Les Irrigations en Égypte et les projets récens du gouvernement égyptien

La bibliothèque libre.
Les Irrigations en Égypte et les projets récens du gouvernement égyptien
Revue des Deux Mondes5e période, tome 35 (p. 421-445).
LES
IRRIGATIONS EN ÉGYPTE
ET
LES PROJETS RÉCENS DU GOUVERNEMENT ÉGYPTIEN


I

« L’Egypte est un don du Nil. » On ne saurait trop citer ce mot d’Hérodote. En écoulant ses eaux limoneuses dans la Méditerranée, le Nil a recouvert de terre végétale l’étroite bande de désert qu’il arrose. Chaque année, à époque fixe, la masse fluide charriée à travers la longue oasis formée par le dépôt de la terre en suspension dans le fleuve, enfle et grossit ; son niveau s’élève rapidement ; bientôt elle déborde, fécondant ses rives par une inondation que l’industrie de l’homme a su rendre régulière et bienfaisante en la modérant et en la dirigeant. Etrange phénomène, grâce auquel est née une des civilisations les plus anciennes et dont les causes restèrent si longtemps mystérieuses !

Les explorateurs ont, vers le milieu du XIXe siècle, dévoilé ce mystère. Nul n’ignore maintenant que le Nil proprement dit est formé par la jonction du Nil Blanc, déversoir des grands lacs équatoriaux Albert et Victoria, qui se fraye péniblement un passage à travers d’immenses marécages et du Nil Bleu qui, sorti du lac abyssin Tsana, parcourt dans un long circuit 1 350 kilomètres avant de rejoindre, en aval de Khartoum, à près de 4 000 kilomètres du lac Victoria, l’autre branche, déjà grossie de nombreux cours d’eau. A partir de ce point, le grand fleuve ne reçoit plus qu’un seul affluent digne de mention, c’est l’Atbara, rivière torrentielle qui joue un rôle important dans la formation de la crue et dont la source jaillit en Abyssinie. Puis, de Berber à la Méditerranée, le père des eaux traverse 2 700 kilomètres sous le ciel le plus chaud et le plus sec, donnant toujours, ne recevant jamais, cheminant le plus lentement possible comme pour laisser l’homme jouir tout à son aise des richesses qu’il transporte. Sa pente est en effet très faible ; on l’évalue à 8 pour 1 000, de sorte qu’Assouan, située à 86 mètres seulement au-dessus du niveau de la mer, en est éloignée de 1 100 kilomètres. En amont de cette ville, la vallée se relève, il est vrai, assez brusquement en étages rocheux qui forment les six fameuses cataractes et qui se succèdent sur une longueur de 565 kilomètres, avec une hauteur de chute de 200 mètres, mais, plus au Sud, le sol redevient plat et Khartoum, séparée par 3 000 kilomètres de la mer, n’est que de 390 mètres plus élevée qu’elle.

On sait aussi pourquoi le débit du fleuve s’élève chaque année à date fixe de 400 à 9 000 mètres cubes par seconde[1], coulant tranquillement et parcimonieusement durant l’hiver et une partie de l’été, s’enflant et roulant tumultueusement des flots troubles de juillet à novembre. C’est que le Nil Bleu et l’Atbara, ces deux grands torrens, « lui apportent, comme le dit Bossuet[2], les pluies et les neiges » d’Abyssinie.

Si l’Égypte est un don du Nil, c’est un don que l’esprit ingénieux, et les bras infatigables de l’Egyptien ont su faire fructifier. N’était le travail intense et patient des « fellahs, fils de la terre, » la rive du Nil serait vraisemblablement restée ce qu’elle était, à en croire Hérodote, lorsque le roi Mènes devait protéger par une digue les environs de Memphis : un vaste marécage, et, sans le système d’irrigation qui les contient, les canalise et répartit leurs eaux, les crues, bienfaits annuels du grand fleuve, ne feraient sans doute pas vivre la vingtième partie de la population qui pullule et foisonne joyeusement depuis la région des cataractes jusqu’aux dunes du Delta. La vieille description qui montre le Nil débordé, couvrant la plaine de limon et, son œuvre fécondante accomplie, rentrant paisiblement dans son lit pour laisser d’heureux cultivateurs ensemencer une terre ameublie et fertilisée est tout imaginaire. Au moment de fortes crues, les fellahs ont au contraire beaucoup de peine à défendre contre les assauts du flot les digues qui abritent leurs champs. Moins poétique peut-être, la réalité n’en est que plus belle. Le système d’irrigations qui émerveilla Hérodote est aussi ancien que la civilisation égyptienne. Les bassins, les réservoirs et les canaux décrits par le vieux voyageur avaient fait l’Égypte dont ils entretenaient et développaient la vie, ou plutôt ils n’étaient autre chose que l’Égypte elle-même. La situation n’a pas changé, loin de là ; plus que jamais l’Égypte reçoit la vie des ouvrages d’art qui emmagasinent l’eau et la font circuler dans ses terres, tout de même que le sang circule dans nos artères et dans nos veines. Ces ouvrages sont-ils négligés, l’Égypte s’affaiblit et s’appauvrit, son sol se stérilise, des famines répétées déciment sa population. Aussi leur établissement, leur surveillance et leur entretien ne sauraient-ils être évidemment abandonnés à l’initiative individuelle, par la force des choses bornée et égoïste. Sans une direction et un contrôle uniques, il n’y aurait que désordre et confusion. C’est donc le pouvoir central qui doit distribuer l’eau à toute l’Égypte, et l’on peut dire que, nulle part mieux que dans ce pays, la nécessité d’un gouvernement éclairé, prévoyant, économe n’est aussi grande, nulle part les charges imposées par le fisc aux contribuables plus faciles à justifier.

Le problème de l’irrigation, dont je vais dans un instant indiquer les données actuelles, s’est posé de tous temps en Égypte, car ce pays n’a jamais cessé d’être une conquête de l’homme, aidé du Nil, sur le désert. Il y a trois quarts de siècle, ces données se sont toutefois modifiées en même temps que l’agriculture égyptienne se transformait. L’introduction de nouveaux produits, tels que la canne à sucre et le coton, ou plutôt la généralisation de leur culture, imposèrent un nouveau régime des eaux. Entreprise par Mehemet-Ali, complétée par les Anglais, cette œuvre gigantesque dont le couronnement semblait avoir été réalisé lorsque fut inauguré le barrage d’Assouan, a-t-elle donné ce que ses initiateurs en promettaient ? Les craintes que son avenir inspire à certains esprits sont-elles justifiées ? Est-elle susceptible de nouveaux développemens au moyen de travaux exécutés dans le Soudan, au besoin en Abyssinie, ou plus simplement en Égypte ? Ces questions occupent beaucoup les esprits depuis quelque temps, au Caire et à Alexandrie, et fournissent un sérieux aliment aux spéculations des financiers. La décision prise en mars 1905 par le ministère khédivial des travaux publics, de surseoir à la surélévation du barrage d’Assouan, le décret promulgué à la suite de cette décision pour interdire la vente des biens de l’Etat, sont encore vivement discutés, La construction, décidée récemment d’un nouveau barrage à Esneh, achève de faire des irrigations égyptiennes, dans le présent et dans l’avenir, une question d’actualité qu’il est intéressant de faire connaître, sous une forme accessible, au public français.


