inspection de chefs javanais. Les mêmes règles étaient appliquées pour la récolte.

En général, tous les travailleurs occupés à une culture pour compte du gouvernement étaient exemptés de l’impôt. Le transport de la récolte était l’objet d’une disposition semblable. Les bêtes de somme et les voitures nécessaires à cet effet devaient être fournies également contre libération de l’impôt et d’après le principe du travail d’un homme sur quatre. Enfin, le travail dans les fabriques était confié, autant que possible, à des travailleurs libres, et là où l’on ne pouvait s’en procurer, il était réglé comme les autres travaux ; mais, dans ce cas, il était alloué aux ouvriers une ration de riz et de sel, parce que le travail des fabriques exige plus de jugement et de plus grands efforts.

Telles sont les dispositions fondamentales du nouveau système des cultures. Avant de montrer comment ce système fonctionne aujourd’hui, il nous paraît nécessaire d’indiquer dès à présent le principal inconvénient qu’il présente. Une préoccupation inévitable a dominé à toutes les époques, et même sous l’administration de Van den Bosch, les déterminations des commissaires-généraux et des gouverneurs-généraux relatives à l’amélioration et au développement des cultures à Java. Nous voulons parler du désir qu’ils ont éprouvé, ou, pour mieux dire, du devoir qui leur était imposé de veiller avant tout aux intérêts de la mère-patrie. À la satisfaction de ce désir, à l’accomplissement de ce devoir, ont été sacrifiés, en mainte circonstance, les intérêts réels de la colonie. Van den Bosch a le plus approché de la solution du problème qui consistait à concilier ces intérêts divergens, et c’est là sa gloire ; mais les grands principes qu’il a posés n’ont pas tous reçu une application satisfaisante, ou même, lorsqu’elle l’a été, aussi satisfaisante qu’elle eût pu l’être. D’ailleurs, le mouvement imprimé par les grands et incontestables résultats du système a entraîné la spéculation et le gouvernement lui-même (qui l’encourageait de ses capitaux et de son influence) à des entreprises dispendieuses et précipitées. Ces entreprises se sont tellement multipliées, qu’elles ont porté atteinte, d’un côté, à la sage administration des finances, de l’autre, ce que nous considérons comme plus grave encore, à l’équilibre qu’il Importe tant de maintenir, à Java, entre les produits alimentaires indispensables à la consommation d’une population considérable et croissante et les autres produits du sol réclamés par l’exportation. Le Javanais, imprévoyant par nature ; a besoin d’être surveillé jusque dans l’exploitation la plus légitime, la plus essentielle de son champ, celle qui doit assurer la subsistance de sa famille. On comprend dés-lors combien il est important de ne pas trop encourager les cultures dont les produits intéressent surtout le commerce extérieur, au détriment de celles que réclament les besoins de la colonie.

Les excursions que nous avons faites dans l’intérieur de Java, notre séjour prolongé dans certaines localités et les occasions fréquentes que nous avons eues de consulter les fonctionnaires européens et les planteurs les plus éclairés, nos entretiens enfin avec plusieurs indigènes appartenant à diverses classes de la société javanaise, nous ont mis à même d’envisager, sous tous ses aspects et dans toutes ses conséquences, le système des cultures. Nous avons surtout recueilli d’utiles renseignemens à cet égard dans nos relations avec deux nobles javanais l’un, sultan de Sumanap, dans l’île de Madura, homme éminent par ses qualités personnelles et par sa profonde instruction dans tout ce qui touche aux mœurs, aux coutumes, aux langues, à l’agriculture et à l’industrie des indigènes ; l’autre, ancien régent, administrateur habile et éclairé, distingué par son instruction, par ses vues libérales par l’élévation de son esprit. L’un et l’autre avaient réussi à s’affranchir de bonne heure de l’influence des préjugés qui paralysent l’intelligence de l’immense majorité de leurs compatriotes. Ils étaient tous deux sincèrement attachés au gouvernement hollandais et reconnaissaient les tendances humaines et paternelles de ce gouvernement. Tous deux approuvaient hautement l’esprit du nouveau système des cultures et admettaient sans hésiter les sages principes qui lui servent de base ; mais ils pensaient que l’application de ces principes avait compromis, dans plusieurs localités, les vrais intérêts de l’état et le bien-être des cultivateurs, parce que les fonctionnaires européens chargés d’assurer l’exécution des ordres du gouvernement n’avaient, pour la plupart, qu’une connaissance superficielle des mœurs des indigènes, de l’organisation commune et des ressources agricoles du pays. Ils appuyaient leur opinion d’un grand nombre de faits que l’expérience leur avait révélés, et dont leurs connaissances spéciales leur permettaient d’apprécier la portée. Ce que nous avons vu de nos propres yeux à Java a pleinement confirmé l’exactitude des conclusions auxquelles étaient arrivés nos deux nobles amis javanais.