II

Maintenir le fleuve dans son lit et ne lui permettre d’en sortir que pour remplir, aux temps fixés, les bassins et les canaux ; lui emprunter la plus grande quantité d’eau possible ; diriger cette eau de façon à fertiliser la plus vaste superficie de terre, de la manière la plus efficace ; enfin, point essentiel, l’évacuer lorsque, devenue inutile, elle menace de nuire au sol autant qu’elle lui a profité ; ainsi se pose le double problème de l’irrigation et du drainage.

Jusque vers le milieu du dernier siècle, ce problème fut résolu, plus ou moins efficacement suivant les époques, par un procédé assez simple, habituellement désigné sous le nom de système de l’inondation, et qu’on ferait mieux d’appeler le système des bassins. Ces bassins sont formés au moyen de digues, dans la longue cuvette qui sépare les bancs du Nil, surélevés par les alluvions que le courant y dépose depuis des siècles, du désert dont les bords surplombent partout d’une dizaine de mètres, la vallée fertile.

Qu’on se représente deux digues parallèles, distantes de huit à dix kilomètres et coupant à angle droit, d’un côté une troisième digue qui longe le rivage, de l’autre le talus du plateau des sables. Une prise d’eau, percée en amont dans la digue riveraine et plus ou moins prolongée en canal, sert à remplir le bassin lorsque la crue atteint le point voulu. On ferme la digue dès que l’eau est parvenue à un niveau de 1m, 50, puis, quand cette nappe liquide a fertilisé le sol, on l’évacué dans le fleuve au moyen de déversoirs ménagés en aval du bassin.

Tel est, dans ses grandes lignes, le procédé qui fut tant de siècles seul connu en Égypte et qui y est encore en usage actuellement dans plusieurs régions. La pratique a compliqué ce schéma primitif, de diverses modifications. Voici la plus importante : au moyen d’une digue parallèle, on sectionne la vallée dans les endroits où elle est très large, en deux bassins qui peuvent être de niveaux différens. Autre perfectionnement très ancien : les digues des bassins contigus communiquent de sorte que les bassins se commandent, le déversoir d’un bassin servant de prise au bassin inférieur. Une chaîne de bassins qui, sur la rive gauche du Nil, d’Assouan au Caire, ne mesure pas moins de 900 kilomètres, résulte de cette disposition grâce à laquelle on économise une énorme quantité d’eau en cas de crue insuffisante, tout en obtenant une vidange plus régulière.

La mise en œuvre du procédé, si simple en apparence, qui vient d’être décrit, soulève de grandes difficultés : aussi a-t-elle subi bien des vicissitudes. Dès qu’un despotisme déréglé épuisait l’Égypte ou qu’une anarchie prolongée la laissait retourner à l’état de nature, ce pays devenait la proie des deux fléaux qui le guettent : aridité des terres mal irriguées, pestilence marécageuse des terres mal drainées.

Hérodote[3] nous montre la vallée du Nil barrée par d’immenses digues qui, creusées de canaux sur mille points, reliaient entre eux les archipels des villes innombrables, alors que la crue, régularisée ou, tout au moins, déchargée de son trop-plein par le lac Mœris, transformait l’Égypte en une autre mer Egée. A vrai dire, cette description convient bien mieux à l’Égypte de la belle époque, encore vivante dans l’imagination des prêtres, qu’aux choses réellement observées par l’historien voyageur. Déjà, sous la domination persane, cette organisation avait périclité. Les Lagides et les Romains la restaurèrent. Le Delta et la vallée du Nil étaient alors dits justement le grenier de Rome. Quelques siècles plus tard, en dépit de la mauvaise administration des Byzantins, cette contrée était encore si fertile qu’elle enchanta les Arabes conquérans comme l’image du paradis promis par le Prophète. Quelles vicissitudes traversèrent ensuite, sous les diverses dynasties musulmanes, les grands travaux qui dispensent à l’Egypte la vie et la richesse ? Pour répondre à cette question, il faudrait distinguer suivant les époques. Il y a plus d’un siècle, au moment où l’oligarchie des Mameluks fut balayée par l’expédition française, les fellahs, à en croire un mémoire publié dans la Description de l’Égypte par Le Père, un des savans qui accompagnaient Bonaparte[4], luttaient village contre village pour « détourner du réservoir commun l’eau qui leur était nécessaire, sans égard pour leurs voisins..., soumettre l’arrosage de tout un canton au sort d’un combat, et couper à main armée les digues, afin d’évacuer au grand préjudice de leurs voisins la surabondance des crues dont ils redoutaient un trop long séjour sur leur terres. » Ainsi privés d’eau ou inondés, bon nombre de ces malheureux se réfugiaient dans le désert où ils demandaient leur subsistance à une vie nomade et pillarde. Dieu sait ce que l’Egypte serait devenue si cet affreux désordre avait continué !


III

Méhémet Ali ne se contenta pas d’y mettre fin : soucieux de développer dans ses États des cultures nouvelles et rémunératrices, il entreprit une transformation radicale du système traditionnel des irrigations. Les avantages de ce système sont très grands : il réduit au minimum le travail agricole et n’épuise jamais le sol. En revanche, il ne permet normalement qu’une récolte d’hiver. Dès que l’eau a été évacuée, laissant la terre humectée, ameublie et recouverte d’une couche fertilisante de limon, c’est-à-dire entre novembre et décembre, le paysan sème des céréales, des légumes ou du fourrage, il récolte de mars à mai. Puis la terre reste en friche jusqu’à ce que le Nil l’ait recouverte de nouveau. Exceptionnellement, il est vrai, une seconde récolte (dite kedi ou nabari) de sorgho, de maïs et autres produits qui croissent rapidement, peut être obtenue en juillet dans les parties basses, susceptibles d’être arrosées au moyen de l’eau des puits ou au contraire sur les terrains élevés que la crue atteint plus tardivement. Mais la règle, imposée par le système de « l’inondation, » est une seule récolte annuelle de ces produits qui croissent dans les parties froides de l’Europe aussi bien qu’en Égypte et servent essentiellement à la consommation locale.

Devenu le maître omnipotent de l’Égypte, Méhémet Ali, qui, pour des raisons historiques trop longues à exposer, considérait ce pays comme sa propriété, vit dans le développement des cultures industrielles : canne à sucre, coton, etc., le moyen de se constituer un trésor inépuisable et, par là, d’entretenir une armée et une flotte invincibles. Pendant que, sous ses ordres, des ingénieurs anglais et surtout français installaient un peu partout des sucreries, des filatures, des tissages, des fabriques de drap et d’autres marchandises dont il se réservait jalousement le monopole, ses intendans encourageaient et au besoin contraignaient les fellahs à semer ou à planter les produits destinés à alimenter ses usines de matières premières. Il serait inexact de prétendre, comme on le fait souvent, que le pacha introduisit en Égypte ces cultures riches et épuisantes. Elles s’y trouvaient déjà lors de l’expédition française, mais seulement à l’état d’exception, là où le voisinage immédiat du Nil ou du canal permettait d’arroser toute l’année, et le mémoire de Girard sur l’agriculture et l’industrie de l’Égypte[5] estime qu’elles y occupaient à peine la douzième partie des meilleures terres. Méhémet Ali se borna à les développer, à les généraliser, à perfectionner les procédés à l’aide desquels elles étaient obtenues, enfin à améliorer leur rendement, en substituant la canne des Antilles à la canne indigène et en faisant semer partout les graines d’un cotonnier découvert en 1821 dans un jardin du Caire par le Français Jumel.

Dans cette intention, il dut transformer le système d’irrigation traditionnel. Avec ce système, nous l’avons vu, le sol ne pouvait normalement être cultivé qu’en automne et la récolte devait être terminée au printemps. Or le coton, planté en avril, ne se cueille qu’en septembre, et la canne à sucre ne peut être coupée qu’au début de l’hiver. Pour tirer un excellent parti de ces plantes, il fallait donc faire le contraire de ce qu’on faisait jusque-là : préserver les terres de l’inondation durant la crue et les arroser abondamment tant que le fleuve est à l’étiage. Ce n’est pas tout : ces terres, les meilleures dont il disposât, le cultivateur se contentait d’autant moins d’en retirer des cultures d’été là où il pouvait le faire, que ces cultures, très épuisantes, ne doivent intervenir qu’une année sur deux ou sur trois. La nécessité de profiter de l’hiver durant ces années intermédiaires, pour semer du fourrage ou des céréales, s’imposait donc à lui.

En tenant compte de toutes ces données, on procéda de la manière suivante. Le Delta était sillonné de canaux qui alimentaient les bassins. Ces canaux furent approfondis jusqu’à ce que leur plafond se trouvât entre un mètre et un mètre cinquante au-dessous des basses eaux ; ils reçurent des biefs, des vannes et autres appareils régulateurs appropriés à leur nouveau rôle qui était de distribuer l’eau toute l’année et, sur ce modèle, on en établit de nouveaux. On réalisa ainsi et seulement en Basse-Egypte, notons-le, une combinaison qui tient à la fois du système de l’inondation et de celui de l’irrigation permanente ou pérenne telle qu’elle fonctionne actuellement. Pendant la crue on inondait tout le Delta, sauf dans les endroits où le coton n’avait pas encore été enlevé (car Méhémet Ali avait surtout songé à cette culture) ; la crue passée, on curait les canaux qui devaient arroser les terres pendant l’étiage. Des machines élévatoires à bras ou à manège, plus rarement des pompes, permettaient d’utiliser l’eau amenée par les canaux à proximité des champs. Le tout, observe M. Linant de Bellefonds, un des ingénieurs qui ont le plus efficacement travaillé à l’œuvre des irrigations, « avec beaucoup de peine et de grandes dépenses. »

Le résultat ne répondit pas à l’effort. Les Orientaux sont généralement enclins à « faire grand, » et, plus que personne, le pacha était possédé de cette manie. Les canaux, établis avec des dimensions démesurées, s’engorgèrent d’autant plus facilement que leur courant, trop large et trop superficiel, était plus faible. Quinze mille corvéables durent chaque année travailler quatre mois à les curer. Au surplus, le plan ne péchait pas seulement par l’exécution, la conception même en était fausse. S’il est facile en effet de dériver l’eau du fleuve lorsqu’il coule à pleins bords, il devient très malaise de le faire la crue finie, alors que le courant, lent et bas, suffit à peine à remplir son lit. Comment résoudre cette difficulté ?

Par un travail colossal et sans précédent : un barrage jeté d’une rive du Nil à l’autre et pouvant refouler l’eau jusqu’à la dernière goutte dans les canaux établis en amont. On devait ainsi élever le niveau du fleuve au point voulu pour arroser en toutes saisons les terres les plus hautes. Cette idée, exprimée par Bonaparte en termes saisissans, donnait la solution du problème de l’irrigation pérenne. Préparée par des travaux du même genre établis sur les principaux canaux, elle fut en partie réalisée, de 1842 à 1863, par Mougel bey, ingénieur français au service du vice-roi. Il ne pouvait y avoir d’hésitation sur la partie du fleuve destinée à servir d’assiette au barrage. Ce devait être le lieu indiqué par Bonaparte, le sommet du Delta, bifurcation des branches de Rosette et de Damiette : « Un travail que l’on entreprendra un jour, avait dit Bonaparte, sera d’établir des digues qui barrent les branches du Nil au Ventre de la Vache, ce qui, moyennant des batardeaux, permettra de laisser passer successivement toutes les eaux du Nil dans l’Est et dans l’Ouest et, dès lors, de doubler l’inondation. » C’est donc là, dans un site verdoyant et fleuri, que fut édifié, sur 130 arches armées de portes, cet ouvrage long de près de deux kilomètres qui commande cinq grands canaux sans compter les deux bras du Nil. Pressée par l’impatience de Méhémet Ali, l’exécution en avait été sommaire et incomplète ; aussi le résultat fut-il presque dérisoire : un relèvement utile maximum de cinquante centimètres seulement au lieu des quatre mètres cinquante en vue desquels le barrage avait été conçu ! Mais les piles, hâtivement placées sur un fond instable, ne pouvaient supporter une pression plus forte.

Telles étaient les grandes lignes du plan des irrigations. En 1882, au moment où le contrôle anglais fut établi en Égypte, ce service fonctionnait, somme toute, mal, et cela en raison même des perfectionnemens qu’y avaient introduits les khédives. Le système de l’inondation présente un double avantage : grande simplicité d’application et d’entretien, conservation indéfinie de la fertilité du sol. Resté en vigueur dans la moitié du pays, il avait été remplacé en Basse-Égypte par le système plus savant et partant plus compliqué, de l’irrigation pérenne qui absorbait presque entièrement l’attention et les ressources du gouvernement. Le ministère des Travaux publics, préoccupé de développer la culture riche et intensive du coton, avait négligé l’entretien des bassins sans que le double réseau de canaux et de drains, grâce auquel s’accomplit l’irrigation estivale, y gagnât beaucoup. D’une part, les canaux d’arrosage étaient mal disposés, mal réparés, mal nettoyés, mal défendus contre les rigoles et les pompes des riverains ; leurs vannes, là où il en existait, fonctionnaient de travers ; d’autre part, les canaux de drainage, dont l’utilité ne se fait sentir qu’à la longue, étaient abandonnés, parfois même transformés en canaux d’arrosage. Des régions entières furent converties ainsi en marécages, d’autres, saturées de sel, devinrent incultes. Les causes de cet insuccès d’un système ingénieusement conçu sont très bien mises en relief dans le livre écrit sur l’œuvre des Anglais en Égypte par lord Milner, ancien sous-secrétaire d’Etat au ministère khédivial des Finances. « L’exécution de ce système était trop difficile, étant donnée la situation des hommes chargés de l’appliquer... Méhémet Ali avait confié cette mission à des ingénieurs français fort distingués. Conseillers savans et habiles, mais simples conseillers, ils ne pouvaient surveiller le travail de leurs agens disséminés dans les provinces ni s’opposer à ce que ceux-ci faisaient contre leurs instructions à l’instigation des influences locales ou sur l’ordre de moudirs (préfets) ignorans[6]. »


IV

Sur ces entrefaites, des ingénieurs anglais, formés par un séjour dans les parties de l’Indoustan que le climat et l’agriculture rapprochent beaucoup de l’Égypte, assumèrent la direction effective du ministère des Travaux publics, et l’irrigation égyptienne entra dans une phase nouvelle. Ils travaillèrent tout d’abord à réparer et à corriger l’état de choses existant, se réservant d’innover et de créer au moment opportun. Seul un technicien écrivant pour des techniciens pourrait décrire ce labeur patient et sagace. Bornons-nous à résumer cette première phase en quelques lignes.