En voyageant dans les plus riches provinces de cette île immense, nous avions été frappé du mouvement continuel de la population. À l’époque de la récolte du pady (riz arrivé à sa maturité), nous avions remarqué que, malgré la foule immense qui couvrait les routes et se pressait dans les bazars, une grande partie de la population, les femmes et les enfans surtout, était occupée aux travaux de la moisson. Un jour, nous voulûmes examiner de plus près comment procédaient ces moissonneurs, et nous pûmes nous assurer qu’ils coupaient les gerbes, ou panicules de pady, avec un instrument grossier de forme toute particulière, qui se nomme en javanais anî-anî. C’est un tranchet de très petite dimension engagé par le dos dans un morceau de bois mince et plat, évidé de manière à s’adapter à la forme de la main ; cette main qui l’embrasse a pour points d’appui, d’un côté, une espèce d’axe vertical, mais latéral, en bambou, uni au tranchet par une entaille dans laquelle entre le morceau de bois ou planchette dont nous avons parlé ; de l’autre, la tige de riz à couper. Il était évident qu’avec une faucille passable, un seul moissonneur eût pu faire aisément, dans un champ de riz en épis, la besogne de vingt Javanais munis de leurs anîs-anîs. Nous saisîmes la première occasion qui se présenta d’exprimer au vieux régent dont nous avions fait la connaissance notre étonnement de ce que les Javanais pussent persister à employer un procédé aussi compliqué et nous suggérâmes l’emploi des faucilles, en insistant sur l’économie de temps et de travail qu’on ne manquerait pas d’obtenir avec cet instrument. « J’admets en principe, nous répondit le noble cultivateur (car depuis qu’il avait quitté la carrière administrative, il faisait de la culture de ses champs sa principale occupation et ses délices), j’admets la supériorité d’un instrument tel que celui que vous venez de me désigner sur nos grossiers anîs-anîs ; mais l’introduction de la plupart de vos outils aratoires, en particulier celle de vos faucilles pour la coupe du pady, est inadmissible dans notre système agricole. Nous ne saurions faire aucun changement important dans notre manière de planter et de recueillir nos produits. Ces procédés nous ont été transmis par nos ancêtres et sont en harmonie avec nos mœurs et nos usages. Le pady, par exemple, ne peut être planté que tige par tige et à la main. Pour ce travail, on n’emploie généralement que des femmes, et cela de temps immémorial. Ce sont elles seules qui font la récolte. La partie du travail assignée aux hommes par l’usage consiste uniquement à préparer la terre et à la pourvoir d’eau. Par suite de ces règles traditionnelles et invariables, les femmes ont droit à la sixième part du pady qu’elles coupent. Il serait d’ailleurs assez difficile d’employer des faucilles pour cette récolte, attendu que l’on trouve rarement un champ de pady qui ait atteint le même degré de maturité sur toute sa superficie, et qu’on est pour ainsi dire obligé de ne couper qu’un épi (un panicule) à la fois. Les plantes qui ne sont pas mûres sont laissées (toujours suivant l’usage) à la disposition des veuves sans famille, qui les enlèvent aussitôt que la récolte a été rentrée.

Ces explications si simples et si concluantes nous touchèrent et firent naître en nous le désir de pénétrer plus avant dans le mystère des institutions javanaises. Plusieurs conférences de la même nature nous éclairèrent par degrés sur le rôle que les employés européens devaient être appelés à jouer dans le système des cultures. Ce rôle serait d’autant plus utile, que les employés éviteraient plus soigneusement de contrarier les habitudes adoptées par les Javanais depuis des siècles pour la répartition des travaux agricoles. Nous comprenions déjà que les surveillans européens devaient se borner à prendre des mesures efficaces pour procurer de l’eau aux champs qui en manquaient, ordonner des défrichemens partout où les localités et la force de la population le permettraient, ouvrir des routes ou améliorer les routes existantes dans la direction des marchés, et enfin protéger activement les cultivateurs dans le transport et au moment de la vente de leurs produits. Nous acquîmes d’ailleurs bientôt la certitude que, si l’intervention trop directe des employés européens dans les arrangemens agricoles des Javanais présentait de graves inconvéniens, leur surveillance active sur les chefs qui président à la répartition des travaux des champs et des corvées pouvait avoir les meilleurs résultats pour la tranquillité et le bien-être des pauvres cultivateurs, qu’elle seule pouvait conduire à l’extension des ressources agricoles de la colonie et à la perception régulière de l’impôt. En effet, d’incroyables abus se sont glissés dans l’administration des dessas, considérés comme communautés agricoles, et ces abus compromettent à la fois la tranquillité, la prospérité des villages et les revenus du gouvernement. La perception de l’impôt territorial à Java est une opération compliquée, délicate, qui exige une surveillance fort active, une certaine adresse, beaucoup de prudence et de fermeté. En dernière analyse, le produit de cette opération ne réalise jamais qu’incomplètement les modestes espérances du trésor, attendu que l’administrateur européen le plus habile et le plus prudent est nécessairement, à certains égards, dupe volontaire ou involontaire du contribuable javanais. Les us et coutumes et l’organisation communale ne sont pas les mêmes pour toute l’île, il y a surtout des différences notables entre le pays de Soonda, à l’ouest de Chéribon, et le Java proprement dit, à l’est ; mais les inconvéniens de l’influence excessive des chefs indigènes sont à peu près les mêmes du détroit de la Sonde à l’extrémité de Madura.

On voit que le nouveau système des cultures exige, de la part des fonctionnaires chargés de l’appliquer, une rare intelligence des mœurs javanaises. Toutes les dispositions de ce système sont empreintes d’un respect profond pour ces mœurs comme pour ces institutions locales. Nous n’en voulons pour exemple que le principe fondamental en vertu duquel un Javanais ne travaille qu’un jour sur quatre. Ce principe est parfaitement sage, car le cultivateur employé aux plantations du gouvernement est très souvent requis, en rentrant chez lui, pour aller le lendemain aux corvées. Il faut de plus qu’il donne ses soins à ses propres cultures, qu’il s’occupe de la vente de ses denrées, qu’il répare ou entretienne sa maison, qu’il assiste aux sedekas ou autres jeux ou cérémonies domestiques qui occupent ses loisirs. Il convient donc de ne le faire travailler aux cultures du gouvernement qu’un jour sur quatre.

Une autre disposition du système, celle qui accorde au gouvernement, pour les cultures destinées à l’exportation, un cinquième des terres à riz (sawas), mérite également d’être citée avec éloge. En effet, le repos des terres qui, pendant quatre années, ont été plantées en riz leur assure une continuelle fertilité. Les pluies de la mousson offrent d’ailleurs à Java un excellent engrais, le meilleur par le fait dont il soit possible de profiter, attendu que la difficulté des transports rendrait l’introduction d’un système d’engrais artificiel à peu près impraticable.