A deux reprises les assises du barrage furent renforcées ou refaites ; pourvu de vannes et d’écluses, il retient maintenant cinq mètres à l’étiage. Enrichi de nouvelles et importantes unités, le double appareil des canaux d’arrosage et des canaux de drainage fonctionne désormais régulièrement et efficacement, il permet d’irriguer toute l’année les terres soumises à l’irrigation pérenne. Enfin, une fois le système inauguré par Méhémet Ali rendu efficace et complété, l’antique procédé des bassins fut à son tour remis en état et perfectionné.

Plus naturel et plus simple que le nouveau, ce mode d’irrigation laissait alors moins que lui à désirer. Les ingénieurs anglo-égyptiens, dont l’attention était absorbée par les travaux d’irrigation pérenne du Delta, le considéraient comme provisoire et destiné à être, tôt ou tard, remplacé ; mais la mauvaise crue de 1888 qui laissa en Haute-Égypte 110 000 hectares sans eau et entraîna 300 000 livres égyptiennes[7] de perte pour le Trésor, leur rappela que les bassins qui occupaient une surface encore si considérable ne pouvaient être impunément négligés. Le colonel Ross, alors chef du service, entreprit donc immédiatement leur aménagement sur un plan rationnel.

En poursuivant, avec un grand esprit de suite et beaucoup de patience, cette œuvre technique, les ingénieurs anglo-égyptiens ne perdaient pas de vue l’organisation administrative de leur service. Depuis plusieurs années, grâce aux dispositions législatives ou réglementaires qu’ils inspirèrent, grâce surtout à la manière dont ces mesures furent appliquées, une administration active, éclairée, prévoyante, économe tire le meilleur parti possible du fleuve, dont elle distribue les eaux suivant des règles générales et équitables.

La fonction des agens du département de l’irrigation est difficile autant que laborieuse. Le système de travaux qu’ils administrent est encore incomplet et perfectible, ils ont à l’améliorer, à le développer et même à le transformer, ils ont surtout à l’entretenir et à le réparer. Aux causes générales qui, dans tous les pays, contribuent à la détérioration des travaux de voirie, des causes particulières s’ajoutent en Égypte. Très sèche et très friable, la terre battue dont se composent les digues se désagrège et se fend facilement. Le limon que charrie le courant se dépose dans les canaux qu’il faut curer souvent pour qu’ils ne s’engorgent pas. L’eau, imparfaitement drainée, sature les bas-fonds ; ailleurs elle s’évapore au soleil, laissant derrière elle des érosions salines d’autant plus stérilisantes qu’elles ne sont jamais lavées par la pluie. Enfin la crue, qui monte très vite de juin à juillet, impose chaque année, non seulement des travaux temporaires destinés à défendre les digues et à protéger les terres riveraines, mais une surveillance minutieuse et constante à laquelle la population est tenue par voie de corvée, sans que, lors des fortes crues, puisse toujours être évitée l’inondation qui entraîne champs et villages.

Plus délicate et plus périlleuse encore que cette partie technique, la distribution des eaux, leur ménagement et leur mise en réserve, la part plus ou moins grande à laquelle peut prétendre sur elle l’initiative des populations, exigent une honnêteté, une fermeté, un jugement et un tact qu’on imaginerait difficilement. Longtemps le pouvoir de l’administration fut, non seulement absolu, mais arbitraire ; aucune règle écrite n’en précisait les applications et n’assurait de recours aux particuliers contre les abus qui pouvaient être commis à leur préjudice.

De cette omnipotence discrétionnaire M. Barois donne deux raisons plausibles qu’il tire : la première de la condition juridique du sol dont, jusqu’à une époque récente, la propriété, au moins théorique, appartenait presque entièrement à l’Etat ; la seconde du système d’irrigation par inondation dans lequel toute la région renfermée dans les digues d’une chaîne de bassins est irriguée puis asséchée d’un seul coup, sans que l’initiative individuelle ait à intervenir, les particuliers n’agissant guère que pour satisfaire aux corvées et payer l’impôt.

Aujourd’hui la propriété privée du sol a été établie, par une série de décrets, sur toutes les terres sans distinction. D’autre part l’introduction en Égypte de l’irrigation pérenne a donné au travail des propriétaires agissant isolément une valeur et une efficacité telles qu’il a fallu le limiter et le réglementer législativement. Divers décrets promulgués depuis 1880[8] déterminent les canaux et les drains qui appartiennent au domaine public, les travaux publics qui sont à la charge de l’Etat et ceux qui restent aux soins des particuliers, les sacrifices susceptibles d’être imposés aux propriétaires dans un intérêt général et les indemnités qui peuvent en résulter à leur profit, les cas dans lesquels la corvée peut être exigée des fellahs suivant certaines règles nettement précisées, les conditions d’établissement et d’emploi des pompes et machines élévatoires possédées par des particuliers, etc.

Nonobstant ces dispositions édictées pour protéger l’individu contre le bon plaisir de l’administration, celle-ci a gardé un pouvoir discrétionnaire très considérable qu’elle exerce suivant les besoins du moment et les exigences de l’intérêt général. Ce pouvoir va jusqu’à interdire aux propriétaires, lorsque la crue est trop faible, d’irriguer certaines terres au moyen de machines élévatoires ou de semer le maïs et le riz avant une certaine époque, afin de ne rien distraire de l’eau nécessaire au coton, culture vitale grâce à laquelle l’Egypte paye les intérêts de sa dette publique et balance ses importations ; il se manifeste encore par la mesure prise chaque année depuis 1886 et connue sous le nom de rotations. Dans le système de l’irrigation pérenne, l’eau n’est pas strictement mesurée à chaque champ, mais amenée à proximité, de façon que les riverains puissent la dériver par une rigole et l’élever par des machines. Une telle liberté, exercée lorsque l’eau disponible est insuffisante en permettrait l’accaparement par les propriétaires placés à l’ouverture du canal : aussi les ingénieurs chargés de l’irrigation divisent le canal en sections et permettent ou interdisent alternativement, par des arrêtés fréquemment renouvelés, l’usage de chacune d’elles durant une période de tant de jours (généralement une semaine d’arrosage contre deux de chômage), sans préjudice de courts chômages imposés à tous les riverains du canal.


V

Sur les splendides résultats financiers de l’occupation anglaise, il ne saurait y avoir de discussion. Tout le monde sait que le principal agent de cette régénération fiscale est le service des irrigations. Peut-être ne se rend-on généralement pas un compte très exact de la manière dont ce service alimente le trésor khédivial. L’impôt foncier de la propriété non bâtie représente en effet le 40 pour 100 des revenus fiscaux[9]. Or, sont sujettes à l’impôt les seules terres qui ont bénéficié de l’irrigation dans le cours de l’année. Les autres terres, dites charaki, ne doivent aucune contribution. Rendre productif un champ grâce à l’eau du Nil, c’est donc augmenter immédiatement le produit de l’impôt foncier[10]. Les sommes consacrées aux irrigations par le ministère des Travaux publics constituent ainsi un placement, non seulement très productif, mais dont la rémunération ne se fait pas attendre. C’est ainsi que la crue de 1877, la plus basse depuis le commencement du siècle, laissa plus de 400 000 hectares improductifs et fit perdre au Trésor plus de 1 100 000 livres. Au moins aussi mauvaise, celle de 1899 laissa seulement 110 000 hectares sans eau et 37 000 pourvus d’un arrosage insuffisant[11].

Dès que le supplément de ressources obtenu par leurs efforts parut non seulement durable, mais susceptible d’un accroissement continu, les ingénieurs anglo-égyptiens songèrent à en consacrer une partie à des travaux qui seraient leur œuvre propre, en vue d’étendre la sphère d’application de l’irrigation pérenne et de parer à l’insuffisance des crues.