De grandes améliorations ont été apportées dans l’existence politique communes depuis seize années, et c’est aux règles adoptées pour la perception de l’impôt territorial qu’on le doit. On est revenu en partie aux anciens usages sur les droits des cultivateurs ; le produit moyen réel des sawas a été mieux connu, et chaque cultivateur sait ce qu’il doit payer d’impôt pour sa part de terrain ; car, lorsque le résident fait sa tournée pour arrêter la répartition de l’impôt, il est toujours accompagné de quelqu’un des anciens de chaque dessa, indépendamment du chef. Les habitans sont exactement informés, de cette manière, du chiffre total auquel leur dessa est imposé, et la répartition de détail se fait en conséquence. Dans le cas où la juste répartition de l’impôt éprouve des obstacles par suite de la malversation des régens, les administrations communales ont droit de remontrance. Plusieurs fois, depuis 1816, les corps municipaux d’un ou plusieurs districts se sont rassemblés soit pour porter plainte contre leurs régens, soit pour se plaindre qu’on les surchargeait de travaux ; ce dernier cas s’est présenté deux fois, en une seule année, dans la même résidence.

Il importe de donner une idée des abus dont les dessas ont souffert de tout temps, et qu’on est loin d’avoir complètement extirpés. Les terres de chaque dessa appartiennent en partie aux premiers défricheurs ou à leurs descendans, en partie à la communauté. Or, le gouvernement ayant fixé une unité de superficie, le yonk[9], dont le quart est désigné par le nom de bow[10], les dessas ont appliqué cette dernière désignation à la quote-part de terrain que chaque homme cultive ; mais la superficie réelle varie par suite de causes diverses et selon les localités. Il y a donc de grands et de petits bows. Les corvées sont réparties en conséquence, mais les chefs de dessas font peser également l’impôt territorial sur tous les bows, grands ou petits. On s’est assuré que, dans certaines localités, il y avait des bows de 1,500 perches carrées, d’autres qui n’atteignaient pas 400 perches : or, comme la superficie légale du bow est de 500 perches, il en résultait que, parmi les propriétaires de bows également imposés, il y en avait qui possédaient plus de trois bows et ne payaient pas plus que le pauvre cultivateur qui ne possédait que trois quarts de bow[11]. D’autres abus non moins crians se sont glissés ou plutôt maintenus dans l’administration des terre des dessas ; mais le détail nous en mènerait trop loin. Il importait de constater d’abord que les quotes-parts de sawas sont loin de contenir toutes la même superficie ; elles diffèrent aussi en qualité : les meilleures sont ordinairement la part du chef et des membres du conseil municipal. Les terrains qui viennent ensuite appartiennent à la première classe des habitans, de ceux qui sont les plus aisés, parce qu’ils possèdent beaucoup de buffles. On distingue cette classe des autres par la dénomination d’orang-tanni ; elle équivaut à ce que nous appelons en Europe bons fermiers. La seconde classe prend les meilleures terres parmi celles que les autres ont laissées, et ce qui reste après ce triage est partagé entre les habitans de la troisième classe. La quatrième classe d’habitans, qui se compose de pauvres journaliers, est entretenue par les notables, qui s’en servent pour faire cultiver leurs sawas et faire leurs corvées hors du dessa. Ils n’ont point de part à la répartition des sawas. La vie nomade qu’ils mènent pour la plupart ne permettrait pas d’obtenir d’eux, sans de grandes difficultés, le paiement de la rente des terres qu’ils auraient reçues en partage. Cette classe peut être en tout point assimilée à nos pauvres métayers d’Europe, à qui, pour les faire travailler, il faut fournir les semences et les instrumens aratoires, ainsi que la nourriture pour toute la famille.

Il est naturel qu’on ait tenu compte de cet état de choses dans la répartition de l’impôt et que les notables aient plus à payer que les autres. D’ailleurs, les habitans des dernières classes n’ayant pas de buffles, ce sont ceux des premières classes qui les fournissent, lorsque le gouvernement exige quelque culture spéciale de leur dessa. Ils les prêtent aussi aux habitans des deuxième et troisième classes pour la culture de leurs sawas, etc. D’après les habitudes et coutumes locales, ce sont eux encore qui, lors des tournées des employés, tant européens qu’indigènes, fournissent les provisions de bouche, l’huile de lampe, les lits, le bétel, le tabac, les chevaux, tant pour ces chefs que pour les personnes de leur suite, tandis que les deux dernières classes sont seulement chargées de couper l’herbe pour les chevaux et de porter les bagages jusqu’aux haltes ou stations prochaines. Ainsi les deux dernères classes sont dans une dépendance absolue vis-à-vis des premières, auxquelles elles sont forcées de s’adresser, et par qui elles sont assistées dans leurs besoins.


III

Il nous reste à apprécier le système des cultures dans ses rapports avec le système de l’impôt territorial, et ici nous avons un fait grave à signaler. Le mode de rétribution adopté par le gouvernement pour le travail des cultures peut compromettre la prospérité des dessas. Si chaque homme est libéré de 7 florins 50 (cuivre) par le seul fait de sa participation au travail des cultures, une fâcheuse confusion ne peut manquer de s’introduire dans l’administration du dessa. Comment un chef peut-il répartir également l’impôt sur toutes les terres sans léser les droits de propriété garantis aux habitans par les règlemens et particulièrement par l’article 14 de l’arrêté du 4 janvier 1819 ? L’effet inévitable de cette mesure doit être de faire rentrer les Javanais, dans un avenir prochain, sous la domination des chefs des districts et des prêtres, domination dont l’action du système de l’impôt territorial les avait en partie délivrés. Les meilleures sawas deviendront la propriété exclusive des chefs de ces deux catégories, et les cultivateurs n’auront que des terres de qualité inférieure, d’où ils retireront à peine le riz nécessaire à la subsistance de leur famille. Le sort des basses classes sera alors pire que celui des esclaves, car toutes les charges seront pour elles, et tous les bénéfices, fruit de leurs sueurs, resteront en partage aux chefs et aux prêtres.

L’état des provinces, autrefois pays princiers, à l’ouest du Banjoumas, avant que le gouvernement néerlandais en eût pris possession, et même celui des Préanguers, témoignent des conséquences ruineuses d’un tel système pour le bien-être des propriétaires. Il ne faut pas s’imaginer, en effet, que tous les régens de Java soient de la trempe des anciens patriarches, auxquels on les a comparés. Les mobiles ordinaires de leurs actions sont l’intérêt et l’orgueil, et j’ai entendu dire à des personnes qui, pendant vingt ou trente années de séjour dans la colonie, ont pu étudier les rapports ordinaires de la population avec ses chefs, qu’à l’exception de quelques employés européens qui ont été de véritables fléaux pour les provinces qu’ils ont administrées, les Javanais ne connaissaient pas de plus grands oppresseurs que leurs propres chefs. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que le système des revenus fonciers est le palladium de la prospérité financière, des Indes néerlandaises, et que la perception régulière de l’impôt, la livraison exacte des produits, dépendent entièrement de la bonne administration des communes. Il faut que les caisses et les magasins du gouvernement se remplissent par les soins des chefs indigènes, et que les autorités hollandaises n’aient d’autre souci que de faire contrôler les rentrées. Se flatter de faire concorder partout et en tout temps le système des cultures avec celui des revenus fonciers, ce serait se tromper étrangement. L’incertitude des récoltes, les fluctuations de prix, sont autant d’obstacles insurmontables à une pareille combinaison.

En somme, le vrai, l’immense bienfait du système des cultures, c’est d’avoir permis d’agir utilement sur le caractère indolent des Javanais en respectant leurs usages, c’est d’avoir amélioré la condition du cultivateur, d’avoir créé pour ainsi dire une industrie nouvelle à Java et d’avoir mis en jeu des capitaux considérables qui répandent dès à présent dans les districts sagement et paternellement administrés une vie une aisance inaccoutumées. Après avoir, constaté ces avantages, nous devons constater aussi un abus contre lequel le gouvernement colonial fera bien de se tenir en garde. C’est lui-même qui malheureusement a introduit dans le système des cultures un élément dangereux tant au point de vue moral qu’au point de vue matériel. Je veux parler des commissions accordées aux fonctionnaires des différens ordres, tant européens qu’indigènes, à l’effet d’activer la production, commissions connues à Java sous le nom de pour-cents des cultures[12].

Il était utile, il était même nécessaire d’intéresser la population indigène, par l’intermédiaire de ses chefs, à l’établissement et au développement du nouveau système ; mais il était, selon nous, immoral et dangereux de faire participer les employés européens, déjà libéralement rétribués, à des avantages de cette nature. L’appât d’un cumul d’autant plus lucratif que les cultures spéciales recevraient un accroissement plus considérable devait entraîner inévitablement ces fonctionnaires à négliger, dans l’intérêt de ces cultures, la production annale des céréales, cette base si importante de la prospérité et de la tranquillité publiques.

C’était déjà une tâche assez difficile que celle de surveiller l’application du système, de façon à en retirer tous les avantages possibles, en respectant les habitudes et les institutions locales ; mais cette tâche devenait plus ardue encore du moment où l’intérêt particulier était mis en jeu et où le fonctionnaire se trouvait invité, pour ainsi dire, à réclamer de l’avenir une récompense autre que celle que lui promettait le simple accomplissement de son devoir. Le pouvoir, ou au moins l’influence presque illimitée dont jouissent les résidens à Java, favorise nécessairement cette tendance à retirer la plus grande somme possible d’avantages de la position qui leur a été faite par le gouvernement. Les employés de grades inférieurs sont mus par des considérations semblables et concourent fatalement à créer, à maintenir, à augmenter les abus dont les populations ont à souffrir, pour arriver à satisfaire ce besoin immodéré de production que le gouvernement a mis à l’ordre du jour.

Enfin, l’adoption de cette fâcheuse mesure de l’allocation des pour-cents a nui à la considération des fonctionnaires européens ; elle a porté atteinte à leur dignité en les assimilant, par le mode de rémunération, aux chefs indigènes placés sous leurs ordres, et en laissant supposer que l’appât d’un gain considérable avait été jugé nécessaire pour stimuler le zèle de ces fonctionnaires. Mieux eût valu cent fois augmenter les traitemens des Européens, et surveiller plus activement les employés indigènes, auxquels seuls on aurait abandonné cette commission d’encouragement.

Le gouverneur-général Van den Bosch avait remarqué très judicieusement, dans les préliminaires de son plan d’organisation des cultures, que « là où les institutions locales n’existaient plus, il fallait en attribuer la ruine à la conduite arbitraire et capricieuse de quelques employés européens. » Il paraît trop certain, en effet, que plusieurs de ces fonctionnaires se sont fait un singulier plaisir de surcharger les habitans de travaux ou d’exiger de certaines localités des cultures incompatibles avec la nature du sol où évidemment contraires aux intérêts de la population. C’est ainsi qu’un résident avait prescrit au chefs d’un district montagneux de faire planter en indigo un tiers des champs de sawa, quand il était évident que, dans une région élevée, le nombre des sawas était nécessairement très limité, et qu’il était extrêmement difficile en général, impossible même en certains cas, vu les accidens multipliés de la surface, de conduire les eaux sur des portions de terrain propres à la culture des céréales. D’autres fois, dans la crainte de voir manquer en partie la récolte d’indigo, on a mis en réserve une certaine étendue de terre labourable, où on a conservé une partie des plantations d’indigo de l’année précédente avec l’espoir d’obtenir encore une ou deux coupes. C’était se mettre en contradiction formelle avec le sage principe qui veut que les quatre cinquièmes des terres à riz soient toujours plantés en pady, et qu’on veille strictement à ce que la subsistance des populations soit assurée ; mais on veut avant tout alimenter le marché d’Europe, et, pour atteindre ce but, on ne se contente pas de maintenir la production des denrées coloniales, on l’augmente le plus possible. C’est que le gouvernement montre sur ce point une sollicitude extrême, et que les employés y trouvent un double avantage : en même temps qu’ils y gagnent une riche rétribution, ils s’assurent une réputation d’administrateurs habiles. En ne portant sur leurs registres que le nombre de bows fixé pour chaque culture locale, ils se créent une sorte de renommée auprès du gouvernement, grace à l’accroissement fictif de la quantité d’indigo qu’ils obtiennent par bow, comparativement à d’autres résidences, où une partie des plantations des année précédentes n’a pas été conservée.