De grands desseins avaient été formés déjà anciennement. La conquête du Soudan en inspira d’autres, encore plus vastes, que, sagement, on ajourna pour des temps meilleurs. On se borna à la réalisation d’un projet dont le plan était, depuis longtemps déjà, à l’étude : le barrage réservoir d’Assouan. Les deux besoins qu’on se proposait ainsi de satisfaire étaient les suivans : parer à l’insuffisance des crues trop faibles qui ne permettent pas d’amener l’eau jusqu’à certaines terres, étendre à la Haute-Egypte le système de l’irrigation pérenne dont bénéficie depuis longtemps déjà le Delta. Nous avons vu par quel procédé Mougel-bey rendit possible la transformation de l’agriculture de cette région : élever le niveau du fleuve en barrant son cours et atteindre ainsi, au moyen des canaux, les terres les plus hautes lorsque le Nil est à l’étiage, c’est-à-dire au moment où il est nécessaire d’arroser le coton. Cette conception grandiose a résolu, une fois pour toutes, le problème des irrigations. Reprise ces derniers temps, réalisée de nouveau en 1892, avec un succès remarquable, elle va probablement, dans un délai plus ou moins long, prendre de nouvelles formes qui permettront à l’Egypte et au Soudan égyptien de retirer du Nil tout ce qu’il peut leur donner. Cette idée a pour succédané celle d’un réservoir établi, non plus dans le lit même du fleuve, mais dans la vallée parallèle et relié au Nil par des travaux d’art, sur le modèle du fameux lac Mœris. L’imagination des ingénieurs lui a donné des formes très diverses, au cours de ces dernières années. Plusieurs emplacemens furent proposés. En 1890, sir W. Willcoks, l’éminent ingénieur, qui dirigea longtemps le service des irrigations, fut chargé de faire sur la question un rapport définitif. Il n’examina pas moins de dix projets et donna la préférence à celui d’entre eux qui tirait parti de la cataracte d’Assouan. Soumis en 1894 à une commission internationale, ce projet fut approuvé par elle, puis exécuté en quatre années par une maison anglaise, au moyen de capitaux fournis par des banquiers britanniques et remboursables par le gouvernement khédivial en soixante semestrialités de 78 613 livres égyptiennes. Cet ouvrage fut inauguré le 10 décembre 1902. Qu’on se représente, au sommet de la cataracte, un lac parsemé d’îlots, les uns rocheux, les autres verdoyans, au milieu desquels se détache en pleine lumière la fine silhouette du temple de Philœ, maintenant à demi submergé. Les falaises circulaires de deux montagnes surplombent le miroir liquide aux reflets changeans, semblent se rejoindre dans le fond vers le Sud et n’ouvrent au fleuve, de l’autre côté, en aval, qu’un chenal assez étroit, tout embalisé de gros rochers granitiques. Sur ces assises naturelles on a jeté les cent onze arches, armées de vannes en acier derrière lesquelles l’eau peut monter à une hauteur de 20 mètres, d’un pont rectiligne, continué par un mur plein. Ce barrage, long de 1 966 mètres qui ferme la vallée et la transforme en un réservoir de plus d’un milliard de mètres cubes, est percé de 180 ouvertures destinées au passage de l’eau et qui en permettent l’écoulement. A son extrémité gauche, un canal de navigation a été creusé dans le roc.

Tant que le Nil charrie du limon, toutes les portes restent ouvertes. Aussitôt que le courant commence à devenir clair, ce qui se produit en octobre ou en novembre, suivant les années, on ferme graduellement les portes. Le relèvement du niveau du fleuve se fait sentir jusqu’à 160 kilomètres en amont. La provision d’eau ainsi recueillie a permis d’entreprendre aussitôt l’application de l’irrigation permanente à 190 000 hectares de terres à bassins.

Achevé presque en même temps que celui d’Assouan sur un plan bien plus restreint et destiné à élever le fleuve à la prise du grand canal Ibrahimieh, le barrage d’Assiout a, lui aussi, la forme d’un pont. Entre ses arches sont des vannes grâce auxquelles on règle le débit de ce canal qui irrigue la Moyenne-Egypte et le Fayoum. La même année 1902 vit encore l’inauguration du barrage de Zifta établi sur la branche de Damiette pour compléter l’œuvre de celui du Delta de façon à retenir quatre mètres d’eau au-dessus du niveau le plus bas du fleuve.

Avant même que ces travaux fussent terminés, leurs auteurs songeaient déjà à l’agrandissement du plus important d’entre eux et d’autres ouvrages plus vastes encore, plus hardis surtout, prenaient forme et hantaient leur imagination.


VI

En préconisant le projet d’un réservoir à la crête de la cataracte d’Assouan, sir W. Willcocks proposait de lui donner 28 mètres de retenue et une capacité de 2 700 millions de mètres cubes. Une des raisons qui firent réduire ces mesures à 20 mètres de hauteur et à un milliard de mètres cubes fut le souci de préserver d’une submersion complète le temple de Philœ. Quand on apprit que l’eau du réservoir d’Assouan ne pouvait servir qu’en faible partie à la fécondation des terres incultes mais allait être employée à l’amélioration des cultures existantes, il n’y eut qu’un cri dans le pays : Agrandissons le réservoir et plaçons le barrage à la hauteur prévue au projet de M. Willcocks ! Ce dernier apporta aux intéressés l’appui de sa grande autorité. Avant de rien entreprendre, le gouvernement consulta le savant ingénieur sir B. Baker, principal membre de la Commission internationale à laquelle avait été soumis le projet du réservoir. Sir B. Baker émit des doutes sur la solidité du barrage ainsi surélevé ; il conseilla d’attendre et d’observer. Le ministère des Travaux publics s’appropria d’autant plus facilement cet avis que sir W. Garstin, conseiller de ce département, rattache l’agrandissement du réservoir à une série d’autres œuvres qui devraient être exécutées dans le Soudan et dans la région des lacs équatoriaux, mais seulement après de longues études. Cette décision eut pour corollaire la suspension de la vente des terres incultes de l’Etat ; elle causa une vive émotion et souleva d’ardentes protestations. Le principal emploi des capitaux, indigènes ou européens, placés en Égypte, est en effet le défrichement, le dessèchement ou l’amendement, par l’irrigation, le drainage ou le colmatage, des terres incultes ou mauvaises et leur revente aux fellahs après lotissement. Bien des intérêts se trouvaient lésés et de plus grands espoirs déçus. Une compensation ne pouvait-elle pas être apportée par quelque autre projet immédiatement réalisable ?

Un rapport des plus intéressans du conseiller aux Travaux publics a répondu tout récemment à cette question[12]. Sir W. Garstin a passé une grande partie de 1904 à étudier l’hydrographie du Soudan. En livrant au public le résultat de ses observations, il examine les moyens d’assurer à l’Égypte, par de grands travaux, une irrigation plus régulière et plus abondante. Il écarte ou tout au moins ajourne assez sommairement un projet déjà ancien, celui d’un réservoir à créer dans le Wadi Rayan, dépression naturelle creusée en forme d’entonnoir au Sud du Fayoum et qui permettrait, en emmagasinant une quantité de trois milliards de mètres, de compléter l’effet du réservoir d’Assouan surélevé de six mètres ; il ajourne également l’examen d’un projet de « réservoirs d’une capacité totale de 4 millions de mètres cubes échelonnés entre la seconde et la sixième cataracte... à l’époque où le relevé de cette partie de la vallée du Nil aura été achevé et le débit du fleuve pendant l’hiver grandement accru. »

En revanche, il préconise deux idées : construire un nouveau barrage en aval de celui d’Assouan à Esneh en Haute-Égypte ; creuser, élargir et régulariser les deux branches de Damiette et de Rosette dont le débit ne suffit pas actuellement à évacuer l’eau du Nil assez rapidement pour que, dans le cas d’une forte crue, le Delta soit à l’abri des inondations. Et il est à noter que le dernier rapport de lord Gromer annonce la mise en train immédiate de ces projets[13]. Mais la partie la plus importante de son œuvre est l’exposé de ses études sur l’utilisation des eaux de l’Abyssinie et du Soudan.