Les conséquences de ces transgressions sont d’abord une surcharge de travaux pour la population, qui n’a plus ainsi le temps nécessaire pour ses occupations domestiques, et ensuite une hausse dans le prix des céréales, hausse qui se fait sentir surtout dans les campagnes. Ces conséquences fâcheuses découlent surtout inévitablement de la trop grande extension donnée à la culture de l’indigo, parce que cette plante épuise considérablement la terre, et que, faute de donner au sol le repos qui lui est nécessaire (trois ou quatre ans au moins), le produit moyen en indigo descend promptement de 20 kilogr. par bow à 10, ou même 7 kilogrammes. Les champs qui sont restés pour la culture du riz donnent aussi un produit moindre au bout de quelques années. D’après le témoignage des administrateurs et des planteurs que nous avons consultés, nous sommes convaincu que, dans un avenir peu éloigné, la culture de l’indigo à Java devra être considérablement restreinte, et il nous paraît même probable qu’elle sera complètement abandonnée. Il en sera peut-être de même de la culture du thé.

On a beaucoup critiqué à Java même les bases adoptées par le général Van den Bosch pour son système des cultures. Toute grande innovation blesse certains intérêts, et doit rencontrer une opposition plus ou moins décidée ; mais, si cette innovation est appelée par les tendances générales, par les besoins réels d’une époque, elle triomphe promptement des préjugés individuels et des notions erronées qui ont marqué les époques antérieures, et c’est ce qui est arrivé au nouveau système. Van den Bosch a été un de ces hommes qui, au moment même où l’opinion désire de grandes choses et pressent de grandes réformes, arrivent pour les accomplir. Son triomphe a été d’autant plus honorable, qu’il a eu à soutenir une lutte plus sérieuse dès l’origine, et qu’il a montré, pour défendre son système, une fermeté égale à la prévoyance, à la sagesse dont témoignait cette remarquable conception. Les résultats des mesures adoptées par Van den Bosch n’ont pas trompé son espoir, et l’espèce d’enthousiasme avec lequel ces résultats ont été accueillis a conduit les gouverneurs-généraux qui ont succédé à ce grand administrateur à encourager, quelquefois même outre mesure, les cultures spéciales et la fabrication des produits destinés au marché d’Europe. Des avances sur la plus vaste échelle ont été faites à des planteurs et fabricans européens, et nous avons pu nous convaincre que, dans la répartition de ces libéralités, on ne s’est pas toujours montré fort judicieux. Des contrats ont été passés par le gouvernement pour toute sorte de cultures ou entreprises liées au développement des cultures. Le nombre de ces contrats est très considérable ; ils ont donné lieu à des spéculations, à des agiotages sans nombre, et ont entraîné le gouvernement à des dépenses parfois excessives. On commence à revenir de cette fièvre de production et de cette imprudente libéralité ; mais ceux qui ont été à même, par leur position, d’étudier long-temps et de près l’action normale du système des cultures nous ont assuré que les causes d’oppression qui pèsent encore sur les Javanais et les pertes que le gouvernement et un assez grand nombre de planteurs ou de fabricans ont eu à subir depuis l’introduction du système doivent être attribuées exclusivement à une interprétation erronée, à une application maladroite des instructions de Van den Bosch et non à ces instructions mêmes.

En résumé, l’avenir des cultures à Java dépend de l’adoption rigoureuse des bases posées par Van den Bosch. Ne jamais dépasser les bornes marquées par cet habile administrateur, se bien pénétrer des intentions libérales et paternelles du gouvernement, mettre tout le zèle possible à alléger les travaux de culture et les corvées, protéger efficacement les Javanais contre l’oppression des régens, contre l’oppression plus intolérante encore des fermiers des bazars, telles sont les obligations imposées par la nature même des choses aux fonctionnaires européens chargés de surveiller l’application du système des cultures. Si ces obligations sont enfin remplies, le Javanais considérera comme un bienfait le régime qu’il accepte encore en ce moment, dans bien des localités, comme une nécessité fatale.

Quelques dispositions ont déjà été prises par le gouvernement néerlandais pour compléter l’œuvre de Van den Bosch, en assurant et en régularisant le développement des nouvelles cultures et la livraison des produits. Nous avons parlé des contrats qu’il a passés avec un grand nombre de planteurs européens et quelques Chinois. La nature et les conditions de ces contrats ont été souvent modifiées. Dans l’état actuel des choses, on peut ramener ces contrats à trois espèces principales : 1o concessions à terme de grandes terres (qui peuvent être déjà en partie habitées et cultivées) avec permission de défrichement[13] ; 2o concessions à terme de terrains pour l’érection de sucreries, indigoteries, sécheries pour le tabac, manipulation de la cochenille, etc., et contrats pour livraison à des époques et à des prix déterminés des produits manufacturés[14] ; 3o contrats pour la livraison du café préparé à la manière des Indes occidentales et pour diverses autres livraisons. — Outre les avantages accordés par ces contrats, le gouvernement a fait souvent des avances considérables aux planteurs moyennant caution. Les plus favorisés sous ce rapport ont été les introducteurs de la fabrication du sucre par l’appareil de Derosne et Cail ou par des appareils analogues. Les avances faites à l’une de ces entreprises ont, à notre connaissance, dépassé 2 millions. Il est des cas où le gouvernement laisse la libre disposition d’une certaine proportion des produits au planteur (un cinquième du sucre manufacturé, par exemple). Dans d’autres cas, il se réserve le droit de prendre la totalité des produits (la récolte du thé ou toute autre) à son compte, à un prix déterminé par le contrat, ou de la laisser entièrement à la disposition du planteur.