C’est de ces deux pays que l’Égypte reçoit l’eau et, partant, la vie. Etant donnés les progrès accomplis par les sciences techniques dont disposent de nos jours les ingénieurs, on peut dire sans exagération que le maître de l’une de ces deux régions pourrait, sinon stériliser toute la vallée du Nil, ainsi qu’on l’a soutenu, du moins en diminuer sérieusement la productivité. Cette considération a été la raison décisive qui a triomphé des argumens de ceux qui s’opposaient à la dernière expédition du Soudan. Inversement, en facilitant le cours du Haut-Nil, de ses branches et de ses affluens, en dégageant le déversoir des grands lacs dont il reçoit le trop-plein, on peut enrichir à la fois et le Soudan et l’Egypte.

Dans ce dessein sir W. Garstin développe son plan. Il n’envisage rien moins que l’aménagement du Nil Bleu au profit de l’irrigation du Soudan et celui du Nil Blanc, de ses affluens et de ses dépendances en vue d’alimenter abondamment le Nil égyptien une fois la crue unie, le Nil Bleu étant, durant cette période, réservé pour l’irrigation des contrées riveraines. D’une part, sir W. Garstin, après avoir indiqué en passant les avantages que retireraient l’Egypte et le nord du Soudan de barrages qui transformeraient le lac Tsana en un grand réservoir, insiste sur l’établissement d’un ouvrage de ce genre en dehors du territoire abyssin. D’autre part, il propose d’accroître la décharge des grands lacs par l’établissement de régulateurs aux chutes Ripon sur le lac Victoria, et à quelques kilomètres en aval du lac Albert, sur le Bahr-el-Gebel. Un tel projet ne saurait être utile que si ce fleuve cessait de perdre dans les marais une grande partie de ses eaux. Car la raison pour laquelle le Nil Blanc et ses tributaires exercent sur la crue une action insignifiante, c’est que leurs eaux sont arrêtées au passage par d’immenses marais. Dégager celles-ci en les endiguant ou en les canalisant serait permettre à l’Egypte d’en tirer abondamment parti toute l’année et plus particulièrement à l’époque de la crue. On en maintiendrait le courant, ainsi que celui du Bahr-el-Zaraf, soit par l’endiguement ou la surélévation des rives du fleuve, soit, ce qui serait plus efficace, en coupant la boucle qu’il forme de Bor à son confluent avec le Sobat, au moyen d’un canal rectiligne, long de 210 kilomètres et muni de régulateurs aux deux extrémités. D’après ce dernier plan, qui semble avoir le plus de chances d’être adopté, le premier régulateur du canal serait ouvert et le second fermé pendant la période d’étiage de façon que les eaux du Haut-Nil se déversent dans le canal pour alimenter le Nil Blanc et le Nil égyptien. L’opération inverse aurait lieu pendant la crue, et les eaux, inutiles, souvent dangereuses en ce moment, seraient ainsi refoulées dans les marais voisins. L’œuvre se compléterait par l’extraction des végétations marécageuses, les sadds, qui obstruent le Haut-Nil.


VII

Inutile d’ajouter que cette œuvre gigantesque, dont l’achèvement nécessiterait une dépense de 21 400 000 livres égyptiennes[14], n’est pas près d’être accomplie. Sir W. Garstin, après en avoir dressé le devis, ajoute que « le temps n’est pas encore venu d’exécuter la majeure partie d’un aussi vaste programme, » et que, même si l’on disposait de l’argent nécessaire, « une période de dix à quinze ans suffirait à peine, en supposant les circonstances les plus favorables[15]. » Il indique toutefois, par ordre d’importance, les projets suivans « comme plus urgens et susceptibles d’être poursuivis dans une période relativement courte... : » la surélévation du barrage d’Assouan, le remaniement des branches de Rosette et de Damiette, celui du Bahr-el-Gebel, l’élévation des canaux de la Basse et de la Haute-Egypte, un barrage sur le Nil entre Assiout et Keneh, un second sur le Nil Bleu et quelques autres travaux de moindre importance

Dans dix ans, la conversion de la dette égyptienne aura, si elle est alors pratiquement réalisable, fait bénéficier le Trésor khédivial de disponibilités qui permettront de mener à bonne fin au moins une partie de tout cela. En attendant, une expérience déjà suffisamment prolongée instruira l’Egypte sur les résultats de son nouveau système d’irrigation. Ce système et le régime qu’il impose à l’agriculture ont enrichi l’Egypte, cela est certain. Si le pays retirait normalement de sa terre, comme il le faisait, il y a trois quarts de siècle, une seule récolte de blé, de légumes ou de fourrage, il ne pourrait pas acquitter les arrérages de ses emprunts ni même importer, en échange de son coton, les produits manufacturés dont sa population ne saurait désormais se passer.

Reste à savoir si ces brillans résultats sont durables. Le fellah n’épuise-t-il pas le sol dont il tire des fruits si riches et si abondans ? Ne vit-il pas sur son capital, aux dépens de ses enfans ou de ses petits-enfans ? Des esprits sagaces et avertis l’ont soutenu et leurs démonstrations méritent d’être examinées.

Une remarque qui peut être faite par quiconque étudie avec quelque attention le procédé de l’irrigation permanente c’est qu’avec lui le Nil ne dépose plus son limon sur le sol. Pendant la crue, l’eau du fleuve contient par litre 0,015 de matières en suspension. M. Barois a calculé que, sous le régime des bassins, chaque hectare reçoit un dépôt de 13 tonnes. La crue finie, le courant ne contient presque plus de limon. Or c’est à ce moment-là qu’on le dérive sur les champs comptantes de coton ou de cannes, au moyen de canaux dont les parois retiennent la petite quantité de limon que peut encore charrier le liquide. L’arrosage est complété grâce à l’eau des puits qui est parfaitement claire. Même durant la crue, l’eau, déversée sur une surface qui s’étend chaque année, ne séjourne pas : elle est évacuée avant de s’être dépouillée de son limon.

La terre n’est donc plus fécondée, et pourtant ses maîtres lui demandent d’être beaucoup plus féconde que jadis. Les cultures s’y succèdent sans interruption et, parmi elles, les deux principales qui se développent de plus en plus, le coton et la canne, sont épuisantes au plus haut point. M. Jean Brunhes trace un tableau très noir du « surmenage » des bonnes terres du Delta : « Voici quelques épisodes de l’exploitation triennale : le trèfle d’Egypte ou bersim est, dans beaucoup d’endroits, coupé ou plus exactement « brouté » au moins huit ou dix fois en cinq mois ; car, durant tout ce temps... tous les animaux vivent aux champs sur le bersim même ; attachés à des pieux, ils broutent jusqu’au ras du sol, toute l’herbe… qu’ils peuvent atteindre... Après plusieurs semaines de ce régime, on obtient encore une dernière coupe de bersim qui est destinée à être séchée... Or le bersim a déjà été précédé par le blé ou par l’orge récoltés en mai avant la crue, puis par le maïs semé en juin et récolté à la fin d’octobre. Quand cette terre a produit deux récoltes de céréales, puis dix coupes de bersim, croit-on qu’on soit satisfait ?... Comme il reste encore quelques brins d’herbe, le propriétaire loue son champ à des bédouins qui arrivent avec leurs moutons[16]. » Donnant sans cesse, ne recevant jamais rien, par quel miracle le sol ne se ruinerait-il pas ?