IV

Malgré les vices d’exécution que nous avons signalés, les diverses mesures adoptées pour encourager les cultures ont amené un développement remarquable, et à beaucoup d’égards inespéré, de la prospérité financière de la colonie. En comparant les revenus coloniaux de deux périodes séparées par un intervalle de dix années, nous arriverons à reconnaître qu’en définitive l’expérience tentée par le gouvernement colonial a complètement réussi. Cette comparaison doit être précédée toutefois de quelques explications sommaires, tant sur le système monétaire de Java que sur l’établissement du budget colonial, budget où l’évaluation des produits expédiés en Hollande pour compte du gouvernement figure pour une somme annuelle de 33 à 37 millions de florins, où 66 à 74 millions de nos francs à peu près.

Il a été difficile, à toutes les époques, de se former une idée exacte de la nature des différentes branches de revenus aux Indes orientales néerlandaises. Mac Gregor se plaignait tout récemment que tant d’obscurité planât encore sur cette importante matière. Les habitudes de jalouse réserve du gouvernement colonial, les complications que présentent les questions financières dans un pays où le système monétaire a subi de graves et fréquentes modifications, sont autant d’obstacles que nous avons cherché à vaincre pour jeter quelque lumière sur un sujet si peu connu.

Les espèces, or et argent, ont été très rares à Java dans ces dernières années. La quantité de monnaie de cuivre en circulation est au contraire énorme : elle excédait probablement, en 1844, 34 millions de florins où 68 millions de francs. Les affaires, en général, tant celles du gouvernement que celles du commerce, se font à l’aide du papier-monnaie, et il y a eu constamment, depuis nombre d’années, au moins deux espèces de billets de banque ou du gouvernement ayant cours légal : le papier-argent, le papier-cuivre. 1 florin papier-argent a valu légalement, jusqu’à la fin de 1845, 1 florin et un cinquième papier-cuivre, ou, en d’autres termes, 5 florins papier-argent équivalaient à 6 florins papier-cuivre. Les traitemens des fonctionnaires civils ou militaires ont été payés, jusqu’en 1846, partie en espèces, partie en papier-argent, partie en papier-cuivre ou en cuivre (duiten), (le florin-cuivre a été supprimé pour le service public depuis 1846.) La grande masse des revenus du gouvernement est perçue en monnaie de cuivre ou en papier-cuivre. Certains revenus sont perçus en papier-argent, par exemple, les droits d’entrée et de sortie au-dessus de 25 florins ; mais il faut remarquer que, parmi les droits perçus à la sortie, figurent pour plus de 2 millions de florins de droits fictifs que la Maatschappy est censée payer sur les produits transportés par elle en Europe au compte du gouvernement.

Les comptes du gouvernement sont tenus en florins, avec indication des recettes où dépenses en papier-argent, papier-cuivre et argent-espèces ; mais, dans celles des recettes ou dépenses qui comprennent ces trois natures de valeurs, le total est exprimé en florins, sans tenir compte de la différence, réelle de ces valeurs. La rédaction du budget colonial se complique de l’introduction (comparativement récente) de ce qu’on appelle le capital administratif. Ce capital de 12,500,000 florins, dont deux cinquièmes argent et trois cinquièmes cuivre, est formé de réserves en argent, papier, cuivre monnayé, fonds de magasins, etc. Il résulte de l’adoption de cet étrange système de comptabilité qu’il est impossible, sur la simple inspection des comptes généraux, de se faire une idée exacte du montant réel ou même approximatif des recettes et des dépenses. Ainsi, au budget de 1845, on trouve pour


chiffre total des dépenses balancées par les recettes réelles ou probable 77,858,428 fl.
mais ce chiffre, qui représenterait au change moyen de 2 fr. 10 c. par fl. 163,02,699 fr.
ne représente en réalité que 132,718,544
C’est donc une différence de 30,784,155 fr.

On voit que la balance réelle du budget colonial, balance au profit de la mère-patrie et qui excède probablement 8,000,000 de fr., ne peut être établie approximativement qu’en écartant soigneusement les causes d’erreur que cette comptabilité exceptionnelle tend à multiplier.


Le budget colonial, pour 1846, évaluait les recettes à 96,561,135 fl.
les dépenses à 84,435,638
L’excédant brut présumé était de 12,125,497 fl.
ou plus de 24,000,000 fr.

Nous doutons que ces prévisions favorables se soient réalisées. Les finances coloniales ont dû présenter en 1847 (et présenteront probablement en 1848) un déficit relatif :

1° Parce qu’en raison même des événemens qui ont agité l’Europe les produits coloniaux n’ont pu être placés, en Hollande, en aussi grande quantité et aussi avantageusement que par le passé ;

2° Parce que les dépenses des Indes néerlandaises ont été inévitablement plus considérables en 1847 et 1848 que dans les années antérieures.

Toutefois les ressources que Java tire de son propre fonds sont trop étendues, trop variées, pour qu’on puisse douter du magnifique avenir de cette colonie, si la prudente énergie de son gouvernement se maintient à la hauteur de la tâche qui lui est imposée. La comparaison des recettes générales à différentes époques est, en effet, de nature à dissiper toute appréhension à cet égard.