L’épuisement par surmenage n’est pas le seul agent de stérilité dont l’Egypte, soit menacée. Les effets de la saturation de ses terres par le sel sont tout aussi redoutables. « L’eau de la crue, continue M. Brunhes, est distribuée sur une beaucoup plus grande étendue grâce à tout un réseau de canaux, grâce aussi à des travaux d’art anciens et nouveaux qui mettent en réserve une partie du flot annuel ; il en résulte qu’on a étendu démesurément la zone que peut arroser, avec un réel profit pour la terre, l’eau du fleuve... Cette eau ne doit pas servir seulement... à arroser les terres en vue de la culture, mais encore à les arroser en vue du dessalage, ce qui exige une proportion d’eau beaucoup plus grande par unité de surface[17]. » Les terres ne se dessalent donc pas suffisamment, faute de l’eau nécessaire et, peu à peu, elles se stérilisent.

Ces observations contiennent une certaine part de vérité : il est vrai que les ingénieurs, choisis dans les Indes, après l’occupation britannique par le gouvernement khédivial, pour reprendre et perfectionner l’œuvre des irrigations, ne tinrent pas, au début, un compte suffisant des différences qui séparent l’Egypte du pays où ils avaient acquis leur expérience : faible pente des rives du Nil, défaut presque complet de pluie dans cette région. Aussi, durant quelque temps, les erreurs anciennes se maintinrent ; les drains déjà existans furent quelque peu négligés, et les drains dont le besoin se faisait sentir furent établis trop parcimonieusement. Il est encore vrai que bien des fellahs, déconcertés par le nouvel état de choses, ont fatigué leurs terres par des cultures épuisantes trop rapprochées. Mais, depuis lors, ces erreurs, dont il faut se garder d’exagérer la portée, ont été réparées. Si, jusqu’en 1885, le service des irrigations ne s’occupa pour ainsi dire pas de drainage, il a creusé depuis cette époque jusqu’en 1901, 4 500 kilomètres de drains, améliorant ainsi les terres cultivées, gagnant dans le Delta près de 250 000 hectares improductifs. En outre, le dessalage des terres a fait d’énormes progrès ces dernières années.

Les terres reçoivent actuellement beaucoup moins de limon qu’autrefois, le fait est exact. Avant d’en tirer un raisonnement, on agirait sagement en recherchant quelle est au juste l’action de ce limon, ce qu’il est difficile de dire. Un petit livre substantiel de M. Ch. Pensa le décrit comme éminemment argileux, riche en oxyde de fer et pauvre en phosphate. Le même auteur observe que le Rhône et le Danube transportent deux fois, et le Mississipi six fois plus de limon que le Nil et il en conclut que ce n’est pas tant la quantité que la qualité du limon nilotique qui donne à l’Egypte sa fécondité. M. Barois, au contraire, refuse presque toute action fécondante au limon. D’après lui, l’eau, entrée dans les crevasses qui séparent les mottes, « exerce par elle-même, indépendamment des matières qu’elle tient en suspension, une action spéciale fertilisante » et « en décomposant l’air très divisé qu’elle emprisonne dans ces minces fissures, elle rend de nouvelles forces à la terre épuisée par les moissons précédentes[18]. »

Sans prendre parti dans ce débat technique, on peut dire que le sol a partout la profondeur suffisante pour permettre la culture intensive actuellement pratiquée sur la plus grande partie du territoire égyptien, pourvu toutefois qu’un bon assolement soit bien établi. Il faut déplorer sans doute que l’emploi des engrais, condition ailleurs nécessaire, ici tout au moins utile, de la culture intensive, reste si exceptionnel. Néanmoins une expérience acquise dans le Delta par près d’un siècle de culture cotonnière, semble bien démontrer que, même en l’absence de ce succédané du limon, l’organisation actuelle est, somme toute, satisfaisante.


VIII

Ce n’est pas à dire que le régime actuel des irrigations et des cultures de l’Egypte soit la perfection, ni que ce pays ne puisse plus en accroître le rendement. Bien des améliorations y pourraient être introduites par l’administration dont le zèle ne saurait être trop loué, mais dont les ressources sont limitées, et surtout par les particuliers. Avec le système de l’irrigation pérenne, quand les agens du ministère des Travaux publics ont rempli leur tâche, qui consiste à conduire l’eau à proximité des terres, les propriétaires de celles-ci ont encore tout à faire, car ce procédé, en apportant de nouvelles richesses à l’agriculteur égyptien, lui a imposé, comme condition, de nouvelles et plus lourdes obligations. C’est lui qui doit élever, parfois jusqu’à cinq mètres de hauteur, l’eau du fleuve ou du canal à ses champs, après avoir disposé leur surface de manière à permettre au liquide de l’arroser tout entière et de s’écouler en temps voulu. Les instrumens en usage pour cela vont du simple seau de toile et de branchages jusqu’aux pompes les plus perfectionnées. A chaque pas, un chadouf ou une sakieh anime la monotonie plantureuse et plate de la plaine égyptienne. Le premier de ces appareils se compose de deux poteaux reliés par une traverse sur laquelle bascule une longue perche dont une extrémité retient par une corde un seau de cuir, tandis que l’autre, grossie d’une lourde motte durcie, sert de contrepoids et permet de relever le seau sans grand effort. La sakieh est une roue en bois, munie d’un chapelet de pots en terre et mue par un buffle, au moyen d’un système d’engrenage plus ou moins perfectionné. Il va sans dire que la moindre pompe donne un résultat infiniment supérieur et, partant, plus économique. D’après les calculs de l’administration des Domaines de l’Etat, l’arrosage d’un hectare de coton par ce dernier procédé lui, revient à 3 fr. 56. Sir W. Willcocks estime que cette opération, ainsi exécutée, coûte 5 francs au fellah, naturellement moins habile que les agens de cette administration, et surtout pourvu d’une pompe moins bonne. Enfin, en évaluant à 75 centimes la journée d’un ouvrier rural, l’arrosage de ce même hectare de coton représenterait, avec un chadouf, 35 francs et, avec une sakieh, 20 francs !

Ne serait-il pas possible de mettre les pompes à la portée des petits cultivateurs par une combinaison analogue à celle grâce à laquelle les plus pauvres fermiers français usent de batteuses ou d’alambics à vapeur ?

Une des raisons qui s’opposent à la réalisation de ce vœu est d’ordre administratif. L’établissement des chadoufs est libre, celui des sakiehs et autres roues mues par des animaux doit être autorisé par le moudir (préfet), celui d’une pompe ne peut être autorisé que par le ministère des Travaux publics, moyennant payement d’un droit fixe d’une livre, plus d’un droit d’une demi-livre par cheval-vapeur. Pour délivrer ces licences on tient compte de la superficie des terrains à irriguer, et c’est sur cette superficie que le calibre de la pompe est mesuré. Vient-elle à diminuer, ce calibre doit être réduit proportionnellement. Un tel système offre l’inconvénient de favoriser la grande propriété, et cela d’autant plus qu’il se combine avec celui des rotations dont il a été parlé plus haut. L’autorisation d’établir une pompe est rarement accordée aux petits propriétaires. D’autre part, un grand domaine qui confine à plusieurs canaux publics, est assuré de ne jamais manquer d’eau, car ces canaux ne sont jamais fermés simultanément à l’époque des rotations. Plus heureux que ses voisins, le grand propriétaire peut donc toujours subvenir aux besoins d’arrosage les plus pressans.

Et pourtant les grands domaines disparaissent les uns après les autres, morcelés en menues parcelles que les fellahs se disputent à l’envi. Une bonne partie des sociétés égyptiennes par actions ont été fondées en vue de poursuivre ce genre d’opération dont le gouvernement lui-même donne l’exemple, et l’activité qu’elles mettent à réaliser leur objet, permet presque d’entrevoir le moment où un domaine de quelques centaines d’hectares sera une curiosité en Égypte. Heureuse transformation, mais qui, étant donné ce qui précède, complique singulièrement le problème de l’irrigation ! Le propriétaire d’une petite parcelle est incapable d’acheter une pompe ; le pourrait-il même, qu’on ne saurait l’autoriser à en user pour lui seul, car ce serait organiser le gaspillage du précieux liquide et en rendre l’évacuation presque impossible.

La disparition de la grande propriété va-t-elle donc être celle des procédés perfectionnés et le retour aux moyens primitifs d’arrosage ?

L’association et la coopération résoudront sans doute cette contradiction. C’est ce que les cultivateurs égyptiens ont déjà compris. Souvent plusieurs d’entre eux s’entendent pour acheter une pompe et pour l’exploiter en commun. Plus fréquemment encore, un riche propriétaire loue à ses voisins l’usage de sa pompe, ce qui lui confère sur eux un grand ascendant. Cet exemple a été suivi par des sociétés dont l’objet unique ou principal est la fourniture de l’eau d’arrosage, et le gouvernement se rend si bien compte de l’utilité de cette combinaison, qu’il permet à ces sociétés de faire servir à leurs distributions les canaux publics dont l’entretien est à sa charge. Il y a là comme une délégation faite par l’État égyptien d’un pouvoir qu’il exerce de temps immémorial. Chacun y trouve son avantage. Les agens du ministère contrôlent bien plus facilement les engins d’une compagnie d’irrigation que ceux des petits cultivateurs, et ces derniers préfèrent traiter avec une entreprise privée intéressée à satisfaire et à ménager ses cliens, qu’avec une administration publique plus autoritaire et plus formaliste.

Les habiles techniciens qui dirigent ces riches sociétés sont plus à même que n’importe quel propriétaire d’appliquer à l’arrosage les récentes découvertes, par exemple les moteurs à pétrole qui leur permettraient de réaliser une sérieuse économie, car le charbon coûte cher en Égypte, ou l’électricité que fourniraient soit les canaux à pente rapide du Fayoum, soit, pour la Haute-Égypte, les chutes de la première cataracte, régularisée par le barrage d’Assouan.

Un tel arrangement marque peut-être le début d’une transformation du rôle respectif de l’État et de l’individu dans l’œuvre vitale de l’irrigation. Depuis que l’Égypte existe et jusqu’aux premières années du XIXe siècle, cette œuvre était, à peu de chose près, entièrement celle de l’Etat qui pourvoyait presque seul à la dérivation de l’eau, k sa restitution au fleuve et à l’inondation des terres. L’irrigation pérenne a contraint à l’initiative et à l’effort personnel le fellah, jusqu’alors tout passif, sous la dépendance complète de la volonté de ses administrateurs. Actuellement enfin, des personnes morales privées entreprennent de décharger le service des irrigations de quelques-unes de ses fonctions. N’est-il pas permis de prévoir mieux encore : l’institution de vastes associations syndicales qui exécuteraient, au profit de leurs membres, le travail poursuivi par les compagnies financières en question ? L’augmentation constante du nombre des petits et des moyens propriétaires ruraux, l’accroissement continuel de leur prospérité matérielle, les remarquables progrès intellectuels et moraux réalisés par eux, leur docilité, leur sociabilité, leur esprit de corps et de discipline que n’ont pas diminués les conditions nouvelles de leur existence, tout, sans parler des dispositions bienveillantes du gouvernement égyptien, permet de considérer comme réalisable l’organisation que nous souhaitons.


PIERRE ARMINJON et BERNARD MICHEL.

  1. M. Barois, auteur d’un remarquable ouvrage sur les Irrigations en Égypte, a calculé que le Nil charrie au total, en une année moyenne, 94 milliards de mètres cubes dont 60 durant les mois d’août, de septembre et d’octobre. Mais ces calculs ne peuvent être qu’approximatifs, car le débit du Nil varie non seulement de saison en saison, mais d’année en année.
  2. Discours sur l’histoire universelle, III, 3. L’opinion exprimée par Bossuet est très ancienne, Hérodote, II, XXII, la réfute vivement. Elle est pourtant conforme aux dernières observations. « Concluons, dit sir W. Garstin, conseiller aux Travaux publics en Égypte (Report upon the Basin of the Upper Nile, 1904, p. 171) que le Nil blanc ne contribue pratiquement en rien à la crue. Celle-ci dérive entièrement du Nil bleu et de l’Atbara. D’autre part, l’eau qui passe à Assouan au printemps et au début de l’été est due presque entièrement aux grands lacs déchargés par le Nil blanc. » Cf. Some problems of the Upper Nile ; Nineteenth century Review and after p. 345.
  3. Histoire, II, XCVII.
  4. Mémoire sur la vallée du Nil et le miayaz de Rodah, t. XVIII, édit. de 1824, p. 583. Ibid., XVII, p. 141.
  5. Description de l’Égypte, t. XVII.
  6. England in Egypt, p. 285-286.
  7. La livre égyptienne vaut 25 fr. 92.
  8. Décrets des 25 janvier 1881, 12 avril 1890, 22 février 1894, 29 juin 1899, etc.
  9. Exactement 4 743 330 livres égyptiennes (y compris la dîme des dattiers), sur un total de recettes de 12 255 000 dans l’état des prévisions de 1905.
  10. Ajoutons que, depuis le décret du 10 mai 1899, art. VI, les terres de Haute-Egypte jusqu’à présent irriguées par bassins payent, dès qu’elles bénéficient de l’irrigation pérenne, une surtaxe de 30 ou de Su piastres par feddan (la piastre vaut 0,2592 et le feddan mesure 4 200 m. q.).
  11. Barois, loc. cit., p. 55.
  12. Du même auteur Some problems of the Upper Nile, XIXth. Century Review, sept. 1905, pp. 345-375 et Note sur les projets relatifs au Nil, appendice au rapport de lord Cromer pour 1905 sur l’Égypte et le Soudan, p. 145.
  13. P. 60-61.
  14. 13 millions pour le Soudan pour 1905 et 8 400 000 pour l’Egypte. Rapport Cromer pour 1905 et Garstin, Report upon the Basin of the Upper Nile. Appendice, I, p. 13.
  15. Garstin, Report, p. 12.
  16. L’Irrigation dans la péninsule ibérique et dans l’Afrique du Nord, p. 329.
  17. Loc. cit., p. 361.
  18. Loc. cit., p. 74.