En 1830, la recette générale avait été de 16,729,239 fl.
En 1840, de 28,562,282
Augmentation en dix années 11,833,043 fl.
Ou environ 23,800,000 fr

Si nous nous reportons au budget de 1846, le progrès devient encore plus frappant.


En 1830, la recette générale est, comme nous venons de le voir, de 16,729,239 fl.
En 1846, elle atteint le chiffre de 45,719,009
Augmentation en seize années 28,989,770 fl.
Ou environ 58,000,000 fr.

Pour compléter la signification de ces chiffres, nous rappellerons que le gouvernement colonial envoie, année commune, pour 32 à 37 millions de florins en produits à la Hollande, qu’un tiers de Java à peine est en culture aujourd’hui, et que la population de Java est de 10 millions d’ames.

La culture du riz occupe en ce moment, à Java, environ 2,000,000 de bows, ou près de 1,500,000 hectares ; celle de la canne à sucre, 45,000 bows, soit 32,000 hectares ; celle de l’indigo, 17,000 hectares, etc. Les progrès du commerce ont marché de pair avec le développement des cultures. Nous avons déjà signalé[15] l’influence remarquable et éminemment salutaire que la société de commerce connue sous le nom de Nederlandsche Handet Maatschappy a exercée sur le mouvement commercial des Indes hollandaises et de la mère-patrie. On ne peut s’empêcher de faire, à ce propos, quelques remarques et quelques rapprochemens. Le grand commerce, le commerce durable, vit de petits bénéfices acquis souvent au prix d’immenses sacrifices. Il lui faut d’abord de grands capitaux, puis il faut qu’il soit persévérant et qu’il sache se résoudre à perdre au besoin. Là est, selon nous, le principal secret de la supériorité des Anglais, des Américains et des Hollandais dans la grande navigation commerciale. La protection éclairée des gouvernemens a fait le reste. La Maatschappy nous offre l’un des exemples les plus remarquables de l’utilité des sacrifices faits à temps en matière de commerce. La création si merveilleusement opportune de cette compagnie, le développement parallèle de son action avec l’accroissement de la production agricole de Java, le secours qu’elles se sont mutuellement prêté, constituent un fait capital dans l’histoire commerciale du monde civilisé. Bien que les circonstances extraordinaires de notre époque aient eu une influence défavorable sur les opérations commerciales et sur celles de la Maatschappy en particulier, cette société maintient son action puissante sur la navigation et l’industrie néerlandaise. Il résulte de l’exposé de ses opérations, soumis le 13 juin dernier au conseil d’administration, que, dans le cours de l’année 1847, cent quatre-vingts navires à sa consignation lui ont apporté de riches cargaisons de café, sucre, indigo, thé Java, étain de Banca, etc. Quatre-vingt-treize navires lui sont arrivés, pendant les cinq premiers mois de 1848, avec des cargaisons non moins importantes. Les ventes opérées par la société en 1847 se sont élevées à près de 50 millions de florins, ou plus de 100 millions de francs. Ses exportations pour les colonies, pendant cette même année, ont dépassé 12 millions. Elle a payé le fret de 148,000 tonneaux environ.

Le commerce de Java, en 1846, a donné les résultats suivans :

Importations : 36,420,685 flor., ou environ 73 millions de francs.
Exportations : 60,157,388 flor., ou environ 121 «

Nous n’ajouterons rien à ces chiffres, que nous n’avons pas craint de multiplier. Il reste avéré que c’est sur la double base de la production agricole et de l’activité commerciale que repose la prospérité de Java. En présence des progrès si merveilleux de cette colonie, nous avons été naturellement conduit à nous demander si la plus importante de nos possessions, si l’Algérie ne pourrait pas devoir aux mêmes causes un avenir aussi brillant. L’Algérie, que son climat a douée d’une puissance productive analogue à celle de Java, ne trouverait-elle pas dans l’influence de ce climat, dans le caractère de sa population mixte, dans l’application d’un système de culture où les capitaux et l’intelligence des planteurs français se combineraient avec le concours intéressé des chefs arabes et le travail modéré des diverses tribus, les élémens d’une association agricole semblable, à beaucoup d’égards, à celle dont nous avons exposé l’organisation et prouvé la vitalité féconde ? Nous appelons sur ces questions importantes l’attention de nos hommes d’état. Les populations, arabe et javanaise présentent des analogies frappantes. L’exploitation agricole de l’Algérie soulève précisément les problèmes que le gouvernement colonial de Java a si heureusement résolus. Il y a là des leçons et des exemples qui appellent les plus sérieuses méditations de la France.

Nous ne saurions mieux terminer cette étude qu’en insistant sur cet intérêt qu’aurait la France à s’éclairer sur l’état actuel des Indes néerlandaises. En montrant l’influence d’un bon système d’administration sur la prospérité agricole et commerciale de Java, nous avons indiqué les traits principaux d’un immense tableau, où les détails ont aussi leur importance et sont d’une variété infinie. Il nous a suffi de noter quelques-uns de ces détails, dont l’examen attentif aurait démesurément agrandi notre tâche : c’est ainsi que, sur le code colonial promulgué dernièrement (1er  mars 1848), sur l’organisation gouvernementale et administrative, sur l’organisation de l’armée et de la marine, sur les finances et le commerce, nous nous en sommes tenu à quelques notions essentielles, à quelques aperçus généraux. Il y aura peut-être lieu de revenir un jour sur ces parties du vaste édifice dont l’ensemble a surtout attiré notre attention ; mais ce que, dès à présent, nous tenons à exprimer, c’est le sentiment de profonde sympathie qui nous a constamment guidé dans le cours de nos appréciations. Au nombre de nos plus chers, de nos plus précieux souvenirs se placeront toujours ceux que nous a laissés cette hospitalière et féconde terre de Java, qui nous eût consolé de l’exil, si rien pouvait consoler de la patrie absente. Au nombre de nos convictions les plus inébranlables se place aussi depuis long-temps celle dont nous aimons, en traçant ces dernières lignes, à reproduire l’expression : c’est que les colonies hollandaises de l’archipel oriental sont au premier rang parmi les établissemens destinés à propager l’influence et la civilisation européennes dans l’extrême Orient.


A.-D. DE JANCIGNY.

  1. Deux Javanais de la même classe et du même rang se trouvent-ils chargés d’un quelconque, l’un d’eux devient immédiatement le chef sans contestation.
  2. Nous trouvons dans notre journal de voyage la note suivante, qui se rapporte à notre sujet, et que nous copions littéralement :
    « Touhan (résidence de Renbang), lundi 4 avril 1845. — Visité, dans ma promenade du soir avec l’assistant résident, un cimetière javanais à quelque distance de la ville. Les tombes sont ombragées par des groupes de multiplians (Ficus indica) d’une hauteur et d’une richesse de feuillage, de branches, de racines entrelacées, vraiment extraordinaire. M. Kohler (l’assistant résident) m’a fait remarquer parmi ces tombeaux celui d’un pauvre écrivain javanais, sorte de maître d’école fort instruit et dont la mémoire est en grande vénération dans le district. Les jeunes Javanais viennent gratter la mousse qui croit sur cette humble tombe et la mêlent à leurs alimens, dans l’espoir qu’elle développera en eux l’aptitude et l’amour de la science. Quelques-uns passent la nuit étendus sur le tertre mortuaire, pour que tout leur être puisse se pénétrer des émanations de cette sépulture sacrée ; d’autres, dans l’espoir que l’esprit du défunt, errant autour de sa tombe, s’arrêtera un instant sur eux et leur révélera le secret de cette intelligence supérieure qu’ils admirent et qu’ils envient ! »
  3. Les classes inférieures sont fort adonnées au jeu. Le kouli javanais (semblable en cela au Chinois de bas étage) joue souvent le salaire du lendemain, ses habits et jusqu’à son mouchoir de tête, vêtement distinctif de l’homme. Les classes aisées se livrent rarement à la passion du jeu. On rencontre parmi les chefs des amateurs d’échecs.
  4. Dans les provinces cédées par l’empereur de Solo et le sultan de Youckio, et qui forment aujourd’hui les résidences de Madioune, Kadou, Baguelen, etc., les changemens opérés en dix-huit ans par l’action de l’administration européenne sont réellement prodigieux. Les revenus, la population, l’aisance générale, tout s’est accru dans une proportion qui a dépassé les espérances du gouvernement.
  5. Le prince héréditaire prend celui de panguerang-adipati.
  6. Ou râdin-adipati. Râ, sang ; adi, excellent, exquis.
  7. Le ministre ou wizier, considéré comme chef suprême de la justice ou premier magistrat, est désigné par le titre de parentah. Ce mot exprime en javanais d’une manière collective les idées qui se rattachent chez nous aux mots ordre public, gouvernement, magistrature. À Solo, le râdin-adipati préside la haute cour, ont le siége est dans la capitale et décide en outre un grand nombre d’affaires au dehors. Les chefs de dessas n’ont qu’une juridiction analogue à celle de nos juges de paix.
  8. C’est le système encore en vigueur aux Préanguers, et qui a eu les résultats les plus satisfaisans pour le gouvernement sans que le bien-être des indigènes paraisse en avoir reçu la moindre atteinte. Ce système est sans doute susceptible d’améliorations, et les habitans des Préanguers pourraient être plus indépendans, plus aisés, plus heureux, en un mot, qu’ils le sont sous l’influence du système que nous signalons mais la supériorité de ce système, comparé à ceux qui ont été essayés avant Van den Bosch, nous semble incontestable.
  9. Plus exactement djong, mesure agraire d’origine javanaise égale à 2,000 perches carrées ou à 2 hectares et un peu plus de huit dixièmes.
  10. Le bow (prononcez baou), quart du djong, vaut sept dixièmes d’hectare.
  11. Il nous a été affirmé, par des personnes entièrement dignes de foi, qu’il existait eu fois autant de sawas qu’il y en avait de portées sur les piagems (rôles des contribuons), en sorte que les intérêts du gouvernement et ceux des pauvres cultivateurs sont également lésés par les abus que nous avons indiqués.
  12. Sur la livraison nette et réelle de café, les résidens, résidens-adjoints, régens, contrôleurs, patties et chefs de districts, ont 6 cents (environ 10 centimes) par picol (125 lb. de Hollande) ; les chefs de dessas, 24 cents ou environ 40 centimes par picol.
    Sur la livraison brute de sucre, les résidens reçoivent 10 cents par picol, ainsi que les régens et chefs de district ; les patties, 2 cents ; les chefs de dessas, 8 cents.
    Sur la livraison brute d’indigo, les résidens, 4 cents par lb. ; les régens, 8 cents ; les chefs de district, 4 cents ; les patties, 1 cent ; les chefs de dessas, 3 cents.
    Ces chiffres peuvent varier suivant les résidences, mais le chiffre moyen de ces allocations ne s’écarte pas sensiblement de ceux que nous venons d’indiquer. Le montant annuel des pour-cents l’emporte fréquemment sur le traitement que le fonctionnaire reçoit du gouvernement.
  13. Pour le café, la durée des permissions de défrichement est de vingt à vingt-cinq ans. La moitie de la terre doit être défrichée et plantée dans le cours des cinq premières années. À partir de la deuxième année, le concessionnaire paie une redevance en nature proportionnée à l’étendue des terrains plantés. Il paraîtrait que dans certains cas exceptionnels la redevance est fixée en argent.
  14. Le gouvernement s’engage à fournir, moyennant certaines conditions et suivant la nature des entreprises, les ouvriers, les bois de construction et autres matériaux, les semences, les cannes à sucre pour alimenter le travail des fabriques, etc.
  15. Voyez la livraison du 1er novembre 1848.